COUR D'APPEL
d'ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N
ic/ jc
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/ 02414
numéro d'inscription du dossier au répertoire général de la juridiction de première instance
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire d'ANGERS, décision attaquée en date du 23 Octobre 2012, enregistrée sous le no 10/ 00377
ARRÊT DU 25 Novembre 2014
APPELANT :
Monsieur Alain X...
...
49140 SEICHES SUR LE LOIR
comparant-non assisté
INTIMEE :
LA SAS ARTUS
Chemin du Champ des Martyrs
BP 2009
49241 AVRILLE CEDEX
non comparante-représentée par Maître Gilles PEDRON, avocat de la SCP SULTAN-PEDRON-LUCAS-DE LOGIVIERE-RABUT, avocats au barreau d'ANGERS
en présence de Madame Z..., responsable des ressources humaines
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 30 Septembre 2014 à 14H00 en audience publique et collégiale, devant la cour composée de :
Madame Anne JOUANARD, président
Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, assesseur
Madame Isabelle CHARPENTIER, assesseur
qui en ont délibéré
Greffier : Madame BODIN, greffier
ARRÊT : du 25 Novembre 2014, contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Anne JOUANARD, Président, et par Madame BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*******
FAITS et PROCÉDURE,
La société ARTUS dont le siège social est situé à Arvrillé a pour activité la conception et la fabrication d'équipements électroniques pour l'industrie aéronautique civile et militaire.
La société ARTUS, qui emploie environ 300 salariés, applique la convention collective nationale de la métallurgie du Maine et Loire (UIMM 49).
. M. X...a été engagé à compter du 8 avril 1974 en qualité d'aide acheteur par la société ARTUS dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet.
Recruté au coefficient 175, il a accédé au poste d'acheteur en janvier 1977 avec un coefficient de 240.
Il bénéficie actuellement du statut de technicien, niveau V- 2ème échelon avec le coefficient 335.
Le 14 mai 1993, monsieur X...a été désigné en qualité de délégué syndical CFE-CGC, fonctions dont il a démissionné le 4 mars 1996.
Le 13 juin 1997, il est devenu à nouveau délégué syndical CFE-CGC, puis a été élu courant 1999 en qualité de membre titulaire du comité d'entreprise. Il a démissionné de son mandat le 2 avril 2001.
En 2005, il a quitté les rangs du syndicat CFE-CGC pour rejoindre la liste de la CFTC lors des élections des délégués de personnel. En juin 2006, il a retrouvé son mandat de délégué syndical de la CFE CGC.
En avril 2009, il a été élu comme représentant syndical au sein du comité d'entreprise pour la CFE CGC.
Le 23 novembre 2009, monsieur X...a fait l'objet d'une mise à pied disciplinaire de 2 jours " suite à la diffusion de fausses informations déstabilisant les collaborateurs concernés et perturbant le bon fonctionnement du service, ces faits constituant des manquements à ses obligations contractuelles de loyauté et de veiller à la sécurité de ses collègues et ne rien faire qui soit de nature à nuire à l'état de santé. "
Le 24 décembre 2009, le syndicat CFE CGC a avisé la société ARTUS que Monsieur X...ne détenait plus ses mandats de délégué syndical et de représentant syndical auprès du comité d'entreprise.
Lors des élections de mars 2010, Monsieur X...a été élu sur la liste CGT en tant que délégué du personnel et membre suppléant du comité d'entreprise.
Monsieur X...s'est plaint en janvier 2010 auprès de l'Inspection du travail de harcèlement moral de la part de son employeur et un rapport a été établi le 9 novembre 2011.
Le 3 mai 2010, Monsieur X...a saisi le conseil de prud'hommes d'Angers, section encadrement, pour demander l'annulation de la mise à pied prononcée le 23 novembre 2009.
Le 10 juin 2010, l'affaire a été portée à la demande du salarié devant la section industrie.
Monsieur X...a présenté en cours de procédure le 5 juin 2012 des demandes nouvelles tendant à voir prononcer la résiliation du contrat de travail aux torts de la société ARTUS pour discrimination syndicale et pour harcèlement moral, à obtenir des indemnités de rupture ainsi que divers dommages et intérêts pour discrimination syndicale, privation du coefficient d'emploi 365 et du statut cadre.
Par jugement en date du 23 octobre 2012, le conseil de prud'hommes d'Angers a :
- dit que la sanction disciplinaire de mise à pied notifiée le 23 novembre 2009 à monsieur X...était fondée,
- débouté monsieur X...de l'ensemble de ses demandes,
- rejeté la demande d'indemnité de procédure de la société ARTUS.
- condamné Monsieur X...aux dépens.
Les parties ont reçu notification de ce jugement le 30 octobre et le 2 novembre 2012 et Monsieur X...en a régulièrement relevé appel général par lettre recommandée postée le 3 novembre 2012.
PRÉTENTIONS et MOYENS des PARTIES
Vu les conclusions enregistrées au greffe le 19 février 2014, complétées par celles du 15 septembre 2014, régulièrement communiquées et reprises oralement à l'audience, aux termes desquelles M. X...demande à la cour :
- d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :,
- d'annuler la sanction injustifiée du 30 novembre 2009 et de condamner la société ARTUS à lui verser la somme de 375. 32 euros au titre du rappel de salaire en lien avec cette mise à pied de deux jours,
- de résilier son contrat de travail aux torts de l'employeur pour non respect de la priorité d'embauche et de la privation du coefficient 365 et du statut cadre du fait d'une discrimination syndicale et harcèlement moral
-de condamner la société ARTUS à lui verser :
- la somme de 150 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement illicite en raison d'une discrimination syndicale,
- la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement illicite en raison du harcèlement moral,
- la somme de 40 000 euros de dommages et intérêts en réparation du non respect de la priorité d'embauche et de la privation du coefficient 365 et du statut cadre,
- la somme de 36 383 euros pour violation du statut protecteur,
- la somme de 33 472 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
- la somme de 9 095. 76 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis.
et pour la première fois, une somme indéterminée au titre des heures écrêtées au cours de l'année 1999.
Monsieur X...fait valoir en substance que :
- il n'a commis aucun acte de harcèlement moral sur la personne de sa collègue Madame C...ni exercé des pressions sur Monsieur D...responsable hiérarchique de la salariée,
- il a déposé plainte pour dénonciation mensongère en janvier 2010 mais cette plainte a été classée sans suite le 22 juin 2012,
- il fait l'objet d'actes de discrimination syndicale de la part de son employeur l'amenant à demander la résiliation de son contrat de travail aux torts de la société ARTUS.
- son activité syndicale et son mandat d'élu ont influé de manière négative sur le déroulement de sa carrière en ce qu'il aurait pu prétendre au statut cadre et à une classification conventionnelle (365) au regard de son expérience professionnelle, de ses très bons résultats commerciaux et de son aptitude à conduire des négociations à l'étranger.
Monsieur X...a précisé lors de l'audience qu'il était toujours en activité au sein de la société ARTUS mais qu'il n'avait plus la qualité d'élu au sein de l'entreprise depuis le mois d'avril 2014.
Vu les conclusions enregistrées au greffe le 25 août 2014, régulièrement communiquées et reprises oralement à l'audience selon lesquelles la société ARTUS demande à la cour :
- de confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- de débouter M. X...de sa nouvelle demande au titre des heures " écrêtées " et le condamner au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La société ARTUS soutient principalement que :
- Madame C...a été profondément déstabilisée par les fausses informations diffusées le 15 octobre 2009 par Monsieur X...à propos d'une menace pesant sur son emploi,
- son chef hiérarchique Monsieur D...a reçu un message d'intimidation de la part de Monsieur X...,
- l'employeur alerté a pris une mesure disciplinaire proportionnée aux faits reprochés à monsieur X...dans le cadre de son obligation de sécurité pour la santé de ses salariés,
- la demande de Monsieur X...tendant à la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur en raison d'une prétendue discrimination syndicale depuis de nombreuses années est totalement infondée,
- les faits de harcèlement moral ne sont pas étayés par Monsieur X...qui ne s'en est jamais plaint auprès du CHSCT ou lors de réunions de délégués de personnel,
- Monsieur X..., placé au second échelon du niveau 5 ne remplit pas les conditions légales pour prétendre au statut cadre selon les prescriptions de l'article 21- B de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie.
MOTIFS DE LA DÉCISION,
Sur la demande en paiement d'heures écrêtées,
Monsieur X...réclame le paiement d'un rappel de salaires au titre d'heures écrêtées au cours de l'année 1999.
La société ARTUS souleve l'irrecevabilité de cette demande salariale comme se heurtant à la prescription de l'article L 3245-1 du code du travail.
Il résulte de l'article L 3245-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi du 14 juin 2013 applicable à la cause, que les actions afférentes aux créances de nature salariale et dues au titre du contrat de travail se prescrivent par cinq ans.
Monsieur X...ayant saisi le conseil de prud'Homme le 3 mai 2010, il n'est pas recevable à demander le paiement des rappels de salaires au titre d'heures écrêtées pour une période antérieure au 3 mai 2005.
Tel est le cas de l'espèce puisque la demande en paiement concerne des créances salariales dues au titre de l'année 1998, et non pas de l'année 1999 de sorte que sa demande doit être jugée irrecevable
Sur la demande d'annulation de la mise à pied.
L'article L 1 333-1 du code du travail dispose qu'en cas de litige, le juge apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L'employeur fournit au juge les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le juge forme sa conviction après avoir ordonné en cas de besoin toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute existe, il profite au salarié.
Le juge peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnées à la faute commise selon l'article L 1333-2 du même code.
Le courrier en date du 23 novembre 2009 adressé par la SAS ARTUS reproche les griefs suivants à Monsieur X...:
" Suite à l'entretien préalable du 13 novembre 2009,.. nous sommes au regret de vous informer de notre décision de prononcer à votre encontre une mise à pied disciplinaire " d'une durée de 2 jours pour les motifs suivants :
- diffusion de fausses informations déstabilisant les collaborateurs concernés et perturbant le bon fonctionnement de leur service.
Précisément, une collaboratrice de l'entreprise est venue se plaindre auprès de la Direction des ressources humaines le 16 octobre 2009 de ce qu'elle vivait très mal vos interventions répétées auprès d'elle.
Au cours de l'une d'entre elles au moins, vous avez diffusé l'information selon laquelle elle serait " la personne visée dans le service commercial pour un licenciement économique " et qu'elle devait " se préparer à un entretien avec la DRH ".
Ces affirmations dénuées de tout fondement ont profondément déstabilisé la collaboratrice au point que celle-ci s'est sentie victime d'un " harcèlement moral " l'amenant à exprimer une menace implicite de porter atteinte à sa propre intégrité physique.
D'autre part, vous avez fait savoir au responsable hiérarchique de ladite collaboratrice, par courriel du 23 octobre 2009, que le responsable départemental d'une organisation syndicale envisageait une action à son encontre. Votre courriel citait expressément la personne qui aurait prétendument tenu ces propos ce qui nous a permis d'entrer en contact avec elle. Cette personne a démenti formellement avoir fait de telles menaces. Il n'en reste pas moins que la menace ainsi articulée a déstabilisé la personne qui en était prétendument l'objet.
Au cours de l'entretien préalable, vous avez maintenu votre affirmation concernant cette menace.
Concernant l'autre collaboratrice, vous avez prétendu que :
- c'est à sa demande que vous êtes intervenu à plusieurs reprises auprès de lui,
- vous n'auriez eu qu'un rôle de conseil,
- c'est l'intervention d'une autre organisation syndicale que celle que vous représentez, qui serait à l'origine de la plainte de ce collaborateur.
Suite à cet entretien préalable, nous avons réentendu les deux collaborateurs concernés qui nous ont confirmé leur position initiale.
Ces faits constitutifs de manquement à vos obligations contractuelles de loyauté, de veiller à la sécurité de vos collègues et de ne rien faire qui soit de nature à nuire à leur état de santé, justifient la présente sanction.
La présente mise à pied conservatoire sera effective les 30 novembre et 1er décembre 2009. "
A l'appui de cette sanction, l'employeur verse aux débats le courrier de doléances d'une salariée Madame C...déposée le 16 octobre 2009 entre les mains de Madame Z..., responsable Ressources Humaines de la société ARTUS :
" Je voulais vous relater un incident conséquent hier le 15 octobre à 16 heures. Alain X...représentant de la CGC arrive dans mon bureau sans prévenir, s'est assis en face de moi et a tout fait pour me déstabiliser. Il m'a parlé du syndicat CFDT, m'a demandé si j'étais adhérente, si je serais défendue par Monsieur E..., que je devais me méfier de la CFDT car Monsieur F...n'est pas venu me voir.
Il a tout fait pour me faire douter et m'a assuré que j'étais la personne visée dans le service commercial avec un licenciement économique et que je devais me préparer à un entretien avec la DRH.
Madame Z..., vous qui êtes représentante RH Artus, vous m'aviez assuré que j'avais tout à fait ma place dans la société lors de notre précédent entretien...
On attend quoi chez ARTUS ? Que je fasse une bêtise ? Il me semble que dans la politique DANAHER, les américains n'aiment pas le harcèlement moral féminin et le gouvernement français actuel se préoccupe beaucoup actuellement de la santé des salariés, des conditions de travail. Donc, je tenais à vous informer que j'ai informé mon syndicat et mon médecin.
Vous rendez-vous compte dans quel état je vais passer mon WE ? "
La société ARTUS a indiqué qu'elle a dû intervenir auprès de madame C...pour démentir par écrit les propos diffusés par Monsieur X...en l'absence de menace pesant sur son emploi.
Monsieur X...a contesté avoir harcelé de quelque manière que ce soit madame C...avec laquelle il a deux ou trois entretiens très brefs sur la demande de la salariée. Il a répondu à ses questions sur les conditions d'assistance d'un salarié en cas d'entretien préalable à un licenciement, il l'a orientée vers un autre délégué syndical qui la conseillait habituellement mais n'a pas évoqué la menace pesant sur l'emploi de celle-ci.
Il a confirmé son refus de rencontrer " la plaignante " comme le confirme son courrier du 23 octobre 2009 en déclinant la proposition de Monsieur G...directeur de l'établissement (pièce 47).
Or Iil y a lieu d'observer que :
- Madame C...n'a pas déposé de plainte au plan pénal pour les faits du 15 octobre 2009
- elle n'a pas fourni d'attestation dans le cadre de la présente procédure prud'homale,
- la nature des propos tenus par Monsieur X...à Madame C...n'a pas été confirmée par des éléments ou témoignages extérieurs aux deux protagonistes,
- le " trouble sur l'état de santé " de Madame C...et " le risque psychosocial très important " invoqués par l'employeur ne reposent sur aucune constatation médicale.
La société ARTUS a évoqué en second lieu les fausses informations fournies par Monsieur X...à Monsieur D..., supérieur hiérarchique de Madame C..., dans un mail du 23 octobre 2009 :
" Monsieur E...représentant CFDT-m'a téléphoné hier vers 14 heures et je lui ai expliqué la situation. Son ton était très agressif vis à vis de moi et en particulier vers toi, chef de service (de madame C...).
Je lui ai dit que le dialogue entre vous (avec madame C...) s'était construit et qu'il ne fallait pas aller au-delà puisqu'il envisageait une action contre toi, pour ne pas bien s'être occupé d'elle. "
Selon l'employeur, Monsieur E...aurait contesté avoir tenu de tels propos le 22 octobre 2009 mais il a refusé de confirmer par écrit son démenti (pièce 50).
Or le courrier commun établi le 17 novembre 2009 par Monsieur I...et Monsieur J..., délégués CGT, est contesté à juste titre par la société ARTUS. En effet, il s'agit de témoignages indirects pour des propos tenus par madame Z....
Monsieur X...a précisé avoir déposé plainte le 25 janvier 2010 pour dénonciation calomnieuse à l'encontre de la société ARTUS mais cette plainte a été classée sans suite en juin 2012 par le Parquet.
Madame C...entendue dans le cadre de cette enquête, a indiqué qu'elle " voulait trouver une solution amiable avec Monsieur X..., mais que la direction ne l'a pas souhaité ", prenant " la responsabilité de régler ce litige avec Monsieur X.... " ; qu'enfin, Monsieur D..., également entendu, ne prétend pas avoir été déstabilisé par le message de Monsieur X....
Ainsi la contradiction des versions fournies et l'absence de témoignage direct ne permettent pas d'établir de manière certaine la matérialité des griefs reprochés à Monsieur X....
Le doute bénéficiant au salarié, les éléments recueillis ne suffisent pas à caractériser un comportement fautif de la part de monsieur X...de nature à justifier la sanction disciplinaire d'une mise à pied de deux jours.
Le jugement sera donc infirmé sur ce point, et l'employeur sera condamné à verser à Monsieur X...la somme de 375. 32 euros brut correspondant à son salaire pendant la période de mise à pied des journées des 30 novembre et 1er décembre 2009.
Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail,
Monsieur X...sollicite la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison d'une part de mesures discriminatoires liées à son activité syndicale et d'autre part en raison d'actes de harcèlement moral de la part de son employeur.
Si les manquements de l'employeur sont établis et d'une gravité suffisante, la résiliation du contrat produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
L'article L 1134-1 du code du travail prévoit que le salarié concerné par une discrimination présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination direct ou indirecte à charge pour l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné en cas de besoin toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Pour étayer ses allégations, Monsieur X...fait valoir la stagnation de sa carrière en tant que technicien, une classification limitée depuis 10 ans à un coefficient 335, l'absence de reconnaissance du statut cadre malgré ses efforts et les engagements de sa hiérarchie directe.
Il expose qu'il est amené à travailler dans le service Achats avec des collègues qui occupent des fonctions identiques d'acheteur mais avec un statut de cadre et avec un salaire plus élevé.
Il ajoute que sa candidature sur un poste d'acheteur approvisionneur a été rejetée en décembre 2011 par sa supérieure hiérarchique ;
Il argue ainsi d'une discrimination salariale et de carrière en raison de l'exercice de ses mandats de délégué syndical et d'élu depuis 1993.
Au préalable, il convient de rappeler le cursus et le parcours professionnel de Monsieur X...: né le 14 novembre 1952, il est titulaire du BEPC et a suivi une formation de niveau BEP en électrotechnique sans obtenir le diplôme correspondant. Il a été recruté en avril 1974 en qualité d'aide acheteur dans la société ARTUS. En 1977, il a accédé au poste d'acheteur avec un statut de technicien et un coefficient de 240. Son coefficient est passé à 285 en 1989.
Le salarié a engagé une formation FONCECIF d'octobre 1992 à avril 1993 dans un autre domaine d'activité (restauration).
De retour dans l'entreprise, Monsieur X...s'est engagé en qualité de délégué syndical CFE-CGC le 14 mai 1993.
Il a bénéficié à partir de mai 1993 de deux revalorisations :
- en juillet 1996, du coefficient 305, niveau V 1er échelon.
- depuis juillet 2004, du coefficient 335, niveau V, 2ème échelon.
Il résulte ensuite des éléments du dossier que :
- Monsieur X...exerce les fonctions d'acheteur depuis plus de 30 ans (1977) au sein de la société ARTUS
-les collaborateurs ayant exercé ou exerçant les fonctions d'acheteur au sein de la société ARTUS bénéficient du statut cadre, à l'exception de Monsieur X..., alors que ses bulletins de salaire établis par l'employeur portent la mention depuis 2004 de son appartenance à une catégorie " assimilé cadre " qui n'existe pas dans la convention collective et qu'il est en voie de disposer d'un niveau supérieur à bac + 2 selon une évaluation faite par la chambre de commerce et d'industrie dans la perspective d'une validation des acquis par l'expérience.
Les éléments ainsi recueillis sont suffisamment précis et concordants et de nature à faire supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte au détriment de Monsieur X...sur le plan de l'évolution de sa carrière et de sa rémunération.
Au regard de ces éléments, il incombe à l'employeur en défense de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination
Pour contester la discrimination alléguée et justifier l'inégalité de traitement entre M X...et ses collègues exerçant les mêmes fonctions la société ARTUS fait valoir que :
- les collègues de monsieur X..., titulaires d'un diplôme universitaire supérieur ou égal à bac + 4 (Madame K..., Monsieur L..., Monsieur M...), ont été recrutés avec le statut de cadre ; que monsieur N..., titulaire d'un DUT et recruté en 1982 avec une expérience professionnelle d'une dizaine d'années en qualité d'adjoint au responsable d'un service achat d'une entreprise industrielle, a exercé durant plusieurs années des fonctions de management au sein de la société ARTUS ;
- la formation initiale et les fonctions moins diversifiées de Monsieur X...ne sont pas comparables et n'ont pas permis de lui offrir un traitement identique à celui de ses collègues alors qu'il ne dispose ni des diplômes et ni de l'expérience lui permettant d'accéder au statut de cadre,
- il a perçu un salaire progressant à un rythme égal à celui des autres salariés du service Achats depuis 1994, et notamment des cadres Messieurs N...et M...(pièce 86) ; aucun salarié non cadre n'a bénéficié d'augmentation individuelle
en 2009 et 2010, son salaire de base de 2 578. 89 euros par mois hors prime d'ancienneté étant supérieur au salaire moyen (2 350. 51 euros) des autres salariés bénéficiant du coefficient 335 en mars 2011,
- la rémunération de Monsieur X...a suivi la même progression depuis 1985 que celle des autres collaborateurs ayant la qualité de représentants du personnel,
- il est le seul à prétendre qu'il fait l'objet d'une discrimination syndicale.
Or il est constant qu'au regard de la définition d'accès à la position de cadre résultant S'agissant des conditions d'accès à la position de cadre, il faut se référer à l'accord national du 21 juillet 1975 sur la classification applicable aux salariés des entreprises de la métallurgie à l'exclusion des ingénieurs et cadres, l'article 7 dispose que " les salariés classés au 3ème échelon du niveau V, possédant des connaissances générales et professionnelles comparables à celles acquises après une année d'études universitaires au-delà du niveau III défini par la circulaire du 11 juillet 1967 de l'Education nationale et ayant montré au cours d'une expérience éprouvée, une capacité particulière à résoudre efficacement les problèmes techniques et humains, seront placés en position II au sens de la classification définie par la convention collective nationale des ingénieurs et cadres du 13 mars 1972, à la condition que leur délégation de responsabilité implique une autonomie suffisante ", M X...ne peut prétendre à un tel statut dans la mesure où il ne justifie pas de la validation des acquis de son expérience en qualité d'acheteur technique international (pièce 241) de niveau bac + 3/ 4 et qu'il ne remplit pas les conditions d'accès au statut de cadre nécessitant les connaissances générales et professionnelles comparables à celles acquises avec un diplôme bac + 3.
Pour autant la convention collective de la métallurgie distingue chez les techniciens de niveau V dans le secteur " Achats " :
- au 2ème échelon (coefficient 335) : avec un diplôme Bac + 2 ou de niveau équivalent par expérience, le salarié exerce son action en maîtrisant l'ensemble des composantes technique, administrative, économique et logistique de l'acte d'acheteur à l'exclusion de la composante juridique pour laquelle il recherche une assistance technique. Il dispose des bases juridiques d'une relation contractuelle, client et fournisseur, et une aptitude à suivre une conversation téléphonique en anglais.
- au 3ème échelon (coefficient 365) : avec un diplôme Bac + 2 ou de niveau équivalent par expérience, le salarié exerce sa fonction d'acheteur sans restriction sur les produits et technologies et sur un périmètre d'achat correspondant à celui de l'entreprise. Il agit en maîtrisant la totalité des composantes de l'acte d'acheter et a une connaissance approfondie de la composante juridique d'une relation contractuelle, client et fournisseur. Il est susceptible d'encadrer un ou plusieurs acheteurs de qualification inférieure. Il réalise à la demande de sa hiérarchie des missions ponctuelles d'évaluation de marchés, d'achat ou de sous-traitance. Il établit le rapport, présente la synthèse à sa hiérarchie et propose des tableaux de bord... du fait de son autonomie et du périmètre élargi des missions d'achat, il a une responsabilité directe sur la performance achats du service et est très impliqué dans la définition de la politique Achats.
Or M X...qui, en juillet 1996 est passé au coefficient 305 niveau V 1er échelon est, depuis juillet 2004, soit depuis près de 10 ans et malgré la mention d'assimilé cadre sur son bulletin de salaire cantonné au coefficient 335, niveau V, 2ème échelon alors qu'il ressort de ses évaluations annuelles que :
- compte rendu du 28 janvier 2004 par le chef de service Monsieur O...: " globalement, Alain a tenu ses objectifs, il a démontré une forte implication sur les objectifs généraux et la politique de service HA pour 2003, il fait preuve d'anticipation en remontant les informations pertinentes qui aident à prendre les décisions. Il a démontré un état d'esprit de solidarité, non conflictuel, constructif, d'apaisement dans certaines situations parfois tendues qui prouve qu'il a atteint la pleine possession de son poste "
- compte rendu du 15 juin 2006 " Alain continue à démontrer une grande maîtrise des différentes composantes de ses missions.. ; discernement, veille permanente pour mise en compétition, sens de la relation client-fournisseur, relationnel avec les autres.. il propose de se voir confier une mission sur sujet particulier à définir par le chef de service en fonction des besoins/ urgences.... La formation bien ciblée peut être associée à une évolution des missions d'Alain et ainsi favoriser l'évolution du coefficient " (monsieur O...)
- compte rendu du 14 juin 2007 " Alain est devenu membre actif de la réunion AQF, il assure la tenue des actions par ses collègues, de ses propres actions, fait le reporting, le rythme est bien tenu... il a rempli avec professionnalisme l'ensemble de ses missions. Il s'est approprié le rôle de représentant du service HA en réunion mensuelle AQF avec succès. Il apprécie l'autonomie, la délégation et les responsabilités qui lui sont confiées.. il a suivi une formation achat
(novembre 2006) qui lui a apporté de bons outils d'organisation, de hiérarchisation des problèmes,... il a dopé sa compétence juridique.. "
- compte rendu du 24 avril 2008 " Alain accomplit l'ensemble de ses missions avec professionnalisme, il a été moteur dans la démarche d'analyse des performances qualité.. Année 2007 satisfaisante, Alain a été digne de la confiance qui lui a été donnée et de l'autonomie accordée. "
- compte rendu du 18 mars 2009 " Alain est très impliqué dans le respect du service à la production.. il souhaite élargir son champ d'action en ayant un nouveau type de portefeuille tel que les fournisseurs d'aménagement du site. "
- compte rendu du 23 avril 2010 et du 13 janvier 2011 par le nouveau chef de service Madame P...: " Forte expérience de négociation,... bon pilier de l'équipe surtout sur l'aspect négociation ".
et qu'il résulte qu'il exerce avec succès les missions d'un acheteur, sans restriction sur les produits et technologies et sur un périmètre d'achat correspondant à celui de l'entreprise, qu'il bénéficie d'une autonomie totale jusqu'à un plafond d'achats de 5 000 euros, qu'il a suivi des formations notamment en novembre 2006 pour se perfectionner au métier d'acheteur, qu'il apparaît très impliqué au sein du service Achats.
Il est ainsi suffisamment établi que les fonctions effectivement exercées par M X...correspondent exactement, au sens des textes conventionnels, à celles d'acheteur confirmé, avec le statut de technicien au 3ème échelon du niveau V avec un coefficient 365 et que son maintien au coefficient 335 depuis 10 ans n'est pas justifié par des raisons objectives étrangères à toute discrimination.
Il ressort de ce qui précède que la société ARTUS a maintenu M X...dans une classification manifestement sous évaluée au regard des fonctions réellement occupées par lui et de la grille de cassification fixée par la convention collective ; qu'il s'est affranchi à son égard du cadre imposée par les dispositions conventionnelles.
Ce manquement par l'employeur, qui a eu pour effet de priver Monsieur X...des garanties conventionnelles sur des points aussi fondamentaux que la carrière et le salaire, est d'une gravité telle, qu'elle justifie la résiliation judiciaire du contrat de travail du salarié aux torts de la société ARTUS.
Il est dès lors sans intérêt d'examiner le grief de harcèlement moral en ce qu'il est allégué par M X...au soutien de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.
Au demeurant pour arguer d'un harcèlement moral qui se caractérise en droit par des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, M X...évoque sans les distinguer sa mise à pied injustifiée, la stagnation de son salaire, l'absence de reconnaissance de son statut de cadre.
Or l'absence de reconnaissance de son statut de cadre est justifiée ainsi qu'il vient d'être dit et la seule stagnation de son salaire ne constitue pas un agissement de nature à caractériser un harcèlement moral. Il en est de même de la seule mise à pied incriminée qui, au surplus reposait sur les doléances de deux salariés l'accusant de harcèlement moral et que la société ARTUS ne pouvait alors ignorer, de sorte que faute de rapporter la preuve d'agissements de son employeur laissant présumer un harcèlement moral, M X...doit être débouté de sa demande de ce chef.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les conséquences de la résiliation judiciaire,
Cette résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Elle ouvre droit pour Monsieur X...au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, d'une indemnité conventionnelle de licenciement et à des dommages et intérêts pour résiliation judiciaire du contrat de travail s'analysant en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Ces diverses indemnités doivent être calculées sur la base de la rémunération perçue en moyenne de 3 031. 92 euros par mois.
Il y a lieu dès lors de condamner la Société ARTUS à payer à M X...en application des articles L 1234-5, L. 1234-9 et R. 1234-2 du code du travail au regard de son ancienneté de 40 ans et 10 mois dans l'entreprise :
- la somme de 9 095. 76 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- la somme de 909. 57 euros brut au titre des congés payés afférents,
- la somme de 33 472 ¿ qu'il demande au titre de l'indemnité légale de licenciement..
S'agissant des dommages et intérêts pour résiliation judiciaire s'analysant en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'article L. 1235-3 du code du travail prévoit une indemnité à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Il n'est pas contesté que Monsieur X..., âgé de 62 ans en novembre 2014, peut faire valoir ses droits à la retraite.
Au vu de ces éléments d'appréciation et notamment au regard de l'âge et de l'ancienneté du salarié (40 ans) il est bien fondé à obtenir la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts de ce chef.
Sur les autres demandes.
Monsieur X...n'a pas présenté de demande de rappels de salaire-au demeurant soumise à la prescription de cinq ans-mais une indemnisation du préjudice subi par lui pour n'avoir pas reçu, du fait d'une discrimination syndicale, le salaire auquel il pouvait prétendre.
Cette demande est fondée en son principe et justifie au regard d'une perte moyenne de 300 ¿ par mois la condamnation de la société Artus à lui verser la somme de 15 000 ¿ en réparation de son préjudice matériel et celle de 10 000 ¿ en réparation de son préjudice moral pour discrimination.
M X..., qui est toujours dans l'entreprise ne précise pas la nature des actes susceptibles d'avoir porté atteinte à son statut protecteur de délégué syndical de sorte qu'il doit être débouté de sa demande en dommages et intérêts de ce chef.
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la société ARTUS les frais non compris dans les dépens. La société sera en conséquence déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant, publiquement en matière sociale par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
DIT et JUGE M X...irrecevable en sa demande de rappel de salaire au titre des heures écrêtées
-INFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il rejeté la demande de la société ARTUS au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
- DIT que la sanction disciplinaire notifiée le 23 novembre 2009 est injustifiée, ANNULE la mise à pied de deux jours infligée à Monsieur X...et CONDAMNE la SAS ARTUS à lui payer la somme de 375. 32 euros brut à titre de rappel de salaire durant la période de mise à pied,
- PRONONCE, à compter du présent arrêt, la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur X...aux torts de la SAS ARTUS et en conséquence CONDAMNE la SAS ARTUS à lui payer :
- la somme de 33 383 euros net au titre de l'indemnité légale de licenciement,
- la somme de 9 095. 76 euros brut au titre de l'indemnité de préavis outre la somme de 909. 57 euros brut de congés payés y afférent,
- la somme de 20 000 euros net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
CONDAMNE la SAS ARTUS à payer à Monsieur X...à titre de dommages et intérêts pour discrimination la somme de 15 000 ¿ au titre de son préjudice matériel et celle de 10 000 ¿ au titre de son préjudice moral.
- DIT que les sommes allouées produiront intérêt au taux légal à compter de la date de la saisine du 3 mai 2010 pour le rappel de salaire et à compter du présent arrêt pour les autres créances.
- DÉBOUTE M X...de toutes ses autres demandes
-DÉBOUTE la société ARTUS de sa demande en cause d'appel fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
- CONDAMNE la société ARTUS aux dépens d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Viviane BODINAnne JOUANARD