COUR D'APPEL
d'ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N
ic/ jc
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/ 02115.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire du MANS, décision attaquée en date du 12 Septembre 2012, enregistrée sous le no 11/ 00662
ARRÊT DU 25 Novembre 2014
APPELANT :
Monsieur Francis X...
...
72220 LAIGNE EN BELIN
comparant-représenté par Monsieur Emile C..., délégué syndical ouvrier, muni d'un pouvoir établi au moment de l'appel
INTIMEE :
LA SA SOCAMAINE
Route de Paris
72470 CHAMPAGNE
non comparante-représentée par Maître ROBIN, avocat au barreau de BREST
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Octobre 2014 à 14H00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Isabelle CHARPENTIER, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anne JOUANARD, président
Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, conseiller
Madame Isabelle CHARPENTIER, conseiller
Greffier : Madame BODIN, greffier.
ARRÊT : prononcé le 25 Novembre 2014, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Anne JOUANARD, président, et par Madame BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*******
FAITS et PROCÉDURE,
La société SOCAMAINE dont le siège social est situé à Champagne (72 470), est une centrale d'achats ayant pour adhérents des exploitants de supermarchés et d'hyper marchés d'enseigne E. LECLERC.
Elle applique la convention collective nationale du commerce de détails et de gros à prédominance alimentaire et emploie de manière habituelle 450 salariés.
Monsieur X...a été engagé le 28 février 1998 en qualité de préparateur de commandes par la société SOCAMAINE dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet.
Il était affecté au sein des entrepôts
En dernier lieu, il percevait un salaire brut de 1 617. 32 par mois.
Le 14 janvier 2011, Monsieur X...s'apprêtait à quitter l'entrepôt au volant de son véhicule personnel lorsqu'il a été interpellé par trois membres du personnel en possession d'articles provenant de l'entrepôt de la société SOCAMAINE. Il a été retrouvé en possession d'un bidon de lessive liquide " Le Chat " et d'un paquet de serviettes hygiéniques.
Par courrier remis en mains propres le 14 janvier 2011, Monsieur X...a été convoqué à un entretien préalable à un licenciement fixé au 4 février 2011. Le salarié a été mis à pied à titre conservatoire le même jour.
Par courrier du 8 février 2011, Monsieur X...a reçu notification de son licenciement pour faute grave.
Par courrier du 7 mars 2011, Monsieur X...a contesté le caractère frauduleux de son comportement en rappelant que les objets retrouvés en sa possession avaient été prélevés " dans une poubelle déchets qui allait être vidée dans le compacteur ". Il a sollicité sa réintégration à son poste de travail.
L'employeur a répliqué dans un courrier du 21 mars 2011 qu'il " n'entendait pas polémiquer " et ne pouvait pas faire droit à sa demande de réintégration.
Le 29 novembre 2011, Monsieur X...a saisi le conseil des prud'hommes du MANS pour contester la mesure de licenciement et obtenir diverses indemnités de rupture, des rappels de salaire et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement en date du 12 septembre 2012 auquel il est renvoyé pour un plus ample explosé, le conseil des prud'hommes a :
- dit que le licenciement de Monsieur X...pour faute grave était fondé,
- débouté Monsieur X...de l'intégralité de ses demandes
-rejeté les demandes de la société SOCAMAINE au titre des articles 32-1 et 700 du code de procédure civile.
Les parties ont reçu notification de ce jugement le 14 septembre 2012.
Monsieur X...en a régulièrement relevé appel général par lettre recommandée postée le 5 octobre 2012.
PRÉTENTIONS et MOYENS des PARTIES,
Vu les conclusions enregistrées au greffe le 18 mars 2014, régulièrement communiquées et reprises oralement à l'audience, aux termes desquelles Monsieur X...demande à la Cour :
- d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- de dire que son licenciement ne repose ni sur une faute grave ni sur une cause réelle et sérieuse,
- de condamner la société SOCAMAINE à lui verser :
- la somme de 42 000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- la somme de 410. 56 euros au titre du rappel de salaire durant la période de mise à pied conservatoire outre les congés payés,
- la somme de 3 558. 10 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés,
- la somme de 5 877. 88 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,
- la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Monsieur X...fait valoir en substance que :
- il a seulement récupéré dans un conteneur des objets destinés à être détruits, ce qui ne peut pas être assimilé à un vol en l'absence de préjudice,
- la sanction encourue pour le non-respect du règlement intérieur ne figure pas dans ledit règlement de sorte que le salarié peut se prévaloir d'un traitement différencié en cas de prélèvement d'objets dans une poubelle,
- son ancienneté (14 ans) et l'absence de sanction antérieure doivent être prises en compte pour apprécier le degré de gravité de la faute.
Monsieur X...a réclamé un rappel de salaire durant la période de mise à pied conservatoire ainsi que l'indemnité compensatrice de préavis de 2 mois.
Vu les conclusions enregistrées au greffe le 9 juillet 2014, régulièrement communiquées et reprises oralement à l'audience selon lesquelles la société SOCAMAINE demande à la Cour :
- de confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- de dire que le licenciement de Monsieur X...est justifié par une faute grave
-de débouter M. X...de toutes ses demandes et le condamner au paiement de la somme de 1 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive et de celle de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La société SOCAMAINE soutient essentiellement que :
- l'appropriation frauduleuse de marchandises par monsieur X...sur son lieu de travail constitue en soi un motif suffisant de licenciement, que les objets soient destinés ou non à la " casse ",
- ce comportement est d'autant plus inexcusable de la part d'un salarié avec une ancienneté de 14 ans,
- l'employeur est seul juge pour déterminer la gravité de la sanction au regard des règles énoncées dans le règlement intérieur dont les salariés avaient parfaite connaissance,
- la faible valeur des marchandises ne constitue pas une circonstance de nature à alléger la gravité de la faute du salarié.
MOTIFS DE LA DÉCISION,
Sur le licenciement pour faute
Selon la lettre de licenciement du 8 février 2011 qui fixe les limites du litige, il est reproché à Monsieur X...les faits suivants :
" Suite à notre entretien du 4 février 2011, nous vous informons avoir pris la décision de rompre votre contrat de travail pour faute grave pour les motifs ci-après exposés :
Le vendredi 14 janvier 2011 à 13h30, vous vous trouviez en SOCA 2 sur votre lieu habituel de travail et alors que vous alliez quitter l'entreprise, vous avez été intercepté en présence de trois membres représentants du personnel (?) et vous avez reconnu être en possession de marchandises à savoir :
- lessive " Le Chat liquide " 3 litres-gencod 3178044042519
- Always Ultra fresh 18 pièces-gencod 4015400197751.
Vous avez par ailleurs formellement reconnu les faits lors de notre entretien.
De telles malversations frauduleuses sont bien évidemment incompatibles avec vos fonctions et ne permettent donc pas la poursuite de la relation salariale même pendant la durée limite du préavis.
Votre licenciement prendra en conséquence immédiatement effet sans préavis et sans indemnités de rupture.
La période non travaillée du 14 janvier 2011 au 9 février 2011 correspondant à votre mise à pied conservatoire ne sera pas rémunérée. "
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Il incombe à l'employeur d'en rapporter la preuve.
Il ressort des pièces versées aux débats que le 14 janvier 2011, vers 13h30, Monsieur X...a été trouvé à la fin de son service en possession d'un sac contenant un bidon de lessive liquide et un paquet de protections Always ; qu'il n'a pas été en mesure de justifier d'une autorisation écrite de sortie de ces marchandises de l'entrepôt contrairement aux prescriptions du règlement intérieur en son article 2-6-2 " interdisant formellement à tout salarié d'emporter sans autorisation écrite des.... marchandises quelconques appartenant à l'entreprise. ".
La matérialité des faits est donc établie par la société SOCAMAINE.
Monsieur X...a soutenu avoir récupéré ces produits dans une " poubelle déchets qui allait être vidée dans le compacteur " et a contesté la notion de malversation frauduleuse s'agissant de marchandises destinées à la " casse ".
Il a présenté ce moyen de défense lors de l'entretien préalable au licenciement du 4 février 2011, ce qui est confirmé par Monsieur Y...délégué syndical qui l'assistait, mais aussi dans son courrier recommandé du 7 mars 2011.
La société SOCAMAINE n'a pas précisé la valeur marchande des deux produits détournés dont elle a mis en doute le mauvais état. Elle a rappelé qu'elle était libre de disposer des marchandises destinées à être jetées ou bien distribuées à des associations caritatives.
Elle a versé aux débats les attestations complémentaires de ses salariés Messieurs Z..., A...et B...en date des 30 juin et 1er juillet 2014 selon lesquelles " les colis retrouvés dans le véhicule de Monsieur X...étaient en bon état et non destinés à la casse ".
A supposer que ces salariés aient conservé plus de trois ans après, des souvenirs précis en évoquant la présence de plusieurs colis au lieu d'un seul, les attestations rédigées dans des termes strictement similaires ne sont corroborées par aucun élément objectif. En effet, les photographies produites par la société SOCAMAINE sont inopérantes sur l'état apparent des marchandises détournées puisque des clichés représentent l'aspect extérieur du sac plastique ayant servi au transport des marchandises et les autres concernent les cinq paquets Always, dépendant du même lot que le paquet détourné.
Le fait que Monsieur X...était affecté au service " environnement " en charge de répartir la marchandise pour le recyclage (pièce no8 Socamaine), qu'il a fourni une version constante à propos de marchandises destinées au " compacteur ", et qu'il n'a jamais fait l'objet de mesure disciplinaire durant 14 ans, permettent de déduire que le comportement isolé du salarié, s'il constitue une faute simple propre à justifier le licenciement, ne constitue pas une faute d'une importance telle qu'elle rende impossible son maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis.
Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il a dit que le licenciement reposait sur une faute grave.
La société SOCAMAINE sera en conséquence condamnée, en l'absence de faute grave, à payer à Monsieur X...les sommes suivantes, non contestées en leur montant :
- la somme de 410. 56 euros au titre des salaires retenus pendant la mise à pied conservatoire,
outre 41. 05 au titre des congés payés,
- celle de 3 558. 10 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 355. 81 euros au titre des congés payés y afférent,
- l'indemnité légale de licenciement de 5 877. 88 euros net.
Les sommes allouées porteront intérêt au taux légal à compter du 29 novembre 2011 pour les créances salariales et à compter du présent arrêt pour les créances indemnitaires.
Sur les autres demandes,
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de Monsieur X...les frais non compris dans les dépens. Une somme de 1 000 euros lui sera accordée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société SOCAMAINE, partie perdante pour l'essentiel, sera déboutée de ses demandes reconventionnelles fondées sur l'article 32-1 du code de procédure civile et sur l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant, publiquement et contradictoirement,
INFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a dit que le licenciement de Monsieur X...était justifié pour faute grave,
Statuant de nouveau de ce chef infirmé :
DIT et JUGE que Monsieur X...n'a pas commis de faute grave et que son licenciement du 8 février 2011 est justifié par une cause réelle et sérieuse,
En conséquence CONDAMNE la SA SOCAMAINE à payer à Monsieur X...:
- la somme de 410. 56 euros brut au titre des salaires retenus pendant la mise à pied conservatoire, outre la somme de 41. 05 euros au titre des congés payés y afférent,
- la somme de 3 558. 10 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 355. 81 euros au titre des congés payés y afférent,
- la somme de 5 877. 88 euros net au titre de l'indemnité légale de licenciement
-la somme de 1 000 euros en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
DIT que les sommes allouées porteront intérêt au taux légal à compter du 29 novembre 2011 pour les créances salariales et à compter du présent arrêt pour les créances indemnitaires.
CONFIRME le jugement entrepris en ses autres dispositions,
DÉBOUTE la société SOCAMAINE de ses demandes reconventionnelles en appel.
CONDAMNE la société SOCAMAINE aux dépens de l'appel et de première instance qui comprendront le remboursement de 70 euros au titre de la contribution pour l'aide juridique.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
V. BODINAnne JOUANARD