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18/11/2014 | FRANCE | N°12/02226

France | France, Cour d'appel d'Angers, Chambre sociale, 18 novembre 2014, 12/02226


COUR D'APPEL d'ANGERS Chambre Sociale

ARRÊT N al/ jc

Numéro d'inscription au répertoire général : 12/ 02226.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de LAVAL, décision attaquée en date du 28 Septembre 2012, enregistrée sous le no 10/ 00375
ARRÊT DU 18 Novembre 2014
APPELANT :
Monsieur Sylvain X..." ... " 53290 SAINT LAURENT DES MORTIERS

comparant-assisté de Maître Guillaume BOIZARD, avocat au barreau d'ANGERS

INTIMEE :

L'EURL CARA " ..." 53200 MESNIL

en présence de Monsieur Y..., gérant as

sistée de Maître Charles-Emmanuel COME, avocat au barreau de LAVAL

COMPOSITION DE LA COUR :

En applicati...

COUR D'APPEL d'ANGERS Chambre Sociale

ARRÊT N al/ jc

Numéro d'inscription au répertoire général : 12/ 02226.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de LAVAL, décision attaquée en date du 28 Septembre 2012, enregistrée sous le no 10/ 00375
ARRÊT DU 18 Novembre 2014
APPELANT :
Monsieur Sylvain X..." ... " 53290 SAINT LAURENT DES MORTIERS

comparant-assisté de Maître Guillaume BOIZARD, avocat au barreau d'ANGERS

INTIMEE :

L'EURL CARA " ..." 53200 MESNIL

en présence de Monsieur Y..., gérant assistée de Maître Charles-Emmanuel COME, avocat au barreau de LAVAL

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Septembre 2014 à 14H00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anne LEPRIEUR, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anne JOUANARD, président Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, conseiller Madame Anne LEPRIEUR, conseiller

Greffier : Madame BODIN, greffier.
ARRÊT : prononcé le 18 Novembre 2014, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame JOUANARD, président, et par Madame BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*******
FAITS ET PROCEDURE
M. Sylvain X...a été engagé le 2 juin 2000 par la société Cara, qui exploitait une discothèque sous l'enseigne " La carapate " à Menil (Mayenne), selon contrat à durée indéterminée à temps partiel prévoyant une durée mensuelle de travail de 26 heures et une rémunération brute de 1 058, 72 ¿. Il était prévu que M. X...exercerait les fonctions de portier et remplacerait occasionnellement le gérant lors de ses absences, assurant alors les fonctions de responsable d'établissement. Selon avenant conclu entre les parties le 1er novembre 2002, il était attribué au salarié les fonctions d'assistant de direction (et occasionnellement celles de responsable d'établissement lors des absences du gérant) et fixé la durée mensuelle de travail à 52 heures. Divers autres avenants étaient conclus entre les parties. En dernier lieu, M. X...percevait une rémunération mensuelle brute de 3 219, 75 ¿ moyennant une durée mensuelle de travail de 97, 50 heures.

Après avoir été convoqué à un entretien préalable qui s'est tenu le 25 octobre 2010, le salarié a été licencié pour motif économique par lettre du 8 novembre 2010 ainsi libellée : " (...) Notre profession subit de plein fouet les effets de la crise d'une part avec une baisse de la fréquentation, et d'autre part, les effets de la multiplication des contrôles routiers la nuit par les services de la gendarmerie. L'ensemble de ces éléments est aggravé par l'interdiction de fumer dans nos établissements. En conséquence, nous assistons à une fermeture des discothèques. Notre établissement n'est malheureusement pas épargné car nous subissons une baisse de fréquentation et également des consommations. Cette baisse est le résultat donc, à la fois :- d'une crise conjoncturelle " baisse du pouvoir d'achat ",- et d'une crise structurelle " contrôles routiers, réglementation " ; Les résultats dégagés sur les derniers exercices font que nos capitaux propres sont négatifs,-34 127 euros au 31 juillet 2009, et que nous sommes en perte de la moitié du capital social et, le faible résultat dégagé ne parvient pas à apurer ce report à nouveau débiteur avec les contraintes qui en résultent. Il devient donc impératif de prendre des mesures afin de tenter de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise, d'autant que le ratio " frais de personnel " sur le chiffre d'affaires augmente, diminuant ainsi la faible rentabilité constatée au 31 juillet 2009. Il représente 40, 48 % du chiffre d'affaires tandis qu'il représentait 39, 08 % au 31 juillet 2008. Nous observons donc une dégradation substantielle, résultant du poids de ces charges par rapport à l'activité. Au 31 juillet 2010, la perte d'activité s'accentue, puisque notre chiffre d'affaires n'est plus que de 418 000 ¿, en baisse de 7 %. L'impact des frais de personnel va donc avoir de graves répercussions sur le résultat. Notre rentabilité continue à se dégrader, de sorte qu'il est impératif que nous prenions des mesures visant à diminuer les charges et que nous baissions les frais de personnel et que nous supprimions le poste de " Directeur ". Pour ma part, mes appointements ont été réduits. Compte tenu de l'effectif réduit de la société et de l'existence de contrats à temps partiel, à savoir :- Disc-jockey,- Barmaids,- Portier,- Secrétariat, Nous avons recherché toutes les solutions de reclassement au regard de la fonction que vous occupez mais compte tenu de l'effectif de notre structure, nous n'avons pas de reclassement possible. Ce motif nous a conduit à supprimer votre poste (...) ".

Contestant son licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 23 novembre 2010.
Le contrat a pris fin le 9 janvier 2011.
Par jugement du 28 septembre 2012, le conseil de prud'hommes de Laval a jugé le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et a, par conséquent, débouté le salarié de ses demandes en paiement d'une indemnité pour licenciement à ce titre ainsi que d'une indemnité pour frais irrépétibles, le condamnant aux dépens. Il a également débouté la société de sa demande formulée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le salarié a régulièrement interjeté appel de ce jugement.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Le salarié, dans ses conclusions régulièrement communiquées et parvenues au greffe le 23 août 2014, soutenues oralement à l'audience, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, sollicite l'infirmation du jugement et la condamnation de la société à lui payer la somme de 50 000 ¿ de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de son licenciement et celle de 3 000 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, il indique que les raisons de la baisse du chiffre d'affaires, telles qu'énoncées dans la lettre de licenciement, constituent de simples allégations dont la preuve n'est pas démontrée. Le chiffre d'affaires de la société a été en constante augmentation durant les 6 années précédant le licenciement, et la diminution du chiffre d'affaires au titre de l'exercice du 1er août 2009 au 31 juillet 2010 résulte uniquement d'un fait ponctuel, à savoir le moindre nombre de jours d'exploitation ; d'ailleurs, le chiffre d'affaires est remonté lors de l'exercice suivant. Par ailleurs, les capitaux propres de la société sont négatifs depuis l'exercice clôturé au 31 juillet 2005 et les résultats ont été déficitaires pendant plusieurs années. Or, c'est dans ce contexte que M. X...a été engagé, puis promu, et que tant sa durée de travail que le taux horaire de son salaire ont été augmentés. En outre, plusieurs postes de dépenses ont évolué à la hausse dans des proportions non négligeables durant le dernier exercice. Dans ces conditions, la décision de licencier M. X...pour un motif économique apparaît suspecte.

Le motif économique tiré de la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise n'est pas justifié, la lettre de licenciement ne faisant d'ailleurs pas état d'une concurrence exacerbée dans le secteur d'activité.
En outre, le poste de M. X..., qui occupait les fonctions d'assistant de direction comprenant les fonctions de portier, n'a pas été supprimé mais occupé par M. Z..., jusqu'à la cession du fonds de commerce intervenue au début du second semestre de l'année 2011. De surcroît, aucun des 3 postes pourvus en février 2011 n'a été proposé par l'employeur au titre de son obligation de reclassement.
En réalité, le véritable motif de licenciement réside dans la cession programmée du fonds de commerce, le licenciement de M. X...constituant un préalable à la vente, le cessionnaire n'entendant pas assumer financièrement la charge d'un poste d'assistant de direction et s'étant entendu avec le cédant pour faire échec aux dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail.
La société, dans ses conclusions régulièrement communiquées et parvenues au greffe le 18 septembre 2014, soutenues oralement à l'audience, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, sollicite la confirmation du jugement et la condamnation du salarié à lui payer la somme de 3 000 ¿ par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir que la discothèque a rencontré des difficultés qui se sont aggravées d'année en année. L'analyse des comptes au 31 juillet 2010 révèle la réalité et le sérieux de la cause économique qui doit être appréciée à la date du licenciement, les difficultés économiques dont il s'agit étant de nature à mettre en péril l'existence même et la pérennité de l'établissement. La suppression du poste du salarié a permis la réorganisation de la société afin de sauvegarder la compétitivité de la structure qui était une des dernières discothèques de la Mayenne, les concurrents ayant disparu à raison des difficultés à la fois structurelles et conjoncturelles communes à toutes.
Le poste de M. X...a bien été supprimé, l'intéressé n'ayant pas été remplacé dans ses fonctions. Aucun poste n'a été créé, seuls des remplacements ayant été effectués pour des emplois à temps partiel ne correspondant pas aux fonctions de M. X...et pour des temps de travail cumulés inférieurs à celui de ce dernier. Il n'existe aucun lien entre l'impérieuse nécessité de restructurer l'établissement et la cession de celui-ci, intervenue un an plus tard alors même que le gérant cherchait à vendre son fonds de commerce depuis plusieurs années.

MOTIFS DE LA DECISION

Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique, le licenciement effectué pour un ou plusieurs motifs, non inhérents à la personne du salarié, qui repose sur une cause économique (notamment, des difficultés économiques ou des mutations technologiques, mais aussi la réorganisation de l'entreprise), laquelle cause économique doit avoir une incidence sur l'emploi du salarié concerné (suppression ou transformation) ou sur son contrat de travail.
En application de l'article L. 1233-4 du même code, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés à son égard, et que son reclassement, sur un emploi de même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent ou, à défaut, et sous réserve de l'accord exprès de l'intéressé, sur un emploi de catégorie inférieure, ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel elle appartient. Le manquement par l'employeur à son obligation de reclassement préalable au licenciement prive celui-ci de cause réelle et sérieuse et ouvre droit au profit du salarié au paiement de dommages-intérêts.
Il est établi par les pièces produites, à savoir notamment les états financiers du 1er août 2008 au 31 juillet 2009 et ceux du 1er août 2009 au 31 juillet 2010, l'existence de difficultés économiques lors du licenciement, difficultés qui justifiaient que l'entreprise soit réorganisée et les charges de personnel diminuées. Ainsi, au 31 juillet 2009, le résultat net de l'exercice s'élevait à 7 459 ¿, le résultat d'exploitation à 7 614 ¿, tandis que les capitaux propres étaient de-34 127 ¿. Au 31 juillet 2010, le résultat net était de-10 543 ¿, le résultat d'exploitation de-10 011 ¿ et les capitaux propres de-44 670 ¿.
Le poste d'assistant de direction de M. X...a bien été supprimé, aucun assistant de direction n'ayant été embauché par la suite, étant observé que M. Z..., qui se portera finalement acquéreur du fonds de commerce en juillet 2011, a été engagé comme disc jockey le 18 février 2011. Il n'est nullement établi une quelconque collusion frauduleuse entre le cédant et le cessionnaire en vue de faire échec aux dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, notamment au regard de la date de cession.
Par contre, il résulte du registre du personnel (pièce no 5 de la société) qu'à l'époque du licenciement, l'entreprise disposait d'emplois disponibles de portier et de barmaid à temps partiel. Ainsi, par exemple, le contrat de travail de M. Jérôme A..., portier, a pris fin le 1er mars 2010. Deux autres portiers ont été engagés en février 2011, soit MM. B...et C.... De même, Mmes Céline D...et Flora E..., barmaids, ont quitté l'entreprise le 31 septembre 2010. M. Frédéric F...a été engagé en qualité de barmaid le 6 novembre 2010, soit deux jours avant la notification du licenciement de M. X..., puis Mme Z...a été embauchée en la même qualité le 18 février 2011. Aucun de ces emplois, disponibles au jour du licenciement, même s'ils étaient de catégorie inférieure et supposaient l'accord du salarié à la modification de son contrat de travail, n'ont été proposés par l'employeur dans le cadre de son obligation de recherche de reclassement. L'employeur ne justifie pas, dans ces conditions, que le reclassement était impossible.

Le licenciement sera jugé, par voie de conséquence, dépourvu de cause réelle et sérieuse, par infirmation du jugement. Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise (12 salariés selon les dires des parties à l'audience, confortées par l'organigramme produit : la pièce no1 de l'employeur et le registre du personnel, nonobstant les indications figurant sur l'attestation Pôle emploi), des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge (40 ans lors du licenciement), de son ancienneté (8 ans), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, les dommages-intérêts alloués en réparation du préjudice consécutif à ce licenciement par application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail seront fixés à la somme de 30 000 ¿.

Selon l'article L. 1235-4 du code du travail, " dans les cas prévus aux articles L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé ". Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière sociale et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en celles ayant débouté la société Cara de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Juge le licenciement de M. Sylvain X...dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société Cara au paiement à M. Sylvain X...de la somme de 30 000 ¿ de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Ordonne le remboursement par la société Cara des indemnités de chômage éventuellement versées au salarié, à compter du jour de son licenciement et dans la limite de trois mois d'indemnités de chômage ;
Condamne la société Cara au paiement à M. Sylvain X...de la somme de 2 500 ¿ au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;
Déboute la société Cara de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Condamne la société Cara aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

V. BODINAnne JOUANARD


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 12/02226
Date de la décision : 18/11/2014
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.angers;arret;2014-11-18;12.02226 ?
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