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14/10/2014 | FRANCE | N°12/01568

France | France, Cour d'appel d'Angers, Chambre sociale, 14 octobre 2014, 12/01568


COUR D'APPEL
d'ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N
clm/ jc

Numéro d'inscription au répertoire général : 12/ 01568.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire d'ANGERS, décision attaquée en date du 11 Juillet 2012, enregistrée sous le no 11/ 00533

ARRÊT DU 14 Octobre 2014

APPELANTE :

LA SA EUROVIANDE SERVICE
12 rue du Déry
Les Fousseaux-BP 70116
49481 SAINT-SYLVAIN D'ANJOU CEDEX

non comparante-représentée par Maître Isabelle CHEVRE, avocat au barreau de NANTES

INTIME :

M

onsieur Patrick X...
...
...
72110 BONNETABLE

non comparant-représenté par Maître Philippe PAPIN, avocat au barreau d'ANGERS
...

COUR D'APPEL
d'ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N
clm/ jc

Numéro d'inscription au répertoire général : 12/ 01568.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire d'ANGERS, décision attaquée en date du 11 Juillet 2012, enregistrée sous le no 11/ 00533

ARRÊT DU 14 Octobre 2014

APPELANTE :

LA SA EUROVIANDE SERVICE
12 rue du Déry
Les Fousseaux-BP 70116
49481 SAINT-SYLVAIN D'ANJOU CEDEX

non comparante-représentée par Maître Isabelle CHEVRE, avocat au barreau de NANTES

INTIME :

Monsieur Patrick X...
...
...
72110 BONNETABLE

non comparant-représenté par Maître Philippe PAPIN, avocat au barreau d'ANGERS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 01 Septembre 2014 à 14 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, conseiller chargé d'instruire l'affaire et Madame Isabelle CHARPENTIER, conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Anne JOUANARD, président
Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, conseiller
Madame Isabelle CHARPENTIER, conseiller

Greffier : Madame BODIN, greffier.

ARRÊT : prononcé le 14 Octobre 2014, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Anne JOUANARD, président, et par Madame BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******

FAITS ET PROCÉDURE :

La société EUROVIANDE Service conclut des contrats de prestation de services avec des clients et ce, afin de répondre aux besoins de leur activité dans le travail de la seconde transformation des viandes (désossage, parage, conditionnement).
Dans ce cadre, ses salariés exécutent leurs missions directement chez le client sous l'autorité d'un responsable hiérarchique de la société EUROVIANDE Service.

La convention collective applicable est celle des Industries et Commerce en Gros de Viandes.

Suivant contrat de travail à durée indéterminée à effet au 9 mai 1983, la société EUROVIANDE Service a embauché M. Patrick X...en qualité de technicien boucher-désosseur.
Par avenant du 1er mai 1991, il a été promu chef de file. Par avenant du 15 décembre 1999 à effet au 1er janvier 2000, M. Patrick X...est devenu cadre de production, statut cadre position 2 coefficient 400. A compter du mois de juillet 2009, il a accédé au niveau 7, échelon 1 de la nouvelle classification.

Le 5 septembre 2006, il a été élu délégué du personnel.

A compter du 16 novembre 2009, M. Patrick X...a été affecté en qualité de responsable de chantier sur le site du client Bigard à Feignies (41).

Après l'avoir convoqué, par courrier du 16 avril 2010 emportant mise à pied à titre conservatoire immédiate, à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 28 avril suivant, par lettre du 4 mai 2010, la société EUROVIANDE Service lui a notifié, en ces termes, son licenciement pour faute grave :
" Monsieur,
...
Malgré vos explications, nous avons décidé de vous licencier pour les différents faits suivants :
* Le 25 mars 2010, le responsable de production de l'entreprise BIGARD à Feignies nous a adressé un nouveau courrier en nous avertissant de votre comportement qu'il jugeait inacceptable. En effet, il constatait que vous aviez tendance à refuser certaines de ses consignes et produits à travailler, voire même à freiner nos équipes pour abréger la journée de travail. Il estimait que ces faits inadmissibles avaient des impacts négatifs directs sur son propre encadrement et nous demandait d'intervenir et de régler ce problème dans les meilleurs délais.

* le 31mars 2010, le responsable de production de l'entreprise BIGARD à Feignies nous a adressé un nouveau courrier, accompagné de photos, qui détaillait la non-conformité d'une de nos prestations. Celle-ci engendrait de nouveau une pénalité de 2000 ¿ à valoir sur nos prochaines factures.

* Par ailleurs, une note de contrôle interne concernant le site de Feignies, établie en date du 1er avril 2010, atteste que les résultats sur ce site se sont nettement dégradés sur le premier trimestre de l'année 2010 alors que les commandes de notre client à notre service Planning ont augmenté pendant cette même période. Nous vous rappelons que vous avez dirigé le site de Feignies à partir de mi-novembre 2009. Ces résultats sont principalement dus à des problèmes de productivité : sureffectif récurrent générant beaucoup d'insuffisances et demandes d'avoirs pour réclamation de notre client en très forte hausse, à un niveau jamais connu.

* Enfin, notre service Paye a également connu des difficultés à établir les bulletins de salaires du mois de mars 2010 pour tous les salariés du Groupe en raison de votre retard dans la transmission des tonnages du site de Feignies et des erreurs de saisies enregistrées sur le logiciel permettant le rapatriement des informations de production.

Ces faits constituent des fautes professionnelles graves.

En effet, nous vous rappelons les termes de vos avenants successifs à votre contrat de travail et votre qualité de responsable d'unité : ainsi vous vous devez, pour les salariés placés sous votre autorité, d'assurer le contrôle de la productivité, sur le plan de la qualité notamment, de contrôler et de gérer leur temps de travail et de satisfaire globalement notre client en terme de qualité et de quantité.

De plus de par votre statut de cadre de notre société, vous assurez un rôle de représentation de la société auprès de nos clients.

Par ailleurs, nous vous rappelons les différentes mises en garde de votre hiérarchie et les alertes de notre client, telles que :

* le 7 janvier 2010, nous vous avons adressé un courriel dans lequel Monsieur Nicolas Y..., Directeur d'Exploitation, faisait suite à votre entretien du 4 janvier 2010. Il recadrait votre mission de responsable sur le site de BIGARD à Feignies et renouvelait ses remarques sur votre capacité à prendre la direction de ce site, tant en termes de prise d'initiative et d'autonomie, que de remontées des informations importantes vers votre hiérarchie. Il comptait sur un redressement rapide et efficace vous concernant. Il vous proposait également de refaire un point avec vous dès la semaine suivante dans le cadre d'une visite chez notre client.

* Le 26 février 2010, le responsable de production de l'entreprise BIGARD à Feignies nous a adressé un courrier concernant les anomalies graves de notre prestation engendrées par le non-respect du cahier des charges 100 % muscles sur du minerai frais livré le 19 février dernier. Notre client nous a infligé une pénalité d'un montant de 2000 ¿ sur nos factures suivantes.

* le 10 mars 2010. Par courriel, Monsieur Nicolas Y...était contraint de vous demander une nouvelle fois de changer de façon radicale et durable votre comportement afin d'atténuer les tensions avec notre client, qui avaient des répercussions de plus en plus nuisibles sur notre entreprise.

Ces alertes répétées restées sans amélioration de votre part confirment une violation constante et réitérée de vos obligations que nous n'avons eu de cesse de vous rappeler au gré des différents entretiens et échanges de courriels avec notre Directeur d'Exploitation, Monsieur Nicolas Y....
Malgré ces avertissements, vos fautes professionnelles se sont réitérées à maintes reprises, marquant ainsi votre persistance à ne pas prendre en compte nos observations et instructions, pas plus que vos obligations ci-dessus rappelées.
Or, et comme vous le savez pertinemment, le professionnalisme de l'entreprise est un élément primordial pour que la société soit en mesure de conserver les contrats de prestation de service conclus avec nos clients, et ce, dans un contexte extrêmement concurrentiel.
Dans ces conditions, les observations que vous avez formulées au cours de l'entretien préalable en date du 18 avril dernier n'ont pas permis de modifier notre appréciation de la gravité des faits qui vous sont reprochés. En conséquence, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour faute grave. ".

Le 7 septembre 2010, M. Patrick X...a saisi le conseil de prud'hommes pour contester cette mesure. Dans le dernier état de la procédure de première instance, il sollicitait, sous le bénéfice de l'exécution provisoire prévue par l'article 515 du code de procédure civile, la production et la communication, sous astreinte de 100 ¿ par jour de retard, du protocole d'accord

préélectoral ayant conduit aux élections s'étant déroulées au sein de la société EUROVIANDE Service le 22 septembre 2009, le paiement d'un rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire, des indemnités de rupture et d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 11 juillet 2012 auquel il est renvoyé pour un ample exposé, le conseil de prud'hommes d'Angers a :

- débouté M. Patrick X...de sa demande de production et de communication du protocole d'accord préélectoral ayant conduit aux élections s'étant déroulées au sein de la société EUROVIANDE Service le 22 septembre 2009 ;
- jugé son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- condamné la société EUROVIANDE Service à lui payer les sommes suivantes :
¿ 2 009, 89 ¿ de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire,
¿ 11 191, 74 ¿ d'indemnité compensatrice de préavis outre 1119, 17 ¿ de congés payés afférents,
¿ 27 979, 35 ¿ d'indemnité conventionnelle de licenciement,
¿ 37 300 ¿ d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
¿ 1 500 ¿ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
- fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 3730, 58 ¿ ;
- ordonné le remboursement par la société EUROVIANDE Service aux organismes sociaux concernés, d'une partie des indemnités de chômage payées à M. Patrick X...du jour de son licenciement au jugement, dans la limite de 2 mois soit 7 461, 16 ¿ ;
- débouté la société EUROVIANDE Service de l'ensemble de ses prétentions et l'a condamnée aux dépens.

La société EUROVIANDE Service a régulièrement relevé appel général de ce jugement par déclaration formée au greffe le 20 juillet 2012.

Les parties ont été convoquées à l'audience du 13 mai 2014.

Aux termes de ses conclusions enregistrées au greffe le 12 mai 2014, régulièrement communiquées et reprises oralement à l'audience, la société EUROVIANDE Service demandait à la cour :

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. Patrick X...de sa demande avant dire droit tendant à ordonner la production et la communication du protocole d'accord préélectoral ayant conduit aux élections s'étant déroulées en son sein le 22 septembre 2009 ;
- de l'infirmer pour le surplus ;
- de juger que le licenciement de M. Patrick X...repose bien sur une faute grave et, en conséquence, de le débouter de toutes ses prétentions ;
- de condamné l'intimé à lui payer la somme de 2 000 ¿ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

L'employeur faisait valoir essentiellement que :

- la demande de production du protocole préélectoral pour les élections des délégués du personnel était sans intérêt pour la solution du litige ;
- il n'a nullement violé le statut protecteur de M. Patrick X...dans le cadre de la procédure de licenciement en ce que, le mandat de délégué du personnel de ce dernier ayant expiré le 5 septembre 2009 et non le 22 septembre 2009 en ce qu'aucune prorogation de son mandat n'est intervenue valablement, la période de protection a expiré le 5 mars 2010 et non le 22 mars 2010 comme le soutient le salarié ;
- ce dernier procède par pure affirmation pour soutenir, qu'agissant en fraude de ses droits, l'employeur aurait attendu l'expiration de la période de protection pour prononcer un licenciement qui, en réalité, était antérieurement décidé ;
- à supposer même que le mandat du salarié ait expiré le 22 mars 2010, le licenciement est fondé sur des faits qui se sont renouvelés après l'expiration de la période de protection et dont l'employeur a eu connaissance entre le 25 et le 31 mars 2010, soit après l'expiration de cette période ;
- il n'avait donc pas à solliciter d'autorisation administrative pour procéder au licenciement du salarié ;
- le licenciement pour faute grave est justifié par des faits dont la matérialité et l'imputabilité au salarié sont établies et qui consistent en des comportements inacceptables à l'égard du client Bigard, une attitude d'insubordination, des défaillances dans l'encadrement de l'équipe placée sous son autorité, des manquements dans la gestion du site, notamment, au titre de la gestion de la paye, ces dysfonctionnements ayant été générés par la mauvaise volonté délibérée affichée par le salarié et l'insubordination dont il a fait preuve ;
- subsidiairement, la somme allouée à titre d'indemnité pour licenciement injustifié doit être minorée au regard de l'absence de justificatifs produits.

Aux termes de ses conclusions enregistrées au greffe le 10 mars 2014, régulièrement communiquées, reprises et complétées oralement à l'audience, formant appel incident, M. Patrick X...demandait à la cour :

- avant dire droit et en tant que de besoin, d'ordonner la production et la communication du protocole d'accord préélectoral ayant conduit aux élections qui se sont déroulées au sein de la société EUROVIANDE Service le 22 septembre 2009 et ce, sous astreinte de 100 ¿ par jour de retard, la cour se réservant la liquidation de l'astreinte ;

- de déclarer son licenciement nul, à tout le moins, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- de le confirmer s'agissant des indemnités qui lui ont été allouées sauf à majorer l'indemnité pour licenciement injustifié ;
- de condamner la société EUROVIANDE Service à lui payer de ce chef la somme de 44 766, 96 ¿ ;
- de la condamner à lui payer la somme de 5 000 ¿ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.

A l'appui de sa demande de nullité du licenciement, le salarié faisait valoir essentiellement que :

- la communication du protocole d'accord pré-électoral serait " intéressante ", d'une part, au regard des dispositions des articles L. 2314-3 et L. 2324-4-1 du code du travail, afin de déterminer si ce protocole a prévu la prorogation des mandats des délégués du personnel et à quelle majorité, d'autre part, elle permettrait de savoir si l'employeur a pris le risque, en ne prorogeant pas les mandats des élus du personnel, de commettre le délit d'entrave ;
- en tout état de cause, le licenciement prononcé après l'expiration de la période légale de protection ne doit pas l'être en fraude du statut protecteur ; or, en l'espèce, il est " évident " que l'employeur a attendu l'expiration de la période de protection pour prononcer le licenciement ; cette fraude ressort du fait que, dans la lettre de licenciement et dans le cadre des débats, l'employeur cite toute une série de faits qui sont antérieurs à l'expiration de la période de protection et qui consistent essentiellement en des mises en garde émanant de M. Y..., son supérieur hiérarchique ;
- est nul le licenciement prononcé après l'expiration de la période de protection en raison de faits commis pendant cette période et qui, comme tels, auraient dû être soumis à l'inspecteur du travail ; tel est bien le cas en l'espèce en ce que, si certains faits sont retracés dans des lettres postérieures au 22 mars 2010, les faits eux-mêmes sont tous antérieurs à cette date.

Sur le bien fondé de son licenciement, il soutenait que :

- l'employeur, soit ne justifie pas de la matérialité des faits invoqués à l'appui de son licenciement, soit ne démontre pas qu'ils lui sont imputables ;
- toute une partie des faits invoqués se situe au cours de la période couverte par la protection et/ ou concerne des faits prescrits ;
- dans le cadre de l'examen judiciaire de la question du bien fondé de son licenciement, seuls pourront être prises en compte les deux lettres adressées par le client Bigard à la société EUROVIANDE Service les 25 et 31 mars 2010 car elles seules motivent le licenciement puisque les autres faits sont antérieurs à l'expiration de la période de protection (voire non datés) et, comme tels, ne peuvent pas être invoqués au soutien de la rupture même pour accompagner d'autres faits postérieurs à l'expiration de la période de protection dès lors qu'ils n'ont pas été soumis à l'inspection du travail ;
- l'employeur invoque dans le cadre de l'instance prud'homale des faits qui ne sont pas énoncés dans la lettre de licenciement et qui, en conséquence, ne peuvent pas fonder la rupture ;
- en tout état de cause, les griefs qui lui sont adressés relèveraient tout au plus de l'insuffisance professionnelle mais non d'une attitude fautive, encore moins d'une faute grave ;
- il a servi de " fusible " pour complaire à un client particulièrement difficile.

Par arrêt du 15 juillet 2014, la cour a, avant dire droit sur l'ensemble des prétentions des parties :

- ordonné à la société EUROVIANDE Service de produire aux débats et de communiquer à M. Patrick X...le protocole d'accord pré-électoral ayant conduit aux élections des délégués du personnel qui se sont déroulées le 22 septembre 2009 ;
- invité les parties à s'expliquer sur une éventuelle prorogation légale du mandat de délégué du personnel de M. Patrick X...en application des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 2314-6 du code du travail ;
- ordonné à ces fins la reprise des débats à l'audience du lundi 1er septembre 2014 à 14 heures ;
- réservé les dépens et les frais irrépétibles.

Le 22 juillet 2014, la société EUROVIANDE Service a communiqué :
- le protocole préélectoral 2009 et son avenant no 1,
- le procès-verbal de réunion des délégués du personnel du 19 août 2009,
- un extrait de la circulaire DGT 07/ 2012 du 30 juillet 2012 relative aux décisions administratives en matière de rupture ou de transfert du contrat de travail des salariés protégés.

Le 28 juillet 2009, la société EUROVIANDE Service a communiqué :
- le procès-verbal des élections des membres titulaires du comité d'entreprise du 22 septembre 2009 1er et 2ème collèges,
- le procès-verbal des élections des membres suppléants du comité d'entreprise en date du 22 septembre 2009 1er et 2ème collèges,
- le procès-verbal des élections des délégués du personnel titulaires en date du 22 septembre 2009 1er et 2ème collèges,
- le procès-verbal des élections des délégués du personnel suppléants en date du 22 septembre 2009 1er et 2ème collèges.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Vu les conclusions et observations orales des parties à l'audience des débats du 1er septembre 2014 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés ;

Lors de l'audience de reprise des débats, reprenant la teneur des observations contenues dans ses notes adressées à la cour les 22 et 28 juillet 2014, la société EUROVIANDE Service a fait valoir oralement que :

- à supposer même qu'en application de l'article L. 2214-6 du code du travail, la cour retienne la date du 22 mars 2010 comme terme de la période de protection, il n'y avait pas lieu de soumettre à l'inspecteur du travail les faits invoqués à l'appui du licenciement et relatés dans les courriers des 25 et 31 mars 2010 dans la mesure où les dates à prendre à considération ne sont pas celles de commission des faits mais celles de prise de connaissance, par l'employeur, des courriers des 25 et 31 mars 2010 qui sont à l'origine du licenciement ; or ces courriers sont postérieurs au 22 mars 2010 et le licenciement a été notifié seulement le 4 mai suivant ;
- la circonstance que d'autres faits aient pu, le cas échéant, être commis antérieurement au 22 mars 2010, n'est pas de nature à remettre en cause les faits qui se sont produits et qui sont énoncés dans la lettre de licenciement.

Pour le surplus, l'employeur a repris la teneur de ses écritures enregistrées au greffe le 12 mai 2014.

Lors de l'audience de reprise des débats, reprenant la teneur de ses observations contenues dans sa note du 7 août 2014 parvenue au greffe le 19 août suivant, M. Patrick X...a fait valoir que :

- le protocole d'accord préélectoral ne contient, certes, aucune mention spécifique relative à la prorogation des mandats des délégués du personnel pour la période de 17 jours comprises entre le 5 septembre 2009, date d'expiration de ces mandats, et le 22 septembre 2009, date fixée pour le nouveau scrutin, mais il confirme que l'ensemble des organisations syndicales représentatives du personnel au sein de l'entreprise, tout comme la direction de l'entreprise, ont entendu se soumettre scrupuleusement aux dispositions de l'article L. 2314-6 du code du travail ;
- par le simple effet de la loi, pour assurer la concomitance entre l'élection des membres du comité et celle des délégués du personnels, la durée du mandat des délégués du personnel a été prolongée jusqu'à la date du renouvellement du comité d'entreprise ;
- dans la mesure où la société EUROVIANDE Service a signé et appliqué sans réserves, notamment quant à sa validité, un accord (procès-verbal de réunion des délégués du personnel du 19 août 2009) aux termes duquel il a été convenu de proroger jusqu'au 22 septembre 2009 les mandats des délégués du personnel, elle ne peut pas invoquer l'irrégularité de cette prorogation en ce qu'elle n'a pas été décidée à l'unanimité des organisations syndicales représentatives dans l'entreprise ;
- il résulte tant des dispositions légales que de l'accord du 19 août 2009 que son mandat de délégué du personnel a bien expiré le 22 septembre 2009 de sorte que le terme de la protection statutaire se situe au 22 mars 2010, ce que l'employeur semble admettre aux termes de ses explications ;
- or, il a eu, avant cette date, connaissance des faits invoqués à l'appui de la rupture et c'est de façon frauduleuse qu'il a attendu l'expiration de la période de protection pour procéder au licenciement.

Pour le surplus, le salarié a repris la teneur de ses écritures enregistrées au greffe le 10 mars 2014.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la demande en nullité du licenciement :

Le salarié protégé ne peut pas être licencié au terme de son mandat en raison de faits commis pendant la période de protection qui auraient dû être soumis à l'inspecteur du Travail.

Toutefois, le licenciement n'a pas à être autorisé par l'inspecteur du travail lorsqu'il s'avère que l'employeur n'a eu une exacte connaissance des fautes commises par le salarié que postérieurement à l'expiration de la période de protection.

De même, le licenciement survenu sans autorisation de l'inspecteur du travail n'est pas nul lorsqu'il est fondé sur des faits qui se sont renouvelés à plusieurs reprises depuis l'expiration de la période de protection, sans qu'il soit établi que l'employeur avait eu connaissance de ce comportement avant la date constituant le terme de cette période, ou lorsqu'il est fondé sur un ou des faits qui ont persisté après la fin de la période de protection.

M. Patrick X...a été élu délégué du personnel le 5 septembre 2006 pour une durée de trois ans.

Le protocole d'accord préélectoral établi le 18 août 2009 en vue des élections pour le renouvellement du comité d'entreprise et des délégués du personnel de la société EUROVIANDE Service, produit par l'appelante, ne contient aucune disposition particulière relative à la prorogation des mandats des délégués du personnel pour la période allant du 5 septembre 2009, date normale d'expiration de ces mandats, au 22 septembre 2009, date fixée pour le nouveau scrutin.

L'article L. 2314-6 du code du travail dispose : " L'élection des délégués du personnel et celle des représentants du personnel au comité d'entreprise ont lieu à la même date.

Ces élections simultanées interviennent pour la première fois soit à l'occasion de la constitution du comité d'entreprise, soit à la date du renouvellement de l'institution.
La durée du mandat des délégués du personnel est prorogée à due concurrence. Elle peut être réduite dans le cas où le mandat du comité d'entreprise vient à échéance avant celui des délégués du personnel. ".
En vertu de ce texte, pour assurer la simultanéité de l'élection des délégués du personnel avec celle des membres du comité d'entreprise, la prorogation comme la réduction du mandat des délégués du personnel sont automatiques.

Au cas d'espèce, il résulte des pièces produites par la société EUROVIANDE Service (pièce A 1 : protocole d'accord préélectoral 2009, pièces D 1, D 2, E 1, E 2, F 1, F 2, G 1 et G 2 : procès-verbaux des élections au comité d'entreprise membres titulaires et membres suppléants, et procès-verbaux des élections des délégués du personnel membres titulaires et membres suppléants) que les élections pour le renouvellement des membres du comité d'entreprise et les élections pour le renouvellement des délégués du personnel se sont déroulées le 22 septembre 2009.
En application du texte susvisé, la durée du mandat des délégués du personnel de la société EUROVIANDE Service a été de plein droit prorogée jusqu'au 22 septembre 2009. Il s'ensuit que la période légale de protection de six mois dont bénéficiait M. Patrick X...en qualité de délégué du personnel sortant a expiré, non pas le 5 mars 2010, mais le 22 mars 2010.

Il ressort des termes de la lettre de rupture du 4 mai 2010 qui fixe les limites du litige, que le licenciement de M. Patrick X...est fondé :

- premièrement, sur les faits évoqués dans le courrier de la société Bigard du 25 mars 2010, aux termes duquel cette dernière invoque à l'encontre de M. Patrick X...des faits commis le 10 mars 2010 (" refus de certains types de quartiers et demande d'autres " quartiers) et le 12 mars 2010 (le salarié aurait " freiné ses équipes en fin de journée pour pouvoir terminer plus tôt ") ;
- deuxièmement, sur les faits évoqués par ce même client dans son courrier du 31 mars 2010 (non conformité d'une série de trains de côte désossée et parée par une équipe de la société EUROVIANDE Service), réceptionné par l'employeur le 2 avril suivant, qui ne date pas les faits reprochés au salarié, étant observé que la société EUROVIANDE Service ne fournit aucune indication quant à la date à laquelle ces faits se seraient produits, ni aucune pièce permettant de les dater et que le salarié indique quant à lui, sans être utilement contredit, qu'ils se seraient produits le 9 mars 2010 ;
- troisièmement, sur les faits résultant de la note établie le 1er avril 2010 laquelle se rapporte aux résultats enregistrés sur le site de Feignies au cours du premier trimestre 2010 ;
- enfin, sur le retard de transmission de données et sur les erreurs de saisie commises dans les tous derniers jours du mois de mars 2010.

En l'état des pièces versées aux débats, il est établi que la société EUROVIANDE Service n'a eu connaissance :
- des faits des 10 et 12 mars 2010 que par la lettre de la société Bigard du 25 mars 2010 ;
- de ceux que le salarié date du 9 mars 2010 que par la lettre de la société Bigard du 31 mars 2010 qu'elle a réceptionnée le 2 avril suivant ;
- des éléments avancés au titre de la dégradation des résultats du site de Feignies au cours du premier trimestre 2010 que par le courrier électronique que le contrôleur de gestion a adressé au dirigeant de la société EUROVIANDE Service le 31 mars 2010 en fin d'après-midi.

En conséquence, l'employeur n'ayant eu une exacte connaissance de ces faits que postérieurement au 22 mars 2010, date d'expiration de la période de protection, il n'avait pas à solliciter l'autorisation de l'inspecteur du travail.

S'agissant du retard allégué de transmission de données au service de paie et des erreurs de saisie invoquées, il résulte de la pièce no 29 de l'appelante qu'il s'agit de faits commis entre le 31 mars et le 5 avril 2010, soit postérieurement à la date d'expiration de la période de protection. L'employeur pouvait donc invoquer ces faits à l'appui du licenciement sans avoir à solliciter l'autorisation de l'inspecteur du travail.

Au soutien de sa position selon laquelle son licenciement aurait été prononcé après l'expiration de la période légale de protection en fraude du statut protecteur, M. Patrick X...fait valoir qu'il " est évident que la société EUROVIANDE Service a attendu l'expiration de la période de protection pour prononcer un licenciement qui était antérieurement décidé ". Toutefois, comme la cour l'a précédemment retenu, l'employeur établit qu'il n'a été informé des faits des 10 et 12 mars 2010 que par le courrier de la société Bigard du 25 mars suivant et de ceux que le salarié date du 9 mars 2010, seulement par la lettre que ce même client lui a adressée le 31 mars 2010, tandis que la dégradation des résultats du site de Feignies et les raisons avancées pour les expliquer n'ont été portées à sa connaissance que par le courrier électronique du contrôleur de gestion du 31 mars 2010. Aucun élément ne permet de retenir qu'il y aurait eu, en quelque sorte, une collusion entre l'employeur, d'une part, la société Bigard et le contrôleur de gestion, d'autre part, pour retarder l'envoi de ces courriers postérieurement à l'expiration de la période de protection et ainsi, détourner la procédure de protection.
La convocation à l'entretien préalable qui constitue la date à laquelle la nécessité de respecter ou non le statut protecteur doit être vérifiée ne permet pas de caractériser de précipitation particulière en ce qu'elle se situe, en l'espèce au 16 avril 2010, soit près de quatre semaines après la date d'expiration de la période de protection.
En l'état des pièces produites, aucun élément ne vient accréditer la thèse du salarié selon laquelle son licenciement aurait été décidé antérieurement au 22 mars 2010.

Les moyens invoqués n'apparaissant pas fondés, M. Patrick X...sera débouté de sa demande tendant à voir déclarer son licenciement nul.

Sur le bien fondé du licenciement :

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Il incombe à l'employeur d'en rapporter la preuve.

Il résulte des termes de la lettre de licenciement que la société EUROVIANDE Service a, en rappelant des mises en garde adressées au salarié les 7 janvier et 10 mars 2010 ainsi qu'une " alerte " de la société Bigard du 26 février 2010, fondé la rupture sur quatre faits ou séries de faits énoncés en page 1 de la lettre de licenciement, qualifiés de " fautes professionnelles graves " caractérisant " une violation constante et réitérée de ses obligations " par le salarié en dépit des rappels effectués auprès de lui ainsi que sa " persistance à ne pas prendre en compte " les " observations et instructions " de l'employeur.

Le premier grief est tiré du courrier que le responsable production de la société Bigard a établi le 25 mars 2010 à l'intention de la société EUROVIANDE Service. Se référant purement et simplement à la teneur de ce courrier, l'employeur reproche au salarié d'avoir eu " tendance à refuser certaines " des consignes du clients et " produits à travailler ", " voire même à freiner " ses équipes pour abréger la journée de travail.
Aux termes du courrier du 25 mars 2010, le responsable de production de la société Bigard déclare que M. Patrick X...se " montre de moins en moins coopératif " et qu'il en est même arrivé à refuser ses consignes. Il indique que, le 10 mars 2010, il s'est permis d'intervenir directement au niveau du planning de ses équipes " en refusant certains types de quartiers et en demandant d'autres ", tandis que le 12 mars 2010, " il s'est permis de freiner ses équipes en fin de journée pour pouvoir terminer plus tôt ". Il conclut que ces faits " impactent directement l'ordonnancement et la gestion matière " de la société Bigard et qu'ils s'ajoutent à de nombreuses insuffisances, tant au niveau de la qualité des produits finis que du respect des consignes hygiène et sécurité.
Les termes vagues et imprécis du courrier de la société Bigard qui ne sont étayés par aucun élément annexe et que la lettre de licenciement, tout aussi imprécise, ne vient pas éclairer, ne permettent de déterminer ni la matérialité exacte, ni les circonstances précises des faits reprochés au salarié, et ils sont, dès lors, tout à fait insuffisants pour en établir tant la réalité que le caractère fautif et, a fortiori, l'imputabilité à l'intimé étant observé qu'aucune pièce n'est produite pour corroborer l'impact allégué par la société Bigard et justifier de façon objective de manquements imputables au salarié, ou même aux équipes de la société EUROVIANDE Service, quant à la qualité des produits préparés et au respect des règles d'hygiène et de sécurité.

Le deuxième grief, tiré du courrier établi par le responsable production de la société Bigard à l'intention de la société EUROVIANDE Service le 31 mars 2010 est ainsi libellé : " * le 31mars 2010, le responsable de production de l'entreprise BIGARD à Feignies nous a adressé un nouveau courrier, accompagné de photos, qui détaillait la non-conformité d'une de nos prestations. Celle-ci engendrait de nouveau une pénalité de 2000 ¿ à valoir sur nos prochaines factures. ".
Le courrier du 31 mars 2010 est, quant à lui, ainsi libellé : " Vous trouverez ci-joint des photos des trains de côte issus du lot de pal AUCHAN ST JEAN lot no 90554041.
Cette série a été désossée, parée par une de vos équipes.
Je pense que je n'ai pas besoin de détailler la non-conformité qui nous vaut encore un litige commercial avec le client.
Le développement de notre site passera par le respect impératif de nos cahiers des charges et par le respect des clients.
En conséquence, nous vous infligeons une pénalité de 2000 ¿ à valoir sur vos prochaines factures. ".
Ni le courrier de la société Bigard, ni la lettre de licenciement ni aucune pièce du dossier ne permettent de caractériser et de déterminer la nature de la non-conformité invoquée à l'appui de la rupture, étant observé que ni le client, ni l'employeur ne fournissent la moindre précision quant à la date de survenance de cette non-conformité, que la réalité d'un litige commercial avec la société Auchan n'est pas établie et que la réalité de la pénalité de 2 000 ¿ n'est corroborée par aucun élément objectif.
L'intimé situe cette non-conformité au 9 mars 2010 en indiquant, sans être contredit, qu'il était en congé ARTT le lundi 8 et le mardi 9 mars 2010.
A supposer avérée la non-conformité objet du courrier du 31 mars 2010, l'employeur est défaillant à établir qu'elle serait imputable, qui plus est à faute, à M. Patrick X....

La preuve de la matérialité, de l'imputabilité au salarié et du caractère fautif des faits objets des courriers des 25 et 31 mars 2010 fait donc défaut.

En troisième lieu, l'employeur fonde le licenciement sur la nette dégradation des résultats du site de Feignies au cours du premier trimestre 2010 et il les impute à des problèmes de productivité tenant à un " sureffectif récurent générant beaucoup d'insuffisances et demandes d'avoirs pour réclamation de notre client en très forte hausse, à un niveau jamais connu. ".
A l'appui de ce grief, il produit uniquement le courrier électronique que le contrôleur de gestion de l'entreprise lui a adressé le 31 mars 2010 à sa demande afin d'établir un comparatif entre M. Patrick X...et son prédécesseur, M. P. Z.... L'auteur de ce courrier indique que, s'agissant de M. Z..., il a pris en considération la période d'août à octobre 2009 inclus et que, s'agissant de M. Patrick X..., est prise en considération la période janvier à mars 2010 inclus, précision étant donnée que les mois de novembre et décembre 2009 ont été exclus car les deux responsables de chantier intervenaient ensemble sur le site de Feignies.
Les données fournies par le contrôleur de gestion, et sur lesquelles est fondé le troisième grief, sont ainsi libellées : "...... Simplement, au vu de son cout, on pourrait estimer que, depuis sa prise de poste sur le site mi-novembre, ses actions en termes d'exploitation, depuis 3. 5 mois, auraient dû être probantes, or, c'est le contraire qui se passe.
Le constat est le suivant (comparaison à période = 3 mois) :
. Gestion d'un accroissement des volumes et donc du CA = + 35 % de CA/ jour d'activité
¿ A noter, en proportion CA des différentes prestations, augmentation prestation forfait parage pour les art8 en provenance du DV (près de 10 % du CA), au détriment des prestations " nobles " (arrières catégoriels, bêtes compensées, avant minerai), ce qui n'est pas une bonne évolution.
. Mais :
¿ Insatisfaction client : courrier + pénalité 2. 3 k ¿
¿ Hausse substantielle des variables d'exploitation = + 48 % ou différentiel de + 15 k ¿
¿ Dégradation des résultats = presque-9 % de MCD ou-14 k ¿ (pour mars, c'est une estimation, voir détail fichier joint)
¿ Expliquant la dégradation des résultats, un sur-effectif moyen augmentant : de + 3. 3 postes à + 5. 7 postes, soit écart de + 2. 3 postes
J'espère avoir répondu à votre demande. Je me tiens à votre disposition pour tout complément d'informations. ".

Ces données, pour partie absconses, qui ne sont étayées par aucun document, notamment comptable ou de gestion et qui, limitées à une période de trois mois, apparaissent en outre tout à fait parcellaires par rapport à la globalité des données propres à refléter l'activité supervisée par M. Patrick X...et les résultats obtenus sur le site de Feignies ne permettent pas, à elles seules, de faire objectivement preuve d'une nette dégradation des résultats de ce site, telle qu'invoquée aux termes de la lettre de licenciement.
En outre, à supposer cette dégradation avérée, aucun élément objectif ne permet de l'imputer à M. Patrick X....

La preuve de la matérialité, de l'imputabilité au salarié et du caractère fautif de ce troisième grief fait donc également défaut.

Ces reproches apparaissent d'autant plus mal fondés qu'il ressort des pièces versées aux débats que les conditions d'exercice de sa mission, par M. Patrick X..., sur le site de Feignies étaient difficiles et que la situation dont il a héritée, début janvier 2010, au moment où il a commencé à assumer seul la responsabilité du chantier, était loin d'être satisfaisante.
La réalité de cette situation difficile et la conscience qu'en avait l'employeur sont corroborées tout d'abord par les termes du courrier électronique que M. Nicolas Y..., directeur d'exploitation, a adressé le 7 janvier 2010 au salarié ensuite de leur entrevue du 4 janvier précédent. En effet, le supérieur hiérarchique, qui n'y énonce aucun reproche à l'égard de M. Patrick X..., déclare compter sur lui pour que " le chantier s'améliore rapidement " et lui indique qu'il attend de lui qu'il apporte une véritable valeur ajoutée en termes de pilotage de la gestion, d'amélioration des indicateurs d'exploitation, de l'accompagnement des nouveaux entrants, du management des chefs d'équipe et/ ou tuteurs, de l'équilibrage de la relation de la société EUROVIANDE Service avec le client. Il énonce en outre que leur échange lui a permis de " mieux appréhender les freins au bon fonctionnement du chantier de Feignies ", déclare avoir pris acte des difficultés rencontrées par le salarié dans l'accomplissement de sa mission et avoir " bien entendu ses remarques s'agissant des outils de travail à sa disposition ".
Ces difficultés sont encore mises en évidence par les comptes rendus d'activité (pièces no 15, 16 et 17 de l'intimé) établis par M. Patrick X...au titre des semaines 8, 9 et 10 de 2010, soit de la période écoulée du 22 février au 12 mars 2010 et qui n'ont donné lieu à aucune réponse contraire de la part de l'employeur. Le salarié y met en évidence que les conditions de travail sur le site de Feignies étaient particulièrement difficiles en raison, notamment, de l'attitude méprisante, voire insultante, des responsables de la société Bigard envers les personnels de la société EUROVIANDE Service " du bas au haut de l'échelle " et d'une surcharge de travail liée, notamment, à des absences, générant des fins de service très tardives que le salarié situe, pour certains jours, entre 21 heures et 22 h 15, et qui ne sont pas discutées.
En réponse à l'un de ces comptes rendus, le 10 mars 2010, M. Nicolas Y...écrivait à M. Patrick X...(courriel pièce no 14 de l'appelante) qu'à la lecture de son compte rendu et suite aux échanges avec le client, il constatait une tension qui pourrait être préjudiciable à l'entreprise. Il ajoutait qu'il attendait du salarié qu'il soit le " digne représentant " du groupe sur place et qu'il convenait " parfois de faire profil bas auprès de nos interlocuteurs clients, qui nous le savons, manquent quelque fois d'objectivité, mais comme il est coutume de dire : " le client est " roi ". Il déclarait attendre en priorité la satisfaction des clients et demandait à M. Patrick X...d'admettre la critique et les injonctions.

Dans le cadre de la présente instance et de ses développements relatifs à ce troisième grief, la société EUROVIANDE Service avance les difficultés d'organisation, les erreurs de comportement et le caractère rétif dont le salarié aurait fait preuve tant sur le site de Feignies que dans le cadre de ses précédentes affectations et elle produit à cet égard divers courriers électroniques et témoignages. Toutefois, outre que les pièces ainsi produites, d'une part, apparaissent peu ou non probantes en raison de leur caractère laconique, peu circonstancié, voire purement référendaire (à titre d'exemple, le témoin Dany Lempaszak, qui est arrivé sur le site Bigard après le départ de l'intimé, relate son " ressenti " et rapporte que le client Bigard lui a dit n'avoir aucune confiance en M. Patrick X...), d'autre part, sont contredites par le compte rendu d'entretien annuel 2009 qui révèle de bonnes appréciations et la satisfaction du supérieur hiérarchique de M. Patrick X..., ces développements sont inopérants dès lors que ces griefs ne sont pas invoqués dans la lettre de licenciement, laquelle fixe les limites du litige.

En quatrième lieu, à l'appui du licenciement, l'employeur se prévaut des difficultés rencontrées par le service de paie pour établir les bulletins de salaire de mars 2010 " pour tous les salariés du Groupe " en raison, d'une part, du retard mis par M. Patrick X...à transmettre les tonnages du site de Feignies, d'autre part, des erreurs de saisie enregistrées sur le logiciel permettant le rapatriement des informations de production.
A l'appui de ce reproche, l'employeur verse uniquement aux débats sa pièce no 29 intitulée " Note de contrôle " établie le 16 avril 2010, soit le jour de l'émission de la convocation à l'entretien préalable, par une collaboratrice dénommée Karine, laquelle relate que le service de paie a reçu le 5 avril 2010 les tonnages du site de Bigard Feignies relatifs à la semaine 13, " soit du 29 au 31 mars 2010 ", qu'en contrôlant le listing de production au moment des payes, le service a constaté que, pour tous les salarié du site, manquaient les productions effectuées sur la journée du 31 mars 2010, que cette transmission d'éléments incomplets effectuée par le responsable de site, M. Patrick X..., a imposé au service de paie de " suspendre le contrôle et l'établissement des bulletins de salaire du secteur EXPE dont dépend le site de Bigard, dans l'attente des tonnages rectificatifs ".
Tout d'abord, il ressort de cette note que, contrairement à ce qui est indiqué dans la lettre de rupture, ce ne sont pas tous les bulletins de paie de tous les salariés du Groupe qui auraient été impactés mais seulement ceux du secteur dont dépendait le site Bigard.
En second lieu, aucun élément objectif ne permet d'imputer, qui plus est à faute, ce retard à l'intimé lequel indique, sans être utilement contredit, d'une part, que c'est la société Bigard qui a tardé à signer les feuilles de tonnage relatives à la journée du mercredi 31 mars 2010 en ne les validant que deux jours après la journée concernée, d'autre part que, dès le début de la semaine suivante, soit à compter du mardi 6 avril 2010, le lundi 5 correspondant au lundi de Pâques, il a été muté sur une autre site.
Ce quatrième grief n'est donc pas fondé.

La preuve de la matérialité, de l'imputabilité au salarié et du caractère fautif des trois premiers grief et la preuve de l'imputabilité au salarié et du caractère fautif du quatrième grief faisant défaut, de même que fait défaut la preuve d'une " violation constante et réitérée " de ses obligations et celle de " fautes professionnelles réitérées à maintes reprises ", le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a déclaré le licenciement de M. Patrick X...dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences pécuniaires du licenciement :

Le licenciement pour faute grave de M. Patrick X...étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, ce dernier a droit au rappel de salaire du chef de la retenue opérée au titre de la mise à pied conservatoire, laquelle est justifiée à hauteur de 1 509, 40 ¿ (retenue d'avril 2010) outre 317, 77 ¿ (retenue de mai 2010) par les bulletins de salaire versés aux débats. Compte tenu de l'incidence de congés payés, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a alloué de ce chef au salarié la somme globale de 2 009, 89 ¿.
Il sera également confirmé s'agissant des sommes allouées au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de l'indemnité conventionnelle de licenciement qui ne sont pas discutées et ont été exactement déterminées par les premiers juges compte tenu, notamment, de la rémunération du salarié et de son ancienneté, et de la durée du délai congés.

Justifiant d'une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés, M. Patrick X...peut prétendre à l'indemnisation de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement sur le fondement de l'article L. 1235-3 du code du travail, selon lequel l'indemnité à la charge de l'employeur ne peut pas être inférieure aux salaires des six derniers mois, lesquels se sont élevés en l'espèce à la somme brute de 24 326, 97 ¿.
En considération de la situation particulière de M. Patrick X..., notamment de son âge (56 ans) et de son ancienneté (27 ans) au moment de la rupture, de la perte de revenus moyenne mensuelle de l'ordre de 800 ¿ qu'il a subie pendant sa période de chômage qui a duré jusqu'en 2013, année au cours de laquelle il a fait valoir ses droits à la retraite, des circonstances de la rupture, la cour dispose des éléments nécessaires pour porter, par voie d'infirmation du jugement déféré, à 44 766 ¿ le montant de l'indemnité propre à réparer son préjudice.

Par voie d'infirmation du jugement déféré, il convient d'ordonner le remboursement par la société EUROVIANDE Service à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à M. Patrick X...du jour de son licenciement au jour du présent arrêt dans la limite de six mois d'indemnités de chômage.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière sociale et en dernier ressort ;

Vu l'arrêt avant dire droit du 15 juillet 2014 qui a ordonné à la société EUROVIANDE Service de produire aux débats et de communiquer à M. Patrick X...le protocole d'accord pré-électoral ayant conduit aux élections des délégués du personnel qui se sont déroulées le 22 septembre 2009 ;

Déboute M. Patrick X...de sa demande en nullité de son licenciement ;

Infirme le jugement entrepris s'agissant du montant de l'indemnité allouée à M. Patrick X...pour licenciement injustifié et en ce qu'il a limité à deux mois d'indemnités de chômage le remboursement ordonné en faveur de Pôle emploi ;

Statuant à nouveau de ces chefs,
Condamne la société EUROVIANDE Service à payer à M. Patrick X...la somme de 44 766 ¿ à titre d'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Ordonne le remboursement par la société EUROVIANDE Service à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à M. Patrick X...du jour de son licenciement au jour du présent arrêt dans la limite de six mois d'indemnités de chômage ;

Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne la société EUROVIANDE Service à payer à M. Patrick X...la somme de 3 000 ¿ au titre de ses frais irrépétibles d'appel et la déboute elle-même de ce chef de prétention ;

La condamne aux dépens d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

V. BODINAnne JOUANARD


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 12/01568
Date de la décision : 14/10/2014
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.angers;arret;2014-10-14;12.01568 ?
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