COUR D'APPEL d'ANGERS Chambre Sociale ARRÊT N al/ jc Numéro d'inscription au répertoire général : 12/ 00585.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de SAUMUR, décision attaquée en date du 13 Février 2012, enregistrée sous le no 10/ 00151
ARRÊT DU 27 Mai 2014
APPELANT : Monsieur Jean-Yves X...... 49220 GENE comparant, assisté de Maître Bruno ROPARS de la SCP ACR, avocats au barreau d'ANGERS
INTIMES : Maître Bernard Y..., ès-qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SAS ERBH ... 49000 ANGERS représenté par Maître KOLAÏ, avocat substituant Maître Martine PERRAYON, avocat au barreau de MACON
L'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés intervenant par l'UNEDIC-C. G. E. A de Rennes Immeuble Magister 4 cours Raphaël Binet 35069 RENNES représentée par Maître CADORET, avocat substituant Maître Bertrand CREN, avocat au barreau d'ANGERS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Février 2014 à 14H00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anne LEPRIEUR, conseiller chargé d'instruire l'affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de : Madame Catherine LECAPLAIN MOREL, président Madame Anne LEPRIEUR, conseiller Monsieur Paul CHAUMONT, conseiller Greffier lors des plaidoiries : Madame LE GALL, greffier. Greffier lors du prononcé : Madame BODIN, greffier. ARRÊT : prononcé le 27 Mai 2014, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame LECAPLAIN-MOREL, président, et par Madame BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCEDURE M. Jean-Yves X... a été engagé le 5 janvier 1994 en qualité de directeur commercial par la société ERBH ayant pour activité la réalisation de sols industriels, société dont il détenait la moitié des parts sociales et dont il était le directeur général ainsi que le directeur commercial. Le 1er janvier 2008, la société Sorinvest s'est portée acquéreur de l'ensemble des actions de la société ERBH, M. X... vendant l'intégralité de ses parts sociales. Un contrat de travail à durée indéterminée a été conclu entre l'intéressé et la société ERBH le 9 janvier 2008 avec effet au 10 janvier 2008, M. X... étant confirmé en qualité de directeur commercial, sa mission consistant " d'une part à animer et encadrer l'équipe commerciale et d'autre part à développer son propre secteur commercial constitué de quatre départements (49, 53, 72, 44) et quelques comptes clients spécifiques situés dans les départements 85 et 79 ". Il était en outre convenu que le salarié " exercerait ses fonctions sédentaires à partir de son domicile " mais " sera toutefois amené à effectuer tous les déplacements nécessaires à son activité ". La rémunération convenue était de 5 175 ¿ brute mensuelle. Après avoir été mis à pied à titre conservatoire à compter du 28 juin 2010 selon lettre de convocation à entretien préalable du 23 juin 2010, le salarié a été licencié pour faute grave le 15 juillet 2010, par lettre comportant 6 pages et mentionnant notamment comme griefs " votre refus d'appliquer, en tant que Directeur commercial, la politique commerciale établie par la Direction de l'entreprise, la mauvaise qualité et l'insuffisance de votre travail avec une absence de suivi commercial, votre passivité commerciale, l'absence d'encadrement de " l'équipe commerciale ", générant notamment directement une dégradation nette de notre carnet de commande, particulièrement préjudiciable en situation de crise économique ". Le salarié a saisi la juridiction prud'homale en décembre 2010 de diverses demandes au titre de la rupture de son contrat de travail.
Par jugement du 13 février 2012, le conseil de prud'hommes de Saumur a jugé le licenciement fondé sur une faute grave, débouté le salarié de toutes ses prétentions et l'a condamné à verser à la société la somme de 5 000 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, laissant les dépens à sa charge. Le salarié a régulièrement interjeté appel. Par jugement du tribunal de commerce d'Angers en date du 4 avril 2012, la société a été placée en liquidation judiciaire et M. Y...nommé liquidateur de la société. L'AGS a donc été appelée à la cause.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Le salarié, dans ses conclusions parvenues au greffe le 31 octobre 2013, soutenues oralement à l'audience, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, sollicite l'infirmation du jugement et la condamnation de la société à lui verser les sommes suivantes : * 70 000 ¿ de dommages-intérêts pour licenciement abusif ; * 37 260 ¿ à titre d'indemnité de licenciement ; * 2 741, 20 ¿ de rappels de salaires au titre de la mise à pied, outre 274, 12 ¿ de congés payés afférents ; * 17 200 ¿ d'indemnité compensatrice de préavis, outre 1 720 ¿ de congés payés afférents ; * 4 000 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Au soutien de ses prétentions, il fait valoir d'abord que les griefs contenus dans la lettre de licenciement sont imprécis, inégalement étayés et ne font référence pour la plupart qu'à des éléments vagues et inconsistants. En outre, les faits invoqués ne présentent pas de caractère fautif, la perte de confiance ne pouvant constituer en tant que telle une cause de licenciement, tandis que les nombreux griefs relèvent tout au plus de l'insuffisance professionnelle. La lettre de licenciement étant insuffisamment motivée, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse. Ensuite, l'entreprise est défaillante dans l'administration de la preuve de la faute grave, produisant soit des éléments totalement étrangers au débat, soit des éléments dépourvus de toute valeur probante, soit encore des éléments non pertinents ou contradictoires, ou arguant de griefs non fondés.
Enfin, le motif réel du licenciement est un motif économique et procède de la volonté inavouable de l'entreprise de faire place nette, en éradiquant l'ancienne direction une fois les savoir-faire transmis. Le salarié a subi un lourd préjudice. M. Y..., en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société, conclut quant à lui, dans ses dernières conclusions parvenues au greffe le 23 janvier 2014, soutenues oralement à l'audience, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et au débouté intégral du salarié, outre à sa condamnation à lui payer une somme de 5 000 ¿ au titre des frais irrépétibles et aux dépens.
Il soutient que la société Sorinvest, qui a racheté la société ERBH, possédant une expérience reconnue et ancienne dans la réalisation de dallages, n'avait nul besoin du savoir-faire de M. Jean-Yves X.... Elle s'est cependant placée dans le cadre d'une continuité de collaboration avec les anciens dirigeants et les membres de leurs familles, salariés de l'entreprise. La nouvelle direction de la société n'a jamais entendu remettre en cause les compétences professionnelles du salarié, mais lui reprocher l'exécution fautive de son contrat de travail. En effet, lors du rachat, M. X... était un élément moteur et dynamique dans le fonctionnement commercial de l'entreprise. Il a maintenu ce comportement positif jusqu'en début d'année 2009, étant souligné que son fils, David X..., conducteur de travaux au sein de la société ERBH, a créé en février 2009 une société directement concurrente après avoir été licencié en octobre 2008 pour faute grave, en l'occurrence notamment établissement de fausses factures. Le licenciement a été motivé exclusivement par les griefs imputables à M. Jean-Yves X.... En effet, la stratégie commune de la direction des différentes sociétés du groupe a permis de limiter les effets de la crise touchant son domaine d'activité, sauf en ce qui concerne le secteur du salarié, dont le volume d'activité a subi un recul de manière totalement anormale à partir de 2009, lequel ne peut s'expliquer que par le comportement du salarié.
Les griefs énoncés dans la lettre de licenciement sont matériellement vérifiables et ne sont pas prescrits, l'employeur pouvant prendre en compte un fait antérieur à 2 mois si le comportement du salarié a persisté dans ce délai. Or, il est avéré que le salarié a refusé de suivre la stratégie et la politique commerciales définies par la direction, a fourni un travail de développement commercial de mauvaise qualité et insuffisant, n'a pas exercé ses fonctions d'animation et d'encadrement. Ces manquements sont constitutifs d'une faute grave. L'AGS, intervenant par l'UNEDIC-C. G. E. A de Rennes, conclut à titre principal au débouté du salarié de toutes ses demandes. Subsidiairement, au cas où une créance serait fixée sur la liquidation de la société, elle rappelle qu'elle ne sera tenue à garantir les sommes allouées que dans les limites et plafonds définis aux articles L. 3253-8, L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail.
MOTIFS DE LA DECISION
-Sur la motivation de la lettre de licenciement : La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, doit énoncer des faits précis et matériellement vérifiables. En l'espèce, la lettre de licenciement est abondamment motivée et énonce des griefs précis et matériellement vérifiables, soit en l'espèce trois séries de griefs : le refus du salarié de suivre la stratégie et la politique commerciales définies par la direction, la mauvaise qualité et l'insuffisance du travail de développement commercial du salarié, ainsi que son absence d'animation et d'encadrement des salariés.
Par ailleurs, l'employeur est en droit, en cas de contestation, d'invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier le motif de licenciement.- Sur l'existence d'une faute grave : Sur le grief tenant au refus du salarié de suivre la stratégie et la politique commerciales définies par la direction, on observera à titre préliminaire que l'employeur peut prendre en compte un fait fautif antérieur à deux mois, dans la mesure où le comportement du salarié a persisté dans l'intervalle.
La réalité du grief est établie par les comptes rendus de réunions commerciales des 30 novembre 2009, 7 janvier 2010, 28 avril 2010, 22 juin 2010 (Pièces no 13, 14, 16, 17 de l'intimé) desquels il résulte que la direction de la société, constatant la dégradation importante et inexpliquée du nombre de devis et prises de commandes, notamment dans le département 49 (cf. les motifs du jugement critiqué), a invité à plusieurs reprises et en vain M. X... à travailler selon des méthodes commerciales précises. Ainsi, il lui a été demandé d'effectuer systématiquement des relances, d'exploiter les fiches " Vecteur Plus ", de présenter les devis selon certaines normes (par exemple noter les remplissages de joints, les cornières de seuils, etc... en + value et non dans les m2), de chercher à se positionner auprès des adjudicataires en situation de sous-traitance. Or, ces directives n'ont pas été respectées par le salarié, comme cela résulte notamment du compte rendu du 28 avril 2010 : " 7. Tableau affaires en devis 7. 1/ Constat : relances tardives ou non faites. Pas de prise de contact lors de l'établissement des devis, pas de relances systématiques constatées, très peu de dossiers ont une relance. (...) 8. Suivi des fiches Vecteur + 8. 2/ Secteur Pays de Loire Constat : toujours rien de fait par JYB. " Des constats identiques ont été faits lors de la réunion du 22 juin 2010 (par exemple aucune des 94 fiches Vecteur Plus reçues depuis le 15 mars n'a été exploitée, absence de consultation préalable à l'établissement de devis sur les prix). Ces éléments sont confortés notamment par les pièces no 61 et 68 de l'intimé (défaut de relances). Pour un professionnel expérimenté et du niveau de M. X..., ces manquements répétés aux consignes de la direction ne peuvent constituer de simples négligences ou révéler une insuffisance professionnelle non fautive mais caractérisent une volonté délibérée et persistante de ne pas se conformer à la politique commerciale ainsi définie. En outre, un tel comportement doit s'apprécier à la lumière des résultats d'activité de l'intéressé, lesquels, comme justement énoncé par les premiers juges, ont accusé une baisse totalement anormale à compter de 2009 au regard du potentiel du secteur et par comparaison avec les autres filiales du groupe ainsi qu'avec un autre salarié (cf. les pièces no 10, 11, 18, 19, 20 et 90 de l'intimé).
Un tel comportement, préjudiciable, caractérise, pour un cadre de ce niveau de responsabilité, une faute grave rendant impossible son maintien dans l'entreprise, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs. Le jugement sera en conséquence purement et simplement confirmé. PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré ; Y ajoutant,
Déclare le présent arrêt commun à l'AGS, intervenant par l'UNEDIC-C. G. E. A de Rennes ; Condamne M. Jean-Yves X... à payer à M. Y..., en sa qualité de liquidateur de la société ERBH, la somme de 2 000 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et le déboute de sa propre demande formée sur le même fondement ; Condamne M. Jean-Yves X... aux dépens d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
V. BODINCatherine LECAPLAIN-MOREL