La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/10/2013 | FRANCE | N°11/01952

France | France, Cour d'appel d'Angers, Chambre sociale, 22 octobre 2013, 11/01952


COUR D'APPEL d'ANGERS Chambre Sociale
ARRÊT DU 22 Octobre 2013
ARRÊT N AD/ SLG
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/ 01952.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de LAVAL, décision attaquée en date du 08 Juillet 2011, enregistrée sous le no 10/ 00353

APPELANT :
Monsieur Patrick X...... 14540 GRENTHEVILLE
comparant, assisté de maître MAILLARD, avocat substituant la SELARL DOREAU EMMANUEL ET ASSOCIES, avocats au barreau de LAVAL

INTIMEE :
SASU SODEGER ZI Nord Bazouges BP 30412 53204 CHATEAU GONTI

ER
représenté par maître LE TERTRE, avocat substituant la SELARL PATRICK CHAVET-BRUNO LOUVEL,...

COUR D'APPEL d'ANGERS Chambre Sociale
ARRÊT DU 22 Octobre 2013
ARRÊT N AD/ SLG
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/ 01952.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de LAVAL, décision attaquée en date du 08 Juillet 2011, enregistrée sous le no 10/ 00353

APPELANT :
Monsieur Patrick X...... 14540 GRENTHEVILLE
comparant, assisté de maître MAILLARD, avocat substituant la SELARL DOREAU EMMANUEL ET ASSOCIES, avocats au barreau de LAVAL

INTIMEE :
SASU SODEGER ZI Nord Bazouges BP 30412 53204 CHATEAU GONTIER
représenté par maître LE TERTRE, avocat substituant la SELARL PATRICK CHAVET-BRUNO LOUVEL, avocats au barreau de RENNES-No du dossier 102539 (AVOXA)

COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 Septembre 2013 à 14 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anne DUFAU, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de : Madame Catherine LECAPLAIN MOREL, président Madame Brigitte ARNAUD-PETIT, conseiller Madame Anne DUFAU, conseiller
Greffier lors des débats : Madame LE GALL, greffier

ARRÊT : prononcé le 22 Octobre 2013, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame LECAPLAIN-MOREL, président, et par Madame LE GALL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE
La société SODEGER, filiale du groupe belge COLRUYT, est spécialisée dans le commerce de gros de produits laitiers, oeufs, huiles et matières grasses comestibles.
Elle exerce son activité sous l'enseigne " Pro a Pro Distribution ", auprès de grandes et moyennes surfaces implantées en France, en Belgique et au Luxembourg, et auprès de restaurateurs.
Elle emploie 99 salariés, a cinq établissements, et applique la convention collective nationale du commerce de gros.
Elle a repris, le 20 janvier 1999, le contrat de travail de M. Patrick X... qui avait été embauché le 21 juin 1991 en qualité d'approvisionneur, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet.
M. X... a démissionné le 13 mai 2000 et son préavis est venu à expiration le 24 juin 2000.
Par contrat de travail du 4 août 2000, à effet au 1er septembre 2000, M. X... a été à nouveau recruté par la société SODEGER comme responsable approvisionneur, avec une rémunération brute mensuelle de 3133 ¿ et une convention de forfait annuel en jours.
Il a été promu le 1er juin 2008 directeur des achats.
Lors d'un inventaire effectué le 12 juillet 2010, la société SODEGER a constaté la présence dans les stocks de deux meules d'Emmental Ermitage mentionnant qu'elles devaient être " consommées de préférence avant le 9 juillet 2010 ", et observé que ces produits avaient été ré-étiquetés.
L'enquête conduite par société SODEGER l'a amenée à penser que M. X... avait donné la consigne de ré-étiquetage.
Le salarié a été convoqué par lettre recommandée du 30 août 2010 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 16 septembre 2010 et son licenciement lui a été notifié le 20 septembre 2010, pour faute grave.
M. X... a saisi le conseil de prud'hommes de Laval le 2 novembre 2010 en contestant le bien-fondé de son licenciement et il a demandé la condamnation de la société SODEGER à lui payer les sommes de :- indemnité compensatrice de préavis : 9399 ¿- congés payés afférents : 939, 90 ¿- indemnité de licenciement conventionnelle : 9766, 52 ¿- indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 75 000 ¿- article 700 du code de procédure civile : 1500 ¿
Par jugement du 8 juillet 2011 le conseil de prud'hommes de Laval, après vaine conciliation, a ainsi statué :
Dit que le licenciement de M. Patrick X... ne repose pas sur une faute grave mais sur une cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société SODEGER à verser à M. Patrick X... :-9 766, 52 ¿ au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,-9 399 ¿ au titre de l'indemnité de préavis,-939, 90 ¿ au titre des congés payés y afférents,
Déboute M. Patrick X... de sa demande de dommages et intérêts,
Condamne la société SODEGER à verser 700 ¿ à M. Patrick X... sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Dit que l'exécution provisoire est de droit sur les sommes à caractère salarial dans la limite de neuf mois de salaire, calculés sur la moyenne des trois derniers mois que le conseil fixe à 3 133 ¿,
Déboute la société SODEGER de ses demandes,
Condamne la société SODEGER aux entiers dépens.
Pour statuer ainsi le conseil de prud'hommes a considéré que la société SODEGER n'établissait pas la responsabilité de M. X... dans le ré-étiquetage des deux meules d'Emmental ", mais qu'il était de la responsabilité du salarié de suivre les dates limites de consommation.
M. Patrick X... a interjeté appel de ce jugement par déclaration enregistrée au greffe de la cour d'appel d'Angers le 28 juillet 2011.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses écritures déposées au greffe le 27 mai 2013, reprises et soutenues oralement à l'audience, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer, M. X... demande à la cour de :
* confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société SODEGER à lui verser la somme de 9 766, 52 ¿ au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, celle de 9 399 ¿ au titre de l'indemnité de préavis, celle de 939, 90 ¿ au titre des congés payés y afférents, et celle de 700 ¿ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
*l'infirmer pour le surplus, dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, et condamner la société SODEGER à lui payer la somme de 75 000 ¿ à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif, et subsidiairement celle de 18 800 ¿ à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire, outre celle de 2500 ¿ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
M. X... soutient que son licenciement a eu une cause économique, la société SODEGER ne l'ayant pas remplacé dans son poste.
M. X... soutient d'autre part que sa faute grave ne peut pas être retenue :
- parce que le seul grief qui lui est fait dans la lettre de licenciement est d'avoir donné l'ordre à M. Y... de redater les meules d'Emmental dont la date limite de consommation était passée, alors qu'au cours de l'entretien préalable au licenciement, ainsi qu'en témoigne le compte rendu du conseiller du salarié M. Z..., M. Y... a nié avoir reçu cet ordre de M. X...,
- parce que les faits reprochés se sont déroulés le 9 juin 2010 et le 12 juillet 2010, et que l'engagement de la procédure de licenciement a eu lieu le 30 août 2010, ce qui est tardif au regard de la jurisprudence qui énonce que pour qu'une faute soit grave elle doit être sanctionnée rapidement ; qu'il n'a de plus pas fait l'objet d'une mise à pied conservatoire.
Il rappelle qu'il exerçait ses fonctions à raison de deux jours à Château Gontier et de trois jours à Saint Lô, et qu'il n'entrait pas dans ses fonctions de suivre la gestion des produits et donc les dates limites de consommation, mais que ses missions étaient :- d'être l'acheteur du groupe Maillerie,- d'être l'interlocuteur entre le groupe Maillerie et le groupe Unifrais,- de suivre les dossiers de ses clients et d'optimiser les achats en termes de volume et de marge,- d'encadrer les approvisionnements de chaque site détaché,- d'informer sa hiérarchie de l'avancement de ses dossiers et des écarts potentiels,- d'être force de proposition en cas d'écart.
Il ajoute qu'il appartenait en effet à M. A..., préparateur de commandes sur le site de Château Gontier, d'assurer en chambre froide le suivi des dates limites de conservation, et de gérer les stocks.
En outre, M. X... relève que la lettre de licenciement lui reproche un dépassement de date limite de consommation alors que la pièce no12 de l'employeur montre que M. A... l'a alerté le 9 juin 2010 sur l'existence d'un dépassement de la limite d'utilisation optimale (D. L. U. O.) des deux meules de fromage, ce qui n'est pas du tout la même chose car la marchandise est alors encore consommable. Il soutient donc que le fondement sur lequel repose la lettre de licenciement est erroné ; que la lettre de licenciement vise encore de façon erronée le nom de M. Thierry Y... comme étant celui du salarié le mettant en cause.
M. X... observe que les reproches faits par la société SODEGER dans la lettre de licenciement portent sur une meule de 76, 5 kg et sur une autre de 66, 9 kg, alors que l'activité de l'entreprise porte en moyenne sur 150 000 tonnes de produits par an et que les deux meules de fromage en question représentaient une valeur de 641, 72 ¿ sur un montant annuel d'achats de 30 millions ¿.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe le 25 juillet 2013, reprises et soutenues oralement à l'audience devant la cour, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer, la société SODEGER demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit que M. X... n'a pas commis de faute grave et subsidiairement de le confirmer en ce qu'il a dit que le licenciement a une cause réelle et sérieuse ; en tout état de cause de débouter M. X... de l'ensemble de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 2500 ¿ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et de le condamner aux dépens.
Elle soutient établir la commission d'une faute grave par M. X..., en rapportant la preuve, par la production du courrier électronique de M. A..., et de l'attestation de M. Christophe Y..., de ce qu'il savait que les dates limites de consommation de deux meules de fromage étaient dépassées et qu'il a demandé à l'un de ses collaborateurs de procéder au ré-étiquetage du produit alors qu'il aurait dû faire détruire les fromages périmés ; qu'il a ainsi enfreint les règles de sécurité sanitaire édictées par le code de la consommation et réalisé un étiquetage trompeur de denrées alimentaires, ce qui constitue aussi une infraction pénale, même si la denrée n'est pas impropre à la consommation ; que la jurisprudence qualifie de faute grave de tels agissements.
La société SODEGER rappelle quant à la validité de la procédure, d'une part qu'un licenciement pour faute grave n'implique pas nécessairement une mise à pied conservatoire, et d'autre part qu'ayant découvert les faits le 12 juillet 2010, elle a dû effectuer une enquête pour déterminer les responsabilités, laquelle a été compliquée par la période de congés ; qu'elle a engagé la procédure de licenciement le 30 août 2010, après avoir procédé aux auditions nécessaires, et qu'elle a donc agi dans le délai restreint exigé par la jurisprudence en matière de faute grave.
Elle souligne que si le nom de Thierry Y... est mentionné dans la lettre de licenciement, toutes les pièces produites démontrent qu'il s'agit d'une erreur matérielle et que c'est M. Christophe Y..., frère du premier, qui, en tant qu'approvisionneur et sur demande de M. X..., a fait ré-étiqueter les deux meules d'Emmental.
Elle réfute que le poste de M. X... ait été supprimé et qu'il ait existé un motif économique à son licenciement, et produit au soutien de cette affirmation des documents montrant que c'est dans la société PICTAFRAIS qu'un poste de responsable du secteur logistique a été supprimé et que M. B..., qui était employé à ce poste, s'est vu proposer le poste de M. X..., qui était vacant ; que M. B... est ainsi devenu le 9 octobre 2010, par transfert, salarié de la société SODEGER ; qu'elle n'était pas tenue de modifier la classification professionnelle de M. B... lorsqu'il a été reclassé et relève qu'en avril 2013 celui-ci avait dépassé la rémunération perçue par M. X... lorsqu'il occupait le poste de directeur des achats.

MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le licenciement :
Si la qualification que l'employeur a donnée au licenciement, dans la lettre de licenciement, s'impose au juge, il appartient à celui-ci, lorsqu'il en est requis, de rechercher, en application de l'article L. 1235-1 du code du travail, au-delà des énonciations de la lettre de licenciement, la véritable cause de licenciement du salarié.
Le licenciement de M. X... lui a été notifié pour faute grave dans ces termes, qui fixent le litige :
" Monsieur,
Nous faisons suite à l'entretien préalable à un éventuel licenciement qui s'est déroulé le jeudi 16 septembre 2010 à 10h00 auprès de Monsieur Patrice C..., Directeur Régional, dans les bureaux de l'entreprise à Château Gontier.
Pour rappel préalable, vous avez été engagé le 2 juin 1991 en tant que responsable des approvisionnements. A compter du 1er juin 2008, vous êtes Directeur des Achats. A ce titre, vous êtes responsable des achats et du stock et vous supervisez l'équipe des approvisionneurs.
Le 12 juillet dernier, lors d'un inventaire, deux meules de fromage (Emmental code article 39519), une de 76, 5 kg et l'autre de 66, 9 kg avec une date limite d'utilisation optimale au 9 juillet 2010, sont inventoriées. L'étiquetage de ces deux meules attire l'attention car les étiquettes du fournisseur ont été changées par des étiquettes de l'entreprise avec le poids inscrit à la main. En juillet, vous êtes alors en congé mais Monsieur Laurent A..., préparateur de commandes en charge du stock, reconnaît ces produits. En effet, le 9 juin 2010, il vous avait alerté, par mail, que ces produits avaient des dates limites de consommation dépassées.
En effet, à l'époque, il vous signale :- pour la première meule de 76, 5 kg, une date limite de consommation au 3 février 2010- pour la seconde meule de 66, 9 kg, une date limite de consommation au 30 mai 2010.
A ce mail, vous aviez répondu être vous-même très étonné par ces dates et aviez répondu à Monsieur Laurent A... que le numéro code article qu'il indique sur le mail est erroné-Il avait indiqué le numéro 39515, au lieu de 39519- mais les échanges avec votre collaborateur en sont restés là.
Suite à cet inventaire du 12 juillet, une enquête est menée pour savoir qui a changé les étiquettes. Les congés des uns et des autres rendent l'investigation fastidieuse mais au retour de ses congés, M. Bertrand D..., préparateur de commandes, témoigne avoir fait la modification des étiquettes sur ordre de M. Thierry Y..., approvisionneur. M. Thierry Y... révèle avoir eu la consigne de son responsable, c'est-à-dire vous-même.
Les faits et les incriminations étant suffisamment graves, M. Patrice C... prend alors la décision de vous convoquer à un entretien préalable à un éventuel licenciement afin d'entendre votre argumentation. Lors de cet entretien, vous êtes accompagné par un conseiller extérieur. Lorsque M. Patrice C... vous énonce les faits, vous répondez ne pas vous souvenir de ces éléments. Or, avec les différents témoignages recueillis, nous estimons que vous ne pouvez pas être dans ignorance de ces faits.
La demande de modification de modifier les étiquettages est très grave. Nous ne pouvons tolérer ce type d'instruction. En effet, et vous n'êtes pas sans le savoir, la consommation de produits périmés peut avoir des répercutions graves en terme d'hygiène et de santé publique.
Vous êtes à un niveau de responsabilité élévé au sein de l'entreprise et vous vous devez de montrer l'exemple. Avec cet acte, vous allez à l'encontre des valeurs de l'entreprise. Monsieur C... a eu l'occasion de rappeler plusieurs fois, notamment lors des Comités de Direction dont vous faîtes parti, que ce type de malversation ne devait en aucun cas être une pratique de l'entreprise.
Nous sommes garants de la qualité des produits que nous commercialisons et nous ne pouvons accepter de telles transgressions. Avec votre comportement, vous avez mis en danger la santé de nos consommateurs et la pérénité de toute l'entreprise.
La gravité des faits rend impossible votre maintien au sein de l'entreprise. Nous avons décidé de mettre un terme à votre collaboration et de vous licencier pour faute grave. Votre licenciement prend effet immédiatement sans préavis ni indemnité de rupture. Nous vous informons que vous avez acquis 114 heures au titre du droit individuel à la formation... Le Directeur Régional Patrice C... "
M. X... soutient que la vraie cause de son licenciement a été économique et que son poste a été supprimé ;
Il n'apporte néanmoins aucun élément établissant l'existence de difficultés économiques de la société SODEGER au moment du licenciement, tandis que celle-ci rapporte la preuve de ce que la société PICTA FRAIS, qui appartient aussi au groupe COLRUYT, a procédé en octobre 2010 à des licenciements collectifs pour motif économique et que dans ce cadre, le poste de M. B..., responsable logistique au sein de PICTA FRAIS, a été supprimé, et ce salarié reclassé, à compter du 9 octobre 2010, ainsi qu'en témoignent le bulletin de paie qui lui a été remis pour le mois d'octobre 2010, et les registres d'entrées et sorties de personnel, sur le poste de M. X..., vacant depuis le 27 septembre 2010, peu important que la rémunération et la qualification de M. B... aient été inférieures à celles de M. X... ;
A supposer même que la société SODEGER ait connu elle aussi des difficultés économiques, en l'absence de la suppression du poste de M. X..., la cour doit dès lors examiner la cause personnelle de licenciement invoquée par l'employeur ;
En cas de licenciement disciplinaire, la faute du salarié ne peut résulter que d'un fait avéré, acte positif ou abstention, mais alors dans ce dernier cas de nature volontaire, qui lui est imputable, et qui constitue de sa part une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail ;
La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et il incombe à l'employeur de l'établir ;
L'unique grief reproché à M. X... dans la lettre de licenciement est d'avoir fait procéder à un ré-étiquetage de deux meules d'Emmental Ermitage dont la date limite d'utilisation optimale (D. L. U. O.) avait été dépassée ;
Il est acquis que l'employeur a découvert le 12 juillet 2010, lors d'un contrôle des stocks, la présence sur chacune des deux meules litigieuses d'une étiquette papier, collée sur la surface du fromage, et portant les mentions : " emballé le 18 juin 2010 " et " à consommer de préférence avant le 09-07-2010 " ;
Cette étiquette mentionnait un poids écrit à la main, et dissimulait la date de limite de consommation qui est portée initialement par le producteur sous forme de tamponnage encré apposé sur la croûte de l'aliment ;
Il n'est pas contesté par M. X... que les congés annuels soient pris dans l'entreprise en juillet et août, et il ne peut être fait grief à l'employeur, qui emploie 99 salariés sur différents sites, d'avoir procédé à une enquête afin de découvrir non seulement l'auteur du ré-étiquetage, mais l'ensemble des salariés y ayant contribué, ainsi que le responsable de cette décision ;
Après audition, à leur retour de congés, notamment de M. D..., préparateur de commande, de M. Christophe Y..., approvisionneur, et de M. X..., directeur des achats, l'employeur a au regard des déclarations recueillies engagé la procédure de licenciement le 30 août 2010, soit dans un délai justifié ;
Il ressort d'autre part des pièces du dossier que le nom de Thierry Y..., frère de M. Christophe Y..., visé dans la lettre de licenciement, ne constitue qu'une erreur matérielle, et que c'est bien M. Christophe Y..., approvisionneur travaillant sous les ordres de M. X..., qui a été entendu par M. C..., directeur régional, et qui a déclaré avoir donné à M. D..., préparateur de commande, le 18 juin 2010, l'ordre de ré-étiqueter ;
M. X..., s'il soutient que sa responsabilité n'est pas démontrée dans la prise de décision de ré-étiquetage, ne s'explique pas sur celle-ci, et invoque le fait que le suivi des dates limites de consommation ne lui incombait pas, mais revenait à M. A..., préparateur de commandes, qui gérait le stock, sur le site de Chateau Gontier, en chambre froide ;
M. Christophe Y... atteste quant à lui dans ces termes : " Je soussigné Christophe Y... reconnais avoir reçu l'ordre de M. Patrick X... de demander à M. Bertrand D... de redater les meules d'Emmental " ;
Cette déclaration dépourvue d'ambiguïté n'est pas remise en cause par le fait qu'en août, lors de l'enquête effectuée par M. C..., M. Christophe Y... n'ait pas nommément accusé M. X... ;
M. E..., comptable, qui a assisté à cette audition, indique : " Courant août M. Patrice C... a convoqué M. Christophe Y... afin de lui demander qui lui avait donné l'ordre de ré-étiqueter deux meules de fromage. M. Y... n'a pas voulu donner de nom et lorsque M. C... lui a demandé si c'était son supérieur hiérachique, M. Christophe Y... s'est retenu quelques instants avant de sourire pour cacher sa gêne à l'égard de son supérieur " ;
Le compte rendu de l'entretien préalable au licenciement, tel que M. Z..., conseiller du salarié, l'a rédigé, montre que M. Christophe Y..., appelé ce jour là à venir confirmer devant M. Z..., M. C... et M. X..., que l'ordre de faire redater les marchandises lui avait été donné par M. X..., n'a pas expressément accusé son supérieur hiérarchique, mais qu'il a répondu au questionnement de M. C... en ces termes, repris entre guillemets par M. Z... : " je ne vous ai jamais dit cela, je vous ai dit que je ne suis pas apte à prendre ce genre de décisions " ;
Il est en effet constant que M. Christophe Y..., employé comme approvisionneur, avait M. X... pour supérieur hiérachique, et il ressort de l'avenant du 1er juin 2008 au contrat de travail de M. X..., le nommant directeur des achats, que l'une de ses missions était " d'encadrer les approvisionnements de chaque site détaché " ;
Il est également acquis que le courriel adressé le 9 juin 2010 par M. A..., préparateur de commandes, pour signaler les dépassements de D. L. U. O. des deux meules d'Emmental, l'est exclusivement à M. X..., qui d'une part ne dément pas en avoir été l'unique destinataire, et d'autre part ne conteste pas l'avoir reçu ;
Alors que M. A... lui signale qu'une des meules a une D. L. U. O. au 3 février 2010, et l'autre au 30 mai 2010, et questionne : " que faire ? ", la lecture de ce courriel montre que M. X... répond uniquement " comment peut-on avoir de telles dlc ? " et ne lui donne aucune instruction ;
Or, il a bien été procédé à un redatage quelques jours après cet échange, le 18 juin 2010, et M. D..., préparateur de commandes, qui y a matériellement procédé, atteste qu'il a le 18 juin 2010 " reçu un ordre de M. Christophe Y..., des appros, qui lui l'avait reçu de M. X..., pour changer une étiquette de D. L. C. sur les deux meules de fromage (de l'Emmental Savoie Ermitage) " et il ajoute : " Ce que j'ai fait car l'ordre venait de M. X.... " ;
Il apparaît donc que l'information de l'existence du dépassement de deux D. L. U. O. a été portée directement, et exclusivement à la connaissance de M. X..., que celui-ci a manifesté dans sa réponse avoir conscience de l'importance du dépassement révélé, et il est encore certain que M. Christophe Y..., non informé d'une part par M. A..., et subordonné de M. X... d'autre part, n'a pu pour ces deux raisons faire procéder d'initiative, et sans en référer au directeur des achats, au redatage litigieux ;
M. X... n'allègue d'ailleurs pas que l'ordre de ré-étiqueter et de repousser la date de D. L. U. O. au 9 juillet 2010 ait été une décision de M. Christophe Y..., que celui-ci aurait prise sans lui en référer ;
Il n'est pas non plus soutenu par M. X... que redater les produits ait été une pratique habituelle dans l'entreprise, ni que la direction l'ait toléré, et il ne conteste pas les termes de la lettre de licenciement indiquant que le directeur régional avait rappelé en comité de direction les bonnes pratiques ;
La société SODEGER justifie au contraire de ce que des fromages dont la date d'utilisation optimale s'avérait dépassée étaient détruits chaque semaine et parmi ceux-ci, de l'Emmental Ermitage ;
Il ressort de ces éléments que M. X... a été l'auteur de la décision de ré-étiquetage et de modification de D. L. U. O. transmise le 18 juin 2010 à M. D... par M. Christophe Y..., après avoir été informé, le 9 juin 2010, de l'existence de dépassements de dates portant à la fois sur des quantités non négligeables de marchandises, et, pour l'une des meules de fromage, sur plusieurs mois de dépassement ;
Le fondement de la lettre de licenciement n'est pas, enfin, erroné, car celle-ci mentionne bien la découverte, le 12 juillet 2010, d'une D. L. U. O. modifiée par un étiquetage papier, et s'agissant de meules d'Emmental, denrée alimentaire qui n'est pas microbiologiquement très périssable, cette appellation est celle requise par le décret du 7 décembre 1984 ;
Ce type de produit doit en effet porter une D. L. U. O ou date de péremption, et s'il reste consommable après le dépassement de cette date, la prorogation de celle-ci sans l'aval du producteur, et sans que le produit soit transformé, constitue à l'égard du consommateur une tromperie sur la qualité ;
Surtout, la lettre de licenciement fait exclusivement grief à M. X... d'avoir fait procéder à un ré-étiquetage des produits, et donc d'avoir fait apposer une date modifiée, peu important qu'il se soit agi d'une date limite de consommation, ou d'une D. L. U. O. ces deux types de modifications étant infractionnelles ;
L'employeur est donc justifié à reprocher à son salarié ce redatage, et sa dissimulation par un ré-étiquetage, alors que l'une des meules a fait l'objet d'un report de date de cinq mois, que les quantités de marchandises en cause ne sont pas négligeables, et que M. X..., en qualité de directeur des achats, avait un niveau de responsabilité important dans l'entreprise, ainsi qu'une mission d'encadrement des approvisionneurs auquel il devait de ce fait rappeler les bonnes pratiques telles qu'énoncées par la direction ; que les agissements reprochés rendaient en conséquence impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ;
Le jugement est confirmé en ce qu'il a dit le licenciement causé et en ce qu'il a débouté M. X... de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif et il est infirmé en ce qu'il a écarté la faute grave ;
M. X... est débouté, la cour retenant la faute grave, de la demande formée au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, et de la demande au titre de l'indemnité de préavis, et des congés payés afférents ;
Sur la demande pour licenciement vexatoire :
M. X... ne démontre, ni même n'allègue l'existence de circonstances vexatoires ayant entouré la notification de son licenciement et caractérisant un préjudice distinct de celui causé par la rupture du contrat de travail ;
Il n'est pas fondé à qualifier de vexatoire la nature disciplinaire du licenciement, qui est licite et, au surplus en la cause, justifiée, et il doit être en conséquence débouté de sa demande de dommages et intérêts ;
Sur les dépens et frais irrépétibles :
Les dispositions du jugement afférentes aux dépens et aux frais non compris dans les dépens sont infirmées ; M. X... qui perd le procès en cause d'appel est condamné à payer à la société SODEGER la somme de 1200 ¿ pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel, et il est débouté de ses propres demandes à ce titre ;
M. X... est condamné à payer les dépens de première instance et d'appel ;

PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Laval du 8 juillet 2011 en ce qu'il a :- dit le licenciement de M. X... causé,
- débouté M. X... de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
L'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau, ainsi qu'y ajoutant,
Dit que le licenciement de M. X... est justifié par une faute grave,
Déboute M. X... de sa demande d'indemnité conventionnelle de licenciement,
Déboute M. X... de sa demande d'indemnité de préavis, et des congés payés afférents,
Déboute M. X... de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire,
Déboute M. X... de sa demande au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel,
Condamne M. X... à payer à la société SODEGER la somme de 1200 ¿ pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel,
Condamne M. X... aux dépens de première instance et d'appel.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 11/01952
Date de la décision : 22/10/2013
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.angers;arret;2013-10-22;11.01952 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award