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10/09/2013 | FRANCE | N°09/01975

France | France, Cour d'appel d'Angers, Chambre sociale, 10 septembre 2013, 09/01975


COUR D'APPEL
d'ANGERS
Chambre Sociale

ARRÊT N
BAP/ SLG

Numéro d'inscription au répertoire général : 09/ 01975.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire du MANS, décision attaquée en date du 01 Octobre 2008, enregistrée sous le no 06/ 00499

ARRÊT DU 10 Septembre 2013

APPELANTE :

S. A. R. L. SORBIER BONNIER
Groupe malherbe
Zone industrielle La sablonnière
14980 ROTS

représenté par Maître Jacques DELAFOND, avocat au barreau de LAVAL

INTIMES :

Monsieur Serge X...


...
72800 THOREE LES PINS

comparant, assisté de Madame Micheline Y..., muni (e) d'un pouvoir spécial

CAMBRONNE GESTION
Bât l...

COUR D'APPEL
d'ANGERS
Chambre Sociale

ARRÊT N
BAP/ SLG

Numéro d'inscription au répertoire général : 09/ 01975.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire du MANS, décision attaquée en date du 01 Octobre 2008, enregistrée sous le no 06/ 00499

ARRÊT DU 10 Septembre 2013

APPELANTE :

S. A. R. L. SORBIER BONNIER
Groupe malherbe
Zone industrielle La sablonnière
14980 ROTS

représenté par Maître Jacques DELAFOND, avocat au barreau de LAVAL

INTIMES :

Monsieur Serge X...
...
72800 THOREE LES PINS

comparant, assisté de Madame Micheline Y..., muni (e) d'un pouvoir spécial

CAMBRONNE GESTION
Bât le Renoir Paris nord 2
BP 86011 VILLEPINTE
95931 ROISSY CDG CEDEX

représentée par maître TERREAU, avocat au barreau du Mans

INTERVENANT VOLONTAIRE :
TNT LOGISTICS FRANCE
29 quai Aulagnier
92600 ASNIERES SUR SEINE

représentée par maître TERREAU, avocat au barreau du Mans

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Février 2013 à 14 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Brigitte ARNAUD-PETIT, conseiller chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine LECAPLAIN MOREL, président
Madame Brigitte ARNAUD-PETIT, conseiller
Madame Anne DUFAU, conseiller

Greffier lors des débats : Madame LE GALL, greffier

ARRÊT :
prononcé le 10 Septembre 2013, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame LECAPLAIN-MOREL, président, et par Madame LE GALL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******

FAITS ET PROCÉDURE

M. Serge X... a été engagé par la société Bonnier en tant que chauffeur routier, coefficient 150 M de la convention collective des transports routiers et activités auxiliaires de transports, par contrats à durée déterminée, en date du :
-11 juillet 1994, pour la période allant du 11 au 18 juillet 1994,
-18 juillet 1994, pour la période allant du 18 juillet au 18 août 1994,
-19 août 1994, pour la période allant du 19 août au 19 septembre 1994.

La relation contractuelle s'étant poursuivie après l'échéance du dernier contrat à durée déterminée, sans qu'un nouveau contrat ne soit conclu, celui-ci est devenu, de fait, à durée indéterminée.

Le contrat de travail de M. X... a été l'objet de plusieurs transferts :
- le 31 décembre 2002, de la société Bonnier, devenue la société Transports Bonnier, à la société Logistiques Ladoux, faisant partie, elle-même, de la division TNT Logistics France du groupe TNT,
- le 31 décembre 2005, de la société Logistiques Ladoux, société à responsabilité limitée, à la société Logistiques Ladoux, société anonyme simplifiée,
- le 1er janvier 2006, de la société Logistiques Ladoux à la société Sorbier Bonnier.

Il est acquis que M. X... a exercé, depuis l'origine, la fonction de conducteur grand routier.

Réclamant à la société Sorbier Bonnier le paiement, de juin 2001 à décembre 2005, d'heures supplémentaires, des congés payés afférents et des repos compensateurs consécutifs, ainsi que d'une prime de fin de d'année, M. X... a saisi le conseil de prud'hommes du Mans le 21 juin 2006.
En cours de procédure, outre que la société Sorbier Bonnier a attrait à la cause la société Cambronne gestion et que la société TNT logistics France est intervenue volontairement aux débats, M. X... a sollicité de la société Sorbier Bonnier le paiement d'heures supplémentaires, des congés payés afférents et des repos compensateurs consécutifs, au titre des périodes postérieures.

Le conseil de prud'hommes, par jugement du 1er octobre 2008 auquel il est renvoyé pour l'exposé des motifs, a :
- donné acte à M. Serge X... et à la société Sorbier Bonnier de ce qu'ils entendent mettre fin au litige du fait des transactions intervenues entre eux les 4 juin 2007, 15 mai 2008 et 19 mai 2008, pour les périodes de janvier 2006 à septembre 2006 inclus, du 1er octobre 2006 au 31 octobre 2007 inclus et du 1er novembre 2007 au 29 février 2008 inclus,
- vu l'article 384 du code de procédure civile, homologué les trois transactions intervenues entre M. Serge X... et la société Sorbier Bonnier, et leur a donné force exécutoire,
- constaté l'extinction de l'instance par l'effet des transactions intervenues entre les parties hors de la présence de la juridiction, et s'est déclaré dessaisi pour la période totale allant de janvier 2006 au 29 février 2008,
- pour la période couvrant juin 2001 à décembre 2005 inclus
o dit que M. Serge X... a réalisé les heures supplémentaires pour la période précisée, et condamné en conséquence la société Sorbier Bonnier au versement des sommes suivantes
. 19 681, 51 euros au titre des heures supplémentaires pour la période de juin 2001 à décembre 2005,
. 1 968, 15 euros au titre des congés payés afférents,
. 6 740, 80 euros au titre des repos compensateurs,
o ordonné la remise par la société Sorbier Bonnier à M. Serge X... des bulletins de paie correspondants,
o mis hors de cause la société TNT logistics France et la société Cambronne gestion dans le présent litige, à charge pour la société Sorbier Bonnier d'attraire les dites sociétés en garantie devant la juridiction compétente si elle l'estime nécessaire et utile,
o débouté M. Serge X... du surplus de ses demandes,
o rappelé que l'exécution provisoire est de droit s'agissant de créances salariales,
o condamné la société Sorbier Bonnier aux entiers dépens.

La société Sorbier Bonnier a régulièrement formé appel de cette décision, par lettre recommandée avec accusé de réception postée le 24 octobre 2008.

Une ordonnance de radiation est intervenue le 8 septembre 2009.

L'affaire a été rétablie le lendemain, sur demande de la société Sorbier Bonnier.

Par arrêt, pour partie avant dire droit, du 13 juillet 2010 auquel il est renvoyé pour l'exposé des motifs, la cour a :
- confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a homologué les transactions intervenues entre M. Serge X... et la société Sorbier Bonnier, et en ce qu'il a débouté M. Serge X... de sa demande de prime de fin d'année,
- infirmé le même en ce qu'il a mis hors de cause la société TNT logistics France et la société Cambronne gestion,
- avant dire droit sur les demandes de M. Serge X... au titre des heures supplémentaires, des congés payés et des repos compensateur afférents, de juin 2001 à décembre 2005 inclus,
o ordonné une mesure d'expertise de ces chefs,
o commis pour y procéder M. Emmanuel Z...,...,
o dit que l'expert devra se faire remettre par les parties les pièces nécessaires à l'accomplissement de sa mission et se référera également, dans son analyse, aux textes applicables lors de la période considérée,
o dit que M. Serge X... et la société Sorbier Bonnier devront consigner la somme de 1 000 euros à valoir sur les frais d'expertise dans le mois à compter de la notification du présent arrêt, un tiers étant mis à la charge de M. Serge X... et les deux tiers restant à celle de la société Sorbier Bonnier,
o dit que l'expert devra déposer son rapport dans les cinq mois, après qu'il ait été avisé par le secrétariat-greffe du dépôt de la consignation ordonnée,
o nommé Mme Brigitte Arnaud-Petit en tant que magistrat chargé d'assurer le contrôle des opérations d'expertise,
- réservé les demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, de même que le sort des dépens.

Les parties ont consigné le 10 novembre 2010.

Après un premier rappel à l'expert le 9 mai 2011, puis un second le 28 octobre 2011, il lui a été enjoint, par courrier du 12 juillet 2012, de déposer son rapport " dans l'état où il se trouve ", outre de " remettre au greffe les pièces qui auraient pu lui être confiées afin de permettre l'accomplissement de sa mission ".

L'expert a déposé son rapport le 1er octobre 2012, au terme duquel il a conclu :
" Nous avons relevé les mécanismes appliqués pour la détermination des heures de travail et de leur valorisation en termes d'heures supplémentaires, dans le respect de l'ensemble des dispositions légales et ou réglementaires applicables en fonction de la date de la réalisation de ces heures par Monsieur X....
L'enregistrement des données du chrono tachygraphe n'a pas été fait pour les motifs suivants :
o Nous disposons de disques sans avoir la certitude de leur qualité d'original ou de copie ce qui introduit un doute sur la validité et la recevabilité des données que leur lecture pourrait nous apporter.
. Ces doutes ont été clairement exprimés dans l'entretien téléphonique de Monsieur A... ancien DRH de la société SORBIER BONNIER à la période des faits à analyser.
. Une copie de ces notes prises par l'expert a été en son temps transmise à Madame le Conseiller ARNAUD PETIT; une copie est jointe à ce dossier.
o Comme nous l'avons relevé dans notre approche des dispositions d'application pour la détermination des heures supplémentaires un certain nombre d'informations spécifiques aux relations entre Monsieur X... et ses entreprises successives ne nous sont pas connues car nous n'avons pas eu de réponses de ces employeurs contactés par deux fois.
o Un paramétrage de lecture des disques et de calcul ne tenant pas compte de ces éléments aurait vraisemblablement généré des résultats contestables.
o En outre les parties dans les documents en notre possession ne semblent pas contester l'analyse lecture des disques faits par Monsieur X... mais les calculs ultérieurs réalisés.
o La non communication de cette lecture (acceptée par les parties) ne nous a pas permis de réaliser une expertise plus pointue.
En conséquence, notre rapport est établi en l'état des données en notre possession et sur la base des dispositifs réglementaires et/ ou légaux sur la démarche détermination des Heures supplémentaires dans le Transport Routier de Marchandises ".

Ensuite de ce dépôt, le greffe a convoqué l'appelante et les intimés sur l'audience du 14 février 2013.
Le greffe, informé que l'expert avait omis de communiquer son rapport aux parties et à leur conseil en même temps que de le faire parvenir à la cour, a demandé au dit expert, le 29 octobre 2012, de bien vouloir procéder à cette communication, ce dernier ayant fait savoir s'en être acquitté, par lettre du 12 novembre 2012, transmise au greffe le 14 novembre suivant.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

A l'audience, la société Sorbier Bonnier, reprenant oralement, sur les points encore en litige, le bénéfice de ses précédentes conclusions, ici expressément visées et auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé, au visa par ailleurs du précédent arrêt, outre de constater que l'expert commis n'a pas rempli la mission qui lui avait été confiée, sollicite que le jugement déféré soit infirmé en ce qu'il l'a condamnée à verser à M. Serge X... les sommes suivantes
. 19 681, 51 euros de rappel d'heures supplémentaires pour ce qui concerne la période de juin 2001 à décembre 2005,
. 1 968, 15 euros de congés payés afférents,
. 6 740, 80 euros au titre des repos compensateurs.

Elle demande, en conséquence, que :
- M. Serge X... soit débouté de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- l'arrêt à intervenir soit déclaré opposable à la société TNT logistics France et à la société Cambronne gestion,
- M. Serge X... soit condamné en tous les dépens.

Elle fait valoir, au soutien, que M. X... :
- a pris en considération dans son calcul, non seulement les heures de temps de service issues de la lecture des disques, mais également les heures d'absence pour cause de congés payés, repos compensateurs et jours fériés ; or, dit-elle
o l'absence pour congés payés ne peut être valorisée en temps de travail effectif pour le paiement des majorations,
o si la prise de journées au titre du repos compensateur est assimilée à un temps de travail effectif pour le paiement des majorations, la prise de ces journées n'entre pas dans la détermination des droits à repos compensateur ; il en est de même des absences pour congés payés ou pour jours fériés et chômés,
- a présenté des décomptes non conformes, en ce qu'ils font apparaître l'amplitude, de sorte qu'il y a prise en considération, et du temps de service, et des heures payées au taux majoré, et des droits à repos compensateur,
- a fait une interprétation inexacte de l'application de la règle conventionnelle relative à l'amplitude pour revendiquer la garantie minimale d'amplitude, et alors que la créance au titre de la garantie minimale d'amplitude est de nature indemnitaire ; dès lors, cette amplitude minorée ne peut être prise en considération pour le calcul du repos compensateur,
- de surcroît, l'examen de ses bulletins de salaire fait apparaître qu'il a été entièrement rempli de ses droits à repos compensateur, dont il était parfaitement informé, et qui ont été calculés conformément à son temps de service, et alors que la société TNT logistics France et la société Cambronne gestion ont régularisé ses heures supplémentaires sur son bulletin de salaire de janvier 2006, compte tenu de la cession intervenue.

****

A l'audience, M. Serge X... reprenant oralement ses conclusions déposées le 10 janvier 2013, ici expressément visées et auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé, soulève, par application des articles 175 et suivants du code de procédure civile, la nullité du rapport d'expertise, en ce que l'expert mandaté n'a pas respecté le principe du contradictoire, n'ayant jamais porté à sa connaissance l'échange téléphonique annexé à son rapport qu'il a eu avec M. A..., ne lui permettant pas d'y répliquer avant le dépôt du dit rapport, ne lui communiquant pas plus le rapport d'expertise avant son dépôt au greffe.

Il demande, sinon, que lui soit adjugé le bénéfice de ses précédentes écritures, s'y reportant oralement, écritures ici expressément visées pour plus ample exposé et au regard desquelles il sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il :
- lui a alloué les sommes suivantes
. 19 681, 51 euros de rappel d'heures supplémentaires pour ce qui concerne la période de juin 2001 à décembre 2005,
. 1 968, 15 euros de congés payés afférents,
. 6 740, 80 euros au titre des repos compensateurs,
- condamné la société Sorbier Bonnier à lui remettre les bulletins de salaire correspondants.

Il demande, au surplus, que la société Sorbier Bonnier soit condamnée à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et supporte les entiers dépens.

Visant, pour ce qui est de la durée du travail dans les transports routiers, les dispositions du code du travail, de la convention collective nationale des transports routiers, du décret no83-40 du 26 janvier 1983, de l'accord national du 12 novembre 1988, ainsi que, pour le calcul des heures supplémentaires, les règles posées par l'article L. 3171-4 du code du travail, il indique que la lecture des disques à laquelle il a procédé, de 2001 à 2005, fait apparaître qu'il n'a pas été intégralement rémunéré de ses heures supplémentaires sur la période considérée, et, par là-même, des congés payés afférents, comme des repos compensateurs auxquels ces heures supplémentaires ouvraient droit.

Il déclare qu'il a effectué son décompte à l'aide du logiciel SOLID employé, d'une part, par de nombreux transporteurs, d'autre part, par le Ministère du travail et ses inspecteurs, et, que si l'appelante entend contester ce décompte, il lui appartient d'apporter les éléments justificatifs de ses prétentions, ainsi par l'analyse des disques dont d'agit.
Il indique, en tout cas, que :
- les jours de congés, de même que les journées de repos compensateur, n'ont pas été comptabilisés dans l'amplitude, donnant ainsi l'exemple du mois de décembre 2001, et que seuls les jours travaillés ont été pris en compte,
- le calcul du repos compensateur s'est effectué sur le temps de travail effectif,
- c'est l'amplitude journalière qui est prise en compte pour le calcul de la rémunération mensuelle, avec l'application du coefficient le plus favorable au salarié, soit de 75 %, soit de-63 heures,
- aucun texte ne prévoit que l'amplitude minorée aurait une nature indemnitaire.

****

A l'audience, la société TNT logistics France et la société Cambronne gestion, reprenant oralement, sur les points encore en litige, le bénéfice de leurs précédentes conclusions, ici expressément visées et auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé, sollicitent que le jugement déféré soit infirmé en ce qu'il a condamné la société Sorbier Bonnier à verser à M. Serge X... les sommes suivantes :
. 19 681, 51 euros de rappel d'heures supplémentaires pour ce qui concerne la période de juin 2001 à décembre 2005,
. 1 968, 15 euros de congés payés afférents,
. 6 740, 80 euros au titre des repos compensateurs.

Elles demandent, en outre, que la partie succombante soit condamnée à leur verser une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Elles reprennent l'intégralité des développements adoptés par la société Sorbier Bonnier pour voir débouter M. X... de ses demandes d'heures supplémentaires, de congés payés afférents et de repos compensateurs consécutifs.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la nullité de l'expertise

M. X... sollicite que soit prononcée la nullité du rapport d'expertise déposé le 1er octobre 2012 par M. Z..., expert mandaté par la cour le 13 juillet 2010, au motif que celui-ci n'a pas respecté le principe du contradictoire.
Il invoque à cette fin les articles 175 et suivants du code de procédure civile, qui traitent des nullités des mesures d'instruction que peut ordonner le juge.

Il est effectif que le principe de la contradiction, en tant que principe directeur du procès, conformément aux articles 14 et suivants du même code, s'applique à l'administration de toutes les preuves, notamment aux mesures d'instruction ordonnées par le juge.

Or, et même si un grief s'infère très généralement de son non-respect, la démonstration de l'existence du grief causé à celui qui l'invoque par la violation du principe de la contradiction, n'est pas une condition de la sanction de ce principe comme en matière d'irrégularités affectant les actes de procédure.

Il apparaît du rapport de l'expert et des pièces en annexe, que celui-ci a recueilli téléphoniquement, le 5 septembre 2011, les déclarations de M. A..., ancien directeur des ressources humaines de la société Sorbier Bonnier, déclarations qu'il s'est approprié dans ses conclusions relativement à la " validité et à la recevabilité des données que la lecture des seuls disques que lui a fournis M. X..., n'étant pas contesté par les autres parties qu'elles n'ont pas répondu aux sollicitations de l'expert relativement à la fourniture de ces disques, pourrait lui apporter ".

Il est tout aussi établi, outre qu'il n'a pas poussé plus avant ses investigations, que l'expert, contrairement aux recommandations, le 28 octobre 2011, du magistrat chargé du suivi de l'expertise qu'il avait sollicité à ce propos, le 29 septembre précédent, n'a pas communiqué aux différentes parties, dont M. X..., le compte rendu de sa communication téléphonique avec M. A....

L'expert avait pourtant entière latitude de le faire, puisqu'il ne lui a été fait injonction de déposer son rapport en l'état où il se trouvait que le 12 juillet 2012, soit quasiment deux ans, à quelques mois près, après qu'il ait été avisé par le greffe que les parties avaient consigné.

Or, le respect du principe de la contradiction impose à l'expert de soumettre à la discussion des parties les éléments recueillis auprès des tiers qui serviront de base à son travail, afin de permettre à ces dernières d'en débattre contradictoirement devant lui, et ce avant le dépôt de son rapport.

Dans ces conditions, il convient de faire droit à la demande de M. X... et d'annuler l'expertise de M. Z..., finalement déposée le 1er octobre 2012.

Sur les heures supplémentaires, les congés payés afférents, les repos compensateurs

A) Sur les heures supplémentaires et les congés payés afférents

L'article L. 3171-4 du code du travail dispose :
" En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.
Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles... ".

La preuve des heures supplémentaires effectuées par le salarié est de fait partagée ; au salarié d'étayer préalablement sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés de façon à ce que l'employeur puisse répondre et, dans ce cas, à l'employeur de fournir ses propres éléments.

****

M. X..., annexant ses bulletins de salaire au titre de la période considérée, soit de juin 2001 à décembre 2005, produit, année par année, mois par mois pour chacune des années, et jour par jour pour chacun des mois de l'année concernée, des tableaux :
- détaillant ses temps de " conduite ", de " travail ", d'" attente ", s'il était ou non en " double équipage ", avec la récapitulation des " temps de service ", de " travail effectif ", de " coupure ", ainsi que l'" amplitude ",
- analysant ces données en termes chiffrés, notamment au plan des heures dues, simples ou majorées, suivant le mois,
- récapitulant ces données, en faisant ressortir, pour chacun des mois de l'année en question, par colonnes, les " heures du mois ", le " salaire perçu ", les " heures disques RC + CP + férié ", la " valorisation ", les éventuelles " heures de nuit ", le " total en euros ", et la différence restant à percevoir, outre 10 % de congés payés sur cette différence,
outre de dresser un tableau final pour chacune des années des sommes réclamées au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents.

Par ces éléments suffisamment précis auxquels l'employeur peut répondre, M. X... étaie ainsi sa demande d'heures supplémentaires et de congés payés afférents.

****

La société Sorbier Bonnier, la société TNT logistics France et la société Cambronne gestion ne contestent pas que les heures relevées par M. X... correspondent à la lecture des disques chrono tachygraphes relatifs aux mois de juin 2001 à décembre 2005 inclus.

Elles arguent que M. X... a tenu compte, dans son calcul des heures supplémentaires, de ses heures d'absence pour cause de congés payés, jours fériés et repos compensateur.

Toutefois, alors que M. X... le dément, donnant un exemple sur le mois de décembre 2001, comme quoi les jours de congés payés, tout comme les jours de repos compensateur, n'apparaissent pas dans son calcul des heures supplémentaires, la société Sorbier Bonnier, la société TNT logistics France et la société Cambronne gestion ne produisent aucun élément à l'appui de leurs allégations selon lesquelles M. X... aurait tenu compte, dans son calcul des heures supplémentaires, de ses heures d'absence pour cause de congés payés, jours fériés et repos compensateur et qu'elles n'en font pas la démonstration.

**

Il sera rappelé pour mémoire que :
- les jours fériés chômés sont bien pris en compte pour déterminer l'assiette, l'ouverture et le calcul des droits à majoration et à bonification pour heures supplémentaires,
- le repos compensateur est assimilé à une période de travail effectif pour le calcul des droits du salarié, et donne lieu à une indemnisation qui n'entraîne aucune diminution de rémunération par rapport à celle qu'il aurait perçue s'il avait exécuté son travail, et qui a le caractère d'un salaire ; de fait, l'impossibilité de diminuer la rémunération en lien avec la prise du repos aboutit à inclure la durée de ce repos pour le calcul des majorations pour heures supplémentaires.

**

Le conducteur grand routier, ou longue distance, fonction occupée par M. X..., relève des dispositions du code du travail, dispositions qui ont toutefois été adaptées à la spécificité de la profession, via le décret no83-40 du 26 janvier 1983 plusieurs fois modifié.
Sont applicables à la cause les dispositions du décret no2000-69 du 27 janvier 2000, et du décret no2002-622 du 25 avril 2002, le décret pris le 31 mars 2005 ayant, quant à lui, été l'objet, pour les dispositions concernant le litige, d'une annulation par un arrêt du Conseil d'Etat en date du 18 octobre 2006.

La société Sorbier Bonnier, la société TNT logistics France et la société Cambronne gestion ne contestent pas l'application de ces dispositions successives.

Il en résulte que le conducteur grand routier, ou longue distance, est rémunéré pour un temps passé au service de son employeur, ou temps de service, de 43 heures par semaine ou 186 heures par mois (décret du 27 janvier 2000), puis de 39 heures par semaine ou 169 heures par mois (décret du 25 avril 2002).
Ces heures de temps de service, jusqu'à la 43ème heure par semaine ou la 186ème heure par mois, puis jusqu'à la 39ème heure par semaine ou la 169ème heure par mois, dites heures d'équivalence, sont rémunérées de façon majorée, à raison de 25 %, en application d'un accord national professionnel de 23 avril 2002, maintenu par la suite.
Les heures qui excèdent les durées de temps de service susvisées constituent des heures supplémentaires, rémunérées au taux majoré de 50 %.

Dès lors, que la société Sorbier Bonnier, la société TNT logistics France et la société Cambronne gestion, bien qu'en possession d'éléments suffisamment précis de la part de M. X... pour pouvoir y répondre, n'apportent aucun justificatif des horaires effectivement réalisés par le salarié, de ce que le nombre d'heures supplémentaires décompté par ce dernier serait inexact, ou qu'il aurait été rémunéré de l'intégralité de ces heures supplémentaires, le jugement déféré doit être confirmé en ce que, conformément aux taux horaires et à la majoration applicable, il a condamné la société Sorbier Bonnier, employeur actuel de M. X... après le transfert de son contrat de travail, à lui verser les sommes de 19 681, 51 euros au titre des heures supplémentaires effectuées sur la période de juin 2001 à décembre 2005, et de 1 968, 15 euros au titre des congés payés afférents.

En tout cas, l'argument de la société Sorbier Bonnier, de la société TNT logistics France et de la société Cambronne gestion, selon lequel la garantie mensuelle d'amplitude prévue par l'accord conventionnel du 12 novembre 1988 n'a pas à être prise en considération dans les éléments de chiffrage, du fait de sa nature indemnitaire, est inopérant, alors que le texte lui-même l'invoque en termes de " sauvegarde salariale ".

Le conseil de prud'hommes sera, en revanche, infirmé en ce qu'il a condamné la société Sorbier Bonnier à remettre à M. X... les bulletins de salaire correspondant aux condamnations prononcées.
Il suffit, en effet, que la société Sorbier Bonnier délivre à M. X... un bulletin de salaire récapitulatif des condamnations intervenues.

Conformément à l'article L. 1224-2 du code du travail, en présence d'une convention de transfert qui n'est pas contestée, entre, d'une part, la société TNT logistics France et la société Cambronne gestion, d'autre part, la société Sorbier Bonnier, le présent arrêt est opposable aux sociétés TNT logistics France et Cambronne gestion, tenues de rembourser les sommes acquittées par le nouvel employeur de M. X..., alors que ces sommes étaient dues à la date de la modification, sauf à ce qu'il ait été tenu compte de la charge résultant de ces obligations dans la convention intervenue entre elles, point qui n'est pas même allégué.

B) Sur le repos compensateur

Toute heure effectuée au-delà des durées exposées supra ouvre droit à un repos compensateur obligatoire, dont le régime est fixé par les dispositions de l'article L. 212-5-1 du code du travail, dans leur rédaction applicable à l'espèce.

M. X..., qui n'a pas été en mesure, du fait de son employeur, de formuler une demande de repos compensateur au titre des heures supplémentaires faites sur la période de juin 2001 à décembre 2005, a droit à l'indemnisation du préjudice subi ; celle-ci se compose d'une indemnité calculée comme si le salarié avait pris son repos, auquel s'ajoute le montant de l'indemnité de congés payés afférents.

Les premiers juges ont alloué à ce titre à M. X... la somme de 6 740, 80 euros, correspondant à 30, 80 jours de repos compensateur générés par les heures supplémentaires accomplies, tels que chiffrés sur la base des tableaux fournis par M. X....

La société Sorbier Bonnier, la société TNT logistics France et la société Cambronne gestion ne justifiant en rien du caractère erroné de cette somme, qui a été exactement calculée, le jugement déféré doit être confirmé sur ce point.

Sur les frais et dépens

La décision des premiers juges est confirmée pour ce qui est des frais irrépétibles et des dépens.

La société Sorbier Bonnier est condamnée à verser à M. X... la somme de 1 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société TNT logistics France et la société Cambronne gestion sont déboutées de leur demande du même chef.

La société Sorbier Bonnier est condamnée aux entiers dépens de l'instance d'appel, qui comprendront les frais d'expertise.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Vu l'arrêt de la cour, pour partie avant dire droit, en date du 13 juillet 2010,
Annule l'expertise de M. Z..., expert judiciaire auprès de la cour d'appel d'Angers, déposée le 1er octobre 2012,

Confirme le jugement entrepris, hormis en ce qu'il a condamné la société Sorbier Bonnier à remettre M. Serge X... les bulletins de salaire correspondant aux condamnations prononcées,

Statuant à nouveau de ce seul chef, et y ajoutant,

Ordonne à la société Sorbier Bonnier de remettre à M. Serge X... un bulletin de salaire récapitulatif des condamnations prononcées,

Déclare le présent arrêt opposable à la société TNT logistics France et à la société Cambronne gestion,

Condamne la société Sorbier Bonnier à verser à M. Serge X... la somme de 1 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel,

Déboute la société TNT logistics France et la société Cambronne gestion de leur demande du même chef,

Condamne la société Sorbier Bonnier aux entiers dépens de l'instance d'appel, qui comprendront les frais d'expertise.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Sylvie LE GALLCatherine LECAPLAIN-MOREL


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 09/01975
Date de la décision : 10/09/2013
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.angers;arret;2013-09-10;09.01975 ?
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