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29/01/2013 | FRANCE | N°11/01202

France | France, Cour d'appel d'Angers, Chambre sociale, 29 janvier 2013, 11/01202


COUR D'APPEL D'ANGERS Chambre Sociale

ARRÊT N AD/ AT

Numéro d'inscription au répertoire général : 11/ 01202.

Jugement Au fond, origine Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale d'ANGERS, décision attaquée en date du 12 Avril 2011, enregistrée sous le no 09. 167

ARRÊT DU 29 Janvier 2013

APPELANT :

Monsieur Christophe X... ...49370 LE LOUROUX BECONNAIS

présent, assisté de Maître Christelle GUEMAS, substituant Maître Pascal LAURENT (SCP), avocat au barreau d'ANGERS
INTIMEES :
Société SPIE OUEST CENTRE venant aux droi

ts de la société SIPECT 5, rue de la Claie 49070 BEAUCOUZE

représentée par Maître Guillaume BOIZARD, avocat au...

COUR D'APPEL D'ANGERS Chambre Sociale

ARRÊT N AD/ AT

Numéro d'inscription au répertoire général : 11/ 01202.

Jugement Au fond, origine Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale d'ANGERS, décision attaquée en date du 12 Avril 2011, enregistrée sous le no 09. 167

ARRÊT DU 29 Janvier 2013

APPELANT :

Monsieur Christophe X... ...49370 LE LOUROUX BECONNAIS

présent, assisté de Maître Christelle GUEMAS, substituant Maître Pascal LAURENT (SCP), avocat au barreau d'ANGERS
INTIMEES :
Société SPIE OUEST CENTRE venant aux droits de la société SIPECT 5, rue de la Claie 49070 BEAUCOUZE

représentée par Maître Guillaume BOIZARD, avocat au barreau d'ANGERS

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE MAINE ET LOIRE (C. P. A. M.) 32 rue Louis Gain 49937 ANGERS CEDEX 9

représentée par Monsieur Laurent Z..., muni d'un pouvoir

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Novembre 2012 à 14 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anne DUFAU, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, président Madame Anne DUFAU, conseiller Madame Elisabeth PIERRU, vice-présidente placée

Greffier lors des débats : Madame LE GALL, greffier
ARRÊT : prononcé le 29 Janvier 2013, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame LECAPLAIN-MOREL, président, et par Madame LE GALL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*******

FAITS ET PROCÉDURE

M. X...a été embauché par la société SIPECT entreprise du bâtiment qui effectue des prestations en matière d'électricité, de plomberie, de chauffage, de génie climatique et emploie environ 80 salariés, à compter du 3 janvier 2001, en qualité de chauffeur-livreur-manutentionnaire.

Le contrat de travail de M. X...a été suspendu pour maladie du 12 octobre 2001 au 13 janvier 2002, puis à compter du 15 mai 2002. M. X...a été déclaré inapte définitif à tout poste dans l'entreprise lors de la seconde visite de reprise, en date du 10 décembre 2003.
Son licenciement lui a été notifié pour inaptitude par lettre du 29 Décembre 2003.
Le 9 Mars 2004, M. X...a déposé une demande de reconnaissance de maladie professionnelle pour une tendinopathie de la coiffe des rotateurs (épaule douloureuse), visée au tableau no57 des maladies professionnelles.
La Caisse ayant refusé de prendre en charge la pathologie déclarée au titre de la législation sur les risques professionnels, M. X...a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Maine et Loire qui, par jugement du 08 avril 2008, a reconnu le caractère professionnel de sa maladie.
M. X...a également contesté le taux d'incapacité permanente partielle de 9 % qui lui avait été notifié par la caisse.
Par jugement du 25 mars 2009, le tribunal du contentieux de l'incapacité de Nantes a fixé ce taux à 10 %.
M. X...a saisi la caisse primaire d'assurance maladie de Maine et Loire venant aux droits de la caisse primaire d'assurance maladie d'Angers, d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et, aucune conciliation n'ayant pu avoir lieu, en l'absence de la société SIPECT, il a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Angers par lettre recommandée avec accusé réception du 27 avril 2009, à cette fin.
M. X...a demandé l'organisation d'une expertise médicale pour déterminer l'étendue de ses préjudices, et la condamnation de la société SIPECT à lui payer la somme de 3000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
En cours d'instance, la société SPIE OUEST CENTRE est venue aux droits de la société SIPECT.
Par jugement du 12 avril 2011, le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Angers a statué dans ces termes :
DÉCLARE recevable le recours de M. X...,
DIT que la Société SIPECT n'a commis aucune faute inexcusable dans la réalisation de la maladie professionnelle de M. X...,
DÉBOUTE en conséquence M. X...de l'intégralité de ses demandes y compris celles au titre de l'expertise sur ses préjudices personnels et au titre des frais irrépétibles,
CONDAMNE M. X...à payer à la société SPIE OUEST CENTRE venant aux droits de la société SIPECT la somme de 600 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
DIT n'y avoir lieu à condamnation aux dépens.
Le jugement a été notifié le 20 avril 2011 à la société SPIE OUEST CENTRE et à la caisse primaire d'assurance maladie d'Angers, et le 20 avril 2011 à M. X...qui en a interjeté appel par lettre postée le 5 mai 2011.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses écritures déposées au greffe 6 mars 2012, reprises et soutenues oralement à l'audience, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer, M. X...demande à la cour :
- d'infirmer le jugement déféré,
- de dire que la société SIPECT a commis une faute inexcusable dans la réalisation de sa maladie professionnelle et de fixer la majoration de rente à son maximum,
- avant dire droit sur les indemnisations du préjudice, ordonner une expertise aux fins d'évaluer le préjudice lié aux souffrances physiques et morales, le préjudice esthétique, le préjudice d'agrément, le préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle,
M. X...demande à la cour de dire que les frais d'expertise seront mis à la charge de la société SIPECT et que celle-ci devra faire l'avance des provisions éventuellement dues, de dire l'arrêt à intervenir opposable à la caisse primaire d'assurance maladie d'Angers, de condamner la société SPIE OUEST CENTRE venant aux droits de la société SIPECT à lui payer la somme de 3000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et les dépens.
M. X...soutient que la faute inexcusable de l'employeur est caractérisée en ce que, d'une part, la conscience du danger lié à l'exercice professionnel doit s'apprécier in abstracto, et que tout poste de manipulation de charges porte un risque de maladie professionnelle ; que le code du travail

impose à l'employeur d'évaluer les risques d'exposition de son salarié, et d'organiser le travail de façon à les réduire ; que les moyens mécaniques mis en place par la société SIPECT ont en réalité eu un caractère insignifiant ; que M. X...n'a bénéficié d'aucune formation sur les procédés à adopter pour les manipulations de charges ; que le fait que M. X...ait eu d'autres employeurs antérieurement à l'emploi chez SIPECT est sans effet sur l'établissement de la faute inexcusable, dès lors que les conditions en sont réunies.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe le 19 novembre 2012, reprises et soutenues oralement à l'audience devant la cour, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer, la société SPIE OUEST CENTRE venant aux droits de la société SIPECT demande à la cour :
- de confirmer le jugement entrepris,- de condamner M. X...à lui payer la somme de 1000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,- de condamner M. X...aux dépens.

La société SPIE OUEST CENTRE venant aux droits de la société SIPECT soutient n'avoir commis aucun manquement à son obligation de résultat quant à la protection de la santé et de la sécurité du salarié et qu'elle disposait bien, contrairement à ce qu'allègue M. X..., d'un Comité d'hygiène et de sécurité qui n'a fait aucune remarque sur le poste de ce dernier ; que le texte applicable en matière de prévention des risques pour un emploi de manutention manuelle de charges lourdes est l'article R 231-68 du code du travail, qui recommande seulement la prise de certaines mesures alors que l'article R 4541-5 du même code, inapplicable à l'espèce car postérieur aux faits, les impose ; que M. X...a disposé du matériel adapté au transport de charges, et qu'il n'était soumis à aucune cadence particulièrement soutenue ou inhabituelle à un tel poste, ce que l'inspecteur de la caisse primaire d'assurance maladie d'Angers a constaté après avoir effectué ses investigations au sein de l'entreprise.
La société SPIE OUEST CENTRE venant aux droits de la société SIPECT soutient encore :
- que M. X...n'a occupé son poste de manière effective que 14 mois alors que la maladie déclarée est une pathologie dégénérative en rapport avec une usure de la coiffe des rotateurs et qu'elle est le résultat d'un lent processus, ce qui exclut qu'elle puisse avoir pour seule cause les travaux confiés par elle,
- que le salarié qui n'a pas informé son l'employeur de la fragilité de son état de santé ne peut pas valablement soutenir que celle-ci aurait dû avoir conscience qu'elle l'exposait à un danger particulier en lui confiant des tâches qui relevaient de ses fonctions et en mettant à sa disposition les moyens matériels nécessaires à leur exécution.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la faute inexcusable :
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles ; le manquement à cette obligation a le

caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il appartient au salarié qui invoque la faute inexcusable de son employeur de rapporter la preuve de ce que celui-ci avait, ou aurait dû avoir, conscience du danger auquel il était exposé, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
La société SIPECT a employé M. X...du 3 janvier 2001 au 29 décembre 2003, avec des périodes de suspension du contrat de travail pour maladie, et il est acquis que le salarié était employé à temps plein, à raison de 35 heures hebdomadaires, à des tâches de conduite d'un camion de livraison pour la moitié de son temps de travail et de manutention de matériels industriels en lien avec l'activité de l'entreprise pour l'autre moitié.
La société SIPECT, dont l'effectif dépassait les 50 salariés, disposait comme la loi l'y oblige d'un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.
Employant un salarié comme manutentionnaire de façon permanente, elle devait appliquer les dispositions des articles R231-66 à R231-68 du code du travail, en vigueur au moment des faits, qui définissent la manutention manuelle comme étant toute opération de transport ou de soutien d'une charge dont le levage, la pose, la poussée, la traction, le port ou le déplacement exige l'effort physique du travailleur, et qui imposent à l'employeur, lorsque la manutention manuelle ne peut pas être évitée, d'évaluer les risques que font encourir les opérations de manutention pour la sécurité et la santé des travailleurs, et d'organiser les postes de travail de façon à les éviter ou les réduire, en mettant en particulier à la disposition des travailleurs des aides mécaniques.
Ce texte n'énonce pas une simple " recommandation " comme le soutient l'employeur, car la formulation " évalue, si possible préalablement " ne signifie pas que l'évaluation n'est réalisée que si cela est possible, mais qu'il faut la faire, si possible, avant le commencement de l'exécution des tâches de manutention par le salarié.
L'employeur ne produit pas de fiche de poste. L'enquêteur de la caisse primaire d'assurance maladie d'Angers, qui a visité le poste de travail de M. X...le 27 juillet 2004, décrit les tâches qui incombaient au salarié dans ces termes :
" Au dépôt de l'entreprise :
Chargement manuel de petits matériels dans un camion : articles de visserie, de robinetterie et de tuyauterie positionnés dans des petits colis ou des boîtes.
Chargement sur le haillon du camion, à l'aide d'un chariot élévateur, de matériels ou matériaux (climatiseurs, radiateurs, chaudières, sacs de ciment) disposés sur palette.
Mise en élévation du haillon électrique puis rangement de ces matériels ou matériaux à l'intérieur du camion au moyen d'un transpalette.

Sur la route : conduite d'un camion à direction assistée.

Sur chantiers :
Chargement des marchandises soit manuellement, soit avec le transpalette et le haillon pour les marchandises les plus lourdes avec l'aide du personnel de chantier.
En moyenne une dizaine de livraisons et environ 80 à 100 kilomètres parcourus par jour Temps moyen d'un chargement et d'un déchargement ; entre 15 et 30 minutes. Poids des colis et des petites marchandises : d'environ 500 grammes à 3 ou 4 kg maximum. Poids des marchandises soulevées avec le chariot élévateur et le transpalette : d'environ 20 à 300 kg maximum. Les petites boîtes ou colis représentent en moyenne 75 % à 80 % des chargements. Une vingtaine de petits colis en moyenne par chargement. "

L'enquêteur a fait cette visite après le licenciement de M. X..., et par conséquent hors sa présence, mais accompagné de l'employeur ainsi que de M. A..., chef magasinier, de M. B..., assistant magasinier, et de M. C..., chauffeur-livreur.
Il a indiqué dans son rapport que le chargement et le déchargement des matériels correspondait à 50 % du temps d'activité, et la conduite du camion à environ 50 %.
Au terme de la procédure de reconnaissance de maladie professionnelle, le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Angers a retenu l'existence de celle-ci, au regard de l'avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Bretagne, ainsi motivé : " L'interrogatoire de l'assuré permet de dire qu'il existe bien un lien direct entre la pathologie de l'assuré et son activité professionnelle de chauffeur-manutentionnaire En effet, la livraison quasi-quotidienne de divers matériels lourds (câbles, tubes de cuivre de 3 à 5 m de long, radiateurs etc...) occasionne des mouvements répétés de l'épaule droite et des postures contraignantes au cours de son activité professionnelle ".

Il ressort des termes de l'enquête de la caisse primaire d'assurance maladie d'Angers que M. X..., pour la moitié de son temps journalier de travail, soit entre 3heures 30 et 4 heures par jour, effectuait des tâches de manutention de colis, mais aussi de matériels de robinetterie, chauffage et électricité, volumineux ou lourds, selon un rythme qui était soutenu puisque l'enquêteur indique que le salarié faisait une dizaine de livraisons sur les chantiers en cours chaque jour, et qu'il mettait à chaque fois de 15 à 30 minutes, ce qui correspond à une durée oscillant entre 2 heures 30 et 5 heures de travail, alors qu'il lui fallait déjà plus de trois heures pour assurer les trajets aller-retour entre les chantiers et l'entreprise.
Il est affirmé par l'employeur et il a été pris pour acquis par l'enquêteur de la caisse primaire d'assurance maladie d'Angers, que le chargement au dépôt des matériels les plus lourds (climatiseurs, radiateurs, chaudières, sacs de ciment), se faisait au moyen d'un " chariot élévateur " et il est indiqué que sur les chantiers, la manutention de ces mêmes matériels, au déchargement, était effectuée " soit manuellement, soit avec le transpalette et le haillon pour les marchandises les plus lourdes avec l'aide du personnel de chantier. "
¤ Quant aux manutentions en entrepôt :
L'entreprise emploie un chef magasinier et un assistant magasinier, qui avaient pour l'accomplissement de leurs propres tâches l'usage d'un chariot élévateur ;

M. X...affirme, et l'employeur ne le contredit pas, qu'il n'avait pas le diplôme permettant de conduire un chariot élévateur, et qu'il devait donc attendre le bon vouloir du magasinier pour charger les marchandises les plus lourdes ou les plus volumineuses.
Il est acquis que le chariot élévateur utilisé dans l'entrepôt servait en permanence à l'activité non pas d'un seul mais en réalité de deux magasiniers ; ce constat confirme l'affirmation de M. X...selon laquelle cet engin n'était pas ou très peu, mobilisable pour la réalisation de ses propres tâches, ce d'autant plus que chaque chargement nécessitait 15 à 30 minutes de disponibilité.
Il ne peut être retenu, dans ces conditions, qu'un moyen mécanique a été mis à la disposition du salarié, de manière permanente, pour la manutention des charges lourdes, au départ de l'entrepôt de l'entreprise.
¤ Quant aux manutentions sur les chantiers :
La présence d'un transpalette sur les divers chantiers livrés n'est qu'affirmée par l'employeur et les conditions d'emploi de cet engin ne sont pas précisées ; elle est en outre alléguée de manière générale alors que M. X...livrait journellement, ainsi que l'a établi l'enquête de la caisse d'assurance maladie, une dizaine de chantiers distincts.
La présence systématique d'une telle aide mécanique, sa mise à la disposition permanente de M. X..., n'est dès lors pas plus établie que celle du chariot élévateur en entrepôt.
Il ne peut pas plus être considéré que la société SIPECT a pris les mesures propres à préserver son salarié du risque professionnel lié à la manutention de charges lourdes sur les chantiers, lorsqu'elle invoque " l'aide du personnel de chantier " pour les déchargements, cette aide n'étant qu'alléguée, mais non formalisée, ni quantifiée et sa réalité réfutée par M. X...; l'employeur a de surcroît, lorsque le travail s'exécute dans les locaux d'une autre entreprise, le devoir de se renseigner sur les dangers courus par son salarié, ce dont la société SIPECT ne justifie pas ;

Le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Bretagne, ayant pris connaissance de l'ensemble des pièces d'enquête de la caisse d'assurance maladie, et entendu M. X..., écrit expressément dans son avis que le salarié effectuait de façon quotidienne la livraison de matériels lourds, tels des câbles et tubes de cuivre de 3 à 5 m de long, des radiateurs, ce qui générait des mouvements répétés de l'épaule droite et des postures contraignantes, termes qui témoignent de l'absence de mise en place par l'employeur d'équipements mécaniques affectés à l'activité de manutention de charges lourdes.

M. X...n'a bénéficié d'aucune formation, ni information, organisée par l'employeur sur les postures à adopter pour accomplir en sécurité les manutentions manuelles de charges lourdes, alors que les articles R231-72 et R234-6 du code du travail, dans leur rédaction applicable aux faits, le prescrivent.

Il ressort de ces éléments que M. X...accomplissait de manière habituelle et journalière des tâches de manutention manuelle de charges lourdes, sans disposer de manière permanente et organisée d'aides mécaniques ou humaines et sans avoir été formé pour diminuer le risque professionnel encouru.
Compte tenu de l'importance du temps quotidien que M. X... devait consacrer à la manutention en entrepôt ou sur les chantiers, du nombre conséquent de chantiers qu'il devait livrer journellement et, par voie de conséquence, du rythme de travail qu'il devait respecter, du poids des objets et matériels dont il devait assurer la manutention, du fait qu'il n'était pas personnellement titulaire du diplôme nécessaire à la conduite d'un chariot élévateur, l'employeur ne pouvait pas ignorer le danger auquel il l'exposait en le faisant procéder à des travaux de manutention d'une telle importance et en ne mettant à sa disposition des aides mécaniques à la manutention que de façon épisodique et très insuffisante, alors en outre qu'il n'avait pas pris le soin de lui assurer une formation à la manutention manuelle " sécurisée " des charges lourdes.
La société SIPECT n'a pas pris les mesures pour l'en préserver en ce qu'elle ne justifie pas avoir mis à sa disposition de manière systématique une aide mécanique à la manutention et il ressort des éléments du dossier, notamment de l'avis du CRRMP, retenu par le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale d'Angers du 8 avril 2008, que le manquement ainsi caractérisé de l'employeur à son obligation de sécurité est bien en lien certain et direct avec la maladie dont il est atteint puisque c'est l'absence d'aide mécanique à la manutention au sein de cette entreprise qui l'a obligé à procéder à des mouvements répétés de l'épaule droite et à adopter des postures contraignantes, peu important que M. X... ait eu des emplois antérieurs.
Par voie d'infirmation du jugement, il y a lieu de dire que la maladie professionnelle de M. X... est due à la faute inexcusable de la société SIPECT.

Sur les conséquences de la faute inexcusable :

M. X...demande à la cour de fixer, en conséquence de la reconnaissance de la faute inexcusable de la société SIPECT, la majoration de sa rente au maximum, et d'ordonner, avant dire droit, une expertise sur les préjudices visés à l'article L452-3 du code de la sécurité sociale, soit :- le préjudice lié aux souffrances physiques et morales endurées,- le préjudice esthétique,- le préjudice d'agrément,- le préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle,

La victime d'une maladie professionnelle ne peut pas poursuivre, devant les juridictions du contentieux général de la sécurité sociale, la réparation de son préjudice selon les règles du droit commun de la responsabilité contractuelle.
En effet, l'article L 451-1 du code de la sécurité sociale pose le principe selon lequel aucune action en réparation des accidents du travail ou des maladies professionnelles ne peut être exercée conformément au droit commun par la victime ou ses ayants droit.
En cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle dû à la faute inexcusable de l'employeur, l'article L 452-1 du même code ouvre droit au salarié-victime ou à ses ayants droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles L 452-2 et L 452-3 du même code.
Le premier de ces textes prévoit une majoration du capital ou de la rente alloué, tandis que le second permet à la victime de demander à l'employeur la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées, ainsi que celle de ses préjudices esthétiques et d'agrément, et celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.
Par décision no 2010-8 QPC du 18 juin 2010 rendue sur renvoi par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L 451-1 et L 452-1 à L 452-5 du code de la sécurité sociale.
Cette décision n'emporte pas de remise en cause du régime forfaitaire d'indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles, et elle ne s'analyse pas comme imposant une indemnisation complémentaire des postes de préjudice déjà couverts, même de façon imparfaite, par le livre IV du code de la sécurité sociale ; elle élargit toutefois le champ du droit à réparation des victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles dus à la faute inexcusable de l'employeur en ce qu'il en résulte que la victime ou ses ayants droit peuvent demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation, non seulement des chefs de préjudice énumérés par l'article L452-3 du code de la sécurité sociale, mais aussi de l'ensemble des dommages ou chefs de préjudice non couverts par le livre IV du dit code.
Ne peuvent donner lieu à indemnisation sur le fondement de ce texte tel qu'interprété par le conseil constitutionnel dans sa décision No2010-8 QPC du 18 juin 2010, les préjudices tels que les frais médicaux, chirurgicaux, pharmaceutiques, et accessoires, les frais de transport et d'une façon générale l'ensemble des frais nécessités par le traitement, la réadaptation fonctionnelle, la rééducation professionnelle et le reclassement de la victime, les dépenses d'appareillages actuelles et futures, dans la mesure où l'article L431-1 du livre IV du code de la sécurité sociale prévoit leur prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie ; il en est de même des frais de tierce personne après consolidation dont l'indemnisation est prévue par l'article L434-2 du même livre IV.

Le capital ou la rente éventuellement majorée dont bénéficie la victime en application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale indemnisant, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent, il n'y a pas lieu de demander à l'expert de déterminer le taux du déficit fonctionnel permanent de la victime et cette dernière ne peut pas demander réparation de ces préjudices à l'employeur sur le fondement de l'article L452-3 du code de la sécurité sociale.
Par contre, les indemnités journalières prévus par le livre IV indemnisant exclusivement la perte de salaire, la victime peut prétendre à l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire, lequel englobe, pour la période antérieure à la date de consolidation, l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que, le cas échéant, le temps d'hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, et doit être distingué du préjudice d'agrément qui répare les préjudices extra patrimoniaux permanents.
Elle peut également prétendre à la réparation de chefs de préjudice non indemnisés ou pris en charge par le livre IV du code de la sécurité sociale, tels que les frais d'aménagement du domicile et du véhicule, le préjudice sexuel et d'établissement, le premier qui englobe l'ensemble des dommages touchant à la sphère sexuelle devant être distingué et indemnisé séparément du préjudice d'agrément.
*****
La faute inexcusable de la société SIPECT ayant été retenue, M. X...a droit au bénéfice des prestations et indemnités prévues aux articles L452-2 et L452-3 du code de la sécurité sociale ; aucune faute inexcusable n'étant même alléguée à son encontre il convient d'ordonner, par application de l'article L452-2 de ce code, la majoration au maximum de la rente ou du capital qui lui est servi, laquelle majoration produira intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, étant rappelé que le cas échéant elle suivra l'évolution du taux d'incapacité de la victime.
En application du dernier alinéa de l'article L452-3 du code de la sécurité sociale la caisse primaire d'assurance maladie de Maine et Loire venant aux droits de la caisse primaire d'assurance maladie d'Angers versera directement à M. X...la majoration de rente ou de capital ci-dessus ordonnée et récupérera auprès de l'employeur les sommes dont elle fera l'avance.
M. X... a subi plusieurs arrêts de maladie et une intervention chirurgicale le 26 mai 2003 ; il bénéficie d'un taux d'incapacité permanente partielle de 10 %, fixé par le tribunal du contentieux de l'incapacité de Nantes du 25 mars 2009, de manière définitive ; la date de consolidation, rappelée dans cette décision, et que M. X...n'a à aucun moment contestée, est le 5 juin 2008.
Les éléments médicaux ci-dessus rappelés justifient la mise en oeuvre de l'expertise médicale sollicitée avant dire droit sur la réparation du préjudice corporel de M. Rehore, la mission donnée à l'expert chargé de déterminer les éléments du préjudice corporel résultant pour celui-ci de la maladie professionnelle, reconnue le 8 avril 2008, due à la faute inexcusable de son employeur, devant s'inscrire, au regard des éléments produits et des chefs de préjudice invoqués, dans le périmètre du droit à réparation déterminé par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale tel qu'interprété à la lumière de la décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010.
Les frais d'expertise seront avancés par la caisse primaire d'assurance maladie de Maine et Loire venant aux droits de la caisse primaire d'assurance maladie d'Angers.

Sur les autres demandes :

Le présent arrêt sera déclaré opposable à la caisse primaire d'assurance maladie de Maine et Loire venant aux droits de la caisse primaire d'assurance maladie d'Angers.

Les dispositions du jugement afférentes aux frais irrépétibles sont infirmées.
La société SPIE OUEST CENTRE venant aux droits de la société SIPECT est déboutée de sa demande au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.
Il convient d'allouer à M. X...une indemnité de procédure de 1200 € au titre des frais irrépétibles qu'il a d'ores et déjà exposés à ce stade de la procédure en cause d'appel, et de réserver l'application des dispositions de article R 144-10 alinéa 2 du code de la sécurité sociale, les dispositions du jugement afférentes aux dépens étant confirmées.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf quant aux dépens ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DIT que la maladie professionnelle de M. X...est due à la faute inexcusable de la société SIPECT aux droits de laquelle vient la société SPIE OUEST CENTRE ;
En application de l'article L452-2 du code de la sécurité sociale ORDONNE la majoration au maximum de la rente ou capital versé à M. X...et DIT que cette majoration qui, le cas échéant, suivra l'évolution de son taux d'incapacité, sera productive d'intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
DECLARE le présent arrêt commun à la caisse primaire d'assurance maladie de Maine et Loire venant aux droits de la caisse primaire d'assurance maladie d'Angers et DIT qu'elle versera directement à M. X...l'ensemble des majorations et indemnités destinés à réparer ses préjudices notamment la majoration de rente ou capital ci-dessus allouée ;
DIT que la caisse primaire d'assurance maladie de Maine et Loire venant aux droits de la caisse primaire d'assurance maladie d'Angers en récupérera le montant auprès de la société SPIE OUEST CENTRE venant aux droits de la société SIPECT, conformément aux dispositions des articles L452-2 et L452-3 du code de la sécurité sociale ;

DIT que l'expertise médicale ordonnée avant dire droit sur la réparation du préjudice corporel de M. Rehore a pour objet de déterminer les préjudices à caractère personnels définis à l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale, tel qu'interprété par le conseil constitutionnel dans sa décision no2010-8 QPC du 18 juin 2010 ;

ORDONNE une expertise médicale et DESIGNE pour y procéder M. le Docteur Y..., expert, CHU d'Angers-Service de rhumatologie-49933 ANGERS CEDEX 9, tél. 02. 41. 35. 35. 76, port. 06. 65. 80. 72. 35, inscrit sur la liste de la cour d'appel d'Angers, avec mission, les parties présentes, en tout cas régulièrement convoquées, de :

¤ se faire remettre l'entier dossier médical de M. X...et, plus généralement, toutes pièces médicales utiles à l'accomplissement de sa mission ; ¤ en prendre connaissance ; ¤ procéder à l'examen de M. X..., et recueillir ses doléances ;

¤ décrire de façon précise et circonstanciée son état de santé, avant et après la déclaration de maladie professionnelle, les lésions occasionnées par cette maladie professionnelle et l'ensemble des soins qui ont dû lui être prodigués ;
¤ écrire précisément les lésions dont la victime reste atteinte.
¤ fournir de façon circonstanciée, tous éléments permettant à la cour d'apprécier :
- l'étendue des souffrances physiques et morales endurées par M. X...en quantifiant ce poste de préjudice sur une échelle de 1 à 7 ;
- l'existence d'un préjudice esthétique, temporaire et/ ou permanent, en le quantifiant sur une échelle de 1 à 7 ;
- l'existence d'un préjudice d'agrément, soit l'empêchement, partiel ou total, pour la victime, de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisir ;
- l'existence d'un préjudice sexuel ;
¤ indiquer si la victime subit une perte ou une diminution de ses possibilités de promotion professionnelle et dans l'affirmative donner son avis sur l'étendue de ce préjudice ;
¤ indiquer si, avant la date de consolidation de son état de santé, M. X... s'est trouvé atteint d'un déficit fonctionnel temporaire notamment constitué par une incapacité fonctionnelle totale ou partielle, par le temps d'hospitalisation et par les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique et dans l'affirmative en faire la description et en quantifier l'importance ;
¤ indiquer si la présence ou l'assistance constante ou occasionnelle d'une tierce personne a été nécessaire auprès de la victime durant la période antérieure à la consolidation de son état de santé, et dans l'affirmative, en préciser les conditions d'intervention, notamment en termes de spécialisation technique, de

durée et de fréquence des interventions ;

¤ d'indiquer si l'état de la victime nécessite des aménagements de son logement et/ ou de son véhicule à son handicap et de les déterminer ;
¤ indiquer si la victime subit des préjudices permanents exceptionnels correspondant à des préjudices atypiques directement liés aux handicaps permanents ;
DIT que l'expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du Code de procédure civile, qu'en particulier il pourra se faire autoriser à s'adjoindre tout spécialiste de son choix, dans une spécialité autre que la sienne, et déposera son rapport dans les trois mois de la saisine ;
DIT que l'expert donnera connaissance aux parties de ses conclusions et répondra à tous dires écrits de leur part, formulés dans le délai qu'il leur aura imparti, avant d'établir un rapport définitif qu'il déposera au secrétariat greffe de la présente cour, dans les trois mois du jour où il aura été saisi de sa mission ;
DIT qu'en cas d'empêchement, il sera procédé au remplacement de l'expert par simple ordonnance sur requête ;
DIT que la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Maine et Loire venant aux droits de la caisse primaire d'assurance maladie d'Angers fera l'avance des frais d'expertise ;
FIXE à 800 € (huit cents euros) le montant de la provision à valoir sur les frais et honoraires de l'expert qui devra être versée à la Régie de la cour d'appel d'Angers par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Maine et Loire venant aux droits de la caisse primaire d'assurance maladie d'Angers dans un délai d'UN MOIS à compter de la notification du présent arrêt ;
DESIGNE Mme Dufau, conseiller, pour surveiller les opérations d'expertise ;
DIT qu'en cas d'empêchement de l'expert il sera procédé à son remplacement par simple ordonnance,
CONDAMNE la société SPIE OUEST CENTRE venant aux droits de la société SIPECT à payer à M. X...une indemnité de procédure de 1200 € au titre des frais irrépétibles qu'il a d'ores et déjà exposés à ce stade de la procédure en cause d'appel et la DEBOUTE de sa propre demande à ce titre,
RESERVE l'application des dispositions de l'article R144-10 alinéa 2 du code de la sécurité sociale.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Sylvie LE GALL Catherine LECAPLAIN-MOREL


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 11/01202
Date de la décision : 29/01/2013
Sens de l'arrêt : Expertise
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.angers;arret;2013-01-29;11.01202 ?
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