COUR D'APPEL
D'ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N
AL/ SLG
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/ 00506.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire du MANS, décision attaquée en date du 10 Février 2011, enregistrée sous le no 10/ 00330
ARRÊT DU 04 Décembre 2012
APPELANT :
Monsieur Philippe X...
...
72270 MALICORNE SUR SARTHE
représenté par monsieur Michel FONTAINE, délégué syndical, muni (e) d'un pouvoir spécial
INTIMEE :
SAS VALLÉE
ZI Sud
Boulevard Lefaucheux
72028 LE MANS
représentée par Maître Elisabeth ROLLIN, avocat au barreau du MANS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Octobre 2012 à 14 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anne LEPRIEUR, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, président
Madame Anne DUFAU, conseiller
Madame Anne LEPRIEUR, conseiller
Greffier lors des débats : Madame LE GALL, greffier
ARRÊT :
prononcé le 04 Décembre 2012, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame LECAPLAIN-MOREL, président, et par Madame LE GALL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCEDURE
M. Philippe X...a été engagé en qualité de carreleur par la société Vallée soumise aux dispositions de la convention collective nationale des ouvriers du bâtiment, selon contrat à durée indéterminée du 16 février 2001.
Déclaré inapte à son poste de travail de carreleur par le médecin du travail le 7 juin 2004, il a été reclassé en qualité de peintre d'intérieur, après suivi d'un stage de formation continue dans le cadre d'une convention de reclassement professionnel.
Par lettre du 30 avril 2010, et après entretien préalable du 7 avril 2010, il lui a été notifié un avertissement en les termes suivants :
Dans le cadre de votre intervention sur le chantier « Techni Campus », nous avons constaté un manque de rendement et de finition dans la réalisation des travaux de peinture.
Au regard des travaux à exécuter (une couche de finition sur les murs, le temps estimé par chambre est de 1 heure 30), vous devriez réalisé 5 chambres par jour. Or votre rendement est de 5 chambres en un jour et demi.
Par ailleurs, vous n'avez pas utilisé les rouleaux à peindre spécifiques et préconisés par l'entreprise, afin de poser les finitions en une seule couche.
Les pièces peintes par vos soins ont du être reprises, la qualité du travail n'était pas acceptable.
Nous avons du vous changer de chantier afin de ne pas retarder les Interventions.
Sur le chantier « Parking du ralliement à Angers », vous avez effectué les lettrages sur les poteaux du parking-les lettrages avec l'indice B ont été effectués à l'envers, ces lettrages ont du être repris-
Ces travaux de peinture ne présentaient pas de difficultés particulières, et sont des travaux de base, que vous devriez avoir acquis.
En qualité de compagnon, vous devez être attentif aux temps réalisés et à la qualité du travail.
(...) Nous vous demandons de vous repositionner et de tout mettre en œ uvre afin de satisfaire aux exigences de qualité et de temps.
Le 2 juin 2010, M. X...a saisi la juridiction prud'homale aux fins de voir prononcer l'annulation de cet avertissement, condamner la société au paiement de la somme de 5 000 € de dommages-intérêts pour préjudice moral et de 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 10 février 2011 rendu en premier ressort, le conseil de prud'hommes du Mans l'a débouté de l'intégralité de ses demandes.
Le salarié a régulièrement interjeté appel dudit jugement.
M. X...s'est trouvé en arrêt de travail à compter du 4 mai 2011. Il souffre d'une spondylarthrite, affection de longue durée. Il a été reconnu invalide à compter du 1er décembre 2011.
Selon un seul certificat médical du 3 janvier 2012 visant le danger immédiat et l'article R. 4624-31 du code du travail, le salarié a été déclaré inapte définitivement " à tout poste de travail dans l'entreprise Vallée ", le médecin du travail précisant : " L'état de santé du salarié ne permet pas d'envisager un travail à quelque poste que ce soit dans l'entreprise. "
Par lettre en date du 26 janvier 2012, il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
En cause d'appel, le salarié sollicite l'annulation de l'avertissement, la condamnation de la société au paiement de la somme de 25 000 € de dommages-intérêts pour préjudice moral et harcèlement, celle de 12 500 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que celle de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il fait valoir que la sanction qui lui a été infligée est disproportionnée par rapport aux faits reprochés et qu'il a été victime de la part de son supérieur hiérarchique de faits de harcèlement ayant conduit à la reconnaissance de son inaptitude. En outre, la société n'a formulé aucune proposition de reclassement. Il en déduit que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse.
En défense, la société conclut au débouté intégral et sollicite la condamnation du demandeur au paiement de la somme de 350 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
S'agissant de l'avertissement, elle estime que les faits reprochés au salarié (soit un manque de rendement, un manque de finition et la non-utilisation du matériel préconisé par l'entreprise) sont avérés, que le statut de travailleur handicapé du salarié n'atténue pas la réalité de ses fautes et que la sanction est proportionnée.
S'agissant du licenciement, elle soutient que le salarié n'établit pas la matérialité de faits précis et concordants susceptibles de constituer une situation de harcèlement et que la recherche d'un poste de reclassement, faite auprès des sociétés du groupe, s'est avérée infructueuse.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.
MOTIFS DE LA DECISION
-Sur l'annulation de l'avertissement :
La forme de la sanction disciplinaire dont il s'agit n'est pas contestée ; seul l'est son caractère proportionné.
S'agissant des faits commis sur le chantier « Parking du ralliement à Angers », il est établi par les photographies produites aux débats que la lettre " B " a été peinte à l'envers et il n'est pas contesté que ces faits sont imputables au salarié. Il ne peut néanmoins être affirmé que cette exécution défectueuse de la prestation de travail résulte de la mauvaise volonté délibérée du salarié, plutôt que de son insuffisance professionnelle, et soit donc sanctionnable sur le plan disciplinaire.
S'agissant des faits commis sur le chantier " Techni campus ", le salarié ne conteste pas ne pas avoir utilisé le matériel spécifique préconisé par l'entreprise et donc avoir omis de respecter les directives de son supérieur hiérarchique, ce fait ayant une incidence sur la qualité du travail fourni et sur sa rapidité d'exécution. Ce fait, avéré, est délibéré et sans lien aucun avec le handicap dont souffre le salarié. Il suffit à lui seul à justifier la sanction qui lui a été infligée, laquelle n'est nullement disproportionnée.
Le jugement du conseil de prud'hommes sera donc confirmé de ce chef.
- Sur le harcèlement moral :
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'article L. 1152-4 du même code oblige l'employeur, tenu envers ses salariés d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, à prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.
L'article L. 1154-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
On rappellera à titre préliminaire que l'exercice par l'employeur de son pouvoir disciplinaire n'est pas constitutif de harcèlement moral lorsque la sanction prononcée est justifiée et proportionnée. En outre, l'employeur justifie avoir, dès le mois de juin 2010, proposé à son salarié de suivre une formation de perfectionnement sous forme de période de professionnalisation, afin de remédier aux difficultés rencontrées par lui-même sur les chantiers, tant en ce qui concerne la qualité de son travail que son temps d'exécution. Le salarié a effectivement suivi un stage de perfectionnement courant janvier 2011.
En l'espèce, le salarié n'impute pas de faits de harcèlement à son employeur mais exclusivement à un salarié, soit en l'occurence son supérieur hiérarchique, M. Y..., de la part duquel il aurait fait l'objet de brimades depuis mai 2006, ce qui l'a amené à tenter de se suicider le 26 mai 2011.
Pour étayer ses affirmations, M. X...produit notamment :
* une lettre adressée à la CPAM par son épouse le 1er juin 2011 demandant que son arrêt de travail, consécutif à sa tentative de suicide, soit considéré comme imputable à un accident du travail ;
* un certificat médical d'un médecin généraliste en date du 29 juin 2011 indiquant que l'intéressé a été hospitalisé du 26 mai 2011 au 8 juin 2011 " pour une pathologie secondaire à des difficultés à son travail " ;
* un certificat à l'attention du médecin-conseil en date du 29 juin 2011 émanant d'un médecin-psychiatre selon lequel M. X..." a effectué une ébauche de tentative de suicide par noyade le 26 mai 2011. Il était au préalable en arrêt de travail depuis le 4 mai. Il allègue que son état dépressif et son passage à l'acte sont liés aux conditions qu'il rencontre à son travail. Il souhaite que sa tentative de suicide soit considérée comme accident du travail " ;
* un courrier du médecin du travail retraçant les éléments de son suivi médical et faisant état de diverses doléances du salarié, notamment quant à des " remontrances sur sa cadence " de travail ainsi que les visites médicales auxquelles il a été procédé ;
* deux attestations datées du 27 février 2012 émanant de MM. Z...et A..., selon lesquelles ceux-ci auraient été témoins du " harcèlement moral que M. Y...Thierry a infligé à M. X...Philippe sur les chantiers CHS d'Allonnes, Technicampus, Pôle femme-mère-enfant... ".
La caisse primaire d'assurance-maladie a refusé en janvier 2012 de prendre en charge au titre de la législation relative aux risques professionnels la maladie dont était atteint le salarié.
Il est indéniable que la santé psychologique de M. X...s'est trouvée altérée.
Quant à la cause de cette altération, les pièces produites par le salarié se bornent à faire état, soit de difficultés professionnelles sans aucune précision sur leur origine, soit " de harcèlement ", sans aucune précision sur les faits matériels susceptibles d'être constitutifs de harcèlement. Le salarié n'articule aucun fait précis (nature et répétition des brimades ou remontrances injustifiées, etc...) à l'encontre de son supérieur hiérarchique, M. Y.... De même, les attestations de MM. Z...et A..., au demeurant rédigées de la même main et en termes strictement identiques, ne mentionnent l'existence d'aucun fait précis. Aucun agissement n'a été dénoncé auprès de l'employeur par le médecin du travail, les délégués du personnel, les représentants syndicaux ou le salarié.
Dans ces conditions, en l'état de l'ensemble des explications et des pièces fournies, la matérialité d'éléments de fait précis et concordants laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral n'est pas démontrée.
Une analyse contraire aboutirait à faire peser sur l'employeur la charge d'une preuve impossible, à savoir la preuve de ce que des agissements-indéterminés par hypothèse-ne sont pas constitutifs de harcèlement et s'expliquent par des éléments objectifs. La demande relative au harcèlement sera par conséquent rejetée.
Le jugement du conseil de prud'hommes sera donc également confirmé de ce chef.
- Sur le licenciement :
L'inaptitude a été régulièrement constatée. L'employeur, s'il n'a proposé aucun poste de reclassement, justifie par les pièces produites avoir, après la constatation de l'inaptitude par le médecin du travail et avant le licenciement, recherché-vainement-une solution de reclassement personnalisée et adaptée aux conclusions du médecin du travail, et ce tant en interne qu'auprès des sociétés du groupe auquel il appartient, soit les sociétés Scarev, Vallee anticorrosion et Vallee Atlantique. Il n'est par ailleurs pas contesté que les postes disponibles, tels qu'énumérés dans la lettre de licenciement, n'étaient pas compatibles, soit avec l'état de santé du salarié, soit avec ses aptitudes, même après une formation.
Le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Déboute M. X...de sa demande en paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Condamne M. X...aux dépens d'appel ;
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Sylvie LE GALLCatherine LECAPLAIN-MOREL