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11/09/2012 | FRANCE | N°10/02880

France | France, Cour d'appel d'Angers, Chambre sociale, 11 septembre 2012, 10/02880


COUR D'APPEL D'ANGERS Chambre Sociale

ARRÊT N
CLM/ AT
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/ 02880
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire du MANS, décision attaquée en date du 12 Novembre 2010, enregistrée sous le no 07/ 00298

ARRÊT DU 11 Septembre 2012

APPELANTE :

Société CLAAS FRANCE Avenue du Parc Médicis 94832 FRESNES CEDEX

représentée par Maître Marie-Béatrix FONADE, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE :

Madame Marie-Claude X... ...72100 LE MANS

présente, ass

istée de Maître Thierry PAVET (SCP), avocat au barreau du MANS (No du dossier 270840)

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affa...

COUR D'APPEL D'ANGERS Chambre Sociale

ARRÊT N
CLM/ AT
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/ 02880
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire du MANS, décision attaquée en date du 12 Novembre 2010, enregistrée sous le no 07/ 00298

ARRÊT DU 11 Septembre 2012

APPELANTE :

Société CLAAS FRANCE Avenue du Parc Médicis 94832 FRESNES CEDEX

représentée par Maître Marie-Béatrix FONADE, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE :

Madame Marie-Claude X... ...72100 LE MANS

présente, assistée de Maître Thierry PAVET (SCP), avocat au barreau du MANS (No du dossier 270840)

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 29 Mai 2012 à 14 H 00 en audience publique et collégiale, devant la cour composée de :
Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, président Madame Brigitte ARNAUD-PETIT, assesseur Madame Anne DUFAU, assesseur

qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame LE GALL, greffier

ARRÊT : du 11 Septembre 2012, contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par madame LECAPLAIN MOREL, président, et par Madame LE GALL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire. *******

FAITS ET PROCÉDURE :

Suivant lettre d'engagement du 3 avril 1969, Mme Marie-Claude B..., devenue ensuite épouse X..., a été embauchée par la Régie nationale des usines Renault en qualité de dactylographe. Après le rachat de la société Renault Agriculture par la société CLAAS FRANCE, le contrat de travail de Mme Marie-Claude X... a été transféré à cette société à compter du 1er octobre 2004. Par avenant du 28 novembre 2005 à effet au 1er octobre précédent, elle a été nommée " assistante administrative " position maîtrise, coefficient 225. Dans le dernier état de la relation de travail, elle percevait un salaire brut mensuel de 2 333 € outre une prime d'ancienneté mensuelle de 466, 60 € et elle avait atteint le coefficient 290.

Après avoir été, par lettre recommandée du 5 février 2007, convoquée à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement pour le 14 février suivant, entretien qui fut reporté à sa demande au 27 février, par lettre recommandée du 23 mars 2007, Mme Marie-Claude X... s'est vue notifier son licenciement pour faute grave motif pris, à titre principal, de l'utilisation, pendant son temps de travail, du matériel informatique et de l'accès à Internet mis à sa disposition par l'employeur à des fins personnelles, étrangères à ses fonctions, et consistant essentiellement dans la consultation d'un nombre considérable de sites à caractère pornographique, en tout cas, d'un absentéisme injustifié, et pendant un temps considérable, de son poste de travail.
Le 21 mai 2007, Mme Marie-Claude X... a saisi le conseil de prud'hommes afin de contester son licenciement, et d'obtenir le paiement des indemnités de rupture.
Par jugement du 28 novembre 2008 rendu en formation de départage, le conseil de prud'hommes du Mans a, avant dire droit sur le bien fondé du licenciement, ordonné une mesure d'expertise aux frais avancés de la société CLAAS FRANCE en donnant mission à l'expert :- de se faire remettre le disque dur du poste informatique de Mme Marie-Claude X... et tous listings de consultation Internet depuis ce poste,- d'indiquer si la lecture du disque dur est toujours possible ; dans la négative, d'en préciser les raisons en expliquant si cette impossibilité est imputable au formatage de l'unité centrale ou à tout autre procédé ;- dans l'affirmative, de déterminer le volume, la nature et les heures des consultations sur Internet à partir du poste de Mme Marie-Claude X... ; de préciser si ces consultations informatiques ont eu lieu au cours des jours travaillés par cette dernière et pendant ses heures de travail ;- d'apporter toutes précisions utiles sur les sites consultés depuis le poste de travail de Mme Marie-Claude X.... Les dépens ont été réservés.

Par arrêt du 8 décembre 2009, la présente cour a déclaré irrecevable l'appel formé par Mme Marie-Claude X... contre ce jugement avant dire droit.

M. Patrice C..., désigné en qualité d'expert, a déposé son rapport le 14 juin 2010.

Par jugement du 12 novembre 2010 auquel le présent renvoie pour un ample exposé, le conseil de prud'hommes du Mans, statuant en formation de départage a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire prévue par l'article 515 du code de procédure civile :- déclaré le licenciement de Mme Marie-Claude X... dépourvu de cause réelle et sérieuse ;- en conséquence, condamné la société CLAAS FRANCE à lui payer les sommes suivantes : ¤ 6 030 € d'indemnité compensatrice de préavis outre 603 € de congés payés afférents, ¤ 36 182 € d'indemnité conventionnelle de licenciement, ¤ 105 000 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;- ordonné la remise par la société CLAAS FRANCE d'un bulletin de paie afférent aux condamnations salariales, d'un certificat de travail et d'une attestation ASSEDIC rectifiée ;- débouté la société CLAAS FRANCE de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamnée à payer à Mme Marie-Claude X... une indemnité de procédure de 2 500 € ;- rappelé que la rémunération de l'expert s'élevait à la somme de 3 147, 63 € et ordonné le versement, par la société CLAAS FRANCE à l'expert, de la somme de 1 147, 63 € représentant le solde dû de ses honoraires ;- condamné la société CLAAS FRANCE aux dépens, en ce compris les frais d'expertise.

La société CLAAS FRANCE et Mme Marie-Claude X... ont reçu notification de ce jugement respectivement les 17 et 18 novembre 2010. La société CLAAS FRANCE en a régulièrement relevé appel par lettre recommandée postée le 22 novembre 2010.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Aux termes de ses écritures enregistrées au greffe le 11 janvier 2012, soutenues oralement à l'audience, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer, la société CLAAS FRANCE demande à la cour :
- à titre principal, d'infirmer le jugement entrepris, de juger que le licenciement de Mme Marie-Claude X... est bien fondé sur une faute grave, de la débouter de l'ensemble de ses prétentions, de la condamner à lui rembourser les sommes versées au titre de l'exécution provisoire ainsi que les honoraires de l'expert judiciaire avec intérêts de droit, et à lui payer la somme de 3 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- à titre subsidiaire, de juger que le licenciement de Mme X... est fondé sur une cause réelle et sérieuse et de la débouter de sa demande de dommages et intérêts ;

- à titre infiniment subsidiaire, de minorer très largement les dommages et intérêts alloués à Mme Marie-Claude X....

L'employeur soutient que, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, il rapporte la preuve tant de la réalité que de la gravité des faits reprochés, et de leur imputabilité à l'intimée. Il conclut au rejet de l'attestation établie par M. D...en ce qu'elle ne satisfait pas aux exigences de l'article 202 du code de procédure civile. Il fait valoir en outre que, contrairement aux allégations de la salariée, celle-ci disposait d'un code d'accès qui lui a été fourni, non par son supérieur hiérarchique, mais directement et personnellement par le responsable d'exploitation des systèmes informatiques, de sorte qu'il est faux de prétendre que son supérieur hiérarchique pouvait connaître ce code ; qu'il est tout aussi inexact de soutenir que ce code n'était pas modifiable, cette demande pouvant être formulée par tout salarié auprès du service informatique de l'entreprise, de même qu'il est faux de soutenir que n'importe quel salarié connaissait le code d'accès de Mme X... dans la mesure où les codes remis à chaque salarié lui sont personnels, sont confidentiels et ne doivent pas être communiqués aux collègues de travail, de sorte que, à supposer que le mot de passe Internet de Mme X... ait été connu d'autres salariés et qu'ils aient pu l'utiliser à son détriment, il s'en déduit qu'elle a commis une faute à l'égard de son employeur en violant l'obligation de confidentialité qui s'imposait à elle ; que si, par contre, elle a bien préservé cette confidentialité, la consultation massive des multiples sites révélés par l'étude de son ordinateur ne peut que lui incomber.

La société appelante fait observer que Mme X... avait déjà fait l'objet d'un rappel à l'ordre du responsable informatique en raison de son usage excessif d'internet à des fins personnels. Elle ajoute que l'examen des listings mensuels de consultation internet, mentionnant le code confidentiel attribué à Mme X..., révèle que le volume de ces consultations est directement proportionnel au nombre de jours travaillés par celle-ci et que ce volume de consultation a étonnamment chuté en février 2007 après sa convocation à l'entretien préalable. Elle estime donc que ces listings mensuels de consultation internet mentionnant le code confidentiel attribué à Mme X... font preuve du volume et de la nature des consultations réalisées par cette dernière au cours de son travail, mais aussi de leur imputabilité à l'intéressée puisque c'est son code confidentiel qui a été utilisé ; que ces consultations multiples, représentant un temps de connexion considérable, à des fins personnelles, pendant le temps de travail, avec l'outil de travail, de sites pornographiques caractérisent une violation de l'obligation de loyauté et du règlement intérieur, constitutive d'une faute grave, à tout le moins, d'une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Aux termes de ses écritures enregistrées au greffe le 2 avril 2012, soutenues oralement à l'audience, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer, formant appel incident, Mme Marie-Claude X... demande à la cour :

- de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l'exception du montant des dommages et intérêts alloués pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et sauf à préciser que les condamnations à caractère salarial porteront intérêts de droit à compter du jour de la saisine du conseil de prud'hommes avec capitalisation des intérêts ;
- de condamner la société CLAAS FRANCE à lui payer la somme de 140 000 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;- de la condamner au paiement d'une indemnité de procédure de 4 000 € en cause d'appel et à supporter les entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise.

L'intimée soutient que la brutale procédure de licenciement litigieuse se situe dans les suites d'une contestation qu'elle a élevée au sujet de son coefficient professionnel, avec saisine de la direction départementale du travail et de l'emploi, réclamation qui lui a, selon elle, valu l'animosité de la responsable des ressources humaines et des demandes plus ou moins pressantes concernant un éventuel départ en pré-retraite.
Elle dénie totalement les accusations portées à son encontre, argue de ce qu'elles procèdent d'une véritable machination pour l'évincer et conteste les affirmations de l'employeur selon lesquelles elle n'aurait pas, lors de l'entretien préalable, nié les consultations alléguées contre elle. Elle indique que sa hiérarchie lui a téléphoné à son domicile fin avril 2007 pour faire pression sur elle et lui proposer une transaction contraire à ses intérêts, comportement qui l'a amenée à régulariser une déclaration de main courante au commissariat de police le 28 avril 2007.

Au fond, elle oppose que la société CLAAS FRANCE s'est toujours avérée, dès le début de la procédure prud'homale, dans l'incapacité de rapporter la preuve des faits invoqués tout autant que celle de leur imputabilité, et que cette défaillance ressort encore des opérations d'expertise puisque, l'employeur ayant procédé, très rapidement après son licenciement, à un formatage du disque dur de l'ordinateur mis à sa disposition, l'expert n'a pu que constater que toutes les informations ayant figuré sur le disque dur avaient été effacées sans possibilité de les restaurer. Elle ajoute que, situé sur un plateau ouvert, son poste de travail était très facile d'accès et que cet accès était indispensable pour permettre aux chefs de produits d'utiliser un scanner se trouvant sur son bureau. Elle estime que l'implantation de celui-ci dans un tel lieu ouvert, avec accès à tous de son poste de travail rend invraisemblable l'allégation d'une consultation massive de sites pornographiques pendant ses heures de travail, une telle pratique ayant été de nature à l'empêcher d'accomplir ses tâches en temps utile, alors qu'aucun grief ne lui a jamais été adressé à cet égard. Elle maintient également que le code d'accès à son poste informatique était connu d'autres salariés.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur le licenciement :
Attendu que la lettre de licenciement adressée à Mme Marie-Claude X... le 23 mars 2007, et qui fixe les termes du litige, est ainsi libellée :
" Madame,... Il vous est reproché d'avoir, pendant vos heures de travail et depuis votre poste de travail, utilisé l'ordinateur mis à votre disposition ainsi que l'accès Internet pour consulter des sites à caractère pornographique et des sites sans lien avec votre activité professionnelle, en violation des dispositions du règlement intérieur de l'entreprise.

Il résulte de notre règlement intérieur qu'il est interdit aux salariés d'utiliser le matériel mis à sa disposition en vue de l'exécution du travail à des fins personnelles, et qu'est considérée comme un acte fautif l'utilisation à des fins personnelles, ludiques, pornographiques, diffamatoires etc. des moyens informatiques (notamment électroniques, Internet).

Le règlement intérieur précise également que la société CLAAS France se réserve le droit d'effectuer tout contrôle de l'utilisation effectuée des matériels, messageries électroniques et Internet.
Or, il apparaît que vous avez consulté, au cours des derniers mois, un nombre considérable de sites n'ayant aucun lien avec votre activité professionnelle, et pour la plupart à caractère pornographique. Le nombre de consultations s'élève ainsi à :-63 628 en octobre 2006, avec un volume de fichiers de 475 104, 34 Ko ;-53 747 en novembre 2006, avec un volume de fichiers de 463 689, 7 Ko ;-28 260 en décembre 2006, avec un volume de fichiers de 252 344, 77 Ko étant précisé que la fermeture annuelle est intervenue le 21 décembre 2006 au soir ;-6 471 en janvier 2007, avec un volume de fichiers de 33 660, 09 Ko, alors que vous avez repris le travail le 4 janvier 2007 (fin de la période de fermeture annuelle), que vous avez été en formation le 10 janvier et en arrêt de travail pour maladie à compter du 11 janvier.

Lors de l'entretien préalable, vous avez tout nié en bloc, en affirmant qu'il s'agissait d'une machination à votre encontre et que tout s'était déroulé pendant votre arrêt de travail, alors même que nous vous avons fait remarquer que les consultations avaient été effectuées pendant que vous étiez présente dans l'entreprise, à partir de votre ordinateur et de vos codes d'accès dont vous êtes la seule à disposer.
L'utilisation à des fins personnelles du matériel mis à votre disposition par l'entreprise, pendant votre temps de travail-donc au lieu de vous consacrer pleinement à vos tâches-, et qui plus est pour consulter des sites à caractère pornographique, est inacceptable, d'autant que le nombre de pages consultées permet d'imaginer le peu de temps que vous avez dû réserver à l'exécution de vos fonctions. En tout état de cause, à supposer même que vous ayez donné votre mot de passe personnel à l'un ou plusieurs de vos collègues, cela signifierait que vous vous êtes absentée de votre poste de travail pendant un temps considérable eu égard à la quantité très importante de pages consultées, sans aucune justification.

Ces faits sont constitutifs d'une faute grave rendant impossible la poursuite de la collaboration... " ;
Attendu que la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; qu'il incombe à l'employeur d'en rapporter la preuve et que, conformément aux dispositions de l'article L. 1235-1 du code du travail, s'il existe un doute, il profite au salarié ;
Attendu que les faits reprochés à l'intimée aux termes de la lettre de licenciement consistent en :- l'utilisation massive, pendant son temps de travail et depuis son poste de travail, de l'ordinateur et de l'accès à Internet mis à sa disposition par l'employeur pour consulter des sites à caractère pornographique et des sites sans lien avec son activité professionnelle,- en tout cas, un absentéisme injustifié et pendant un temps considérable de son poste de travail ;

Attendu, comme l'ont exactement rappelé les premiers juges, qu'en matière d'utilisation par le salarié du matériel informatique mis à sa disposition par l'employeur pour les besoins de l'exercice de son activité et, notamment, s'agissant de la consultation des sites Internet par le salarié, l'employeur peut établir la preuve de ces consultations, de leur nature, de leur étendue en procédant à l'enregistrement de l'historique des pages web consultées, à une analyse du disque dur du poste informatique remis au salarié, à une analyse des connexions réseau et à un rapprochement entre les dates et heures auxquelles sont intervenues ces connexions et les heures de présence du salarié dans l'entreprise ;

Attendu que la société CLAAS FRANCE a remis à l'expert un ordinateur Hp Compaq de type d530 SFF, numéro de série constructeur : FRB350036N, correspondant à celui confié à Mme Marie-Claude X... par son employeur selon l'inventaire du matériel annexé au rapport d'expertise ; que l'expert a identifié la marque, le modèle et le numéro de série du disque dur installé sur cet ordinateur, a démarré celui-ci et constaté qu'il fonctionnait ;
Attendu qu'il est constant, et ce fait est confirmé par le rapport d'expertise établi par M. Patrice C..., que, deux semaines après le licenciement litigieux, la société CLAAS FRANCE a, dans le cadre du renouvellement du parc informatique, remplacé l'ordinateur du poste de travail de Mme Marie-Claude X... par un nouveau matériel et qu'après ce remplacement, son service informatique a procédé à deux ghost successifs sur l'ancien ordinateur de l'intimée ; que l'expert explique que le ghost consiste à mettre en place, sur le disque dur de l'ordinateur une image, telle une installation de Windows avec des paramètres propres à l'environnement de la société CLAAS FRANCE, sans donnée d'utilisateur et qu'il a pour conséquence technique la perte de l'intégralité du contenu du disque dur tel qu'il se présentait avant cette opération, les données écrasées étant irrémédiablement effacées ;
Que, le contenu du disque dur de l'ordinateur attribué à Mme X... ayant été détruit et perdu par les deux ghost successifs dont il a été l'objet, l'appelante a fait intervenir la société Kroll Ontrack, dont l'expert indique qu'elle est leader et reconnue en matière de récupération de données après effacement ou destruction partielle d'unité de stockage, aux fins de tentative de reconstruction des données du disque dur de l'ordinateur de la salariée ; que M. Patrice C...relève que cette intervention, matérialisée par l'apposition sur le disque dur d'une étiquette bleue Kroll Ontrack cf7088, n'a pas permis de reconstituer les données de ce disque dur, seule étant apparue une trace de connexion sur le site " www. mrsexe. com " qu'il est impossible de dater ; Attendu qu'aux termes du rapport d'expertise informatique qu'elle a établi le 12 octobre 2007 et qui est annexé au rapport d'expertise judiciaire, la société Kroll Ontrack a conclu :- qu'aucun fichier image de nature inapproprié n'était enregistré sur le disque dur analysé,- qu'aucune trace de connexion sur des sites inappropriés n'était enregistrée dans l'historique de navigation,- que seule une trace de connexion sur le site " www. mrsexe. com " avait été trouvée mais qu'il était impossible de la dater ;

Attendu qu'il s'ensuit, comme le conclut l'expert judiciaire, que, l'exploitation du disque dur de l'ordinateur qu'utilisait Mme X... ayant été rendue impossible du fait des opérations de destruction réalisées par l'employeur dans les suites immédiates du licenciement, aucune information ne peut être tirée de ce disque dur quant à la réalité même des consultations de sites Internet alléguées, ni, a fortiori, quant à la nature, à l'ampleur, à la fréquence de ces éventuelles consultations et aux moments auxquels elles seraient intervenues ;

Attendu que la société CLAAS FRANCE verse aux débats et a produit à l'expert judiciaire des " statistiques de la navigation sur internet " fournies par son service informatique pour les mois de novembre et décembre 2006, janvier et février 2007, listant l'ensemble des sites internet consultés au cours de ces périodes à partir du code utilisateur " p041626. agri " remis à Mme Marie-Claude X... en novembre 2000 ; que ces relevés statistiques mentionnent, pour chaque mois, le nombre de " hits " enregistrés, le volume transféré en Méga octets, le nombre de sites consultés ; attendu que l'expert judiciaire précise qu'un hit est une demande d'accès à un fichier (image, texte etc..) formée lors de l'appel d'une page web par un navigateur, cette requête laissant une trace sur le serveur ;
Attendu que l'expert souligne, tout d'abord, que ces relevés de consultations fournissent une unité de mesure non précise des hits et de leurs volumes, de sorte que leur exploitation ne permet pas de déterminer le volume, la nature et les heures des consultations réalisées sur Internet au moyen du code utilisateur " p041626. agri " ; qu'il a conclu à la nécessité de détailler ces relevés afin d'être en mesure, d'une part, de déterminer si les consultations répertoriées étaient issues d'un ou de plusieurs ordinateurs, le code utilisateur remis à l'intimée n'étant pas lié à l'utilisation d'un seul ordinateur mais pouvant être utilisé en même temps par d'autres ordinateurs du site CLAAS FRANCE, d'autre part, d'obtenir les dates et heures de connexions ; qu'il apparaît que la société France Telecom n'a pas été en mesure de compléter les relevés de consultations en fournissant les indications manquantes ;
Attendu que l'absence de confidentialité du code utilisateur remis à Mme X... est corroborée par le témoignage de M. Christian D..., cadre informaticien, responsable des structures informatiques de la société CLAAS Réseau Agricole dont le siège social est situé à Vélizy, le lieu de travail du témoin étant situé au Mans ; que celui-ci qui, en novembre 2000, époque de remise à Mme X... du code utilisateur " p041626. agri ", était responsable de l'équipe d'exploitation chargée de créer les éléments de sécurité (code d'accès et mots de passe inscrits sur la fiche de sécurité) atteste que jamais son équipe n'a remis directement et sans intermédiaire ces éléments de sécurité aux intéressés ; attendu que cette attestation, rédigée de la main de son auteur et assortie de la photocopie de sa pièce d'identité, répond parfaitement aux exigences de l'article 202 du code de procédure civile en ce qu'en outre le témoin y relate des faits qu'il a personnellement constatés ; que rien ne justifie en conséquence que cette attestation, constitutive de la pièce communiquée no 27 de l'intimée soit écartée des débats ;
Attendu, en outre, que la société CLAAS FRANCE verse aux débats le courrier du 20 novembre 2000, signé de M. D..., portant transmission à Mme Marie-Claude X... des mots de passe et codes d'accès aux différents systèmes ou applications informatiques (9 en tout) auxquels elle était autorisée à se connecter ; que, s'agissant de la " messagerie ", ce document mentionne dans la case " code utilisateur " : " Nom " et dans la case " mot de passe " : " ****** ", tandis que, s'agissant de l'" Internet ", il mentionne dans la case " code utilisateur " : " p041626. agri " et dans la case " mot de passe " : " dgetlf " ; Attendu qu'aucun élément ne permet d'établir comment ce document, non signé de Mme X..., lui a été transmis ; qu'en outre, s'agissant du caractère confidentiel des éléments transmis, cette lettre énonce seulement : " ******Le mot de passe sécurisant l'accès à votre boîte à lettre est sous votre responsabilité. Sa création et son changement sont de votre ressort. Personne d'autre que vous ne peut ou ne doit le connaître. IL EST OBLIGATOIRE " ; Qu'il suit de là qu'outre l'absence de démonstration du caractère confidentiel de la transmission des codes utilisateurs et mot de passe, la seule prescription de confidentialité concerne le mot de passe de la messagerie mentionné au moyen de six étoiles ;

Attendu que M. C...a donc conclu qu'en considération de la configuration de l'utilisation du code utilisateur de Mme X... (non lié à l'utilisation d'un seul ordinateur mais pouvant être utilisé en même temps par d'autres ordinateurs du site CLAAS FRANCE) et du caractère insuffisant des informations techniques figurant sur les relevés des consultations produits par l'employeur, il n'était pas possible non plus d'exploiter les relevés des consultations, et de déterminer techniquement, à partir de ces documents, le volume, la nature et les heures des consultations imputables à Mme X... ;
Attendu qu'il suit de là que, contrairement à ce que soutient l'employeur, il ressort des opérations d'expertise judiciaire et des éléments versés aux débats que ces relevés de consultations ne suffisent pas, à eux seuls, à faire la preuve des faits reprochés à Mme Marie-Claude X... consistant en une utilisation excessive de l'outil informatique et de l'accès à Internet mis à sa disposition, à des fins personnelles et pour consulter des sites à caractère pornographique ;
Attendu qu'il convient d'ajouter que la société CLAAS FRANCE ne justifie d'aucun rappel à l'ordre personnalisé adressé à cette dernière au sujet d'un excès de consultations Internet pour des besoins étrangers au travail ; qu'elle verse aux débats un e-mail adressé le 12 septembre 2005 par M. Michel E...à l'ensemble des collaborateurs de l'entreprise pour souligner une " très nette dérive " de l'utilisation d'internet à des fins non professionnelles (40 % des connexions) et rappeler qu'un tel usage devait rester exceptionnel ; Attendu que l'attestation établie par M. Michel E..., directeur des systèmes d'information de la société Renault Agriculture et, par délégation, des moyens informatiques mis à la disposition du personnel de la société CLAAS FRANCE, ne permet pas d'établir la réalité du rappel à l'ordre allégué en ce qu'elle est vague, le témoin affirmant seulement, sans circonstancier son propos, avoir pu constater, en sa qualité de responsable des systèmes d'information depuis 1992 et lors des contrôles périodiques de l'usage d'Internet que le nombre

de consultations Internet de Mme X... à des fins personnelles était " particulièrement important " et que, selon les usages en vigueur dans l'entreprise, cette situation a donné lieu à un premier avertissement oral, puis à communication des informations à la hiérarchie ; qu'aucune trace objective de la communication ainsi alléguée n'est toutefois produite ;
Attendu que la preuve d'un absentéisme injustifié de Mme X... de son poste de travail pendant un temps considérable au motif qu'elle aurait confié son mot de passe à un collègue n'est pas plus rapportée dans la mesure où, d'une part, l'employeur lie l'absentéisme ainsi allégué à la navigation sur Internet à partir de l'ordinateur de Mme X... alors qu'il s'est avéré impossible de déterminer techniquement, notamment le volume et les heures de consultations à partir de ce poste, et où, d'autre part, il apparaît que le code utilisateur ayant permis ces consultations pouvait être utilisé à partir d'un autre poste informatique ;
Que la preuve de la matérialité des faits allégués au soutien du licenciement et de leur imputabilité à l'intimée faisant défaut, l'employeur est mal fondé tant en sa demande tendant à voir consacrer la faute grave, qu'en sa demande tendant à ce que la cour retienne l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement ; que le jugement entrepris doit en conséquence être confirmé en ce qu'il a déclaré le licenciement de Mme X... dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
**** Attendu, la faute grave étant écartée et le licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse, que l'intimée a droit à une indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents et à l'indemnité conventionnelle de licenciement ; que les sommes qui lui ont été allouées de ces chefs par les premiers juges ne sont pas discutées par l'employeur dans leur quantum et procèdent d'une exacte appréciation de ses droits ;

Attendu, Mme Marie-Claude X... comptant plus de deux ans d'ancienneté dans l'entreprise et celle-ci occupant habituellement au moins onze salariés, que trouvent à s'appliquer les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail selon lesquelles le salarié peut prétendre à une indemnité au moins égale aux salaires des six derniers mois, lesquels se sont élevés à la somme de 36 182, 81 € ; Attendu que l'intimée était âgé de 57 ans au moment de son licenciement et comptait 38 ans d'ancienneté dans l'entreprise ; qu'à l'appui de sa demande tendant à voir porter à 140 000 € le montant de l'indemnité qui lui a été allouée pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, elle argue de ce qu'elle n'a pas retrouvé d'emploi, se trouvait à quelques années de la retraite et a subi une perte financière importante par rapport à ce qu'aurait été sa situation si la rupture n'avait pas eu lieu ; Attendu qu'en considération de l'âge de Mme X... et de son ancienneté au moment du licenciement, de sa situation particulière, de sa formation et de sa capacité à retrouver un emploi, les premiers juges ont fait une exacte appréciation de la somme propre à réparer son préjudice en lui allouant une indemnité de 105 000 € ;

Que le jugement déféré sera en conséquence également confirmé du chef des indemnités de rupture allouées à l'intimée sauf à préciser que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter du 23 mai 2007, date à laquelle la société CLAAS FRANCE a accusé réception de la convocation à comparaître à l'audience de conciliation, tandis que les sommes à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du jugement entrepris ;

Attendu, les conditions de l'article 1154 du code civil étant réunies, qu'il convient de faire droit à la demande de capitalisation des intérêts en fixant le point de départ de la capitalisation au 29 mai 2012, date de l'audience devant la cour à laquelle cette demande a été présentée pour la première fois ;
Attendu, aucune précision n'étant fournie à la cour quant à l'éventuelle perception d'indemnités de chômage par Mme X... et aucun justificatif n'étant produit de ce chef, qu'il n'y a pas lieu à application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail ;

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Attendu que, succombant en son recours, la société CLAAS FRANCE sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à Mme Marie-Claude X..., en cause d'appel, une indemnité de procédure de 2 500 €, le jugement déféré étant confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles ;

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire ;

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Dit que les sommes à caractère salarial allouées à Mme Marie-Claude X... porteront intérêts au taux légal à compter du 23 mai 2007 et que les sommes à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du jugement déféré ;
Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du code civil et fixe le point de départ de la capitalisation des intérêts au 29 mai 2012 ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail ;
Condamne la société CLAAS FRANCE à payer à Mme Marie-Claude X... la somme de 2 500 € (deux mille cinq cents euros) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et la déboute elle-même de ce chef de prétention ;
Condamne la société CLAAS FRANCE aux dépens d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Sylvie LE GALLCatherine LECAPLAIN-MOREL


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 10/02880
Date de la décision : 11/09/2012
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.angers;arret;2012-09-11;10.02880 ?
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