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19/06/2012 | FRANCE | N°11/00013

France | France, Cour d'appel d'Angers, Chambre sociale, 19 juin 2012, 11/00013


COUR D'APPEL D'ANGERS Chambre Sociale

ARRÊT N
AD/ SLG
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/ 00013

numéro d'inscription du dossier au répertoire général de la juridiction de première instance Arrêt origine Cour de Cassation de PARIS, décision attaquée en date du 21 Septembre 2010, enregistrée sous le no 1512 F-D

ARRÊT DU 19 Juin 2012

APPELANTE :

Madame Marie-Thérèse X... ... 56800 PLOERMEL

représentée par Maître Gérard BERAHYA-LAZARUS, avocat au barreau d'ANGERS

INTIMEE :
SARL ETS JOEL LE MAITRE

ZA les Tertres 22330 ST GILLES DU MENE

représentéepar la SCP CABINET J. BARTHELEMY et associés, avocats au barreau de...

COUR D'APPEL D'ANGERS Chambre Sociale

ARRÊT N
AD/ SLG
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/ 00013

numéro d'inscription du dossier au répertoire général de la juridiction de première instance Arrêt origine Cour de Cassation de PARIS, décision attaquée en date du 21 Septembre 2010, enregistrée sous le no 1512 F-D

ARRÊT DU 19 Juin 2012

APPELANTE :

Madame Marie-Thérèse X... ... 56800 PLOERMEL

représentée par Maître Gérard BERAHYA-LAZARUS, avocat au barreau d'ANGERS

INTIMEE :
SARL ETS JOEL LE MAITRE ZA les Tertres 22330 ST GILLES DU MENE

représentéepar la SCP CABINET J. BARTHELEMY et associés, avocats au barreau de RENNES (ME Jean-Christophe GOURET)
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 28 Février 2012 à 14 H 00 en audience publique et collégiale, devant la cour composée de : Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, président Madame Brigitte ARNAUD-PETIT, assesseur Madame Anne DUFAU, assesseur

qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame LE GALL, greffier

ARRÊT : du 19 Juin 2012, contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par madame LECAPLAIN MOREL, président, et par Madame LE GALL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire. *******

EXPOSE DU LITIGE

Mme Marie-Thérèse X... a été embauchée le 1er juillet 2000 par la sarl établissements Joël Lemaître en qualité de secrétaire comptable coefficient 220

Elle a été affectée au dépôt construit sur la commune de Guilliers, et aucun contrat écrit n'a été signé.
Le 2 février 2005 elle a saisi le conseil de prud'hommes de Vannes pour discrimination salariale et s'est vu déboutée de ses demandes.
Une recherche de rupture amiable du contrat de travail a été tentée, mais n'a pas abouti.
Le 23 mai 2006, elle a été convoquée à un entretien préalable au licenciement, fixé au 1er juin 2006, au cours duquel lui a été proposé le bénéfice d'une convention de reclassement personnalisé.
Mme X... a répondu par courrier du 14 juin 2006 reçu le 15 par l'employeur, qu'elle adhérait à la dite convention.
Le contrat de travail a été rompu le 15 juin 2006.
A la date de la rupture Mme X... percevait une rémunération mensuelle brute de 1506, 36 €.
Le 26 juin 2006 elle a saisi le conseil de prud'hommes de Vannes en contestant la cause économique de la rupture, et elle a demandé la condamnation de la sarl Lemaître à lui payer les sommes suivantes :-4934, 37 € au titre de la prime saisonnière-493, 44 € au titre des congés payés afférents-780, 15 € au titre de l'indemnité de congés payés-218, 78 € au titre de l'indemnité de licenciement-45 000 € au titre du licenciement abusif-750 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Par jugement du 2 juillet 2007 le conseil de prud'hommes de Vannes a-déclaré recevable l'action de Mme X... du fait du mode de rupture de son contrat de travail-débouté Mme X... de l'ensemble de ses demandes-condamné Mme X... aux entiers dépens de l'instance-débouté la sarl Etablissements Joël Lemaître de ses demandes reconventionnelles. Mme X... a interjeté appel de ce jugement et la cour d'appel de Rennes a par arrêt du 5 juin 2008 :- débouté Mme X... de son appel-confirmé le jugement du 2 juillet 2007 en toutes ses dispositions-débouté Mme X... de toutes ses demandes-dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile-condamné Mme X... aux dépens

Mme X... a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt, et la cour de cassation a, par arrêt du 21 septembre 2010, cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il déboute la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 5 juin 2008 par la cour d'appel de Rennes, et remis, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d'appel d'Angers.
Mme X... a réintroduit l'affaire devant la présente cour le 5 janvier 2011et les parties ont été convoquées par courriers du 23 août 2011, reçus le 25 août 2011, à l'audience du 28 février 2012, au cours de laquelle elles ont été représentées par leurs conseils.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Mme X... demande à la cour par observations orales à l'audience reprenant sans ajout ni retrait ses écritures déposées au greffe le 28 février 2012, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, de :- dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse,- condamner la sarl Etablissements Joël Lemaître à lui payer la somme de 45000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,- condamner la sarl Etablissements Joël Lemaître à lui régler la somme de 10 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,- condamner la sarl Etablissements Joël Lemaître aux dépens.

Mme X... soutient que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse car la sarl Etablissements Joël Lemaître n'a pas connu, en 2005 et jusqu'au 15 juin 2006, date de la rupture du contrat de travail, de difficultés économiques mais a eu au contraire un résultat positif chaque année ; qu'elle a acheté le 15 décembre 2005 le fonds de commerce de la sarl Négoce Trégor Services, pour 20 000 € ; que son résultat net est au 31 décembre 2005 de 64 782, 83 € ; que son reclassement n'a pas été, d'autre part, recherché par l'employeur.
La sarl Etablissements Joël Lemaître demande à la cour par observations orales à l'audience reprenant sans ajout ni retrait ses écritures déposées au greffe le 28 février 2012, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit le licenciement économique de Mme X... justifié, de la débouter de l'intégralité de ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 5000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La sarl Etablissements Joël Lemaître soutient que ses difficultés économiques étaient réelles ; que les deux secteurs d'activité de l'entreprise, soit le marché des productions végétales et le marché de la nutrition animale étaient confrontés à des difficultés structurelles, du fait de la concurrence du secteur industriel ; que le premier semestre 2006 n'a fait que confirmer une " tendance lourde à la décroissance ", accélérée par les effets de la grippe aviaire ; que ces difficultés structurelles ont " fortement impacté " ses résultats économiques ; qu'elle a en 2005 connu une baisse de chiffre d'affaires de 3 %, et même de 9 % sur les ventes d'aliments ; que son résultat d'exploitation a baissé de près de 10 % ; que le bénéfice net de 64782, 83 €, enregistré au 31 décembre 2005, n'est pas significatif car l'entreprise a connu un produit exceptionnel, à savoir un solde d'indemnité versé par les AGF pour 74 497 € et que si on n'en tient pas compte le résultat devient négatif de 10 000 € ; qu'elle ne perçoit plus, depuis le 1er janvier 2006, de commissions sur les ventes d'aliments de porc, ce qui représente 21 107 €.

La sarl Etablissements Joël Lemaître soutient qu'il est ainsi démontré qu'elle connaissait d'ores et déjà des difficultés économiques en 2006 et que celles-ci ont été durables puisque de 2006 à 2010, tout en augmentant substantiellement son chiffre d'affaires elle a enregistré cinq résultats négatifs successifs.

La sarl Etablissements Joël Lemaître ajoute que si la cour n'estimait pas les difficultés économiques avérées au jour du licenciement, alors devrait elle constater qu'il en résultait pour le moins une menace pesant sur la compétitivité de l'entreprise, menace corroborée par le constat de résultats négatifs sur cinq exercices.
La sarl Etablissements Joël Lemaître produit le registre unique du personnel, dont l'examen montre que le poste de Mme X... a été supprimé, et soutient, quant au reclassement de la salariée que celui-ci était impossible, en l'absence de tout poste disponible dans une petite structure ; que Mme X... ne prouve pas qu'il y ait eu un poste disponible.

MOTIFS DE LA DECISION

Aux termes de l'article 623 du code de procédure civile, la cassation peut être totale ou partielle ; elle est partielle lorsqu'elle n'atteint que certains chefs, dissociables des autres ;
L'article 625 du même code ajoute que sur les points qu'elle atteint, la cassation replace les parties dans l'état où elles se trouvaient avant le jugement cassé ;
La cour est en conséquence exclusivement saisie du seul chef de demande cassé par l'arrêt de cassation du 21 septembre 2010, soit de la demande de Mme X... en dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Sur la rupture du contrat de travail :

Lorsque la rupture du contrat de travail résulte de l'acceptation par le salarié d'une convention de reclassement personnalisé, l'employeur doit en énoncer le motif économique, soit dans le document écrit d'information sur la convention de reclassement personnalisé remis obligatoirement au salarié concerné par le projet de licenciement, soit dans la lettre qu'il est tenu d'adresser au salarié lorsque le délai de réponse expire après le délai d'envoi de la lettre de licenciement imposé par l'article L. 122-14-1 du code du travail applicable au litige et devenu l'article L 1233-15 du même code, soit encore, lorsqu'il n'est pas possible à l'employeur d'envoyer cette lettre avant l'acceptation par le salarié de la proposition de convention, dans tout autre document écrit remis ou adressé à celui-ci au plus tard au moment de son acceptation.

La sarl Etablissements Joël Lemaître a remis à Mme X... lors de l'entretien préalable du 1er juin 2006, la convention de reclassement personnalisé ; Aux termes de la loi du 26 juillet 2005 sur la cohésion sociale et de l'article 4 de la convention du 27 avril 2005 relative à la convention de reclassement personnalisé, étendue par arrêté du 24 mai 2005, textes applicables au litige, Mme X... disposait d'un délai de 14 jours pour accepter ou refuser la convention de reclassement personnalisé ;

Elle a fait connaître son acceptation à l'employeur par courrier du 14 juin 2006, reçu le 15 juin 2006, et celui-ci a, le 16 juin 2006, adressé en réponse à Mme X... un écrit qui énonce le motif économique de la rupture ;
La rupture du contrat de travail est intervenue d'un commun accord des parties au 15 juin 2006 ;
L'adhésion du salarié à une convention de reclassement personnalisé, qui entraîne la rupture du contrat de travail, ne le prive pas du droit de contester la validité du motif économique invoqué, ni de celui de contester le respect par l'employeur de son obligation de reclassement, laquelle continue à s'imposer à ce dernier ;
La lettre adressée le 16 juin 2006 à Mme X... est ainsi libellée :
" Madame, Par la présente nous faisons suite à notre entretien du 1er juin 2006 au cours duquel vous étiez assistée par un conseiller.

Vous avez été embauchée le 1er juillet 2000 par notre société et occupez le poste de secrétaire comptable sur notre dépôt de Guilliers.
L'activité de notre entreprise est divisée en deux parties : La vente de produits destinés aux productions végétales La vente de produits destinés aux productions animales

Le marché des productions végétales est un marché en décroissance avec une forte diminution des entrants. La politique d'extensification des céréales entraîne un prix unitaire qui chute constamment.
Au niveau national en deux ans les ventes de semences ont chuté de 8 % et celles des engrais de 10 %. La vente des produits phytosanitaires a diminué de plus de 25 % en trois ans.

Quant au marché de la nutrition animale, il est en grande difficulté notamment pour les systèmes de revente comme notre réseau de distribution qui est très concurrencé par le secteur industriel qui traite en direct avec les éleveurs. De plus, nous ne percevons plus de commissions de la part de Sanders sur les ventes d'aliments porc depuis l'année 2006, ces commissions représentaient 21 107 € sur l'année 2005.
La note mensuelle des statistiques de production d'aliments composés en date du 11 mai 2006 des syndicats professionnels SNIA et SYNCOPAC indique que cette production a baissé de 2, 3 % entre mars 2005 et mars 2006. Sur la région Bretagne la baisse est encore plus forte puisque de 4, 5 %.
La baisse de la production française n'est pas purement conjoncturelle, car elle est régulière depuis plusieurs années. Le début de I'année 2006 confirme cette situation avec une situation catastrophique sur la volaille en raison de la grippe aviaire :
Cette baisse concerne quasiment toutes les productions, ce qui ne s'était jamais vu dans la profession et confirme que Ie marché dans son ensemble subit une récession.
Au sein de notre société, la vente d'aliment a baisse de 9 % entre 2004 et 2005.
Ces baisses de marché se ressentent sur notre résultat d'exploitation qui a baissé de 2005 par rapport à 2004 ; ce résultat a baissé de 137 976 € à 124 548 €. Notre résultat net est passé de 50 816 € en 2004 à 64 783 € en 2005, mais est faussé par un remboursement d'assurance pour un montant de 74 497 €, sans ce produit exceptionnel, Ie résultat aurait été négatif.
Compte tenu de l'ensemble de ces difficultés, il est apparu indispensable de prendre des mesures au sein de notre société pour anticiper le futur puisque les deux marchés sur lesquels nous travaillons sont en baisse constante.
Pour cela, nous avons déjà réalisé des restructurations et avons mis en place des réorganisations afin de nous adapter aux contraintes de notre profession.
En 2004, nous avons totalement revu Ie service commercial en supprimant un poste de commercial et en répartissant son secteur entre les autres commerciaux.
En 2005, nous avons réorganisé notre activité transport et I'avons externalisée auprès d'un prestataire at avons arrêté d'employer des travailleurs temporaires sur cette activité.
Aujourd'hui, nous avons revu notre fonctionnement administratif et installé des logiciels de gestion des stocks et de comptabilité pour optimiser nos ressources.
Nous devons donc revoir aussi Ie fonctionnement interne du service administratif et. Optimiser au maximum nos ressources pour faire face a I'évolution de notre profession.
Cette situation de marché critique nous oblige à prendre des mesures afin de sauvegarder les intérêts de la société
Aujourd'hui Ie service administratif est composé de deux comptables, une secrétaire de direction et une secrétaire comptable.
Le contexte du marché ne nous permet plus d'assurer la quantité de travail nécessaire pour assurer des emploi à deux secrétaires et nous devons donc réduire notre effectif.
Compte tenu de la restructuration de I'entreprise et de I'ordre des critères définis par la convention collective, nous sommes contraints de supprimer votre poste et sommes obligés de vous Iicencier pour cause économique.
Conformément a votre Courrier en recommandé avec accusé de réception du 14 juin 2006 reçu Ie 15 juin 2006, nous avons pris note de votre décision de bénéficier de la convention de reclassement personnalisé. Cette décision entraîne la rupture de votre contrat de travail d'un commun accord a I'issue du délai de 14 jours de réflexion soit Ie 15 juin 2006. "
Cet écrit doit répondre aux exigences énoncées par le code du travail en matière de licenciement économique ;

Il résulte des dispositions des articles L122-14-3 et L321- 1du code du travail, applicables au moment de la notification du licenciement litigieux, devenus les articles L1233-2 et L 1233-3, que tout licenciement économique est justifié par une cause réelle et sérieuse, et que constitue un licenciement pour motif

économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs, non inhérents à la personne du salarié, résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusées par le salarié d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ;

La jurisprudence a ajouté aux causes légales celle de la réorganisation de l'entreprise destinée à sauvegarder sa compétitivité ;
La lettre de licenciement comporte l'énoncé des motifs économiques invoqués par l'employeur et elle fixe les limites du litige ; pour être suffisamment motivée elle doit comporter non seulement l'énonciation des difficultés économiques, des mutations technologiques ou de la réorganisation de l'entreprise, mais également l'énonciation des incidences de ces éléments sur l'emploi du salarié licencié ;
Enfin l'article L 321-1 du code du travail applicable au moment des faits et devenu l'article L1233-4 énonce qu'un licenciement pour motif économique ne peut intervenir que lorsque l'employeur a réalisé tous les efforts de formation et d'adaptation du salarié et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel celle-ci appartient ;
La sarl Etablissements Joël Lemaître invoque dans la lettre du 16 juin 2006 comme motif économique la réorganisation de l'entreprise rendue nécessaire du fait de difficultés économiques et pour sauvegarder les intérêts de la société en " anticipant le futur " ;

Les difficultés économiques énoncées par l'employeur sont que le marché national des productions végétales et celui de la nutrition animale, sur lesquels intervient exclusivement l'entreprise, sont en difficulté du fait d'une décroissance, et d'une concurrence du secteur industriel, qui traite directement avec les éleveurs ; il brosse là néanmoins un tableau économique d'ordre général, dont les données sont exprimées dans des journaux spécialisés et des statistiques nationales syndicales, mais ne fait de manière précise et concrète pas la démonstration d'un lien entre cette situation tendancielle globale nationale et sa situation économique propre, qui peut seule justifier le licenciement économique effectué ;
En outre, tout en se situant dans ces secteurs en " décroissance " la sarl Etablissements Joël Lemaître n'a subi entre 2004 et 2005 qu'une baisse de chiffre d'affaires global de 3 % ce qui n'est pas significatif de difficultés économiques ;
Quant à sa situation économique particulière, la sarl Etablissements Joël Lemaître relève que son résultat d'exploitation a entre 2004 et 2005, baissé de 13 428 €, et que son résultat net s'il augmente de 13 967 €, ne le doit qu'à l'inscription dans les " produits exceptionnels " d'un remboursement d'assurances de 74 497 € ;
Or, la ligne " produits exceptionnels " de la situation arrêtée au 31 décembre 2005, document produit par la sarl Etablissements Joël Lemaître, indique comme montant la somme de 65 226 € ;
Ce montant, inférieur au remboursement d'assurance perçu effectivement en avril 2005, montre que la somme de 74 497 € n'a pas été, à tout le moins dans son entier, passée au bilan 2005 ;

Il semble au regard des documents produits par Mme X... que cette somme ait été réintégrée, dans le résultat fiscal 2005 de la sarl Etablissements Joël Lemaître, pour un montant de 17 500 €, mais ceci par ajout au bénéfice imposable de la sci les tertres dont un entrepôt avait brûlé ce qui a entraîné une indemnisation et dont la sarl Etablissements Joël Lemaître détient les parts en usufruit : cette écriture correspond à un autre poste de bilan que les " produits exceptionnels " et a été passée par l'expert comptable de la manière la plus conforme aux intérêts de la société au regard du paiement de l'impôt sur les sociétés ;

Elle ne peut donc être prise en compte comme modifiant de manière artificielle, ni de manière significative, la réalité économique de l'entreprise, et il faut alors constater que celle-ci, au 31 décembre 2005 ne témoigne pas d'une dégradation caractérisant une situation économique difficile ;
Il apparaît en effet que la marge brute de production est en augmentation de 73 %, que l'endettement financier est resté constant (42 009 € en 2004, 48 551 € en 2005), que le résultat net est donc en augmentation de 27, 5 % sans que cela puisse être imputé à une écriture comptable sans lien avec l'exploitation ;
La situation arrêtée au 31 décembre 2006 montre d'ailleurs que l'entreprise a acquitté un impôt sur les bénéfices (7452 €) et la déclaration à l'impôt sur les sociétés, faite pour l'exercice allant du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2005, porte mention d'un bénéfice imposable de 163 872 € ;
Il est encore acquis que la sarl Etablissements Joël Lemaître a en décembre 2005, soit en fin d'exercice, alors qu'elle en effectuait le bilan, fait l'acquisition d'un fonds de commerce, pour la somme de 20 000 € ;
La sarl Etablissements Joël Lemaître se contente enfin de produire des chiffres arrêtés au 31 décembre 2005, puis au 31 décembre 2006, mais ne fournit aucune donnée comptable afférente à la période qui s'est déroulée entre le 1ER janvier 2006 et le 15 juin 2006 ;
Il n'est par conséquent pas établi que la situation économique de l'entreprise en juin 2006, ait été celle de décembre 2006, alors qu'à cette dernière date un résultat négatif apparaît pour la première fois et en tout cas qu'à la date de la rupture du contrat de travail aient existé des difficultés économiques suffisamment sérieuses pour justifier le licenciement de Mme X... ;
Les résultats négatifs des exercices suivants ne peuvent être retenus comme démonstratifs d'une situation économique au 15 juin 2006, laquelle ne s'établit qu'au regard des mois et exercices précédents ;
S'agissant de la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise, il convient d'observer que, faute pour lui d'avoir visé cette cause dans la lettre de licenciement, qui se réfère seulement à la sauvegarde des " intérêts " de l'entreprise, ce qui ne recouvre pas la même réalité, l'employeur invoque en vain cette cause dans le cadre de la présente instance ;
En tout état de cause, la sarl Etablissements Joël Lemaître ne s'appuie là que sur des motifs d'ordre général relatifs à la situation du marché et à un environnement concurrentiel, sans s'expliquer sur sa situation par rapport à celle de ses concurrents ni produire aucun élément propre à caractériser la réalité d'une menace sur la compétitivité ;
La cause économique de la rupture n'étant par conséquent pas établie, celle-ci doit être dite, par voie d'infirmation du jugement déféré, et d'ores et déjà, dépourvue de cause ;
Par ailleurs, même justifié par une cause économique avérée, le licenciement économique d'un salarié ne peut être prononcé que si l'employeur a au préalable satisfait à son obligation de reclassement, obligation qui persiste dans le cadre de l'acceptation d'une convention de reclassement personnalisé
La sarl Etablissements Joël Lemaître n'a procédé à aucune recherche de reclassement au motif qu'elle est une petite structure, et qu'au sein du service administratif et comptable il n'existait aucun poste disponible ;
Si l'employeur est libéré de l'obligation de faire des offres de reclassement au salarié dont il envisage le licenciement pour motif économique lorsque l'entreprise ne comporte aucun emploi disponible en rapport avec les compétences de celui-ci, au besoin en le faisant bénéficier d'une formation d'adaptation, il lui appartient d'apporter la preuve de cette impossibilité de reclasser ;
Or, la sarl Etablissements Joël Lemaître se contente de procéder par affirmation mais ne produit aucun organigramme de sa structure générale, ni de son service administratif, et ne décrit pas les fonctions de ses salariés ;
Elle ne caractérise donc pas l'impossibilité alléguée de reclasser Mme X... alors qu'il est acquis qu'elle n'a procédé à aucune recherche de reclassement dans un emploi équivalent, de même catégorie, voire de catégorie inférieure ;
La rupture du contrat de travail est de ce fait là encore privée de cause ;
Par voie d'infirmation du jugement déféré, la rupture du contrat de travail de Mme X... est dite sans cause réelle et sérieuse, la salariée ayant droit, puisqu'elle a une ancienneté supérieure à deux années dans un entreprise employant habituellement au moins 11 salariés par application des dispositions de l'article L122-14-4 du code du travail devenu l'article L1235-3, à une indemnisation qui ne peut être inférieure à six mois de salaire, somme s'établissant pour Mme X... à 9453, 37 € ;
Au-delà de ce minimum légal, le juge évalue souverainement le montant de l'indemnisation du préjudice causé par la rupture ;
Mme X... avait au moment de la rupture du contrat de travail 5 ans et 11mois et demi d'ancienneté, et elle était âgée de 53 ans ; elle indique n'avoir pas retrouvé d'emploi conforme à ses compétences mais ne justifie pas de ses démarches de recherche d'emploi ; en considération de sa situation particulière, eu égard au éléments susvisés ainsi qu'à la formation de Mme X... et à sa capacité à retrouver un nouvel emploi la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer la réparation qui lui est due à la somme de 15 000 € ;
En application de l'article L1235-4 du code du travail il convient d'ordonner d'office le remboursement, par l'employeur, au pôle emploi, des allocations spécifiques de reclassement versées à Mme X..., dans la limite de six mois d'allocations et sous déduction de la contribution de l'employeur au financement des dites allocations, égale à deux mois de salaire et correspondant à l'indemnité de préavis que la salariée aurait perçue si elle n'avait pas bénéficié de la convention de reclassement personnalisé ;
Sur les frais irrépétibles et les dépens :
Il paraît inéquitable de laisser à Mme X... la charge des frais engagés dans l'instance d'appel et non compris dans les dépens ; la sarl Etablissements Joël Lemaître est condamnée à lui verser, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 2000 € ;
La sarl Etablissements Joël Lemaître est déboutée de sa propre demande à ce titre ; La sarl Etablissements Joël Lemaître est condamnée au paiement des dépens d'appel ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Vannes du 2 juillet 2007 en ce qu'il a débouté Mme Marie-Thérèse X... de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement économique sans cause réelle et sérieuse,
statuant à nouveau,
Dit que la rupture du contrat de travail du 15 juin 2006 est dépourvue de cause économique réelle et sérieuse,
CONDAMNE la sarl Etablissements Joël Lemaître à payer à Mme X... la somme de 15 000 € à titre de dommages-intérêts pour rupture dépourvue de cause, y ajoutant,

ORDONNE le remboursement par la sarl Etablissements Joël Lemaître au pôle emploi des allocations spécifiques de reclassement personnalisé, versées à Mme X..., dans la limite de six mois d'allocations, et sous déduction des deux mois de salaire versés par l'employeur au titre du financement des dites allocations,
CONDAMNE la sarl Etablissements Joël Lemaître à payer à Mme X... la somme de 2000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des ses frais irrépétibles d'appel,
DEBOUTE la sarl Etablissements Joël Lemaître de sa demande à ce titre,
CONDAMNE la sarl Etablissements Joël Lemaître aux dépens d'appel en ce compris ceux de l'arrêt annulé.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Sylvie LE GALLCatherine LECAPLAIN-MOREL


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 11/00013
Date de la décision : 19/06/2012
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.angers;arret;2012-06-19;11.00013 ?
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