ARRÊT N BAP/ AT
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/ 00392.
Jugement Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale d'ANGERS, du 11 Janvier 2011, enregistrée sous le no 08. 542
ARRÊT DU 03 Mai 2012
APPELANT :
Monsieur Daniel X... es qualités de liquidateur des CHARBONNAGES DE FRANCE EPIC... 75012 PARIS
représenté par Maître Cathy NOLL, avocat au barreau de MULHOUSE
INTIMES :
La Caisse Régionale de la Sécurité Sociale dans les Mines de l'Ouest (CARMI) Service Juridique 21 Avenue Foch B. P. no 60570 57018 METZ CEDEX 1
représentée par Madame Valérie Z..., munie d'un pouvoir
Monsieur Pierre Y...... 49410 SAINT FLORENT LE VIEIL
présent, assisté de Maître Béatrice PIEROTTI, avocat au barreau de THIONVILLE
A LA CAUSE :
MISSION NATIONALE DE CONTRÔLE DES ORGANISMES DE SECURITE SOCIALE Antenne de Rennes 4 av. du Bois Labbé-CS 94323 35043 RENNES CEDEX
avisée, absente, sans observations écrites
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Janvier 2012 à 14 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Brigitte ARNAUD-PETIT, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, président Madame Brigitte ARNAUD-PETIT, conseiller Madame Anne DUFAU, conseiller
Greffier lors des débats : Madame TIJOU, adjoint administratif faisant fonction de greffier
ARRÊT : prononcé le 03 Mai 2012, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame LECAPLAIN-MOREL, président, et par Madame LE GALL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
M. Pierre Y... a été employé par les Houillères du Bassin de Lorraine du 23 septembre 1957 au 31 mars 1994.
Ensuite de l'arrêté du 24 février 2004, l'EPIC Charbonnages de France est venu aux droits et obligations des Houillères du Bassin de Lorraine. Par décret du 21 décembre 2007, Charbonnages de France a été dissout et mis en liquidation au 1er janvier 2008. Conformément à l'arrêté du 24 juin 2008, le liquidateur de Charbonnages de France reste tenu des éventuelles conséquences financières des décisions prises pour les anciens mineurs et leurs ayants droit en matière d'accidents du travail et de maladies professionnelles.
M. Y... a formé une demande de reconnaissance de maladie professionnelle du tableau no30 pour abestose le 21 avril 2008, médicalement constatée pour la première fois le 8 octobre 2007.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 3 septembre 2008, la Caisse régionale de la sécurité sociale dans les mines de l'Ouest (la CARMI de l'Ouest) a rejeté sa demande.
Il a saisi la Commission de recours amiable de la caisse (la CRA) le 24 septembre 2008 qui, lors de sa séance du 21 octobre 2008, a confirmé le rejet de prise en charge, rejet qui lui a été notifié le 17 novembre 2008.
Il a formé un recours à l'encontre de cette décision devant le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Angers, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 24 novembre 2008 parvenue au secrétariat-greffe le 26 novembre suivant.
Le tribunal, par jugement du 11 janvier 2011 auquel il est renvoyé pour l'exposé des motifs :- a dit qu'il avait été exposé au risque prévu par le tableau no30 des maladies professionnelles,- l'a renvoyé devant la CARMI de l'Ouest pour liquidation de ses droits à compter du certificat médical établi par le docteur B... le 10 décembre 2007,- a déclaré le présent opposable aux Charbonnages de France représentés par leur liquidateur, M. X...,- a dit qu'en application de l'article 2- 3o de l'arrêté du 16 octobre 1995, la prise en charge de la maladie professionnelle serait inscrite au compte spécial,- a condamné les Charbonnages de France représentés par leur liquidateur, M. X..., à lui payer 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Cette décision a été notifiée à M. Y..., à M. X..., ès qualités, et à la CARMI de l'Ouest le 26 janvier 2011. M. X..., ès qualités, en a formé régulièrement appel, par courrier recommandé avec accusé de réception posté le 9 février 2011.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
À l'audience, reprenant oralement ses conclusions déposées le 20 décembre 2011 ici expressément visées et auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé, l'EPIC Charbonnages de France représenté par M. X..., en qualité de liquidateur, sollicite :- au principal, l'infirmation du jugement déféré et que o il soit dit et jugé que M. Pierre Y... n'apporte pas la preuve d'avoir été exposé de manière habituelle au risque du tableau no30, o en conséquence, il soit dit et jugé que la maladie de M. Y... ne peut pas être prise en charge au titre de la législation sur les maladies professionnelles, o la décision de la Commission de recours amiable de la caisse du 21 octobre 2008 soit confirmée, o M. Y... soit débouté de l'ensemble de ses demandes,- subsidiairement, que o il soit dit et jugé que la décision de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie lui est inopposable, o le jugement déféré soit confirmé en ce qu'il a jugé que la prise en charge de la maladie professionnelle doit être inscrite au compte spécial,- en tout état de cause, que M. Y... soit débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ou tout au moins que le montant en soit réduit.
Il fait valoir que :- l'objet de la demande est la reconnaissance de l'origine professionnelle de la maladie que présente M. Y... au titre du tableau no30 des maladies professionnelles ; or, ce qui est avancé par M. Y... quant au défaut d'information des salariés par les Houillères du Bassin de Lorraine sur les risques liés à l'amiante, comme sur le défaut de mise en place des moyens de protection individuelle et collective pour lutter efficacement contre ce risque, relève du contentieux de la faute inexcusable de l'employeur et n'a pas, en conséquence, à être débattu dans le cadre de la présente instance ; quoiqu'il en soit ces affirmations sont fermement contestées,- contrairement à ce qu'il prétend, M. Y... n'a pas été exposé durant sa carrière professionnelle aux Houillères du Bassin de Lorraine au risque du tableau no30, aussi bien de manière active, que de manière passive
o les différentes fonctions qu'il a exercées ne l'ont pas exposé à l'amiante, quand il était ouvrier, puis agent de maîtrise, puis ingénieur ; et, il ne peut sérieusement faire croire que, malgré ses responsabilités, au prétexte qu'il venait de la base, il aurait continué à faire des tâches d'ouvrier et, de plus, d'électromécanicien, o il ne démontre, ni avoir suivi une formation spéciale de porion intégré lui permettant d'agir au lieu et place des électromécaniciens spécialisés, ni que sa hiérarchie aurait été informée du suivi de cette formation, ni avoir effectué des tâches d'électromécanicien, o en référence à l'article 480 du code de procédure civile, l'autorité de la chose jugée est limitée à la question tranchée et, dès lors, une décision de justice rendue à l'égard de tout autre agent ne peut valablement justifier de sa propre exposition au risque ; pas plus ne le peuvent des certificats de travail de la DRIRE concernant deux autres agents, o il n'apporte pas non plus la preuve d'une pollution générale à l'amiante via les machines utilisées au fond, procédant généralement par voie de simple affirmation, et d'autant que les faits permettent au contraire d'établir que ses allégations sont erronées, tout comme que si les Houillères du Bassin de Lorraine ont pu utiliser des matériaux à base d'amiante, à une époque où ce matériau était utilisé par tous pour des qualités que l'on vantait, ce matériau était limité à des travaux et installations particuliers, type chaudières à la Centrale, fours à la Cokerie, alors que lui-même travaillait dans les chantiers du fond de la mine, o les attestations qu'il a produites de MM. C..., D..., E... et F... ne peuvent servir de preuve quant à son exposition personnelle à l'amiante, ces quatre agents n'ayant jamais travaillé avec lui et, l'attestation de M. F..., outre d'être très vague, est contredite par l'étude menée par M. G... ; et quant aux attestations qu'il verse de MM. H..., I..., J... et K..., les propos contenus relèvent de simples suppositions, ces agents n'ayant pas la compétence technique requise pour apprécier la composition des matériaux utilisés ; par ailleurs, la spontanéité de ces témoignages, s'agissant de faits datant de presque trente ans et qui sont pourtant relatés par leurs auteurs de façon précise, ainsi que la valeur à leur accorder alors qu'ils sont en contradiction avec la réalité technique de l'amiante, peut être mise en doute, o il n'est pas contesté que certains métiers exercés au fond de la mine comportaient un risque d'exposition à l'amiante ; mais ce ne sont que 557 agents du fond qui ont demandé la reconnaissance d'une maladie professionnelle du tableau no30 sur une période allant de 1983 à 2005, alors que si la simple utilisation d'outils de travail comportant une quantité minime d'amiante avait les effets qui lui sont prêtés, c'est une large majorité d'agents ayant travaillé au fond qui devrait aujourd'hui présenter les affections du tableau no30,- la CARMI de l'Ouest, en contravention avec les articles R. 411-11 et suivants du code de la sécurité sociale, n'a manifestement pas respecté le principe du contradictoire à son égard, en ce qu'elle ne l'a jamais invité à venir consulter le dossier avant de prendre sa décision, comme elle ne lui a jamais indiqué la date à laquelle elle prendrait cette décision ; les premiers juges n'ont pas répondu sur ce point et, cette seule raison emporte l'infirmation de leur décision,- les établissements dans lesquels M. Y... a travaillé étant à ce jour fermés, les conditions de l'article 2-3 de l'arrêté du 16 octobre 1995 sont remplies en ce que la prise en charge de la maladie, si son caractère professionnel venait à être reconnu, doit être inscrite au compte spécial, ce qui conduit à ce que tous les frais consécutifs restent supportés par la CARMI de l'Ouest.
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À l'audience, reprenant oralement ses conclusions déposées le 16 novembre 2011 ici expressément visées et auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé, M. Pierre Y... sollicite la confirmation du jugement déféré en son intégralité. Il réplique que :
- tout au long de sa carrière, en tant qu'ouvrier, agent de maîtrise, ingénieur, il a été exposé au risque lié à l'amiante, directement et indirectement o il a manipulé en tant qu'ouvrier à la taille des outils et des engins dont les joints, embrayages, garnitures de frein, organes de friction, contenaient de l'amiante, toutes pièces qui, non équipées de système de captation, dégageaient à l'usage de la poussière d'amiante et qu'il fallait remplacer, s'usant rapidement, le plus souvent au fond de la mine ; la prise de responsabilités ne l'a pas écarté du risque, ces fonctions de maîtrise ou de maîtrise supérieure qui impliquaient surveillance et commandement d'équipes de production, de même qu'ingénieur qui devait s'assurer de l'organisation et du bon fonctionnement de la production, continuant à l'amener au fond et donc au contact des outils et des engins précités, intervenant en outre directement si besoin, du fait de sa connaissance directe du métier puisque venant de la base ; o il était de la première formation de porion intégré habilité à exécuter des travaux, entretien et dépannages électriques au même titre qu'un électromécanicien fond, voulue par l'employeur pour permettre une intervention rapide à la place des électromécaniciens en sous-effectif flagrant et ainsi ne pas dérégler la production, o les protections collectives étaient insuffisantes, de sorte que la poussière d'amiante se dispersait dans l'aréage du chantier, y stagnant au surplus ensuite d'un aérage souvent très faible, o il n'a pas non plus bénéficié de protections individuelles de 1957 à 1970, date où les premiers masques ont été distribués et encore pas dans tous les sièges et en outre à l'efficacité insuffisante, les précédents arrivés en 1960 ne l'ayant jamais été ou n'ayant pas été portés car très lourds et non appropriés aux difficultés respiratoires des mineurs pendant les efforts physiques, o il n'existait par ailleurs aucune information quant au risque consécutif à l'inhalation des poussières d'amiante, o en témoignent les attestations circonstanciées qu'il produit aux débats, de collègues de travail, MM. H..., K..., I... et J..., aussi le jugement qui a reconnu l'exposition au risque lié à l'amiante quant à M. I... ; encore quant aux conditions de travail en général, les attestations de MM. D..., C..., F... et E..., ces deux dernières ayant été reprises par l'arrêt retenant la faute inexcusable de l'employeur à l'égard de M. J..., les certificats de la DRIRE, les différentes pièces venant des Houillères du Bassin de Lorraine elles-mêmes,- les Houillères du Bassin de Lorraine ne peuvent nier au regard des divers éléments de la cause qu'elles ont été de grandes consommatrices de produits amiantés, qu'elles étaient parfaitement conscientes du risque en rapport et que les systèmes tant de protection collective qu'individuelle n'étaient pas ce qu'il fallait ; ce n'est qu'après 1997, donc postérieurement à son départ en retraite, que les produits mis sur le marché ne contenaient plus d'amiante, de même que bien encore passé cette date, il pouvait rester des machines contenant de l'amiante de l'aveu même de l'employeur,- il faut s'en tenir strictement aux termes du tableau no30 et non ajouter comme le fait l'employeur o les travaux qu'impliquait l'exploitation des gisements, que ce soit l'extraction au moyen de divers engins, comme les réparations sur ces engins effectuées sur place, l'ont nécessairement exposé à l'inhalation de poussières d'amiante ainsi que le requiert le tableau no30, o il n'est pas question dans ce tableau d'exposition habituelle.
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Par conclusions déposées le 15 décembre 2011 reprises oralement à l'audience, ici expressément visées et auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé, la Caisse régionale de la sécurité sociale dans les mines de l'Ouest (la CARMI de l'Ouest) sollicite qu'il soit statué sur la réalité de l'exposition au risque du tableau no30 de M. Pierre Y... et, outre que l'appelant soit condamné aux entiers dépens de l'instance, que si la réponse est :
- affirmative, le jugement déféré soit confirmé en toutes ses dispositions,- négative, le jugement déféré soit infirmé.
Elle rappelle qu'une maladie déclarée ne peut être imputable à l'emploi si l'activité n'expose pas le demandeur au risque susceptible d'en être à l'origine.
Et quant à la question de l'opposabilité, s'il est exact indique-t'elle que les dépenses relatives à la maladie professionnelle qui serait reconnue seront imputées au compte spécial en application de l'arrêté du 16 octobre 1995 en raison de la fermeture des établissements dans lesquels M. Y... a travaillé, la reconnaissance judiciaire de cette maladie professionnelle, prise en conséquence après débats contradictoires, n'en est pas moins opposable aux Charbonnages de France venant aux droits des Houillères du Bassin de Lorraine. Elle ajoute que ce n'est qu'au stade judiciaire que cette question de l'opposabilité s'est posée, sa propre décision d'un refus de prise en charge ne faisant pas, quant à elle, grief à l'employeur et, de fait effectivement, la procédure prévue aux articles R. 411-11 et suivants du code de la sécurité sociale n'ayant pas été suivie.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Le tableau no30 regroupe les affections professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante et, à ce titre, l'abestose définie comme une fibrose pulmonaire diagnostiquée sur des signes radiologiques spécifiques, qu'il y ait ou non des modifications des explorations fonctionnelles respiratoires. Le délai de prise en charge est de 35 ans (sous réserve d'une durée d'exploitation de deux ans) et les principaux travaux susceptibles de provoquer cette affection sont l'objet d'une liste indicative, à savoir :- les travaux exposant à l'inhalation de poussières d'amiante, notamment l'extraction, la manipulation et le traitement de minerais et roches amiantifères,- la manipulation et l'utilisation de l'amiante brut dans les opérations de fabrication suivantes o amiante-ciment, o amiante-plastique, o amiante-textile, o amiante-caoutchouc, o carton, papier et feutre d'amiante enduit, o feuilles et joint en amiante, o garnitures de friction contenant de l'amiante, o produits moulés ou en matériaux à base d'amiante et isolants,- les travaux de cardage, filage, tissage d'amiante et confection de produits contenant de l'amiante,- l'application, la destruction et l'élimination de produits à base d'amiante o amiante projeté, o calorifugeage au moyen de produits contenant de l'amiante, o démolition d'appareils et de matériaux contenant de l'amiante, o déflocage,- les travaux de pose et de dépose de calorifugeage contenant de l'amiante,- les travaux d'équipement, d'entretien ou de maintenance effectués sur des matériels ou dans des locaux et annexes revêtus ou contenants des matériaux à base d'amiante,- la conduite de four,- les travaux nécessitant le port habituel de vêtements contenant de l'amiante.
L'article L. 461-1 alinéa 2 du code de la sécurité sociale dispose qu'est " présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées dans ce tableau ".
La loi édicte donc une présomption d'origine professionnelle de la maladie présentée, dès lors qu'elle est inscrite dans un des tableaux venant recenser les maladies professionnelles et que les conditions que pose ce tableau sont remplies. Il appartient au salarié d'établir qu'il a été occupé habituellement à des travaux l'exposant au risque visé dans le tableau de maladie professionnelle. Le caractère habituel, qui s'entend d'une certaine durée et d'une certaine régularité (une durée minimale d'exposition étant parfois requise), dépend des circonstances de fait appréciées souverainement par les juges du fond en cas de litige. Ce caractère habituel n'implique pas que les travaux en cause soient une part prépondérante de l'activité du salarié. Une fois cette preuve faite, c'est à l'employeur de démontrer que le travail de l'intéressé n'a joué aucun rôle dans le développement de la maladie.
Il n'est pas contesté qu'un diagnostic d'abestose, maladie du tableau susvisé, a été posé à l'égard de M. Pierre Y... (cf le compte rendu d'expertise médicale effectuée par le docteur B..., médecin agréé en pneumoconiose, le 10 décembre 2007), pas plus que celui-ci soit dans le délai de prise en charge du tableau (M. Y... a fait valoir ses droits à retraite le 31 mars 1994 et a fait une déclaration de maladie professionnelle le 21 avril 2008). Ce qui est contesté c'est que le travail de M. Y... ait pu l'exposer au risque d'inhalation des poussières d'amiante et d'ailleurs, c'est de ce chef que la Caisse régionale de la sécurité sociale dans les mines de l'Ouest (la CARMI de l'Ouest) a refusé sa prise en charge le 3 septembre 2008, indiquant : "... après enquête auprès de votre employeur, celui-ci estime que dans les postes que vous aviez occupés, vous n'étiez pas exposé au risque professionnel décrit dans le tableau 30. En conséquence, il n'est pas possible de donner suite à votre demande... ". La Commission de recours amiable de la caisse (la CRA) s'en est tenue au même motif afin de confirmer ce refus.
Il résulte de la reconstitution de carrière de M. Y... aux Houillères du Bassin de Lorraine que ce dernier, du 23 septembre 1957 au 31 mars 1994, a été successivement :- du 23 septembre 1957 au 31 décembre 1958, aide-piqueur,- du 1er janvier 1959 au 30 septembre 1962, piqueur,- du 1er octobre 1962 au 30 septembre 1965, élève-porion,- du 1er octobre 1965 au 31 décembre 1968, surveillant,- du 1er janvier 1969 au 31 mars 1972, porion,- du 1er avril 1972 au 30 juin 1974, porion chef de quartier,- du 1er juillet 1974 au 23 avril 1978, porion aérage,- du 24 avril 1978 eu 31 décembre 1978, agent en mission,- du 1er janvier 1979 au 7 septembre 1980, ingénieur traçage à Ste Fontaine,- du 8 septembre 1980 au 31 août 1984, ingénieur exploitation à Merlebach,- du 1er septembre 1984 au 31 mars 1989, ingénieur services généraux de Simon à Forbach,- du 1er avril 1989 au 31 mars 1994, ingénieur services généraux à La Houve.
Il travaillait au fond de la mine et non au jour et les quatre attestations, dont il n'y a aucune raison de mettre en doute la véracité, de personnel ayant eu à fonctionner sous ses ordres lorsqu'il était porion ou ingénieur établissent que, quel que soit le poste occupé, il est toujours resté présent au fond, n'hésitant pas à intervenir manuellement si le besoin s'en faisait sentir :- M. H..., boiseur puis haveur en taille, pour lequel il a été son porion de 1964 à 1976 (" pas les mains dans les poches, toujours proche, intervenait lors des pannes électriques ou mécaniques, remplaçait souvent pendant le casse-croûte... "),
- M. I..., boutefeu, pour lequel il a été l'ingénieur dont il dépendait de janvier 1979 à juillet 1980 (" pratiquement au fond tous les jours, en cas d'incidents restait avec nous, intervenait personnellement sur les engins en cas de panne..., manipulait les treuils..., manoeuvrait le marteau-piqueur ou le perforateur... "),- M. J..., agent de maîtrise, pour lequel il a été l'ingénieur dont il dépendait de juillet 1980 à juillet 1981 (" plus de temps au fond que dans les bureaux, lorsque difficultés nous aidait, raccourcissait la chaîne du blindé, manipulait le scraper... "),- M. K..., chef-porion, pour lequel il a été l'ingénieur dont il dépendait de juillet 1984 à juillet 1988 (" visites régulières au fond, au minimum trois à quatre fois par semaine, sur place... ").
Les Charbonnages de France, venant au droit des Houillères du Bassin de Lorraine, ne peuvent dire sérieusement par la voix de leur liquidateur que, si usage de l'amiante il y avait, il était circonscrit aux chaudières de la Centrale et à la Cokerie, qu'à tout le moins il n'est pas certain que les engins du fond comportaient de l'amiante. L'usage de l'amiante n'a été interdit en France qu'en 1997 et les Houillères du Bassin de Lorraine ont elles-mêmes reconnu (cf leurs conclusions du 14 janvier 2003 dans une procédure concernant les consorts L... ; a contrario le compte rendu de la Commission hygiène et sécurité Bassin du 11 mars 2002) que jusqu'à cette date l'amiante était effectivement présent, aussi au fond de la mine, où l'air comprimé était très largement utilisé dans l'outillage individuel l'étanchéité étant assurée par des joints en amiante, dans les moteurs de treuil (scrapage, halage, levage...), les systèmes de friction (scrapage, couloirs oscillants avant leur remplacement...), en tant qu'isolant électrique (plaquettes supports dans les coffrets...). D'ailleurs, les Houillères du Bassin de Lorraine ont dressé un " inventaire des produits susceptibles de contenir de l'amiante ayant été utilisés aux HBL ", accompagné de chiffres sur l'" évolution de la consommation de matériaux amiantés aux HBL ". Quant à cette consommation évaluée entre 1950 et début 1997, elle est la suivante : " 1950-1960 : Période de consommation maximale 1970-1982 : 10 à 12 tonnes/ an 1994 : 454 KF 1995 : 455 KF (480 en nomenclature, 200 consommés) 1996 : 120 KF (80 articles consommés) 1997 : 7 KF Fin 96- Début 97 : élimination de produits de récupération et en stock (6 tonnes) ". Ces chiffres reflètent certes la totalité de l'amiante utilisée sur les Houillères ; néanmoins, l'inventaire précité permet de confirmer que dans ces chiffres figure bien l'usage de produits amiantés au fond de la mine, lieu où M. Y... a travaillé de manière permanente ses dix premières années d'exercice professionnel et où il est demeuré très présent les vingt suivantes. Ainsi, l'amiante est présent au titre des :- isolants-gaine des câbles électriques en amiante s'agissant d'un " matériel fond et jour ",- embrayages-disques des locomotives diesel s'agissant d'un " matériel fond et jour ",- joints plats-moteurs, carters, tuyauteries, moteurs AC (couloirs oscillants de 1948 à 1965, rouilleuses, soudeuses...), moteurs thermiques, compresseurs, pompes hydrauliques HP, conduites, canalisations, s'agissant pour l'ensemble de " matériel fond et jour ", pompes d'exhaure s'agissant d'un " matériel fond ",- ailettes-pales-organes moteurs, palans pneumatiques sans amiante depuis 1989, s'agissant pour l'ensemble de " matériel fond et jour ", perforatrices pneumatiques s'agissant d'un " matériel fond ",
- freins-rondelles pour palans à levier, manuels à chaîne, pneumatiques sans amiante depuis 1987, treuils, s'agissant pour l'ensemble de " matériel fond et jour " ; patins pour treuils AC et électriques (levage, halage, scrapage...) et TM convoyeurs blindés et bandes, machines extraction, s'agissant pour l'ensemble de " matériel fond et jour ", et treuils monorails-birails s'agissant d'un " matériel fond " ; plaquettes pour TM convoyeurs blindés et bandes, pinces TZ type A + B, sans amiante depuis 1993, s'agissant d'un " matériel fond et jour " ; sabots pour locomotives AC diesel, électrique s'agissant d'un " matériel fond et jour ". Cette présence d'amiante au fond de la mine est encore corroborée par :- des attestations de o M. F..., électromécanicien qui effectuait des réparations au fond de la mine qui pouvaient consister en des " travaux importants sur des engins d'abattage " ou " des pannes inattendues ", o M. C..., ouvrier, agent de maîtrise, puis de maîtrise supérieur, qui a pris sa retraite en 1988, o M. D..., à l'exploitation de 1951 à 1970, avant d'être nommé délégué mine, et qui parle des joints des couloirs oscillants, o M. E..., employé jusqu'en 1988, qui travaillait aux ateliers de réparation jour, et qui évoque l'amiante, élément constitutif des bandes de frein des mâchoires de frein dont la garniture était en Ferrodo, des disques de frein ou d'embrayage.- du courrier du docteur M..., médecin-chef du groupe Charbonnages de France, en date du 24 avril 1997 à l'URSSM de l'Est quant à un mineur, M. N..., qui a été mineur de fond de 1951 à 1986, pour lequel il écrit "... il a été amené à manipuler régulièrement les commandes de système de freinage de convoyeurs blindés contenant des plaquettes renfermant de l'amiante... il a travaillé dans des chantiers où le déblocage du charbon a été effectué par des couloirs oscillants dont les moteurs contenaient des joints renfermant de l'amiante et ces derniers étaient épisodiquement ajustés... ".- des certificats délivrés par la Direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, le 22 mars 2000 à M. D..., précité, dans lequel elle mentionne le risque occasionnel d'inhalation de fibres d'amiante, et le 24 avril 2002 dans lequel elle parle de l'exposition du personnel de fond épisodiquement à l'inhalation de fibres d'amiante contenues notamment dans les organes à friction des installations utilisées. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'amiante était bien présente au fond de la mine durant le temps d'emploi de M. Y....
M. Y... a commencé aux Houillères du Bassin de Lorraine à la taille, soit à l'abattage du charbon et au creusement des galeries, période au cours de laquelle il a été aussi bien piqueur, que haveur, que foreur, que remblayeur, que creuseur. Dans ses fonctions, il a utilisé ou approché tous les outils et engins, à savoir le marteau-piqueur, la perforatrice pneumatique, les couloirs oscillants quand ils étaient en usage, les convoyeurs blindés, le scraper, les chargeuses, la haveuse, la remblayeuse, sans parler des treuils, nombreux. Le marteau-piqueur, la perforatrice pneumatique, les couloirs oscillants, les convoyeurs blindés, les chargeuses, la remblayeuse, comportent des joints d'étanchéité en amiante. Les moteurs des couloirs oscillants, des convoyeurs blindés, des chargeuses sont équipés d'embrayage ferrodo en amiante. Le scraper, les treuils, sont pourvus de freins avec des mâchoires en revêtement ferrodo à base d'amiante. Ces joints, embrayages et freins, fortement sollicités, ce sur quoi l'ensemble des attestations s'accordent, connaissent une usure mécanique rapide, d'où friabilité du matériau et dégagement de poussières d'amiante, ce qui n'est pas démenti par l'étude menée en août 1894 par M. G... sur les " risques éventuels de pollution par fibres d'amiante
au voisinage des systèmes de freinage dans les chantiers du fond des Houillères d'Aquitaine produite par les Houillères du Bassin de Lorraine " même si celle-ci conclut à leur caractère " peu probable ". Leur remplacement s'effectue dans la majorité des cas sur place, au fond de la mine, et nécessite, outre le nettoyage à l'aide d'air comprimé de l'emplacement dans lequel se trouvait la pièce usagée, l'usinage et l'ajustage de la pièce neuve, ce qui est source d'un nouveau dégagement de poussières d'amiante. Il est établi par les attestations précitées du personnel ayant eu à travailler sous ses ordres que M. Y..., bien que n'étant plus ouvrier et ayant accédé à la maîtrise puis à l'encadrement, privilégiait le travail à partir du fond de la mine, n'hésitant pas à manier encore l'outil ou l'engin, de même qu'à dépanner ou à aider au dépannage quand cela s'avérait nécessaire. M. Y... affirme qu'il avait reçu des Houillères du Bassin de Lorraine les bases de formation qui lui permettaient d'intervenir ainsi. Bien que les Houillères du Bassin de Lorraine le contestent, M. Y... ne donnant en effet aucun élément justificatif de cette formation, il n'en demeure pas moins que les interventions auxquelles il procédait sont relatées de façon circonstanciée par les attestations évoquées :- M. H..., " quand il y avait une panne électrique sur la haveuse à tambours, c'est lui qui réparait... je le voyais prendre un flexible à air comprimé pour nettoyer l'intérieur de la haveuse où se trouvait l'embrayage en ferrodo à base d'amiante et tout le système de fonctionnement électrique... les pannes électriques étaient nombreuses... j'ai vu aussi Monsieur Y... démonter les moteurs électriques des convoyeurs à chaîne pour le déblocage du charbon... il aidait les électromécaniciens pour des réparations rapides... ",- M. I..., " ce qui m'a beaucoup marqué c'est le jour où je l'ai vu (début janvier 1979) manipuler la commande du moteur électrique pour effectuer le raccourcissement de la chaîne du convoyeur blindé... je l'ai vu aussi intervenir personnellement sur les engins en cas de panne en attendant les électromécaniciens et pour les aider par la suite... je l'ai vu aussi dépanner un moteur électrique d'un blindé... il m'avait demandé de préparer un flexible à air comprimé pour nettoyer l'intérieur du coffret électrique, travail qu'il a fait lui-même, puis il a ouvert la carcasse du moteur, intervenir sur les fils électriques, l'embrayage... ",- M. J..., "... pour rattraper le temps perdu lors des difficultés d'abattage, il préparait les travaux de raccourcissement de la chaîne du blindé nécessaire au déblocage du charbon... raccourcissement qui se pratiquait à l'aide d'un sabot coincé au niveau du bac et d'un levier qui comprimait le frein pour bloquer... cette action polissait la plaquette ferrodo du frein en amiante... la dégradation rapide nécessitait le remplacement des ferrodo sur place et j'ai vu Monsieur Y... souffler des logements ferrodo à l'air comprimé pour fixer les nouveaux en aidant les ajusteurs... ".
Par voie de conséquence M. Y..., au moins de septembre 1957 à juillet 1988, a été soumis aux poussières d'amiante, que ce soit directement par les manipulations d'outils et engins ou par les travaux de maintenance sur ces mêmes d'outils et engins qui comportaient des pièces en amiante se décomposant, ou indirectement par sa présence active sur les lieux lors de travaux relatifs à ces pièces. L'exposition au risque du tableau no30 est ainsi caractérisée et le jugement de première instance qui a reconnu que l'abestose présentée par M. Y... devait être prise en charge au titre de la législation professionnelle à compter de l'examen du docteur B... du 10 décembre 2007 doit être confirmé.
De même sera confirmé, les parties en étant d'accord, l'employeur de M. Y... ayant disparu, l'inscription au compte spécial en application de l'article 2- 3o de l'arrêté du 16 octobre 1995.
La décision du 3 septembre 2008 par laquelle la Caisse régionale de la sécurité sociale dans les mines de l'Ouest (la CARMI de l'Ouest) a rejeté la demande de prise en charge par M. Y... de sa maladie au titre de la législation professionnelle est inopposable aux Charbonnages de France, venant au droit des Houillères du Bassin de Lorraine.
En effet, même si celle-ci ne faisait pas grief à l'employeur, la CARMI de l'Ouest se devait, ce qu'elle reconnaît avoir omis de faire, de respecter l'article R. 441-11 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction de l'époque, en ce qu'avant de prendre sa décision elle aurait dû informer l'employeur, ici le liquidateur, de la date à laquelle elle envisageait de se prononcer, comme de ce que le dossier était à sa disposition pour consultation et observations. Le jugement déféré, qui ne s'est pas prononcé sur ce point malgré la demande qui lui en était faite, devra être complété.
Le liquidateur des Charbonnages de France demande de lui déclarer inopposable la décision de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de M. Y..., laquelle procède du jugement déféré. Dès lors que l'appelant ne saisit la cour d'aucun moyen pour critiquer ce chef de décision, le jugement entrepris ne peut qu'être confirmé sur ce point.
Il convient de rappeler qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les dépens, la procédure en matière de sécurité sociale étant gratuite.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement entrepris en son intégralité,
Le complétant, déclare inopposable à M. X... en sa qualité de liquidateur de l'EPIC Charbonnages de France, la décision du 3 septembre 2008 par laquelle la Caisse régionale de la sécurité sociale dans les mines de l'Ouest (la CARMI de l'Ouest) a rejeté la demande de prise en charge par M. Y... de sa maladie au titre de la législation professionnelle,
Rappelle que la procédure est gratuite et sans frais et dispense M. X..., ès qualités, du paiement du droit prévu à l'article R. 144-10, alinéa 2, du code de la sécurité sociale.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Sylvie LE GALLCatherine LECAPLAIN-MOREL