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28/06/2011 | FRANCE | N°10/00491

France | France, Cour d'appel d'Angers, Chambre sociale, 28 juin 2011, 10/00491


COUR D'APPEL D'ANGERS Chambre Sociale

ARRÊT N BAP/ MJ

Numéro d'inscription au répertoire général : 10/ 00491.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire d'ANGERS, décision attaquée en date du 10 Février 2010, enregistrée sous le no 09/ 00445
ARRÊT DU 28 Juin 2011
APPELANT :
Monsieur Mathieu X......

comparant, assisté Maître Bertrand SALQUAIN, avocat au barreau d'Angers
INTIMEE :
SOCIETE AGEAS ANCIENNEMENT DENOMMEE FORTIS ASSURANCES ANGERS 7 boulevard Saint Michel 49100 ANGERS

représentée par Maître

Lionel DECAMPS, avocat au barreau d'Angers, substituant Maître Alain CONFINO, avocat au barreau de PARIS...

COUR D'APPEL D'ANGERS Chambre Sociale

ARRÊT N BAP/ MJ

Numéro d'inscription au répertoire général : 10/ 00491.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire d'ANGERS, décision attaquée en date du 10 Février 2010, enregistrée sous le no 09/ 00445
ARRÊT DU 28 Juin 2011
APPELANT :
Monsieur Mathieu X......

comparant, assisté Maître Bertrand SALQUAIN, avocat au barreau d'Angers
INTIMEE :
SOCIETE AGEAS ANCIENNEMENT DENOMMEE FORTIS ASSURANCES ANGERS 7 boulevard Saint Michel 49100 ANGERS

représentée par Maître Lionel DECAMPS, avocat au barreau d'Angers, substituant Maître Alain CONFINO, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Avril 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Brigitte ARNAUD-PETIT, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Bernard BRETON, président Madame Brigitte ARNAUD-PETIT, conseiller Madame Anne DUFAU, conseiller

Greffier lors des débats : Madame TIJOU, adjoint administratif assermenté, ff de greffier,
ARRÊT : prononcé le 28 Juin 2011, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame BRETON, président, et par Madame LE GALL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*******
FAITS ET PROCEDURE
Monsieur Mathieu X...a été engagé par la société Fortis assurances, en qualité de conseiller en prévoyance, selon contrat de travail à durée indéterminée en date du 15 février 1999, à effet au 22 février 1999.
Par contrat du 8 juin 2005, à effet au 1er août 2005, modifié par avenant du 18 mai 2007, à effet au 1er août 2007, monsieur Mathieu X...a été promu responsable départemental.
La convention collective applicable est celle des échelons intermédiaires des services extérieurs de production des sociétés d'assurances, en date du 13 novembre 1967.
****
Monsieur Mathieu X...a été convoqué à un entretien préalable en vue d'une sanction disciplinaire, par lettre recommandée avec accusé de réception du 2 septembre 2008.
L'entretien s'est tenu le 10 septembre 2008.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 22 septembre 2008, monsieur Mathieu X...s'est vu notifier une rétrogradation disciplinaire au poste de conseiller, à effet au 6 octobre 2008, un avenant corollaire étant joint. Il lui était imparti, par ailleurs, de restituer le véhicule de marque Renault, type Mégane, mis à sa disposition, contre un véhicule de marque Renault, type Clio.
Monsieur Mathieu X..., par lettre du 29 septembre 2008, a signifié à la société Fortis assurances qu'il contestait la sanction prise, de même qu'il refusait les modifications apportées à son contrat de travail.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 2 octobre 2008, la société Fortis assurances a fait savoir à monsieur Mathieu X...qu'elle maintenait la sanction.
Monsieur Mathieu X..., par lettre du 10 octobre 2008, a confirmé à la société Fortis assurances son " refus d'accepter une rétrogradation disciplinaire pour des fautes que je n'ai pas commises ".
Monsieur Mathieu X...a restitué le véhicule de marque Renault, type Mégane, le 27 octobre 2008, refusant, en revanche, le véhicule de marque Renault, type Clio.
****
Monsieur Mathieu X...a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un licenciement, par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 novembre 2008.
L'entretien s'est tenu le 26 novembre 2008.
Monsieur Mathieu X...a été licencié pour fautes, par courrier recommandé avec accusé de réception du 9 décembre 2008.
****
Monsieur Mathieu X...avait saisi le conseil de prud'hommes d'Angers, en référé, le 17 novembre 2008, aux fins que :
- soient ordonnés, sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé le prononcé de la décision, son rétablissement au poste de responsable départemental, avec la rémunération et la voiture de fonction corollaires, la délivrance de bulletins de salaire rectifiés, ce à compter du 1er octobre 2008,

- la société Fortis assurances soit condamnée à lui verser 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le conseil de prud'hommes d'Angers, par ordonnance en date du 23 décembre 2008,
- constatant que la société Fortis assurances avait, d'une part, octroyé à monsieur Mathieu X...sa rémunération en tant que responsable départemental, pour les mois d'octobre et novembre 2008, d'autre part, licencié monsieur Mathieu X...le 9 décembre 2008,
- a dit ne pas y avoir matière à référé, déboutant monsieur Mathieu X...de ses demandes et, laissant les dépens à sa charge,
- a renvoyé les parties à se pourvoir devant les juges du fond, si celles-ci le souhaitaient.
Monsieur Mathieu X...a effectivement, le 24 mars 2009, saisi le conseil de prud'hommes d'Angers, au fond, aux fins que :
- au principal,
soit jugé que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, la société Fortis assurances soit condamnée à lui verser 216 000 euros à ce titre, 15 000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral,
- subsidiairement, soit constatée la nullité des opérations menées par la société Fortis assurances sur son ordinateur portable, en son absence,
- infiniment subsidiairement, soient ordonnées toutes enquêtes ou auditions qui sembleraient nécessaires,
- en tout état de cause,
la société Fortis assurances soit condamnée à lui verser 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Fortis assurances soit condamnée aux dépens, la décision à intervenir soit assortie de l'exécution provisoire.

Par jugement en date du 10 février 2010, le conseil de prud'hommes d'Angers, jugeant que le licenciement avait une cause réelle et sérieuse, a :
- débouté monsieur Mathieu X...de l'intégralité de ses demandes, le condamnant aux dépens,
- rejeté, par ailleurs, la demande de la société Fortis assurances du chef de l'article 700 du code de procédure civile.
Monsieur Mathieu X...a formé régulièrement appel de cette décision, par déclaration au greffe en date du 18 février 2010.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions du 19 novembre 2010, reprises à l'audience, monsieur Mathieu X...sollicite l'infirmation du jugement déféré et que :
- il soit dit que la rupture de son contrat de travail s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- la société Fortis assurances soit condamnée à lui verser 216 000 euros à ce titre, 15 000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral, 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- la société Fortis assurances soit condamnée en tous les dépens.
Il fait valoir que :
- le licenciement a été prononcé en lieu et place de la rétrogradation,
- en conséquence, seul le grief invoqué au soutien de cette rétrogradation, peut servir à fonder le dit licenciement, au contraire des deux autres, invoqués au surplus par la société Fortis assurances,

- ce grief ne peut, lui-même, être retenu, car le licenciement aurait dû suivre, immédiatement, son refus de la rétrogradation, il est prescrit, la société Fortis assurances connaissant les faits dès le début du mois de septembre 2008 et, ne l'ayant convoqué à un nouvel entretien préalable en vue de licenciement que le 13 novembre 2008, au-delà donc du délai légal de deux mois, il a, d'ores et déjà, été sanctionné par une rétrogradation et, le principe " non bis in idem " trouve à s'appliquer cette rétrogradation ayant été mise à exécution, la régularisation postérieure étant indifférente,

- les griefs ne sont, de toute façon, pas établis
les constations sur son ordinateur portable remontent au mois de juillet 2008 et non au mois de septembre 2008, comme faussement affirmé, ces constations ont été opérées, en violation des droits qui lui sont conférés par les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 9 du code civil, L. 1121-1 du code du travail, il n'a jamais procédé au téléchargement qui lui est prêté, ayant toujours refusé de signer l'avenant modificatif à son contrat de travail, il ne peut lui être reproché aucun manquement en tant que conseiller,

- ses préjudices sont existants.
****
Par conclusions du 24 février 2011, reprises à l'audience, la société AGEAS, nouvelle dénomination de Fortis assurances, sollicite :
- au principal, la confirmation du jugement déféré,
- subsidiairement, la réduction, au minimum prévu par les textes, de l'indemnité qui viendrait à être allouée pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- en tout état de cause, la condamnation de monsieur Mathieu X..., à lui verser 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, aux entiers dépens.

Elle réplique que :
- le licenciement n'est pas intervenu en lieu et place de la rétrogradation,
le refus d'une mesure de rétrogradation par le salarié n'oblige pas l'employeur à engager immédiatement une procédure de licenciement ; cela reste une faculté, le licenciement a été prononcé à raison d'une série de fautes, postérieures à celle ayant donné lieu à la rétrogradation, rien n'interdit de faire état, dans la lettre de licenciement, d'autres faits que ceux ayant conduit à la rétrogradation, au contraire, l'existence de nouveaux griefs permet de rappeler des griefs déjà sanctionnés,

il suffit que la sanction antérieure ne remonte pas à plus de trois ans, la prescription de deux mois n'a pas lieu, en conséquence, de s'appliquer, les faits nouveaux datant de moins de deux mois avant l'engagement de la procédure de licenciement,
- et si le licenciement est intervenu en lieu et place de la rétrogradation,
la rétrogradation a été prononcée dans un délai suffisamment restreint à la suite de la connaissance des faits, qui date du début du mois de septembre 2008, le délai de prescription de deux mois a été interrompu, par la convocation au premier entretien préalable le 2 septembre 2008, puis de nouveau par le refus du salarié de la sanction de rétrogradation le 29 septembre 2008, un nouveau délai de deux mois n'a commencé à courir qu'à compter de cette dernière date, elle disposait d'un mois, à partir de l'entretien préalable du 26 novembre 2008, pour prendre une autre mesure disciplinaire, le principe " non bis in idem " n'a pas lieu de s'appliquer car, du fait du refus opposé par monsieur Mathieu X..., la sanction de rétrogradation n'était pas effective, de toute façon, des faits nouveaux permettent de rappeler des faits anciens, déjà sanctionnés, afin d'aggraver la sanction alors prise,

- le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,
la charte NTIC en vigueur dans l'entreprise et, parfaitement connue de monsieur Mathieu X..., autorisait l'employeur à procéder à un contrôle réseau, le 7 juillet 2008, en lien avec les nombreuses plaintes des utilisateurs relatives à une lenteur anormale du dit réseau, ce contrôle réseau a permis de constater que la perturbation du trafic venait de l'ordinateur de monsieur Mathieu X..., celui-ci téléchargeant des films à outrance, dans ses conditions, son accès au réseau a été bloqué, à la faveur d'une réparation de l'ordinateur portable de monsieur Mathieu X..., au début du mois de septembre 2008, il a été constaté, le téléchargement de films piratés, dont un certain nombre à caractère pornographique, l'installation d'un outil de piratage de réseau sans fil, les fichiers et outil n'étaient pas classés comme documents personnels, monsieur Mathieu X...a été payé de ses salaires des mois d'octobre et novembre 2008, alors qu'il n'effectuait plus aucun travail pour l'entreprise (refus d'honorer les rendez-vous qui lui avaient été pris par l'espace clients, refus de rendre compte de son activité via les tableaux qui lui étaient transmis à cette fin),
- les préjudices de monsieur Mathieu X...ne sont aucunement justifiés.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le licenciement
Le juge, devant lequel un licenciement est contesté, doit, conformément à l'article L. 1235-1 du code du travail, apprécier la régularité de la procédure suivie, de même que le caractère réel et sérieux des motifs énoncés dans le courrier par lequel la mesure est notifiée.
Cette missive fixant, aussi, les limites du litige, il conviendra, préalablement, d'en donner connaissance.
La lettre de licenciement de monsieur Mathieu X..., en date du 9 décembre 2008, est rédigée en ces termes :
" À la suite de la réflexion que nous avons menée après l'entretien préalable qui s'est tenu le..., nous avons le regret de vous faire savoir que nous avons décidé de procéder à votre licenciement pour les motifs suivants :
1/- A la suite de plusieurs plaintes d'utilisateurs sur les lenteurs du réseau 3G début juillet 2008, le Département informatique a audité l'utilisation de la bande passante les 7 et 8 juillet dernier, conformément à la possibilité donnée par notre Charte NTIC.
Après analyse de cette bande passante, réalisée avec les outils de supervision du réseau, il a été constaté un sur-trafic anormal généré par votre ordinateur portable professionnel (utilisateur X...) à raison du téléchargement intensif et personnel de films-notamment pornographiques-causant ainsi des perturbations dans l'accès au réseau de l'ensemble des collaborateurs.
Ces téléchargements ont été réalisés à travers un site de partage (RapidShare) depuis plusieurs semaines : 65 GO téléchargés sur le mois de juin, 7 GO téléchargés la première semaine de juillet notamment.
Le 8 juillet à 17h vous étiez encore en train de télécharger un film pour votre usage personnel et M. Olivier C..., de la Direction informatique, a demandé que votre accès au réseau soit immédiatement bloqué.
De plus, suite à un problème technique de votre ordinateur portable (écran bleu) professionnel, vous avez retourné votre matériel le 8 septembre pour réparation et à cette occasion, le service informatique s'est également aperçu de la présence d'un outil informatique interdit destiné à " craquer " les liaisons WIFI : " CrackWepWifi ", c'est à dire un outil de piratage de réseau sans fil.
Seul le contenu du répertoire strictement professionnel de votre ordinateur a été vérifié en présence de M. C..., responsable de l'équipe infrastructure/ production et de M. Laurent D..., responsable de la sécurité du parc informatique ; mais lors de ce contrôle, ces derniers ont pu constater que vous aviez effectivement téléchargé de façon illicite de nombreux fichiers de jeux, de vidéos, de musique, en outre plus de 34 films dont pas moins de 22 films pornographiques, et ce, durant votre temps de travail.
Outre que ces téléchargements-effectués durant votre temps de travail-sont interdits par notre Charte NTIC, ils sont également illégaux et susceptibles d'exposer notre société à des poursuites judiciaires.
Nous vous avons donc convoqué à un entretien préalable le 10 septembre 2008 afin d'entendre vos explications, en présence de MM. E...et F....
Au cours de cet entretien, vous avez reconnu les faits.
Dans ces conditions, nous vous avons notifié par courrier recommandé avec accusé de réception du 22 septembre 2008 une sanction disciplinaire du 2ème degré, à savoir une rétrogradation à la fonction de Conseiller à effet au 6 octobre suivant, sanction prévue à l'article 5 du Chapitre Discipline Générale de notre règlement intérieur.
Par lettres des 29 septembre et 10 octobre dernier, vous avez contesté cette sanction en revenant sur vos aveux.
Le lundi 27 octobre, nous avons procédé à l'échange de votre véhicule MEGANE contre une Renault CLIO ; si vous avez effectivement restitué votre véhicule MEGANE, vous avez en revanche refusé de signer le reçu correspondant à la mise à votre disposition de la CLIO dont les clefs et les papiers vous ont dûment été remis par M. G...en présence de M. H....
2/ Par ailleurs, nous nous sommes aperçus que vous n'aviez pas honoré plusieurs rendez-vous clients :
- le 17 octobre 2008 à 14h avec M. I...-le 24 octobre 2008 à 14h avec Mme Jacqueline L...

Il en est de même de M. et Mme J...et de Mme Chantal K..., clients qui vous ont attendu en vain et qui vous ont laissé plusieurs messages sans être rappelés. 3/ Enfin, vous refusez de compléter votre CRM et vos reportings, malgré les relances de votre supérieur hiérarchique qui n'a ainsi aucune visibilité sur votre travail ; vous vous présentez désormais au travail dans une tenue négligée (sans cravate et non rasé). Pour ces motifs, nous sommes dans l'obligation de procéder à votre licenciement pour fautes... ".

****
Il ressort de cette rédaction que, ce sont bien trois griefs qui ont été énoncés par la société Fortis assurances comme venant fonder le licenciement, ainsi que l'avait déclaré monsieur Mathieu X....
Et, à l'appui encore de cette thèse, il peut être renvoyé à l'autre lettre du 9 décembre 2008, envoyée par la société Fortis assurances à monsieur Mathieu X....
La société y annonce en effet, sans ambiguïté possible, qu'elle revient sur la sanction disciplinaire infligée le 22 septembre 2008. Ce courrier sera repris ci-après :
" Compte tenu de la modification de votre contrat de travail induite par la rétrogradation disciplinaire prononcée à votre encontre initialement que vous avez refusée, nous régularisons votre situation au titre des mois d'octobre et novembre 2008.
Vous trouverez sous ce pli deux bulletins de paie pour octobre et novembre 2008, annulant et remplaçant ceux qui ont été établis préalablement. Un chèque à votre ordre de 3 244, 00 euros nets, représentant la différence en votre faveur, est également joint à la présente... ".

La société Fortis assurances a, donc, voulu substituer à la rétrogradation disciplinaire le licenciement disciplinaire.
****
Aucun fait fautif ne peut donner lieu, à lui seul, à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois, courant à compter du jour où l'employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits fautifs reprochés au salarié (article L. 1332-4 du code du travail).
La prescription est invoquée par monsieur Mathieu X..., pour ce qui concerne le premier grief de la société Fortis assurances, soit les téléchargements qui lui sont imputés sur son ordinateur portable professionnel.
Les pièces produites aux débats amènent à conclure que, la société a eu une première connaissance des dits faits le 8 juillet 2008, via l'analyse du trafic du réseau informatique faite par les techniciens de l'entreprise. Cette connaissance a été complétée par l'examen de l'ordinateur portable, lui-même, le 8 septembre 2008 (pièces no2, 4, 3 société).
Ayant convoqué monsieur Mathieu X...à un entretien préalable en vue d'une sanction disciplinaire, le 2 septembre 2008, la société Fortis assurances était dans le temps de la prescription de deux mois (8 juillet 2008-8 septembre 2008), comme elle a, ce faisant, interrompu le délai de prescription.
Suite à cet entretien préalable, la société Fortis assurances a notifié à monsieur Mathieu X...sa rétrogradation disciplinaire, le 22 septembre 2008.
De responsable départemental, monsieur Mathieu X...est redevenu simple conseiller, avec un retentissement, également, sur sa rémunération et la voiture mise à sa disposition.
Lorsqu'une sanction disciplinaire implique une modification du contrat de travail du salarié et, la rétrogradation implique une telle modification, elle est suspendue à l'accord ou au refus du dit salarié.
En effet, en cas de refus, l'employeur peut prendre une autre sanction, qui peut aller jusqu'au licenciement.
Dès lors, le refus qu'oppose le salarié à la sanction disciplinaire projetée, entraîne une nouvelle interruption du délai de prescription.
Monsieur Mathieu X...a refusé sa rétrogradation disciplinaire, par courrier du 29 septembre 2008.
La société Fortis assurances pouvait, de fait, si elle le souhaitait, engager une nouvelle procédure disciplinaire vis-à-vis de monsieur Mathieu X...et, elle disposait de deux mois à cette fin, entre le 29 septembre 2008 et le 29 novembre 2008.
L'immédiateté de la reprise d'une sanction n'a à être considérée que si le licenciement, par la suite prononcé, l'a été du chef d'une faute grave.
La seconde convocation de monsieur Mathieu X...à un entretien préalable en vue, cette fois, d'un licenciement datant du 13 novembre 2008, la société Fortis assurances était dans le délai de prescription pour délivrer cette dernière.
Le premier grief avancé par la société Fortis assurances contre monsieur Mathieu X...n'est, par conséquent, pas prescrit.
Les deuxième et troisièmes griefs, vu leur date, n'étaient pas concernés par une éventuelle prescription.
****
Si le premier grief évoqué par la lettre de licenciement n'est certes pas prescrit, reste à déterminer s'il peut, ou non, être invoqué au soutien du licenciement de monsieur Mathieu X....
Il vient d'être rappelé que, lorsqu'une sanction disciplinaire implique une modification du contrat de travail du salarié, telle une rétrogradation, cette sanction est suspendue à l'accord ou au refus du dit salarié.
Et, en cas de refus, il est loisible à l'employeur de prendre une autre sanction à l'encontre de son salarié, qui peut aller jusqu'au licenciement.
Mais, encore faut-il que l'employeur n'ait pas, d'ores et déjà, épuisé son pouvoir disciplinaire.
En effet, l'employeur ne peut, bien sûr pour les mêmes faits, prononcer un licenciement que, si la sanction de rétrogradation, initialement envisagée, n'a pas été effective.
C'est par la lettre recommandée avec accusé de réception du 22 septembre 2008 qui suit que, la société Fortis assurances a notifié sa rétrogradation disciplinaire à monsieur Mathieu X...:
" Nous faisons suite à l'entretien du 10 septembre...
Avec le matériel informatique que la société vous a confié à des fins professionnelles, vous avez procédé, à des fins personnelles à des téléchargements en quantité importante. Ces téléchargements ont eu notamment pour conséquence une forte dégradation du réseau 3G régional, privant ainsi le personnel de la région de ses outils de travail. Il a en outre été constaté que vous téléchargiez des films à caractère pornographique. Vous avez reconnu l'ensemble de ces faits. Tous ces téléchargements sont interdits et sont rappelés dans notre charte d'utilisation des nouveaux moyens de communication et d'information... qui vous a été communiquée le 27 février 2008... ".

Les faits à l'appui de la rétrogradation sont donc bien identiques à ceux qui constituent le premier grief de la société Fortis assurances pour le licenciement.
La société Fortis assurances avait bien prévu de mettre à exécution la rétrogradation, ayant précisé sa date- " prendra effet le 6 octobre 2008 "-.
Et, bien que monsieur Mathieu X...ait exprimé, le 29 septembre 2008, son refus, la société Fortis assurances a, malgré tout, par lettre recommandée avec accusé de réception du 2 octobre 2008, maintenu la sanction de rétrogradation (pièce no10 société).
Et, la société Fortis assurances a traduit cette rétrogradation dans les faits, ainsi par :
- la définition du secteur d'affectation de monsieur Mathieu X..., en tant que conseiller désormais, et les demandes de la hiérarchie, sur le travail à fournir en rapport, les 17 et 24 octobre 2008, 12 novembre 2008 (pièces no12, 14, 15, 16 et 17 société, mail du 7 novembre 2008 de la société dossier X...),
- la restitution imposée à monsieur Mathieu X...du véhicule de marque Renault, type Mégane, qu'il avait à sa disposition en sa qualité de responsable départemental, le 27 octobre 2008, (pièce no13 société, pièces no7, 8, 10 et 11 X...),
- les bulletins de salaire d'octobre et novembre 2008, dressés en référence à un emploi de conseiller NC et, pour un salaire mensuel brut de 1 968, 51 euros et 1 877, 90 euros (pièces no 6, 7 société, contre des bulletins rectifiés, envoyés le 9 décembre 2008, pour un emploi de responsable départemental et un salaire mensuel brut de 3 460, 42 euros et 4 459, 74 euros pièce no19 société).
Suivant le principe " non bis in idem ", aucun fait fautif ne peut donner lieu à une double sanction.
Par conséquent, la société Fortis assurances, ayant épuisé son pouvoir disciplinaire par l'application immédiate de la rétrogradation, ne peut prononcer, ultérieurement, un licenciement de monsieur Mathieu X...au vu des mêmes faits. Le premier grief évoqué par la société Fortis assurances pour le licenciement de monsieur Mathieu X...ne peut être considéré au titre de la cause réelle et sérieuse du dit licenciement.
****
Monsieur Mathieu X...veut voir, en outre, écarter les deuxième et troisième griefs visés par la lettre de licenciement, exposant que la société Fortis assurances, se situant dans le cadre d'un licenciement aux lieu et place d'une rétrogradation, ne pouvait que s'en tenir aux faits qui avaient valu cette rétrogradation.
Monsieur Mathieu X...ne sera pas suivi dans cette argumentation puisque, la rétrogradation s'étant réalisée, la société Fortis assurances était dans l'impossibilité d'y substituer une sanction autre.
Dès lors, devront bien être examinés les deuxième et troisième griefs en question.
Ces deux griefs, hormis l'observation sur l'apparence " négligée " de monsieur Mathieu X...(sans cravate, pas rasé) sur laquelle on reviendra, ont tous les deux trait à une inexécution par monsieur Mathieu X...du travail que celui-ci devait accomplir, alors qu'il était payé.
Mais, c'est en référence au poste de conseiller et non de responsable départemental que, ces reproches sont formulés par la société Fortis assurances à monsieur Mathieu X.... Il suffit de se reporter aux mails suivants, éclairants à ce propos :
- du 20 octobre 2008, de monsieur G..., direction du réseau salariés Fortis assurances, délégation régionale à Nantes, à monsieur Mathieu X...- " Je vous informe que je serai présent à Angers le lundi 27 octobre 2008 à partir de 14h, pour une visite d'agence. À cette occasion, je ferais l'échange de votre véhicule mégane et je mettrai à votre disposition votre clio. Je vous demande donc d'être présent... " (pièce no8 X...),
- du 23 octobre 2008, de monsieur Mathieu X...à monsieur Rodolphe E..., directeur des ressources humaines..., Fortis assurances à Paris- " J'ai pris note que vous souhaitiez réaliser l'échange de mon véhicule de fonction le 27... J'ai constaté par ailleurs que j'ai disparu de l'organigramme comme responsable départemental. Je ne peux plus accéder aux procédures de contrôle de mon équipe. Vous avez informé toute mon équipe de ma situation. Je vous rappelle que je n'ai pas accepté ma rétrogradation. Je vous prie de bien vouloir confirmer que vous maintenez ma rémunération ou dans le cas contraire me faire part de votre position. Concernant mon véhicule de fonction, il s'agit d'une sanction pécuniaire interdite par le code du travail " (pièce no8 X...),
- du 23 octobre 2008, de monsieur Rodolphe E...à monsieur Mathieu X...- " Comme nous vous l'avons déjà indiqué dans notre courrier du 2/ 10/ 2008, nous maintenons la sanction qui vous a été notifiée par courrier du 22/ 09/ 2008. Par conséquent, conformément à la demande de votre hiérarchie, nous vous remercions de bien vouloir procéder à l'échange de véhicule le 27/ 10 prochain " (pièce no10 X...),
- du 24 octobre 2008, de monsieur Mathieu X...à monsieur Rodolphe E..., " J'ai bien pris note de votre mail. Cependant je vous ai posé une question précise concernant ma rémunération. Merci de bien vouloir me répondre " (pièce no11 X...),
- du 24 octobre 2008, de de monsieur Rodolphe E...à monsieur Mathieu X...- " Je ne peux que vous inviter à lire une nouvelle fois le courrier qui vous a été adressé le 22/ 09 " (pièce no11 X...),
- du 3 novembre 2008, de monsieur G...à monsieur Jérôme M..., responsable espace clients..., Fortis assurances à Paris, quant à des rendez-vous pris par l'espace clients à compter du 17 octobre 2008 et non honorés par monsieur Mathieu X...- " Pourrais-tu me dire si tu as le listing de dossiers confiés Mathieu X...et qui n'ait pas été traité... " (pièce no17 société),
- du 7 novembre 2008, de monsieur G...à monsieur Mathieu X...- " J'ai essayé à deux reprises de vous avoir sur votre portable et je vous ai laissé un message sur votre messagerie vous demandant de me rappeler. C'était pour vous informer de vive voix que l'on vous avait affecté un secteur sur le portefeuille de l'agence d'Angers, le secteur 5... " (pièce X...),
- du 12 novembre 2008, de monsieur G...à monsieur Mathieu X...sur l'activité mensuelle d'octobre 2008 de monsieur Mathieu X...- " Je suis surpris que vous n'ayez pas complété ce reporting demandé à l'ensemble de l'équipe d'Angers le 27... " (pièce no15 société).
Monsieur G...a, effectivement, annoncé aux collaborateurs de monsieur Mathieu X..., lors d'une réunion à l'agence d'Angers, le 1er octobre 2008, que monsieur Mathieu X...ne serait plus responsable départemental, à compter du 6 courant, monsieur G...assurant " provisoirement l'intérim jusqu'à nouvel ordre " (attestations no12 et 13 X...).
L'on rappellera le refus opposé par monsieur Mathieu X...à cette rétrogradation dès le 29 septembre 2008, refus constamment renouvelé par la suite, par lettre du 10 octobre 2008 (pièce no4 X...), par mails (précités), par la saisine en référé, le 17 novembre 2008, du conseil de prud'hommes.
Monsieur Mathieu X...a, en outre, refusé de signer l'avenant à son contrat de travail, en date du 22 septembre 2009, consécutif à cette rétrogradation (pièce no5 X...).
Ce n'est pourtant que le 9 décembre 2008, alors qu'il était par ailleurs licencié le même jour, que monsieur Mathieu X...a été rétabli par la société Fortis assurances, dans sa fonction et sa rémunération (cf supra).
On le répétera à nouveau, même dans le cadre d'une rétrogradation disciplinaire, une telle mesure, modifiant le contrat de travail de monsieur Mathieu X...dans ses éléments essentiels, ici sa fonction et sa rémunération, la société Fortis assurances devait obtenir l'accord de son salarié avant de mettre en oeuvre la mesure.
Ayant imposé à monsieur Mathieu X...cette modification, alors que ce dernier l'avait refusée, la société Fortis assurances a commis une voie de fait. Du coup, elle ne peut reprocher à monsieur Mathieu X..., la non-exécution de tâches résultant d'une situation qu'elle avait illégalement créée.
Et, que monsieur Mathieu X...ait pu se présenter au travail, sans cravate, pas rasé, sans autres précisions, notamment sur le contenu du règlement intérieur et, d'autant que cela s'inscrit dans le contexte " troublé " amplement décrit, ne peut constituer, en soi-même, une cause réelle et sérieuse de licenciement. D'ailleurs, la société Fortis assurances n'a pas eu un seul mot à ce propos, que ce soit dans ses conclusions écrites comme à l'audience.
Enfin, quasi-surabondamment, l'argumentaire de la société Fortis assurances, selon lequel elle pouvait prendre en compte des faits déjà sanctionnés afin d'apprécier si l'ensemble des faits reprochés au salarié constituaient une cause réelle et sérieuse de licenciement, ne pouvait, de toute façon, prospérer en l'absence de nouveau (x) grief (s) à l'encontre du salarié concerné.
****
Le licenciement de monsieur Mathieu X...par la société Fortis assurances est, en conséquence, dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences du licenciement
Le salarié qui a, au moins, lors de son licenciement sans cause réelle et sérieuse, deux années d'ancienneté dans une entreprise, qui compte elle-même, à ce moment-là, plus de onze salariés, peut prétendre, conformément à l'article1235-3 du code du travail, à une indemnité qui ne peut être inférieure à ses six derniers mois de salaire.
Il s'agit de la rémunération brute.
Au-delà de ce minimum légal, la fixation du montant de l'indemnité relève du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond qui peuvent retenir différents critères (ex. âge du salarié, ancienneté, durée du chômage, perte d'avantages en nature, dommage moral...).
Monsieur Mathieu X...verse des justificatifs de son indemnisation par le Pôle emploi, en revanche pas de ses recherches d'emploi. Il a créé sa société, en achats et ventes de tous produits non réglementés neufs ou d'occasion sur internet, qu'il a immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 17 septembre 2010, pour un début d'exploitation le 1er du même mois. Lorsqu'il a été licencié, il allait sur ses 31 ans et, comptait un peu moins de neuf ans d'ancienneté à la société Fortis assurances.
L'indemnité qui lui sera accordée pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sera fixée à 26 091 euros.
Sur le préjudice moral
Un salarié licencié dans des conditions vexatoires ou brutales peut prétendre à des dommages et intérêts en raison du préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi.
Il importe peu, pour cela, que le licenciement ait ou non une cause réelle et sérieuse.
Il n'empêche que monsieur Mathieu X...n'établit pas le préjudice moral dont il se prévaut.
D'une part, la société Fortis assurances n'avait pas prévu, initialement, de le licencier.
D'autre part, même les attestations qu'il produit (précitées) démontrent que la société Fortis assurances n'a rien révélé aux autres salariés de la nature réelle des " démêlés " qui les opposaient. Elle a simplement mentionné, afin d'expliquer qu'il ne soit plus en fonction, " de mauvais résultats de l'agence qui était sous sa responsabilité depuis deux ans ". Bien que monsieur Mathieu X...conteste cette présentation ("... Vous savez tout comme moi les raisons de ces difficultés très récentes qui ont pour cadre la crise boursière 2008... "), le motif était, de fait, plausible.
Monsieur Mathieu X...sera, par conséquent, débouté de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Il n'y pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Fortis assurances supportera les éventuels dépens de l'instance d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement et contradictoirement,
INFIRME le jugement déféré,
Statuant à nouveau,
DIT que le licenciement de monsieur Mathieu X...est sans cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE, la société Fortis assurances à verser à M. Mathieu X...26 091 euros d'indemnité à ce titre,
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Fortis assurances aux éventuels dépens de l'instance d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Sylvie LE GALLMarie-Bernard BRETON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 10/00491
Date de la décision : 28/06/2011
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.angers;arret;2011-06-28;10.00491 ?
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