COUR D'APPEL D'ANGERS Chambre Sociale RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N AD/ AT
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/ 00041.
Jugement Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de Maine et Loire, en date du 08 Décembre 2009, enregistrée sous le no 07. 535
assuré : Lieng Penh X... (décédé) ARRÊT DU 19 Avril 2011
APPELANTES :
Madame Christiane Y... épouse Z...... 49400 DISTRE
présente, assistée de Maître Etienne BONNIN, avocat au barreau d'ANGERS
E. U. R. L. ABITTIBI 49 rue du Maréchal Leclerc 49400 SAUMUR
représentée par Maître Etienne BONNIN, avocat au barreau d'ANGERS
INTIMEES :
Madame Colette X...... 49650 BRAIN SUR ALLONNES
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle (40 %) numéro 10/ 005451 du 20/ 10/ 2010 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de ANGERS)
présente, assistée de Maître Céline LEROUGE, avocat au barreau d'ANGERS
Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Maine et Loire (C. P. A. M.) 32, rue Louis Gain 49937 ANGERS CEDEX
représentée par Monsieur Emmanuel RENAULT, muni d'un pouvoir
A LA CAUSE :
Direction Régionale des Affaires Sanitaires et Sociales des Pays de la Loire (DRASS) Rue René Viviani 44062 NANTES CEDEX
avisée, absente, sans observations écrites
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Février 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anne DUFAU, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Bernard BRETON, président Madame Brigitte ARNAUD-PETIT, conseiller Madame Anne DUFAU, conseiller
Greffier lors des débats : Madame TIJOU, adjoint administratif assermenté, faisant fonction de greffier,
ARRÊT :
prononcé le 19 Avril 2011, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame BRETON, président, et par Madame LE GALL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSE DU LITIGE
Monsieur Lieng X... a été victime le 22 novembre 2005 à 9h15 du matin d'un accident mortel du travail survenu au 7 rue celestin Port à Saumur, à l'entrée de la réserve du magasin " les comptoirs du canada ", alors qu'il guidait dans sa manoeuvre monsieur Daniel A..., chauffeur d'un poids lourd de la société Dextra lors d'une opération de déchargement de marchandises destinées à l'eurl ABITTIBI dont il était le salarié.
L'accident est survenu alors que le camion reculait vers l'entrée de la réserve, en marche arrière, monsieur X... se retrouvant coincé entre l'arrière gauche de la remorque et un pilier du portail.
Madame Christiane Z..., gérante de l'eurl Abittibi, a été condamnée le 5 avril 2007 par le tribunal correctionnel de Saumur à 3 mois d'emprisonnement avec sursis pour homicide involontaire et infraction à la réglementation sur l'hygiène et la sécurité du travail.
Madame Colette X..., veuve du salarié décédé, a saisi le 22 novembre 2007 le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Angers pour voir reconnaître la faute inexcusable de l'employeur et obtenir la fixation au maximum de la majoration de la rente prévue par le code de la sécurité sociale, outre la condamnation de l'eurl Abittibi à lui payer la somme de 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de l'article 37 de la loi sur l'aide juridique.
L'eurl Abittibi a soulevé l'irrecevabilité de la demande aux motifs de l'absence de demande en conciliation préalable obligatoire, de la prescription de l'action, et de l'existence d'une transaction avec l'assureur du transporteur ayant abouti à l'ndemnisation de l'intégralité du préjudice de madame X..., y compris de son préjudice économique, sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985.
Subsidiairement L'eurl Abittibi a contesté l'existence d'une faute inexcusable et demandé au juge de limiter la somme à verser au titre de la majoration de rente à un montant de 6 067, 89 euros.
Par jugement du 8 décembre 2009, le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Angers a :
- rejeté les exceptions d'irrecevabilité pour absence de conciliation préalable, pour prescription et pour exception de transaction,
- dit que l'accident subi le 22 novembre 2005 par monsieur X... résultait d'une faute inexcusable de l'employeur,
- dit que la veuve de monsieur X... avait droit à la majoration de rente prévue par l'article L452-2 du code de la sécurité sociale et en a fixé le quantum au maximum légal,
- condamné l'eurl Abittibi à reverser à la caisse primaire d'assurance maladie d'Angers les sommes que celle-ci sera amenées à verser aux ayants droit de la victime avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
- invité l'eurl Abittibi à communiquer à la caisse primaire d'assurance maladie d'Angers les coordonnées de son assureur,
- invité l'eurl Abittibi à verser à madame X... la somme de 1500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'eurl ABITTIBI a fait appel du jugement.
OBJET DE L'APPEL ET MOYENS DES PARTIES
L'eurl Abittibi demande à la cour par observations orales reprises sans ajout ni retrait dans ses écritures, d'infirmer le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale d'Angers, en ce qu'il a refusé de tenir compte de l'indemnisation du préjudice économique obtenu par madame X... en droit commun ; à titre subsidiaire, de limiter à 6077, 89 euros le montant de la somme due par l'employeur, et de condamner madame X... à lui payer la somme de 1500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, avec les dépens d'appel.
L'eurl Abittibi soutient pour seul moyen devant la cour, celui relatif à l'exception de transaction.
Elle ne soutient pas que madame X... soit irrecevable en son action en reconnaissance de faute inexcusable, puisqu'elle ne conteste pas qu'en application des dispositions du code de la sécurité sociale, madame X... ait la possibilité d'obtenir auprès de l'auteur de l'accident, l'indemnisation de son préjudice non couvert par les prestations de sécurité sociale, ni qu'elle ait droit, en application de l'article L452-2 du code de la sécurité sociale, à la majoration maximale de la rente, mais que ce cumul d'action contre le tiers responsable d'une part, et contre l'employeur d'autre part, ne doit pas aboutir à un enrichissement indû ; que le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Angers a méconnu ce principe de non enrichissement, en refusant de tenir compte du " préjudice économique versé en droit commun ".
L'eurl Abittibi énonce, que madame X... a perçu, d'une part, la somme de 90 733, 66 euros au titre de la rente versée par la caisse primaire d'assurance maladie d'Angers, et d'autre part, la somme de 84 655, 77 euros, au titre du préjudice économique versée par la Macif, soit un total de 175 389, 43 euros, et ajoute, que si l'on cumulait ces sommes avec la majoration de rente versée par la caisse primaire d'assurance maladie en cas de faute inexcusable (ce qui se traduit selon elle par un doublement de la rente), madame X... percevrait 175 389, 43 euros + 90 733, 66 euros, soit 266123, 09 euros, ce qui est " une indemnisation bien supérieure à son préjudice ".
L'eurl Abittibi soutient que " rente majorée et préjudice économique indemnisent le même chef de préjudice : la perte de revenus de la veuve, due au décès de l'époux ".
L'eurl Abittibi soutient subsidiairement, que l'employeur ne peut être condamné à verser au titre de la majoration de la rente que 90 733, 66 euros-84 655, 77 euros = 6077, 89 euros.
L'eurl Abittibi soutient enfin, qu'il serait alors inéquitable que l'employeur soit tenu au règlement de la majoration de rente, et également au remboursement du montant du préjudice économique en droit commun entre les mains du tiers responsable, alors que la jurisprudence énonce qu'en cas de faute intentionnelle, celui-ci a un recours contre l'employeur, et qu'il faut élargir cette possibilité au cas de la faute inexcusable, puisqu'aux termes des articles L452-1, L452-5, L454-1 du code de la sécurité sociale, tant la faute inexcusable que la faute intentionnelle, permettent de " contourner le principe d'immunité de l'employeur ".
Madame X... demande à la cour, par observations orales reprises sans ajout ni retrait dans ses écritures, de confirmer le jugement déféré et de condamner L'eurl Abittibi à lui payer la somme de 2000 euros, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient :
- qu'elle a perçu une indemnisation de l'assureur du véhicule impliqué, la Macif, dans le cadre de la loi " Badinter ", et qu'elle ne sollicite pas une indemnisation de l'employeur, mais la reconnaissance de sa faute inexcusable,
- que celle-ci n'est pas contestée en appel par l'eurl Abittibi,
- que la Cour de Cassation a déjà jugé qu'il pouvait y avoir cumul entre la rente et l'indemnisation versée au titre de la loi de 1985.
MOTIFS DE LA DECISION
Le tribunal correctionnel de Saumur, par jugement du 5 avril 2007, devenu définitif, énonce que madame Z... n'avait pas établi de protocole écrit de sécurité dans son entreprise, alors qu'elle savait en avoir l'obligation et connaissait les risques liés aux opérations de déchargement, mais s'était contentée d'un exposé oral aux salariés.
Madame Z... a, par conséquent, manqué à l'obligation de sécurité de résultat qu'elle devait à son salarié, en vertu du contrat de travail et ce manquement a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L452-1 du code de la sécurité sociale, puisqu'elle avait conscience du danger auquel était exposé monsieur X... et n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il est également acquis, que l'accident a impliqué un tiers, ce qui entraîne alors, en application de l'article L454-1 du code de la sécurité sociale, la possibilité pour la victime ou pour ses ayants droit de réclamer la réparation du préjudice causé par l'accident selon les dispositions de la loi no 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accident de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisations, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par l'application des dispositions du livre IV du code de la sécurité sociale.
L'article L452-1 du code de la sécurité sociale stipule que " lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur... la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants " et l'article L452-2 énonce que lorsqu'une rente a été attribuée à la victime, le montant de la majoration est fixé de telle sorte que la rente majorée allouée à la victime ne puisse excéder, soit la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de capacité, soit le montant de ce salaire dans le cas d'incapacité totale ; en cas d'accident suivi de mort, le montant de la majoration est fixé, sans que le total des rentes et des majorations servies à l'ensemble des ayants droit puisse dépasser le montant du salaire annuel ".
La jurisprudence établit que lorsque la faute inexcusable de l'employeur vient en concours avec la faute d'un tiers, la victime ne peut pas subir de réduction de sa majoration de rente, seule la faute inexcusable de la victime elle-même pouvant avoir cet effet sur le fondement de l'article L453-1 du code de la sécurité sociale.
Tel n'est pas le cas en l'espèce, aucune faute inexcusable n'ayant été retenue à l'encontre du salarié décédé, monsieur X....
Le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Angers a donc à bon droit, ayant constaté l'existence de la faute inexcusable de l'employeur, fixé la majoration de la rente au maximum légal.
Le premier juge, et la cour ne sont saisis que de l'action de madame X... en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, et celle-ci étant établie, doivent constater ses effets légaux, aucune limitation de la majoration n'étant en l'espèce imputable à la victime.
D'autre part, l'accident ayant impliqué un tiers, madame X..., ayant droit de la victime est en droit d'obtenir réparation de son entier préjudice, et donc du préjudice économique.
Aux termes des articles L434-1 et L434-2 du code de la sécurité sociale, la rente allouée à la victime indemnise la perte de gains professionnels, et l'incidence professionnelle de l'incapacité, et le conjoint du salarié décédé est indemnisé par la rente viagère, visée à l'article L434-8 du même code, de la perte de revenus subie du fait du décès.
La rente, comme sa majoration allouée en conséquence de la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, est versée directement au bénéficiaire par la caisse d'assurance maladie, celle-ci pouvant ensuite en récupérer le montant auprès de l'employeur sous la forme de cotisations sociales augmentées.
L'action en enrichissement sans cause appartient en conséquence à l'organisme qui verse les sommes indemnitaires, et non à l'employeur.
La question de la possibilité ou non pour la victime d'agir contre l'employeur en réparation du dommage n'est pas identique à celle du recours du tiers étranger à l'entreprise contre celui-ci, et ce recours n'est possible, au visa de l'article L452-5 du code de la sécurité sociale que si l'accident est dû à la faute intentionnelle de l'employeur, ce qui n'est pas soutenu dans la présente instance.
La cour, enfin, n'est pas saisie de l'évaluation du préjudice économique de madame X..., qui a été fixé de manière transactionnelle.
Cette transaction ne peut être opposée à madame X... dans la présente instance, qui n'a pas le même objet, et ne concerne pas les mêmes parties.
Le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale d'Angers du 8 décembre 2009 est confirmé en toutes ses dispositions.
L'eurl Abittibi qui perd le procès d'appel, est condamnée à payer à madame X..., qui bénéficie de l'aide juridictionnelle à hauteur de 40 %, pour l'indemniser des frais non compris dans les dépens et engagés dans l'instance, la somme de 1000 euros, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
En application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, l'eurl Abittibi est condamnée à payer à Maître Lerouge la somme de 1000 euros.
Il n'y a pas lieu à condamnation aux dépens, la procédure étant gratuite devant les juridictions chargées du contentieux des affaires de sécurité sociale.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale d'Angers du 8 décembre 2009.
Y ajoutant,
CONDAMNE en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridique, l'eurl Abittibi à payer à Maître Lerouge, avocat de madame X..., la somme de 1000 euros et rappelle que Maître Lerouge, s'il recouvre cette somme, devra renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat.
CONDAMNE L'eurl Abittibi à payer à Madame Colette X... la somme de 1000 euros, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
DIT n'y avoir lieu aux dépens.