COUR D'APPEL
D'ANGERS
1ère CHAMBRE A
FV / IM
ARRET N 387
AFFAIRE N : 06 / 02405
Jugement du 03 Octobre 2006
Tribunal de Grande Instance du MANS
no d'inscription au RG de première instance 04 / 04249
ARRET DU 06 NOVEMBRE 2007
APPELANTE :
LA VILLE DE LA FERTE BERNARD prise en la personne de son maire en exercice
Hotel de Ville-13 rue Viet-72400 LA FERTE BERNARD
représentée par la SCP GONTIER-LANGLOIS, avoués à la Cour
assistée de Me MARIE, avocat au barreau du MANS
INTIME ET INCIDEMMENT APPELANT :
Monsieur Philippe Z...
...
92130 ISSY LES MOULINEAUX
représenté par la SCP CHATTELEYN ET GEORGE, avoués à la Cour
assisté de Me Daniel LANDRY, avocat au barreau du MANS
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 25 Septembre 2007 à 14 H 00, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame CHAUVEL, conseiller, désignée par ordonnance du Premier Président en date du 22 décembre 2006 pour exercer les fonctions de président,, Madame VERDUN, conseiller ayant été entendu en son rapport, et Monsieur MARECHAL, conseiller,
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame LEVEUF
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 06 novembre 2007, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
Signé par Madame CHAUVEL, président, et par Madame LEVEUF, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Philippe Z... est propriétaire, en vertu d'actes notariés de licitation-vente et de licitation-partage des 3 juin 1992 et 1er juillet 1994, du domaine de « La Cuprie », comprenant une maison d'habitation, des dépendances et des terres situées sur la commune de LA FERTE BERNARD et cadastrées section C no 366,368,370,372,374,396,398 et 400.
Ce domaine est bordé au sud-est et au nord-est par le chemin rural no 23 dit du « Joncheray au Tertre » que la commune avait été autorisée, après enquête publique, à aliéner au profit des propriétaires riverains par un arrêté du sous-préfet de SAINT MAMERS du 15 mars 1965. Au nombre des riverains visés par cet arrêté figurait l'auteur de l'actuel propriétaire, Pierre Z..., pour une superficie de 1 549,77 m ², mais aucun acte de vente n'a été régularisé entre le candidat acquéreur et la commune.
Dans le courant de l'année 1997, la commune de la FERTE BERNARD a fait assigner Philippe Z... afin qu'il lui soit ordonné de libérer l'accès au CR 23 au profit du service des eaux de la commune, afin qu'il assure le contrôle et l'entretien des réservoirs alimentant la ville, situés à l'est du chemin, au lieu-dit « la Vigne Brûlée ».
A l'issue des opérations d'expertise ordonnées par le juge des référés, les parties ont conclu, le 29 avril 1998, une transaction aux termes de laquelle elles sont convenues de passer un acte authentique reconnaissant le droit de propriété de Philippe Z... sur la moitié de la largeur du CR 23 et la totalité de sa longueur telle que définie par l'enquête publique entérinée par l'arrêté du 15 mars 1965, en contre-partie de quoi Philippe Z... s'engageait à consentir un droit de passage au bénéfice du fermier chargé du service communal de l'eau ou de tout autre organisme qui viendrait à s'y substituer, à la seule fin d'accéder aux réservoirs d'eau de « la Vigne Brûlée ».
Ce protocole transactionnel a été revêtu de la force exécutoire par une ordonnance du président du tribunal de grande instance du MANS du 29 octobre 1999. Le recours en rétractation de cette ordonnance introduit par la commune a été définitivement rejeté par un arrêt de cette cour du 15 mai 2001.
Par une délibération du 5 novembre 1999, le conseil municipal de LA FERTE BERNARD a procédé au classement dans le domaine public, par affectation au service communal de l'eau, de la partie du CR 23 longeant les parcelles C 370,372 et 374 dépendantes du domaine de « La Cuprie ». Le 5 janvier 2000, Philippe Z... a saisi le tribunal administratif de NANTES d'un recours en annulation de cette délibération.
Par un jugement avant-dire droit du 23 mars 2004, le tribunal administratif a sursis à statuer jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur la question de la propriété du chemin du Tertre, dans sa section bordant la propriété de Philippe Z....
Ce dernier a fait assigner la ville de la FERTE BERNARD devant le tribunal de grande instance du MANS, par acte d'huissier de justice en date du 22 juillet 2004, afin de voir, notamment, constater qu'en application du protocole transactionnel du 29 avril 1998, il est propriétaire de la moitié de la largeur du CR 23 sur une longueur de 630 mètres et de dire qu'à défaut de passation de l'acte authentique emportant reconnaissance de sa propriété dans les 15 jours du jugement, le jugement à intervenir vaudra acte authentique à compter du 29 avril 1998, date de la transaction.
Par un jugement en date du 3 octobre 2006, auquel il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, le tribunal de grande instance, après avoir rejeté les fins de non-recevoirs invoquées par la commune, a :
-constaté que la cession de la largeur du chemin sur 630 m de longueur était parfaite,
-dit que le jugement valait titre de propriété publiable à la conservation des hypothèques,
-constaté que Philippe Z... disposait d'un titre exécutoire pour faire poser un portail et planter une haie et dit qu'il ne relevait pas de sa compétence d'assortir ces obligations d'une astreinte,
-donné acte à Philippe Z... de ce qu'il se reconnaissait débiteur d'une servitude de passage affectée à l'exploitation des réservoirs d'eau,
-condamné la commune à des dommages-intérêts pour résistance abusive, à une idemnité de procédure, ainsi qu'aux dépens,
-assorti sa décision de l'exécution provisoire.
La commune de la FERTE BERNARD a relevé appel de cette décision par déclaration du 20 novembre 2005. Philippe Z... a formé un appel incident.
Les parties ont constitué avoué et conclu au fond.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 20 septembre 2007.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions déposées par la commune de LA FERTE BERNARD, représentée par son maire, le 17 septembre 2007, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens en application des articles 455 et 954 du nouveau Code de procédure civile, et par lesquelles elle demande à la cour :
· d'infirmer le jugement entrepris,
· de limiter sa saisine à la question préjudicielle posée par la juridiction administrative, qui ne porte que sur les 290 m linéaires du chemin classés dans le domaine public,
de constater que le tribunal qui a accordé à Philippe Z... la propriété de toute la largeur du chemin alors qu'il n'en revendique que la moitié, a statué ultra petita,
de déclarer la demande irrecevable en ce que tous les propriétaires riverains concernés par la propriété du chemin ne sont pas à la cause,
de prononcer l'annulation de la transaction du 29 avril 1998 en application des articles 2047 et 2057 du Code civil, comme portant sur des droits dont la commune n'avait pas la disposition dès lors que le chemin dont s'agit avait déjà fait l'objet de cessions en faveur d'autres riverains,
de débouter, par conséquent, Philippe Z... de son action en revendication ou en exécution de ce protocole,
subsidiairement, de constater que cette cession n'a pu porter que sur la moitié de la largeur du CR 23,
· de condamner Philippe Z... à lui payer une indemnité de 3 000 euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
· de le condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Vu les dernières conclusions déposées par Philippe Z... le 11 septembre 2007, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens en application des articles 455 et 954 du nouveau Code de procédure civile, et par lesquelles il sollicite :
· le débouté de l'appel,
· la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a écarté les fins de non-recevoir que la commune reprend devant la cour, dit que la cession constatée par voie de transaction était parfaite et ordonné sa publication aux hypothèques,
l'infirmation du jugement sur son appel incident, et la condamnation de la commune de la FERTE BERNARD à lui payer une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive,
l'octroi d'une somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour appel abusif, et d'une indemnité de 3 000 euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, en cause d'appel,
très subsidiairement de constater, si la transaction devait être annulée, que la commune a commis une faute en cédant la chose d'autrui,
· la condamnation de la commune de LA FERTE BERNARD aux entiers dépens d'appel.
MOTIFS DE LA DECISION
I) Sur l'étendue de la saisine du juge judiciaire
Attendu que la faculté de saisir le juge judiciaire d'une question préjudicielle n'appartient pas à la juridiction administrative qui la relève pour surseoir à statuer, mais aux parties à cette décision ; qu'il s'ensuit que la saisine de la cour, bien que consécutive à la question préjudicielle de la propriété du chemin relevée par le tribunal administratif de NANTES, résulte exclusivement de l'assignation délivrée par Philippe Z... le 22 juillet 2004 ;
Que ce dernier se prévalant d'une transaction ayant valeur recognitive de sa propriété sur la moitié de la largeur du chemin rural 23 et sur une longueur conforme à l'arrêté du 15 mars 1965, a manifestement intérêt à agir en revendication de toute la partie du chemin déterminable en regard de cet acte, nonobstant les limites du classement dont la légalité est contestée devant la juridiction administrative ;
Que la demande de la commune tendant à voir limiter la saisine de la cour à la seule partie du chemin classée dans le domaine public n'est donc pas fondée ; que le jugement sera donc confirmé sur ce point ;
II) Sur l'irrecevabilité prise de l'absence de mise en cause d'autres propriétaires
Attendu que cette irrecevabilité tient à l'existence de droits, concurrents de ceux revendiqués par Philippe Z... sur le chemin rural, dont disposeraient des personnes tierces à la transaction ; qu'il s'agit, comme l'a justement relevé le tribunal, d'une irrecevabilité de fond, qui implique qu'il soit, au préalable, statué sur la valeur et la portée du titre qui fonde la revendication à savoir le protocole transactionnel du 29 avril 1998 ;
III) Sur la validité du protocole transactionnel
Attendu que la commune de la FERTE BERNARD conteste la validité de ce protocole au motif qu'elle aurait, en le signant, disposé de droits appartenant à des tiers, riverains du chemin, ceci en violation des articles 2045 et 2057 du Code civil ;
Attendu que ces textes réputent la transaction nulle lorsqu'elle porte sur des droits dont les parties n'avaient pas la capacité de disposer ou qui s'avèrent inexistants du fait de titres nouvellement découverts ;
Attendu que, contrairement à ce que soutient Philippe Z..., la commune est habile à se prévaloir de ces causes de nullité pour faire échec à l'exécution de la transaction que poursuit Philippe Z... en revendiquant la propriété de la partie du chemin ; que l'exception soulevée à ce titre par la commune est donc recevable ;
Mais attendu que la commune avait la capacité juridique de disposer de la propriété du CR 23 dépendant de son domaine privé et qu'elle était autorisée à aliéner en faveur des riverains depuis l'arrêté du 15 mars 1965 ; qu'elle ne conteste pas que cet arrêté demeure valable, son conseil municipal l'ayant d'ailleurs visé dans sa délibération du 23 décembre 1997 pour autoriser le maire à signer l'ensemble des actes de cession prévus en faveur des riverains (pièce de Philippe Z... no 31) ; qu'enfin l'assiette du chemin objet de la transaction est déterminée par référence à ce même arrêté ; qu'en cet état, l'exception de nullité prise de l'incapacité de la commune à disposer des droits objets de cette transaction doit être écartée ;
Attendu qu'en revanche, l'exception prise de la découverte de nouveaux titres paraît plus sérieuse ; qu'il résulte, en effet d'un acte de notoriété du 7 septembre 1970, publié à la conservation des Hypothèques (pièce de la commune no 6) que la ferme du TERTRE dépendant de la succession de Jacques B... se composait, dès cette époque, d'une parcelle en nature de chemin, cadastrée C 333 dont il établit qu'elle provient de la division du CR 23 ; qu'on retrouve la trace de la transmission de cette parcelle, d'une superficie de 19 a 27 ca (1 927 m ²), dans le titre des époux C... pour 5 a 46 ca et dans le descriptif de la propriété de Jacqueline B...-E... figurant au fichier immobilier, pour 13 a 81 ca ;
Qu'il convient de relever que cette superficie excède celle concédée à l'auteur de Philippe Z... par l'arrêté du 15 mars 1965 laquelle, recouvrant la moitié sud-ouest du CR 23 pris sur toute sa longueur (630 m), ne représente que
1 549,77 m ² ; qu'il est vraisemblable que la surface du chemin attribuée aux époux C... et à Jacqueline E... s'impute sur l'assiette concédée à Philippe Z... par le protocole du 19 avril 1998 ; que, toutefois, les éléments recueillis par la commune ne sont que des indices d'une propriété tierce, et non des titres nouvellement découverts, de sorte que la commune ne justifie pas, en l'état, des conditions d'application de la nullité édictée par l'article 2057 du Code civil ;
Que c'est donc à bon droit que le tribunal a rejeté les exceptions de nullité invoquées par la commune ;
IV) Sur la portée du protocole transactionnel
Attendu que la cour ne peut qu'adopter les motifs pertinents, fondés sur une exacte analyse des actes et documents cadastraux produits aux débats, dont le premier juge a déduit que la transaction emportait reconnaissance, par la commune, de la propriété de Philippe Z... sur la moitié sud-ouest du CR 23, pour contenance déterminée par l'arrêté du 15 mars 1965, à savoir 1 549,77 m ² ;
Qu'en revanche, le tribunal ne pouvait estimer que cette transaction emportait « cession parfaite » et ordonner la publication de son jugement comme valant titre, sans en dénaturer l'objet ; que cette transaction est intervenue dans le cadre d'un litige né de l'obstruction, par Philippe Z..., de la partie du CR 23 qu'empruntait jusqu'alors le concessionnaire du service communal de l'eau pour accéder aux réservoirs alimentant la ville ; qu'elle subordonne la propriété de Philippe Z..., d'abord, à la formalisation d'un acte recognitif authentique que l'absence de tout titre translatif préalable (cession à titre onéreux ou prescription acquisitive) rendait nécessaire, ensuite, à la constitution corrélative d'une servitude de passage en faveur du concessionnaire du service public communal de l'eau, pour accéder aux réservoirs de « la Vigne Brûlée » ;
Que l'indivisibilité de la transaction interdit de faire prévaloir la disposition recognitive de la propriété de Philippe Z..., au demeurant conditionnelle puisque subordonnée à la passation d'un acte authentique, sur la contre-partie que la commune en attendait, à savoir la constitution d'une servitude réelle sur la partie du chemin assurant la desserte d'installations d'utilité publique ;
Qu'ainsi, en l'absence de formalisation d'un acte authentique recognitif de propriété, auquel la transaction ne stipule pas qu'il peut être suppléé par un jugement, et constitutif de la servitude de passage qui en était la contre-partie, force est de constater que Philippe Z... ne justifie d'aucun titre l'autorisant à revendiquer la propriété d'une partie quelconque du chemin rural no 23 ;
Qu'il ne peut qu'être débouté de son action en revendication, ainsi que de l'ensemble de ses demandes accessoires ;
Attendu qu'enfin, il n'existe aucune considération d'équité qui permette de dispenser Philippe Z... de contribuer aux frais irrépétibles exposés par la commune pour défendre à cette action infondée ; qu'il sera fait application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, dans les limites prévues au dispositif ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement,
CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les fins de non-recevoir et exception de nullité invoquées par la commune de LA FERTE BERNARD ;
L'INFIRME sur le surplus ;
DEBOUTE Philippe Z... de son action en revendication de la propriété d'une partie du chemin rural no 23 ;
Le DEBOUTE de l'ensemble de ses demandes accessoires ou connexes à cette revendication ;
Le CONDAMNE à payer à la commune de LA FERTE BERNARD une indemnité de 2 000 euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Le CONDAMNE aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
C. LEVEUF S. CHAUVEL