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13/06/2024 | FRANCE | N°23/01458

France | France, Cour d'appel d'Amiens, Chambre Économique, 13 juin 2024, 23/01458


ARRET

































Société RIGHTNOW GMBH









C/







Société RYANAIR DAC









OG





COUR D'APPEL D'AMIENS



CHAMBRE ÉCONOMIQUE



ARRET DU 13 JUIN 2024





N° RG 23/01458 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IXAX



JUGEMENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE DE BEAUVAIS EN DATE DU 26 JANVIER 2023




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APPELANTE



Société RIGHTNOW GMBH, agissant poursuites et diligences en son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2] ALLEMAGNE



Représentée par Me Eric POILLY substituant Me Jérôme LE ROY de la SELARL LX AMIENS-DOUAI, avocats au barreau d'AMIENS, vestiaire : ...

ARRET

Société RIGHTNOW GMBH

C/

Société RYANAIR DAC

OG

COUR D'APPEL D'AMIENS

CHAMBRE ÉCONOMIQUE

ARRET DU 13 JUIN 2024

N° RG 23/01458 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IXAX

JUGEMENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE DE BEAUVAIS EN DATE DU 26 JANVIER 2023

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

Société RIGHTNOW GMBH, agissant poursuites et diligences en son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2] ALLEMAGNE

Représentée par Me Eric POILLY substituant Me Jérôme LE ROY de la SELARL LX AMIENS-DOUAI, avocats au barreau d'AMIENS, vestiaire : 101

Ayant pour avocat plaidant, Me Nicolas SIDIER, avocat au barreau de PARIS

ET :

INTIMEE

Société RYANAIR DAC, agissant poursuites et diligences en son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 3] IRLANDE

Représentée par Me Aude TONDRIAUX-GAUTIER de la SELAS DOREAN AVOCATS, avocat au barreau d'AMIENS, vestiaire : 75

Plaidant par Me Jean-Guillaume LENEVEU, avocat au barreau de PARIS

DEBATS :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Avril 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre et Mme Valérie DUBAELE, Conseillère, qui ont avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 13 Juin 2024.

Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile.

GREFFIER :

Mme Charlotte RODRIGUES

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Ces magistrats ont rendu compte à la Cour composée de :

Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre,

Mme Valérie DUBAELE, Conseillère,

et M. Renaud DELOFFRE, Conseiller,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 13 Juin 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ; Mme Odile GREVIN, Présidente a signé la minute avec Mme Malika RABHI, Greffier.

DECISION

La société de droit allemand Rightnow est une société de consumer claims purchasing (revendication de droits de consommateurs) intervenant notamment dans le domaine aérien en rachetant des créances de remboursement de taxes et redevances de passagers aériens qui de leur fait n'ont pas embarqué sur les vols qu'ils avaient réservés et se charge de recouvrer ces créances directement entre les mains des compagnies aériennes concernées.

La société Kiwi, qui est un négociateur de billets d'avion, a cédé à la société Rightnow un ensemble de créances de remboursement de taxes et redevances liées à des vols assurés par la société Ryanair.

La société Rightnow a notifié cette cession de créances à la société Ryanair par courrier recommandé en date du 19 juin 2020 puis l'a mise en demeure de lui rembourser le montant des taxes et redevances des vols sur lesquels les passagers n'avaient pas embarqué.

La société Rightnow a ensuite fait assigner la société Ryanair devant le tribunal de commerce de Beauvais aux fins de la voir condamner à lui verser une somme de 36 120 euros avec intérêts au taux légal à compter du 19 juin 2020 et à titre subsidiaire de voir ordonner une expertise à l'effet de chiffrer le montant des taxes et redevances attachées à chacune des créances acquises auprès de la société Kiwi.

Par jugement en date du 26 janvier 2023, le tribunal de commerce de Beauvais s'est déclaré compétent pour connaître du litige se rapportant aux 130 contrats de transport aérien dont les vols avaient pour lieu de départ ou arrivée l'aéroport de [6] selon le droit français, a dit la société Rightnow irrecevable en sa demande en paiement concernant cette fraction de la demande, s'est déclaré incompétent pour connaître du litige se rapportant aux 821 autres contrats de transport aérien et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir pour cette fraction de la demande.

Il a enfin condamné la société Rightnow à payer à la société Ryanair la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et au paiement des entiers dépens.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 22 mars 2023, la société Rightnow a interjeté appel de cette décision et par requête du même jour a sollicité l'autorisation d'assigner à jour fixe la société Ryanair sur le fondement des articles 84 et suivants du code de procédure civile.

Par ordonnance de la première présidente de la cour d'appel d'Amiens en date du 29 mars 2023, la société Rightnow a été autorisée à assigner la société Ryanair à l'audience en date du 14 septembre 2023.

A cette audience, l'affaire a fait l'objet d'un renvoi à l'audience en date du 11 avril 2024.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 9 avril 2024, la société Rightnow demande à la cour de la juger recevable en son appel et d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour connaître du litige se rapportant à 821contrats de transport et l'a déclarée irrecevable en sa demande en paiement concernant les 130 contrats pour lesquels il a retenu sa compétence. Elle demande à la cour, statuant à nouveau, de dire que le tribunal de commerce de Beauvais était compétent pour connaître de l'ensemble de ses demandes et évoquant le fond du litige en application de l'article 88 du code de procédure civile, de la déclarer recevable en sa demande en paiement et de condamner la société Ryanair à lui payer la somme de 36 120 euros avec intérêts au taux légal à compter du 19 juin 2020 et à titre subsidiaire de désigner un expert à l'effet de chiffrer le montant des taxes et redevances attachées à chacune des créances acquises.

En tout état de cause, elle demande à la cour de condamner la société Ryanair à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et au paiement des entiers dépens de première instance et d'appel.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 10 avril 2024, la société Ryanair demande à la cour, in limine litis, de déclarer irrecevable l'appel-compétence interjeté le 22 mars 2023 par la société Rightnow et de dire n'y avoir lieu de statuer sur ses demandes.

A titre subsidiaire, elle demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de débouter la société Rightnow de l'ensemble de ses demandes.

A titre infiniment subsidiaire, si le jugement était infirmé, elle demande que la société Rightnow soit déboutée de ses demandes en paiement et de sa demande d'expertise.

En tout état de cause, elle demande qu'elle soit déboutée de sa demande d'évocation au fond du litige et condamnée au paiement d'une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et au paiement des entiers dépens de l'instance d'appel.

SUR CE

Sur la recevabilité de l'appel

La société Ryanair fait valoir que la société Rightnow a interjeté appel en la forme prévue aux articles 83 à 89 du code de procédure civile alors que ceux-ci ne régissent que l'appel du jugement statuant exclusivement sur la compétence et que le jugement entrepris n'a nullement statué sur la seule question de la compétence mais s'est prononcé sur une fin de non-recevoir pour la partie des demandes sur laquelle il a retenu sa compétence.

Elle soutient que constitue un jugement sur le fond celui qui statue sur une fin de non-recevoir.

Elle considère que le jugement a motivé l'irrecevabilité par la nullité des prétendues cessions des 130 créances dont se prévaut la société Rightnow et qu'il a ainsi statué au fond liquidant d'ailleurs les dépens et les frais irrépétibles.

Elle fait valoir que la voie de l'appel-compétence n'était donc pas ouverte à l'encontre du jugement entrepris et que la sanction applicable pour un appel interjeté en une forme impropre est l'irrecevabilité de l'appel.

La société Rightnow soutient, pour sa part, que les exceptions de procédure et les fins de non-recevoir ne concernent pas le fond dès lors qu'en application de l'article 122 du code de procédure civile constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond.

Elle fait valoir qu'en l'espèce le jugement qui l'a déclarée irrecevable pour défaut de qualité à agir n'a pas tranché le fond du litige et n'est donc pas un jugement mixte.

Elle en déduit qu'elle a à bon droit interjeté appel compétence et saisi le premier président de la cour d'une demande d'assignation à jour fixe.

Elle considère que la définition de jugement sur le fond dont se prévaut la société Ryanair est synonyme de jugement définitif par opposition aux jugements avant dire droit mais est sans rapport avec celle de l'article 83 du code de procédure civile.

En application de l'article 83 du code de procédure civile lorsque le juge s'est prononcé sur la compétence sans statuer sur le fond du litige sa décision peut faire l'objet d'un appel dans les conditions prévues au présent paragraphe.

Ainsi, en application de l'article 84 du code de procédure civile il doit, à peine de caducité de sa déclaration d'appel, avoir recours à la procédure d'assignation à jour fixe en matière de procédure avec représentation obligatoire.

En application de l'article 90 du code de procédure civile, lorsque le juge s'est déclaré compétent et a statué sur le fond du litige dans un même jugement rendu en premier ressort celui-ci peut être frappé d'appel dans l'ensemble de ses dispositions.

Il est clairement et constamment distingué au sein des articles relatifs aux exceptions d'incompétence entre le chef de décision statuant sur la compétence et les chefs de décision statuant sur le fond et pour l'appel des décisions statuant sur la compétence entre les hypothèses où la décision a statué exclusivement sur la compétence et éventuellement a ordonné une mesure d'instruction ou une mesure provisoire et les hypothèses où elle a également statué sur le fond du litige.

Dès lors, le fond du litige doit s'entendre dans ce cadre de l'objet de la demande et des fins de non-recevoir.

En l'espèce, le tribunal de commerce s'est prononcé sur sa compétence et l'ayant retenue a examiné le fond de la demande pour déclarer la société Rightnow irrecevable pour défaut de qualité à agir au motif de la nullité de la cession de créance dont elle se prévalait pour justifier de sa créance.

Il a ainsi tranché une question de fond.

L'appel formé par la société Rightnow à l'encontre de cette décision relevait bien de l'article 90 du code de procédure civile .

L'article 90 ne prévoit aucune disposition particulière quant aux modalités d'exercice de l'appel qui devait donc être réalisé selon les dispositions du droit commun en matière de procédure avec représentation obligatoire.

Selon ses dispositions, l'appelant doit transmettre au greffe de la cour une déclaration d'appel et ce par voie électronique conformément aux articles 900, 901 et 902 du code de procédure civile.

Il peut aussi, en application de l'article 917 du code de procédure civile et au plus tard dans les huit jours de la déclaration d'appel, présenter au premier président de la cour une requête afin d'être autorisé à assigner les intimés à jour fixe et ce si ses droits sont en péril.

Si l'irrégularité de la saisine d'une juridiction constitue une fin de non-recevoir qui entraîne l'irrecevabilité de l'appel, il convient de relever qu'en l'espèce la cour a bien été régulièrement saisie par une déclaration d'appel régulière suivie d'une requête aux fins d'autorisation à jour fixe qui n'est pas une modalité irrégulière de saisine de la cour.

Il s'agit d'une modalité de procédure distincte permettant un traitement plus rapide des échanges entre les parties et de fixation à l'audience mais qui peut cependant toujours être abandonnée pour revenir à la procédure avec mise en état en cas de nécessité conformément à l'article 125 du code de procédure civile.

Certes, la requête n'a pas été motivée par l'existence de droits en péril et a été fondée sur l'article 84 du code de procédure civile mais une ordonnance portant autorisation d'assigner à jour fixe a bien été rendue par la premier président ou son délégué.

Cette ordonnance est une mesure d'administration judiciaire qui s'impose à la cour et à supposer que la requête n'ait pas visé le péril et que l'ordonnance et l'assignation soient irrégulières, ces actes distincts ne vicient pas la déclaration d'appel et n'entraîne donc pas l'irrecevabilité de l'appel.

Il convient en conséquence de rejeter la demande de la société Ryanair tendant à voir déclarer l'appel de la société Rightnow irrecevable.

Sur la compétence du tribunal de commerce de Beauvais

Les premiers juges ont considéré que la société Rightnow qui était tiers au contrat de transport n'était pas liée par les clauses du contrat conclu entre les voyageurs par le biais de leur mandataire et la compagnie Ryanair et notamment n'était pas tenue par la clause attributive de juridiction au bénéfice des juridictions irlandaises avec application du droit irlandais.

Ils ont en conséquence appliqué les dispositions de l'article 7)1 bis du Réglement 1215/2012 du 12 décembre 2012 selon lequel le tribunal compétent est celui du lieu où les services auraient dû être fournis et ne se sont donc déclarés compétents que pour les 130 réservations de vols au départ ou à l'arrivée de l'aéroport de [6].

La société Rightnow sollicite également l'application du Règlement européen et s'agissant d'un contrat de fourniture de service en matière de transport aérien de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne désignant tant le lieu de départ que le lieu d'arrivée de l'avion.

Elle considère cependant qu'elle agit sur le fondement d'une cession de créance globale qui inclut la créance de remboursement de plusieurs centaines de passagers dont la plupart ont décollé de l'aéroport de [Localité 5] et que raisonner en divisant les recours va à l'encontre de l'intérêt d'une bonne justice la contraignant à engager une multitude de procédures dans toute la France alors qu'elle détient une créance unique opposable à Ryanair qui englobe toutes les réservations litigieuses.

Elle demande que le jugement soit confirmé en ce qu'il a déclaré que les conditions générales de la société Ryanair ne lui sont pas opposables dès lors qu'elle tient ses droits de la société Kiwi qui elle-même n'était pas cocontractante de la société Ryanair mais était un intermédiaire entre les passagers et la compagnie aérienne.

La société Ryanair soutient que les dispositions de l'article 7 du Règlement européen du 12 décembre 2012 ont un caractère impératif et que conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne selon laquelle doivent être considérés comme des lieux de fourniture principale des services faisant l'objet du contrat de transport le lieu de départ et le lieu d'arrivée, seules 130 créances se rapportent à des vols ayant pour lieu de départ ou d'arrivée l'aéroport de [Localité 5] et relèvent ainsi de la compétence du tribunal de commerce de Beauvais.

Elle conteste la nature indivisible des créances invoquée par la société Rightnow qui ne peut exister que lorsqu'il est matériellement ou intellectuellement impossible de fractionner l'objet de l'obligation alors qu'en l'espèce les créances dont le paiement est sollicité sont individuelles et relatives à des contrats de transport indépendants.

Elle ajoute que faute de contrat conclu entre Rightnow et elle-même, les créances ne sont pas indivisibles par contrat.

Elle fait valoir que le principe de bonne administration de la justice ne peut s'opposer aux règles de compétence en droit européen et fait observer que seules 130 créances sur 951 sont liées à l'aéroport de [Localité 5] et qu'il ne peut être de l'intérêt d'une bonne administration de la justice d'attraire la totalité des réclamations devant un for aussi minoritaire.

Elle soutient enfin que les règles de compétence ne peuvent être aménagées pour la seule convenance d'une partie et afin de réaliser des économies.

Il convient de relever en premier lieu que les deux parties s'entendent pour voir appliquer le Règlement européen Bruxelles I Bis et que la société Ryanair renonce à invoquer toute clause attributive de compétence.

Les parties s'entendent pour voir attribuer la compétence au tribunal du lieu de départ ou d'arrivée du transport par avion à l'origine de la créance de remboursement et pour reconnaître comme les premiers juges que seules 130 créances de remboursement portent sur un contrat de transport ayant eu pour lieu de départ ou lieu d'arrivée l'aéroport de [Localité 5].

La société Rightnow entend cependant voir considérer qu'elle dispose d'une créance indivisible.

Toutefois, si la société Rightnow bénéficie d'une cession de créances à elle consentie par la société Kiwi aux termes d'un seul contrat en date du 5 juin 2020, cette cession porte sur 951 créances parfaitement distinctes et listées, relatives à des remboursements de redevances et de taxes concernant des vols distincts sur lesquels les passagers n'ont pas embarqué et lui donne la possibilité de recouvrer chacune de ces créances.

Au demeurant, dans sa notification de la cession de créances à la société Ryanair la société Rightnow a bien sollicité et mis en demeure la société Ryanair de lui payer le montant des taxes et redevances pour chacune des réservations. Elle demande, en outre, aux termes de ses conclusions devant la cour une expertise afin de chiffrer chacune des créances.

Ces créances étant parfaitement individualisables aucune indivisibilité de la demande de la société Rightnow qui tend à les recouvrer ne peut être retenue.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la compétence du tribunal de commerce de Beauvais pour les 130 créances liées à l'aéroport de [Localité 5].

Il convient de le confirmer en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour le surplus et dès lors que la société créancière dispose d'une option de compétence incluant la saisine de tribunaux étrangers de la renvoyer à mieux se pourvoir.

Sur le recouvrement des 130 créances de remboursement relatives à des contrats de transport ayant pour point de départ ou d'arrivée l'aéroport de [Localité 5]

Les premiers juges ont considéré qu'il n'était pas rapporté la preuve que les passagers concernés en procédant à l'achat de leur billet par l'intermédiaire de la société Kiwi ont accepté les conditions générales de celles-ci et donc ont pu consentir à la cession de leur éventuelle créance de remboursement de taxes et redevances liées à une absence d'embarquement envers la société Ryanair à la société Kiwi et que ce consentement étant une condition essentielle à la validité du contrat de cession, celui-ci est réputé n'avoir jamais existé. Ils en ont déduit que les passagers étaient toujours titulaires de leur créance de remboursement à l'égard de la société Ryanair et que la vente de la chose d'autrui étant nulle la cession des créances appartenant aux voyageurs par la société Kiwi à la société Rightnow est nulle et que la société Rigthtnow n'étant pas titulaire de ces créances n'a pas qualité à agir contre la société Ryanair.

La société Rightnow soutient qu'elle justifie de la preuve de l'origine de l'existence et de la validité de la première cession de créances intervenue entre les passagers et la société Kiwi.

Elle fait valoir à cet égard que l'article 4.4.8 des conditions générales de la société Kiwi prévoit que les voyageurs autorisent la société Kiwi et lui demande de réclamer et de percevoir en leur nom tout remboursement pour le ou les vols en question auprès du transporteur et selon l'article 6.6 des mêmes conditions générales, les voyageurs s'engagent à céder tous leurs droits, titres et réclamations envers les transporteurs survenant dans le cadre de la prestation des services de la société Kiwi et selon l'article 6.7.2 acceptent que le droit de les représenter soit cédé à un tiers.

Elle ajoute que ces conditions générales ont été acceptées par les voyageurs au moment de l'achat du billet en cliquant sur la case d'acceptation des conditions générales disposant en outre d'un lien hypertexte leur permettant d'en prendre connaissance, méthode validée par le CJUE et parfaitement suffisante pour établir la connaissance et l'acceptation des conditions générales par les usagers.

La société Rightnow soutient, par ailleurs, que la cession de créance intervenue entre la société Kiwi et elle-même est parfaitement valide ayant été régulièrement notifiée à la société Ryanair.

Elle précise qu'elle produit une liste précisant de manière exhaustive l'ensemble des informations pertinentes relatives aux 951 créances soit le code du dossier et le numéro de réservation, le numéro de vol, les dates et horaires de décollage et d'atterrissage, les aéroports de départ et d'arrivée les noms des passagers n'ayant pas embarqué et le montant estimé de la créance ce qui permet à Ryanair de vérifier la validité des billets et l'identité des passagers concernés.

La société Ryanair soutient à titre principal que la société Rightnow ne rapporte pas la preuve des créances dont elle se prévaut.

Elle fait, à ce titre, observer que les premières cessions intervenues entre les passagers et la société Kiwi n'existent pas dès lors qu'il n'y a aucune liste de passagers ni de justificatifs de leur identité ni de contrats comportant leurs signatures, les réservations invoquées pouvant tout aussi bien résulter d'algorithmes automatisés.

Par ailleurs, elle fait valoir que l'article 6.6 des conditions générales de la société Kiwi ne s'applique qu'à l'égard des passagers ayant souscrit la garantie Kiwi.com or il n'est pas justifié que les passagers dont la créance de remboursement est sollicitée ont souscrit cette garantie.

Elle ajoute qu'elle est en mesure de donner des exemples de réclamations soumises par la société Rightnow comportant en annexe des mandats directs signés par des passagers à son profit de manière électronique et à la même date mais concernant des passagers ayant déjà obtenu un remboursement.

Sans entrer dans le détail de la validité de la méthode du clic elle soulève le caractère abusif de la clause de cession de la créance de remboursement à la société Kiwi sans aucune rémunération dès lors qu'elle crée un déséquilibre manifeste.

Elle reproche également à la société Rightnow de ne pas établir que les passagers en question ne se sont pas présentés à l'embarquement et peuvent donc prétendre à un remboursement de taxes ni qu'ils n'ont pas déjà été remboursés directement par la compagnie aérienne comme le prévoit l'article 4.4.8 des conditions générales de Kiwi.

Elle fait valoir qu'elle est pour sa part en mesure de démontrer que certaines créances de remboursement dont le recouvrement est sollicité concernent des vols sur lesquels les passagers ont bien embarqué et ce au moyen de captures d'écran qui constituent un moyen de preuve parfaitement valable et que d'autres concernent des passagers qui ont déjà perçu un remboursement.

Elle en déduit que la preuve même des créances de remboursement n'est pas rapportée.

La société Rightnow dispose d'un contrat de cession de créances dont la nullité n'est pas sollicitée et ce d'autant que son co-contractant n'est pas appelé en la cause.

Toutefois, la cession de créance est soumise à un principe d'opposabilité des exceptions ainsi le débiteur cédé peut opposer au cessionnaire les moyens de défense qu'il pouvait opposer au cédant.

Dans le contrat de cession de créance intervenu entre la société Kiwi et la société Rightnow, il est indiqué que les créances qui sont cédées sont détenues par la société Kiwi et qu'elle les a acquises auprès de voyageurs n'ayant pu voyager sur le vol qu'ils avaient réservé auprès de la société Ryanair et qui en application de l'article 4.4.8 des conditions générales de la société Kiwi l'ont autorisée à réclamer et percevoir en leur lieu et place le remboursement de taxes et redevances de leur vol en cas de non-présentation à l'embarquement. Il est indiqué que les voyageurs n'ont pas exercé leur droit au remboursement et que les créances ne font l'objet d'aucun litige.

Il résulte cependant des conditions générales de la société Kiwi que sont proposés outre le contrat de service comprenant essentiellement la négociation du contrat de transport entre le client et le transporteur sélectionné, des services supplémentaires dont il est convenu séparément et un choix parmi les services supplémentaires entre différents niveaux de garantie Flexibilité Kiwi. Com.

Il est ainsi possible pour les voyageurs de contracter une fourniture de services supplémentaires spécifique permettant d'assurer par exemple en cas d'annulation volontaire le montant de remboursement garanti payé en avance sans retard par la société Kiwi.

Par ailleurs, en cas de non-présentation sans annulation les voyageurs ont la possibilité d'autoriser la société Kiwi à réclamer et percevoir en leur nom tout remboursement y compris les taxes pour le vol en question auprès du transporteur au plus tôt quinze jours à compter du départ du vol moyennant la facturation d'une somme déduite du remboursement mais l'article 4.4.8 réserve expressément la possibilité pour les voyageurs de s'adresser directement et au préalable au transporteur et de solliciter le remboursement, l'autorisation donnée à la société Kiwi étant alors caduque.

Ce n'est qu'en souscrivant les services optionnels de la garantie Kiwi.com que les voyageurs s'engagent à céder tous leurs droits de réclamation envers le transporteur cette cession étant une condition préalable à l'obligation de traiter la demande de services optionnels, la cession des droits étant conçue et acceptée comme une contrepartie raisonnable à la prestation de services optionnels.

Dès lors que la société Rightnow se contente de produire une liste des créances de remboursement permettant certes d'identifier les vols et réservations concernés mais ne permettant pas de savoir si ces créances se rapportent à des créances cédées effectivement à la société Kiwi par des voyageurs ayant opté pour des services optionnels soumis à l'article 6.6 des conditions générales, le débiteur cédé la société Ryanair est en droit de lui opposer l'absence de droits sur ces créances de la société Kiwi son cédant.

De surcroît au-delà de l'acceptation des conditions générales selon une procédure largement validée par la jurisprudence européenne il convient de relever que la société Kiwi ne pouvait en dehors des services optionnels disposer que des créances de remboursement de voyageurs n'ayant pas embarqué sans avoir annulé leur voyage et n'ayant pas choisi au préalable de s'adresser directement à la compagnie aérienne.

Or, non seulement la société Rightnow ne peut justifier que pour l'ensemble des créances les voyageurs n'ont pas eu recours à la possibilité de gérer eux-mêmes les conditions de leur remboursement mais la société Ryanair produit nombre de captures d'écrans reprenant les coordonnées du vol établissant que parmi les créances de remboursement dont le recouvrement est sollicité certaines ont déjà fait l'objet d'un remboursement aux voyageurs avant même la cession au profit de la société Rightnow.

Ainsi, faute d'établir la propriété de la société Kiwi sur l'ensemble des créances de remboursement cédées la cession de créances intervenue au profit de la société Rightnouw est nulle et ne peut être opposée à la société Ryanair.

Il est encore plus troublant de constater que certaines créances de remboursement se rapportent à des réservations de vols qui ont été suivies d'un embarquement des voyageurs.

Se contentant de produire une liste des créances cédées se rapportant à des réservations de vols même parfaitement identifiés, la société Rightnow n'est néanmoins pas en mesure de justifier du principe même des créances de remboursement.

Elle reconnaît ne pas être en mesure de chiffrer ces créances et ne solliciter qu'une valeur estimative et forfaitaire de celles-ci en raison de la pratique illégale de la société Ryanair.

Elle fait valoir que Ryanair en sa qualité de transporteur aérien a l'obligation de répercuter systématiquement et de manière individualisée les taxes et redevances aéroportuaires dans le prix des billets d'avion et doit rembourser les taxes et redevances individualisées et affichées dans le prix du titre vendu dont l'exigibilité procède de l'embarquement effectif du passager lorsque le titre n'est plus valide et n'a pas donné lieu à transport. Elle considère que Ryanair viole la règlementation européenne en n'indiquant pas le détail du montant des taxes et redevances aéroportuaires.

Elle indique avoir ainsi mais en vain mis en demeure Ryanair de communiquer le détail du montant des taxes et redevances des passagers pour chacun des vols objets du litige.

Elle justifie ainsi la réclamation qu'elle présente à hauteur de 36 200 euros en appliquant à une estimation sur la base de 20 euros par passager ou à défaut sa demande d'expertise au regard des éléments précis définissant chacune des créances.

La société Ryanair pour sa part indique qu'au regard de sa politique ou business model elle ne viole aucunement la législation dès lors qu'elle entend supporter elle-même les taxes et redevances et ne pas les mettre à la charge des passagers et qu'elle ne facture pas de taxes pour les classes tarifaires inférieures notamment lorsque le prix du billet est inférieur nettement à la taxe qui serait due et qu'ainsi ne répercutant pas les taxes sur ses passagers elle ne peut être contrainte à les leur rembourser.

Sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur la légalité de la politique mise en place par la société Ryanair, il ya lieu de relever que le montant de chacune des créances ne peut être fixé forfaitairement et qu'il existe une incertitude certaine sur l'existence et le montant des éventuelles créances de remboursement en dépit de leur individualisation.

Il convient en conséquence non pas de déclarer irrecevable la société Rightnow mais de la débouter de sa demande en paiement formulée à l'encontre de la société Ryanair.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il convient de condamner la société Rightnow aux entiers dépens d'appel et de la condamner à payer à la société Ryanair la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement contradictoirement et par mise à disposition de la décision au greffe,

Déclare recevable l'appel formé par la société Right now ;

Confirme le jugement entrepris excepté sur l'irrecevabilité de la demande de la société Rightnow ;

Statuant à nouveau sur le chef infirmé,

Dit recevable mais mal fondée la société Rightnow en sa demande relative aux 130 créances de remboursement relatives à des contrats de transport ayant pour point de départ ou d'arrivée l'aéroport de [Localité 5] ;

La déboute de cette demande ;

Y ajoutant,

Condamne la société Rightnow aux entiers dépens d'appel ;

Condamne la société Rightnow à payer à la société Ryanair la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : Chambre Économique
Numéro d'arrêt : 23/01458
Date de la décision : 13/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-13;23.01458 ?
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