ARRET
N°
S.C.I. LE [Localité 6]
C/
S.A.S.U. ROC FACADE
DB/SGS/DPC/VB
COUR D'APPEL D'AMIENS
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU TREIZE JUIN
DEUX MILLE VINGT QUATRE
Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 22/04634 - N° Portalis DBV4-V-B7G-ISSY
Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE D'AMIENS DU TRENTE AOUT DEUX MILLE VINGT DEUX
PARTIES EN CAUSE :
S.C.I. LE [Localité 6] agissant poursuites et diligences en son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Georgina WOIMANT, avocat au barreau d'AMIENS
Ayant pour avocat plaidant Me Clément FOURNIER de la SELARL RAMERY ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de LILLE
APPELANTE
ET
S.A.S.U. ROC FACADE agissant poursuites et diligences en son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Sérène MEDRANO, avocat au barreau d'AMIENS
Ayant pour avocat plaidant Me Arnaud GERVAIS, avocat au barreau de REIMS
INTIMEE
DEBATS :
A l'audience publique du 28 mars 2024, l'affaire est venue devant M. Douglas BERTHE, magistrat chargé du rapport siégeant sans opposition des avocats en vertu de l'article 805 du Code de procédure civile. Ce magistrat a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 13 juin 2024.
La Cour était assistée lors des débats de Mme Sylvie GOMBAUD-SAINTONGE, greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Le magistrat chargé du rapport en a rendu compte à la Cour composée de M. Douglas BERTHE, Président de chambre, Président, Mme Graziella HAUDUIN, Présidente de chambre et Mme Clémence JACQUELINE, Conseillère, qui en ont délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE DE L'ARRET :
Le 13 juin 2024, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par M. Douglas BERTHE, Président de chambre et Mme Sylvie GOMBAUD-SAINTONGE, greffière.
*
* *
DECISION :
La SASU Roc Façade est spécialisée dans la réalisation de travaux de façade.
La société civile immobilière [Localité 6] a assuré la maîtrise d'ouvrage de la construction d'un ensemble immobilier à usage d'habitation situé [Adresse 8] et [Adresse 7] à [Localité 5] et destiné à faire l'objet d'une vente par lots en la forme de vente en l'état futur d'achèvement.
Les travaux ont été confiés à différents locateurs d'ouvrage travaillent en corps d'état séparés.
Suivant acte d'engagement sous signature privée en date du 14 janvier 2016 faisant suite à un devis n°15-02/026 B en date du 22 décembre 2015, la société civile immobilière [Localité 6] a confié à la SASU Roc Façade la réalisation du lot n°3 « Ravalement » dans le cadre de travaux de construction de 175 logements collectifs sis [Adresse 9] et [Adresse 7] à [Localité 5] (Somme) pour un montant global et forfaitaire de 190 000 euros HT, soit 228 000 euros TTC.
Suivant avenant n°1 en date du 11 octobre 2017 faisant suite à un devis n°TS-RF1715 émis par la SASU Roc Façade en date du 30 mars 2017 relatif à des travaux supplémentaires, le montant global et forfaitaire des travaux a été augmenté à la somme de 194 545 euros HT.
Suivant avenant n°2 faisant suite à un devis n°TS-RF-1726B émis par la SASU Roc Façade en date du 8 octobre 2017 relatif à des travaux supplémentaires, le montant global et forfaitaire des travaux a été porté à la somme de 199 157,42 euros HT.
Enfin, suivant devis n°TS-RF-1740 en date du 13 novembre 2017 accepté par courriel le 16 janvier 2018, la SCI [Localité 6] a confié à la SASU Roc Façade des travaux supplémentaires relatifs à des reprises d'enduits et de mise en peinture pour un montant de 11 811,73 euros HT.
Reprochant à la SCI [Localité 6] de ne pas s'être acquittée de l'intégralité du montant de ses différents états de situation et après avoir émis un dernier état de solde le 30 janvier 2019, la SASU Roc Façade a, par lettre recommandée adressée par l'intermédiaire de son conseil en date du 21 novembre 2019 réceptionnée le 25 novembre 2019, mis en demeure la SCI [Localité 6] de lui verser le montant des trois derniers états de situation sous quinzaine, et en l'absence de réponse l'a, par exploit d'huissier en date du 13 août 2021, fait assigner en paiement de l'ensemble de l'impayé et en indemnisation de ses préjudices devant le tribunal judiciaire d'Amiens.
La SCI [Localité 6], régulièrement assignée a personne, n'a pas constitué avocat en première instance.
Par jugement du 30 août 2022, le tribunal judiciaire d'Amiens a :
Condamné la SCI [Localité 6] à payer à la SASU Roc Façade la somme de 57 672,18 euros TTC au titre du solde des factures n°2018-01-13, n°2018-03-06 et 2019-01-21, assortie des intérêts au taux légal à compter du 25 novembre 2019 jusqu'à complet paiement,
Débouté la SASU Roc Façade de sa demande de dommages-intérêts formée au titre de la résistance abusive,
Condamné la SCI [Localité 6] à payer à la SASU Roc Façade la somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamné la SCI [Localité 6] aux dépens,
Autorisé Me Sérène Médrano à recouvrer directement ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision,
Rappelé que sa décision est exécutoire de droit à titre provisoire.
Par déclaration du 11 octobre 2022, la SCI [Localité 6] a interjeté appel de cette décision.
Vu les conclusions récapitulatives déposées le 3 juillet 2023 par lesquelles la SCI [Localité 6] demande à la cour de :
Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :
L'a condamnée à payer à la SASU Roc Façade la somme de 57 672,18 euros TTC au titre du solde des factures n°2018-01-13, n°2018-03-06 et n°2019-01-21, assortie des intérêts au taux légal à compter du 25 novembre 2019 jusqu'à complet paiement ;
L'a condamnée à payer à la SASU Roc Façade la somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
L'a condamnée aux dépens avec distraction ;
Rappelé que la décision est exécutoire de droit à titre provisoire ;
statuant à nouveau :
Débouter la SASU Roc Façade de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Condamner la SASU Roc Façade à lui payer la somme de 100 euros HT soit 120euros TTC par jour de retard au titre la non remise du dossier des ouvrages exécutés à compter du 30 janvier 2019 jusqu'à remise effective ;
Subsidiairement,
Ordonner la compensation judiciaire entre toutes condamnations respectives des parties ;
en tout état de cause,
Condamner la SASU Roc Façade à lui payer la somme de 2 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les conclusions récapitulatives déposées le 16 novembre 2023 par lesquelles la SASU Roc Façade demande à la cour de :
Déclarer la SCI [Localité 6] recevable mais mal fondée en son appel,
en conséquence,
L'en Débouter,
Déclarer la SASU Roc Façade recevable et fondée en son appel incident,
ce faisant,
Confirmer le jugement dont appel sauf en ce qui concerne le quantum des sommes auxquelles l'appelante a été condamnée à titre d'impayés, le rejet de sa demande tendant à voir condamner la SCI [Localité 6] à lui régler la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et la limitation à la somme de 1 800 euros la condamnation prononcée à l'encontre de l'appelante sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
et statuant à nouveau,
Infirmer la décision entreprise sur le surplus,
Juger que la SCI [Localité 6] n'a pas procédé au règlement de l'intégralité des prestations réalisées au titre du lot n° 3 du marché de construction de 175 logements à [Localité 5],
Condamner en conséquence la SCI [Localité 6] à lui régler la somme de 64 541,36 euros TTC à titre du solde du marché dû, somme majorée des intérêts au taux légal à compter du 25 novembre 2019 jusqu'à parfait paiement conformément aux dispositions de l'article 1104 du Code Civil,
à titre subsidiaire,
Condamner la SCI [Localité 6] au paiement desdites sommes à son profit sur le fondement des dispositions des articles 1303 et suivants du code civil,
Condamner la SCI [Localité 6] à lui payer la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et injustifiée,
La condamner également à lui régler la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de 1ère instance ainsi que celle de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,
Confirmer le jugement dont appel pour le surplus,
Condamner l'appelante en tous les entiers dépens de la présente instance avec distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Débouter l'appelante de toutes demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires.
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
La clôture a été prononcée le 24 janvier 2024 et l'affaire a été renvoyée pour être plaidée à l'audience du 28 mars 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande en paiement :
Selon l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
Aux termes de l'article 9 code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
En l'espèce, la SCI [Localité 6] ne conteste pas que le montant total du marché de travaux de la SASU Roc Façade s'élève à la somme de 210 969,15 € HT, soit 253 162,98 € TTC.
Il n'est pas non plus contesté que la SASU Roc Façade a bien exécuté ces travaux convenus dans le délai prévu par le marché.
La SASU Roc Façade justifie de la réalisation par ses soins de neuf états de situation et d'un état de solde comportant un encart de visa du maître d'oeuvre et du maître de l'ouvrage dont le montant total correspond au montant du marché, soit la somme de 253 162,98 € TTC.
La SCI [Localité 6] ne conteste pas :
- que ces états de situation ont bien été transmis au maître d'oeuvre,
- en avoir été finalement destinataire,
- avoir procédé à des paiements consécutifs à l'émission des huit premiers états de situation.
Elle reproche cependant à la SASU Roc Façade de ne pas démontrer l'apposition formelle du cachet du maître d'oeuvre dans l'encart prévu à cet effet sur les formulaires d'état de situation transmis au maître d'oeuvre.
En premier lieu, l'article 31 du cahier des clauses générales ne fait obligation à l'entrepreneur que d'établir ces états de situation et de les transmettre au maître d'oeuvre et il n'est pas contesté en l'espèce que la SASU Roc Façade a bien établi ces états de situation et les a transmis au maître d'oeuvre.
Par ailleurs, aucune stipulation du cahier des charges ne subordonne le paiement des états de situation à la démonstration par le locateur d'ouvrage de leur vérification par le maître d'oeuvre alors que la SCI [Localité 6] ne justifie nullement que les états de situation dont elle a été destinataire n'auraient été ni visés ni vérifiés par le maître d'oeuvre.
Enfin, la cour rappelle que la vérification des états de situation est, aux termes de l'article 32 du cahier des clauses générales, une obligation qui incombe exclusivement au maître d'oeuvre, qui n'est pas dans la cause, et dont l'inexécution ne saurait être reprochée au locateur d'ouvrage, à supposer celle-ci démontrée.
Il n'est pas contesté que la SASU Roc Façade a facturé au total à la SCI [Localité 6] la somme de 253 162,98 euros en contrepartie des prestations qu'elle a réalisées.
La SCI [Localité 6] ne justifie d'aucun paiement.
Toutefois, la SASU Roc Façade reconnaît avoir perçu la somme totale de 188 621,62 euros en règlement partiel des dix états de situation qu'elle a adressé au maître d'oeuvre.
Il en résulte donc un impayé de 64 541,36 euros (253 162,98 - 188 621,62 euros) que la SCI [Localité 6] sera condamnée à payer à la SASU Roc Façade.
La décision entreprise, qui avait écarté l'examen des impayés partiels sur les sept premiers états de situation pour ne considérer que les seuls trois derniers états de situation et les retenir pour leur montant intégral sans prendre en compte le paiement partiel de 2 603,19 euros opéré au titre de l'état n° 8, sera donc infirmée en son quantum de condamnation.
Aucune mise en demeure d'avoir à payer le montant intégral de l'impayé n'est intervenue avant l'assignation du 13 août 2021 qui constitue une mise en demeure et porte précisément sur la somme de 64 541,36 euros. Dès lors, la condamnation prononcée à l'encontre de la SCI [Localité 6] emportera intérêts au taux légal à compter du 13 août 2021, date de l'assignation en première instance.
Sur la demande de dommages-intérêts au titre de la résistance abusive :
Il résulte de l'article 1231-6 du code civil que les dommages-intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. Ces dommages-intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte. Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages-intérêts distincts de l'intérêt moratoire.
En l'espèce, l'intention de nuire ou l'erreur grossière que la SCI [Localité 6] ne sont pas démontrées et ne s'infèrent pas non plus de l'exercice normal des voies de recours. Comme le relève au surplus et à juste titre la juridiction du premier degré, la SASU Roc Façade ne caractérise aucun préjudice distinct de celui résultant du retard dans le règlement de sa créance, lequel est déjà réparé par le versement des intérêts au taux légal.
La demande de la SASU Roc Façade sera donc rejetée et la décision entreprise sera confirmée sur ce point.
Sur la remise sous astreinte du dossier des ouvrages exécutés :
La SCI [Localité 6] soutient que la SASU Roc Façade n'a pas satisfait depuis le 30 janvier 2019 à son obligation de remise de son dossier des ouvrages exécutés (DOE).
Pour autant, le dossier des ouvrages exécutés a été produit au débat par la SASU Roc Façade et il n'y a donc pas lieu de la condamner à réaliser cette remise sous astreinte.
En outre, aucun retard de remise ne saurait être reproché à la SASU Roc Façade dans la mesure où cette dernière produit un courriel du 8 octobre 2018 du maître d'oeuvre mandaté par la SCI [Localité 6] duquel il résulte que ce dernier était en possession à cette date du dossier des ouvrages exécutés de la SASU Roc Façade.
Il conviendra donc de rejeter la demande de condamner de la SASU Roc Façade à lui payer la somme de 120 euros TTC par jour de retard au titre la non-remise du dossier des ouvrages exécutés à compter du 30 janvier 2019 jusqu'à remise effective. Dès lors, la demande de compensation entre le montant de l'astreinte et la condamnation au titre de l'impayé sera également rejetée et il sera ajouté de ces chefs à la décision entreprise.
Sur les frais irrépétibles et les dépens :
La SCI [Localité 6] qui succombe doit être condamnée aux dépens de l'appel et la décision de première instance sera confirmée en ses dispositions afférentes aux frais irrépétibles et aux dépens. Il conviendra également d'autoriser le recouvrement direct contre la partie condamnée des dépens dont il a été fait l'avance sans avoir reçu provision en application de l'article 699 du code de procédure civile
L'équité commande de condamner la SCI [Localité 6] à payer à la SASU Roc Façade la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par cette dernière à hauteur d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à disposition au greffe,
Infirme la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la SCI [Localité 6] à payer à la SASU Roc Façade la somme de 57 672,18 euros TTC au titre du solde des factures n° 2018-01-13, n° 2018-03-06 et 2019-01-21, assortie des intérêts au taux légal à compter du 25 novembre 2019 jusqu'à complet paiement,
La confirme pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la SCI [Localité 6] à payer à la SASU Roc Façade la somme de 64 541,36 euros TTC au titre des impayés du marché de travaux de façade convenu initialement entre les parties le14 janvier 2016 et de ses avenants, assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 août 2021 et ce jusqu'à complet paiement,
Rejette l'ensemble des demandes de la SCI [Localité 6],
Condamne la SCI [Localité 6] aux dépens de l'appel et autorise leur recouvrement direct en application de l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne la SCI [Localité 6] à payer à la SASU Roc Façade la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par cette dernière à hauteur d'appel.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT