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06/06/2024 | FRANCE | N°23/00084

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 1ère chambre civile, 06 juin 2024, 23/00084


ARRET







[X]

[P]





C/



S.A. SOGESSUR























































































DB/SGS/DPC/VB





COUR D'APPEL D'AMIENS



1ERE CHAMBRE CIVILE



ARRET DU SIX JUIN

DE

UX MILLE VINGT QUATRE





Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 23/00084 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IUML



Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE D'AMIENS DU NEUF NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX





PARTIES EN CAUSE :



Madame [J] [X]

née le [Date naissance 3] 1968 à [Localité 9]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 6]/ FRANCE



Représentée p...

ARRET

[X]

[P]

C/

S.A. SOGESSUR

DB/SGS/DPC/VB

COUR D'APPEL D'AMIENS

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU SIX JUIN

DEUX MILLE VINGT QUATRE

Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 23/00084 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IUML

Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE D'AMIENS DU NEUF NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX

PARTIES EN CAUSE :

Madame [J] [X]

née le [Date naissance 3] 1968 à [Localité 9]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 6]/ FRANCE

Représentée par Me Pascal BIBARD de la SELARL CABINETS BIBARD AVOCATS, avocat au barreau d'AMIENS

Monsieur [N] [P]

né le [Date naissance 4] 2001 à [Localité 9]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représenté par Me Pascal BIBARD de la SELARL CABINETS BIBARD AVOCATS, avocat au barreau d'AMIENS

APPELANTS

ET

S.A. SOGESSUR agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 12]

[Localité 7]

Représentée par Me Olympe TURPIN substituant Me Jérôme LE ROY de la SELARL LX AMIENS-DOUAI, avocats au barreau d'AMIENS

Plaidant par Me Xavier VIARD de la SELARL VIARD avocat, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE

DÉBATS & DÉLIBÉRÉ :

L'affaire est venue à l'audience publique du 21 mars 2024 devant la cour composée de Mme Graziella HAUDUIN, Présidente de chambre, Présidente, M. Douglas BERTHE, Président de chambre et Mme Clémence JACQUELINE, Conseillère, qui en ont ensuite délibéré conformément à la loi.

A l'audience, la cour était assistée de Mme Sylvie GOMBAUD-SAINTONGE, greffière, assistée de Mme Anne-Sophie JOLY, greffière stagiaire.

Sur le rapport de M. Douglas BERTHE et à l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré et la présidente a avisé les parties de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 06 juin 2024, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

PRONONCÉ :

Le 06 juin 2024, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Graziella HAUDUIN, Présidente de chambre et Mme Sylvie GOMBAUD-SAINTONGE, greffière.

*

* *

DECISION :

Mme [J] [X] et [F] [P] étaient propriétaires en indivision d'un immeuble à usage d'habitation sis [Adresse 5] à [Localité 8].

Ils ont eu ensemble un fils, M. [N] [P], né le [Date naissance 4] 2001.

Mme [J] [X] a souscrit auprès de la compagnie Sogessur, avec effet au 21 juin 2018, une assurance habitation.

Le [Date décès 2] 2019, [F] [P] a mis fin à ses jours, occasionnant également, par son geste, la destruction totale de la maison par explosion liée au gaz et incendie.

Mme [J] [P] a effectué une déclaration de sinistre auprès de son assureur, la SA Sogessur.

Dans l'attente d'une indemnisation de leur assureur et pour se prémunir de toute prescription, Mme [J] [X] et son fils M. [N] [P] ont assigné la Sogessur aux fins d'exécution de ses obligations contractuelles et la faire condamner à réparer leurs préjudices consécutifs au sinistre du [Date décès 2] 2019.

Par jugement du 9 novembre 2022, le tribunal judiciaire d'Amiens a :

- Débouté Mme [J] [X] et M. [N] [P] de l'ensemble de leurs demandes ;

- Condamné Mme [J] [X] et M. [N] [P] aux dépens de l'instance avec distraction ;

- Débouté la SELARL Lexavoué Amiens de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit.

Par déclaration du 21 décembre 2022, Mme [J] [X] et M. [N] [P] ont interjeté appel de cette décision.

Vu les conclusions récapitulatives déposées le 17 janvier 2023 par lesquelles Mme [J] [X] et M. [N] [P] demandent à la cour de :

- Les dire recevables et bien fondés en leur appel,

- Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

En conséquence, et statuant à nouveau,

- Condamner la société Sogessur à prendre en charge l'intégralité du coût de travaux de remise en état, et ce en exécution du contrat d'assurance habitation n° 89549162,

- Condamner la société Sogessur à leur payer 274 845,19 euros à titre d'indemnité d'assurance, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation des demandeurs et ce avec capitalisation des intérêts,

- Condamner la société Sogessur à la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive,

- Condamner la société Sogessur à leur payer une somme de 7 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Ils exposent :

- que le cabinet d'expertise Michel Braem a évalué le montant des dommages provoqués par le sinistre à hauteur de 274 845,19 euros TTC,

- qu'il appartient à l'assureur d'apporter la preuve d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré, en l'espèce Feu [F] [P],

- que la volonté chez l'assuré de provoquer le dommage avec la conscience des conséquences de son acte est à exclure lorsque la personne souffre, lors de l'acte, d'une altération de ses facultés personnelles la privant de discernement ne lui permettant pas d'appréhender réellement la portée de ses actes,

- que quelques jours avant que n'intervienne le sinistre, [F] [P] a été hospitalisé d'office au C.H. [11] pour des soins psychiatriques, suite à une décompensation psychotique et une première tentative de suicide avortée, que celui-ci a cependant réussi à s'échapper de l'hôpital psychiatrique aux fins de réintégrer son domicile pour se donner la mort,

- que [F] [P] n'était pas le souscripteur du contrat mais un des bénéficiaires.

Vu les conclusions récapitulatives déposées le 12 avril 2023 par lesquelles la SA Sogessur demande à la cour de :

- Juger Mme [J] [X] et M. [N] [P] recevables mais mal fondés en leur appel,

Dès lors,

- les en débouter et confirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions,

- Condamner in solidum Mme [J] [X] et M. [N] [P] à lui verser une indemnité de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner in solidum Mme [J] [X] et M. [N] [P] aux entiers dépens de la présente instance d'appel avec distraction.

Elle expose :

- que sauf à opérer un renversement de la charge de la preuve, il n'appartient pas à l'assureur de démontrer que l'auteur des faits était doué de discernement,

- qu'une abolition du discernement ne saurait être présumée, que les appelants ne produisent aucun document médical attestant de l'état de santé mentale réel du défunt avant les faits ni même la preuve de son hospitalisation,

- que l'explosion a été provoquée par le fait que [F] [P] a propagé du gaz dans toute l'habitation afin de la provoquer, qu'il a en outre dispersé une grande quantité de poudre en de nombreux endroits de la maison et y a répandu de l'essence,

- que [F] [P] a ainsi intentionnellement créé les conditions d'une destruction certaine de la maison d'habitation dont il était copropriétaire avec Mme [X], au terme d'un mode opératoire élaboré,

- que la prise en charge des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle de l'assuré est exclue, le sinistre survenu étant dépourvu de tout caractère accidentel ou aléatoire,

- que subsidiairement, il s'agit d'une faute dolosive correspondant à des comportements volontaires qui conduisent inéluctablement au dommage, en supprimant tout aléa.

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

La clôture a été prononcée le 6 décembre 2023 et l'affaire a été renvoyée pour être plaidée à l'audience du 21 mars 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Selon l'article 1103 du code civil que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

Aux termes de l'article L113-1 du code des assurances, l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré.

Enfin, aux termes de l'article 9 code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

Mme [J] [X] a souscrit auprès de Sogessur un contrat d'assurance multirisque habitation en date du 21 juin 2018 pour son logement sis au [Adresse 5] à [Localité 8].

Aux termes des conditions générales de ce contrat, possède la qualité d'assuré celui qui est défini comme tel pour chaque garantie. Le contrat couvre notamment les risques incendie, implosion et explosion et définit au titre de cette garantie comme assuré (en page 15) : le souscripteur, son conjoint ou concubin ou pacsé vivant habituellement dans l'habitation désignée aux conditions particulières ou toute personne vivant habituellement dans l'habitation désignée aux conditions particulières.

Les conditions générales du contrat d'assurance habitation (page 33) exclut de la garantie les dommages intentionnellement causés ou provoqués par l'assuré ou avec sa complicité.

En l'espèce, le déroulement et les causes des faits ayant conduit à la destruction totale de la maison d'habitation assurée ressortent des procès-verbaux de la brigade de gendarmerie de [Localité 10] ainsi que du rapport d'expertise incendie effectué par M. [B] [S], expert près la cour d'appel d'Amiens, sur réquisition judiciaire.

Il en résulte les éléments suivants :

Le [Date décès 2] 2019 vers 11h15/11h30, une détonation provenant de la maison sise [Adresse 5] à [Localité 8] est entendue par la voisine. La toiture de la maison était 'soufflée' et atterrissait sur la chaussée. Selon l'expert incendie, l'explosion avait pour cause une fuite de gaz provenant de l'ensemble plaque de cuisson-bouteille de gaz dans la cuisine ; le gaz butane plus lourd que l'air s'était répandu dans l'ensemble du rez de chaussée ; puis une source de chaleur avait déclenché l'explosion dans toutes les pièces de la maison en même temps ; dans un deuxième temps, la fuite de gaz enflammée sur la gazinière a transmis l'incendie aux meubles en bois de la cuisine.

[F] [P] se trouvait à l'intérieur de la maison. Il s'adressait à sa voisine peu après l'explosion en ces termes : « C'est bientôt fini, j'en ai plus pour longtemps ! ».

Une autre détonation était entendue par la voisine peu de temps après. Selon l'expert, il pouvait s'agir selon lui soit d'un coup de feu, soit d'un dispositif explosif.

Alors que l'incendie se propageait, plusieurs autres détonations étaient entendues. L'enquête révélait qu'elles provenaient de l'explosion de nombreuses munitions présentes au domicile.

L'incendie a détruit une partie importante des murs de la maison ; le reste des murs s'est effondré sous l'action des lances à eau des pompiers.

Le corps de [F] [P] était retrouvé calciné dans les décombres par les pompiers.

Son autopsie a révélé un suicide par arme à feu ; [F] [P] s'étant tiré une balle dans la tête. S'agissant de l'état du corps, profondément carbonisé, l'expert indique que l'intéressé a pu s'immoler par le feu ou bien être retombé sur un amoncellement de matériaux solides enflammés comparables à un bûcher.

Il résulte de l'ensemble des constatations et des auditions faites au cours de l'enquête ainsi que des conclusions de l'expert incendie que [F] [P] a déclenché volontairement l'incendie qui a détruit sa maison avant de se donner la mort par arme à feu.

Le caractère intentionnel de l'incendie est corroboré par la circonstance que [F] [P] a attendu le départ de l'incendie avant de mettre fin à ses jours car ce n'est qu'après la première explosion qu'il s'est adressé à sa voisine.

Les appelants ne contestent nullement que [F] [P] est à l'origine du sinistre mais exposent que celui-ci n'était aucunement en situation d'appréhender réellement la portée de son geste malheureux, que son état de conscience était foncièrement altéré et que la faute ne peut être qualifiée d'intentionnelle ou de dolosive lorsqu'elle est le fait d'une personne sous l'emprise d'une décompensation psychotique au moment des faits. Ils exposent d'ailleurs que quelques jours avant que n'intervienne le sinistre, [F] [P] avait été hospitalisé d'office au C.H. [11] pour des soins psychiatriques, suite à une première tentative de suicide avortée.

Toutefois et comme le relève la juridiction du premier degré, l'hospitalisation sous contrainte de [F] [P] n'est pas justifiée par les appelants non plus qu'aucun certificat médical attestant d'une altération du discernement de l'intéressé dans un temps avoisinant les faits.

En outre, une volonté suicidaire, comme le relèvent également la juridiction du premier degré, n'est pas de nature à démontrer une telle altération du discernement.

Lors de ses auditions par les services de gendarmerie Mme [X] confirmait partager une vie commune avec [F] [P] au sein des lieux assurés qui étaient leur domicile commun.

Aux termes de leurs conclusions, les appelants confirment que Mme [X] et [F] [P] étaient propriétaires en indivision de l'immeuble à usage d'habitation sis [Adresse 5] à [Localité 8], dans lequel ils vivaient tous deux avec leur fils, [N].

Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que [F] [P] était bien assuré au sens de la convention d'assurance et que sa faute intentionnelle consistant à avoir volontairement mis le feu à la maison familiale doit être retenue.

La Sogessur est donc fondée à faire application de l'exclusion de garantie légale et contractuelle.

Les appelants seront donc déboutés de leurs demandes de prise en charge des conséquences du sinistre du [Date décès 2] 2019 et par voie de conséquence, de leur demande de dommages-intérêts pour résistance abusive de l'assureur.

La décision entreprise sera donc confirmée sur ces points.

Mme [J] [X] et M. [N] [P] qui succombent seront condamnés in solidum aux dépens de l'appel et la décision entreprise sera confirmée en ses dispositions portant sur les dépens et les frais irrépétibles. Il conviendra également d'autoriser le recouvrement direct contre les parties condamnées des dépens dont il a été fait l'avance sans avoir reçu provision en application de l'article 699 du code de procédure civile.

L'équité commande par ailleurs de laisser à chaque partie la charge des frais irrépétibles qu'elles ont exposées à hauteur d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à disposition au greffe,

Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne in solidum Mme [J] [X] et M. [N] [P] aux dépens de l'appel et autorise leur recouvrement direct en application de l'article 699 du code de procédure civile,

Laisse aux parties la charge des frais irrépétibles qu'elles ont exposés à hauteur d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 23/00084
Date de la décision : 06/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 12/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-06;23.00084 ?
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