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23/05/2024 | FRANCE | N°23/04532

France | France, Cour d'appel d'Amiens, Chambre Économique, 23 mai 2024, 23/04532


ARRET

























S.C.P. [I] BARAULT MAIGROT









C/







[Z]













VB





COUR D'APPEL D'AMIENS



CHAMBRE ÉCONOMIQUE



ARRET DU 23 MAI 2024





N° RG 23/04532 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I5DJ





JUGEMENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE DE SOISSONS EN DATE DU 14 SEPTEMBRE 2023



APRES COMMUNICATION DU DOSS

IER ET AVIS DE LA DATE D'AUDIENCE AU MINISTERE PUBLIC



EN PRESENCE DU REPRESENTANT DE MADAME LE PROCUREUR GENERAL





PARTIES EN CAUSE :







APPELANTE







S.C.P. [I] BARAULT MAIGROT, es qualités de liquidateur judiciaire de la S.A.R.L. LA BANQUE A BULLES agissant poursuites et diligences en son représenta...

ARRET

S.C.P. [I] BARAULT MAIGROT

C/

[Z]

VB

COUR D'APPEL D'AMIENS

CHAMBRE ÉCONOMIQUE

ARRET DU 23 MAI 2024

N° RG 23/04532 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I5DJ

JUGEMENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE DE SOISSONS EN DATE DU 14 SEPTEMBRE 2023

APRES COMMUNICATION DU DOSSIER ET AVIS DE LA DATE D'AUDIENCE AU MINISTERE PUBLIC

EN PRESENCE DU REPRESENTANT DE MADAME LE PROCUREUR GENERAL

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

S.C.P. [I] BARAULT MAIGROT, es qualités de liquidateur judiciaire de la S.A.R.L. LA BANQUE A BULLES agissant poursuites et diligences en son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Eric POILLY substituant Me Jérôme LE ROY de la SELARL LX AMIENS-DOUAI, avocats au barreau d'AMIENS

Ayant pour avocat plaidant Me Nathalie COLIGNON-BERTIN, avocat au barreau de SOISSONS

ET :

INTIMEE

Madame [Y] [Z]

[Adresse 5]

[Localité 6]

Représentée par Me Florence GACQUER CARON, avocat au barreau d'AMIENS

Ayant pour avocat plaidant Me Antoine GINESTRA, avocat au barreau

de [Localité 10]

DEBATS :

A l'audience publique du 28 Mars 2024 devant :

Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre,

Mme Françoise LEROY-RICHARD, Conseillère,

et Mme Valérie DUBAELE, Conseillère,

qui en ont délibéré conformément à la loi, la Présidente a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 23 Mai 2024.

Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile.

GREFFIER LORS DES DEBATS : Madame Diénéba KONÉ

MINISTERE PUBLIC : Monsieur Alain LEROUX, Avocat Général

PRONONCE :

Le 23 Mai 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ; Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre a signé la minute avec Mme Diénéba KONÉ, Greffier.

DECISION

Le 1er mars 2018 Mme [Y] [Z] a créé avec son conjoint M. [U] [D] la SARL La banque à bulles ayant pour activité « restaurant, dîner, animations et spectacles et promotions de champagne et ayant son siège social au [Adresse 2] (02) également lieu du domicile de Mme [Z].

L'établissement principal de cette société, dont l'exploitation a débuté début septembre 2018 après travaux d'aménagement, était situé dans les anciens locaux de la banque de France de [Localité 7].

Mme [Z] était titulaire de 51% du capital social d'un montant nominal de 15.000 euros et en a assumé la gérance de droit dès l'origine.

Mme [Z] ayant fait part des difficultés financières de la société à la présidente du tribunal de commerce de Soissons en juin 2019, cette dernière a, le 13 juin 2019, désigné un conciliateur pour assister la société afin de trouver un accord de règlement avec les créanciers et éviter ainsi l'ouverture d'une procédure collective.

Le conciliateur a mis fin à sa mission mi-novembre 2019, aucun accord n'étant intervenu avec les principaux créanciers.

Puis, saisi par le procureur de la République le 11 décembre 2019 d'une demande d'ouverture de procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, le tribunal de commerce a, le 16 décembre 2019, ordonné la citation de la société à l'audience du 18 juin 2020 et ordonné une enquête pour recueillir tout renseignement sur la situation financière économique et sociale de l'entreprise en désignant pour la conduire M. [P] juge du siège lequel s'est fait assister par la SCP [I] Barault Maigrot en la personne de Me [F] [I].

Par jugement rendu le 18 juin 2020, le tribunal de commerce de Soissons a prononcé l'ouverture d'une « liquidation judiciaire simplifiée 6 mois » de la société, la date de cessation des paiements étant fixée provisoirement au 31 décembre 2019 et la SCP [I]-Barault-Maigrot en la personne de Me [F] [I] étant désignée en qualité de liquidateur.

Entre-temps l'entreprise avait cessé toute activité le 31 décembre 2019 et le bail a été résilié amiablement par la gérante le 7 janvier 2020.

Par jugement rendu le 9 mars 2023, le tribunal de commerce, saisi par le liquidateur judiciaire, a mis fin à l'application des règles de la liquidation judiciaire simplifiée en décidant de l'application des règles de la liquidation judiciaire de droit commun.

Par acte de commissaire de justice du 10 mars 2023, le liquidateur judiciaire a assigné Mme [Z] devant le tribunal de commerce de Soissons en paiement de 374.807,86 euros au titre de la responsabilité du dirigeant pour insuffisance d'actif, se fondant sur une poursuite abusive d'une exploitation déficitaire, une déclaration tardive de cessation des paiements et une résiliation du bail commercial au détriment de l'intérêt des créanciers.

Parallèlement par acte du même jour le liquidateur judiciaire l'a assignée en sanction de faillite personnelle à défaut interdiction de gérer, ce qui a donné lieu à un jugement du 14 septembre 2023 prononçant à son endroit une interdiction de gérer durant 15 ans, dont l'appel est toujours pendant devant la présente cour.

Par ordonnance du 30 mars 2023, notifiée le 17 avril suivant, une enquête patrimoniale a été ordonnée par le président du tribunal et confiée au juge-commissaire qui s'est adjoint les services du mandataire-liquidateur qui a déposé son rapport le 26 juin 2023.

Suivant jugement du 14 septembre 2023, le tribunal de commerce de Soissons a :

-débouté la SCP [I]-Barault-Maigrot de ses demandes,

-dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

-ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure.

La SCP [I]-Barault-Maigrot a interjeté appel de cette décision par déclaration du 6 novembre 2023, tendant à sa réformation en ce qu'elle la déboute de ses demandes y compris au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions partiellement infirmatives notifiées par voie électronique le 16 février 2024 la SCP [I] prise en la personne de Me [F] [I], ès qualités de liquideur judiciaire de la SARL La banque à bulles ensuite de l'ordonnance rendue le 3 janvier 2924 par le président du tribunal de Soissons ayant ordonné le remplacement de la SCP [I]-Barault-Maigrot, demande à la cour, au visa des dispositions de l'article L.651-2 du code de commerce, de :

-dire que son action est recevable,

-débouter Mme [Z] de son appel incident,

-condamner Mme [Z] à payer à la SCP [I]-Barault-Maigrot ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL La banque à bulles, la somme de 374.807,86 euros au titre de l'insuffisance d'actif, ainsi que 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles de première instance et la même somme en appel,

-la condamner aux entiers dépens dont distraction sera faite par Me Jérôme Le Roy, avocat.

Par conclusions portant appel incident notifiées par voie électronique le 5 mars 2024, Mme [Z] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté le liquidateur judiciaire de ses demandes et de juger la SCP [I]-Barault-Maigrot et la SCP [I] ès qualités de mandataire liquidateur autant irrecevables que mal fondées en leurs fins demandes et conclusions, les rejeter les en débouter (sic), infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et condamner le mandataire liquidateur à lui verser 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et 3000 euros pour ceux d'appel, enfin condamner les mêmes aux entiers dépens, dont distraction est requise au profit de Me Florence Gacquer-Caron, avocat aux offres de droit, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Par avis du 1er février 2024, notifié aux parties par voie électronique le 6 février 2024, le ministère public prie la cour qu'elle veuille bien prononcer une décision en harmonie avec l'instance en sanction personnelle actuellement pendante devant la cour et en tout état de cause condamner Mme [Z] en de plus justes proportions.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 mars 2024.

SUR CE,

A l'appui de son appel, le liquidateur fait valoir que :

-l'action en comblement de passif est recevable même si la liquidation simplifiée n'a pas été clôturée dans le délai de 6 mois du jugement en ordonnant l'ouverture, la jurisprudence sur ce point (Com. 27 septembre 2016- pourvoi n°15-13348) s'appliquant identiquement en matière de procédure simplifiée ;

-les fautes de gestion de la gérante tant par son inaction que par son action sont multiples et caractérisées, pour certaines même sanctionnées par une interdiction de gérer ou une faillite personnelle, et ne sauraient être exonérées par la mise en place d'une procédure de conciliation ni par l'absence d'action en nullité des actes accomplis durant la période suspecte ;

Ainsi :

*elle a poursuivi abusivement une exploitation qui était déficitaire dès l'origine et ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements, ce qui servait son intérêt personnel puisqu'elle était engagée en qualité de caution, laissant s'accumuler sans réagir des dettes exigibles, notamment au titre des cotisations URSSAF depuis novembre 2018, au titre de la TVA depuis juin 2019 et au titre des cotisations d'assurance [Localité 9] depuis le 4ème trimestre 2018, le passif résiduel total s'élevant in fine à 380.442,71 euros, étant précisé que le fait de poursuivre l'activité en sachant que les capitaux propres étaient devenus inférieurs à la moitié du capital social et que l'activité était déficitaire (enregistrement d'une perte de 228.519 euros) est considéré en soi comme abusif et fautif par la jurisprudence (Com.29 avril 2014- pourvoi n°13-11.798) ;

*elle a omis de réunir les associés pour se prononcer sur la poursuite ou la dissolution anticipée de la société dans les 4 mois de l'approbation des comptes de l'exercice clos au 31 juillet 2019 en contravention à l'article L.223-42 du code de commerce alors que les capitaux propres de -213.519 euros au 31 juillet 2019 étaient devenus bien inférieurs à la moitié du capital social de 15000 euros, étant précisé que la cour d'appel de Paris a décidé que le fait pour le gérant de n'avoir pas consulté les associés afin qu'ils se prononcent sur la poursuite éventuelle de l'activité constitue une faute de gestion justifiant sa condamnation sur le fondement de l'article L.651-2 du code de commerce (CA Paris, 17 février 2009) ;

*elle a omis de déclarer, en violation de l'article L.631-4 du code de commerce, la cessation des paiements dans le délai de 45 jours suivant cette cessation, en indiquant lors d'un premier rendez-vous avec le liquidateur le 2 janvier 2020 dans le cadre de l'enquête qu'elle comptait que la société reprenne son activité plus ou moins similaire à [Localité 8] dans de nouveaux locaux, alors même que le conciliateur avait mis fin à sa mission mi-novembre 2019 faute d'accord des créanciers;

*dans les trois semaines après l'ouverture de l'enquête elle a résilié amiablement le bail commercial sans le consulter alors qu'il s'agissait de l'élément principal du fonds de commerce ce qui a contribué à la perte du fonds de commerce au détriment des créanciers, la gérante ne fournissant aucune explication sur les accords pris avec le propriétaire qui a récupéré un local flambant neuf pour l'aménagement duquel elle avait emprunté 183.000 euros auprès de la banque Société générale et les immobilisations corporelles tenant compte de la valeur de ce fonds s'élevant à 320.904 euros au 31 juillet 2019.

Il ajoute que la demande d'ouverture de procédure de conciliation ne peut exonérer la gérante de sa responsabilité dans la mesure où cette mesure était vouée à l'échec, de même que l'absence d'action aux fins d'annuler la résiliation du bail commercial survenue pendant la période suspecte ;

- ces fautes -absence de réaction à l'insuffisance des capitaux propres, maintien d'une activité déficitaire qui conduisait à une impasse de trésorerie rendant impossible le paiement des dettes contractées et la résiliation amiable du bail, élément essentiel du fonds de commerce- ont contribué à l'insuffisance d'actif de 374.807,86 euros;

-elle ne saurait se retrancher pour échapper à sa responsabilité derrière sa situation financière personnelle soit-disant obérée, d'autant qu'elle a occulté avoir été déjà associée dirigeante de deux sociétés liquidées judiciairement (Interdesign et Boxx) et avoir créé une nouvelle société France Zen le 7 avril 2021 dont la dissolution-liquidation était en cours en avril 2023.

Mme [Z] réplique que :

-l'action du liquidateur en responsabilité pour insuffisance d'actif est irrecevable dès lors qu'en application de l'article L.644-5 du code de commerce le tribunal aurait dû clôturer la liquidation judiciaire au plus tard le 18 juin 2021 mettant ainsi fin à la mission du mandataire liquidateur,

-les conditions de l'article L.651-2 du code de commerce ne sont pas réunies, à savoir des fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif et en tout état de cause sa responsabilité pour insuffisance d'actif ne saurait être engagée puisqu'il ne peut lui être reproché aucune faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif.

Plus précisément elle fait valoir que :

*alors sans emploi elle s'est associée avec son compagnon d'alors M. [D] qui était vigneron en champagne depuis 2015 afin de créer un restaurant-spectacle-bar à champagne dans les anciens locaux de la banque de France qui étaient fermés depuis 30 ans et qu'ils ont dû aménager pour leur nouvelle activité, mais le projet s'est révélé plus coûteux que prévu du fait de travaux supplémentaires exigés par la commission de sécurité pour obtenir la catégorie 4 qui n'a finalement pas été obtenue, l'obligeant à liquider toutes ses économies car la banque n'a pas voulu les financer et mettant la trésorerie de la société à sec dès le début de l'activité en septembre 2018 quand la société Eiffage a réclamé le paiement de sa facture des travaux supplémentaires réalisés sans devis approuvé;

*la société a accusé des pertes de chiffre d'affaires importantes du fait d'évènements imprévus, à savoir la fermeture durant plusieurs jours de l'établissement à cause du mouvement des gilets jaunes démarré en octobre 2018, des salariés ne pouvant atteindre le centre-ville, et du fait de stationnement rendu impossible aux heures de pointes à compter du 8 avril 2019 dans la rue Carnot objet de travaux de voirie; ses démarches auprès du maire ont été vaines ;

*avant même la clôture du premier exercice elle a saisi en mai 2019 le tribunal de commerce des difficultés de l'entreprise (accumulation des dettes fiscales et sociales) et un conciliateur a été désigné pour assister la société dans son redressement,

*à supposer qu'une assemblée générale se soit tenue dans les 4 mois, à défaut de dissolution la société avait deux ans pour reconstituer les capitaux propres, si bien que cela n'aurait rien changé,

*elle n'a pas poursuivi l'activité déficitaire après l'échec de la conciliation qui n'a été acté qu'à la mi-novembre 2019 et elle a cessé l'activité fin décembre 2019 en résiliant le bail pour ne pas aggraver les dettes et sous la pression du propriétaire, sans que le liquidateur judiciaire s'en émeuve d'ailleurs dans son rapport du 16 janvier 2020,

*il n'y a aucun lien de causalité entre les fautes de gestion qui lui sont reprochées et les mauvais résultats du premier exercice,

*l'absence de déclaration de cessation des paiements dans le délai de 45 jours qui suivent la cessation des paiements prescrit par l'article L.631-4 du code de commerce ne peut lui être opposée dès lors qu'elle avait demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation qui a été ordonnée et s'est achevée mi-novembre 2019, que le tribunal de commerce avait déjà été saisi par le procureur de la République de l'ouverture d'une procédure collective le 11 décembre 2019 et que les rapports du liquidateur judiciaire du 16 janvier 2020, du 13 mars 2020 et du 30 juin 2020 ne font pas état d'un état de cessation des paiements avéré, si bien qu'il ne saurait lui en être fait grief, étant rappelé que de simples négligences du dirigeant de la société, sans réduire l'existence d'une simple négligence à l'hypothèse dans laquelle le dirigeant a pu ignorer les circonstances ou la situation ayant entouré sa commission (Com., 3 février 2021, pourvoi n°19-20.004) ne sauraient entraîner sa responsabilité pour insuffisance d'actif ;

*en tout état de cause la sanction doit être proportionnée aux circonstances ;

*une sanction financière ne pourrait être effective dans la mesure où elle se trouve dans une situation financière personnelle obérée, étant demandeuse d'emploi avec deux enfants à charge, ne possédant aucun patrimoine immobilier et étant endettée et sous traitement anxiolytique et antidépresseur; que la vente à terme du garage du [Adresse 3] acquis en 2021 a été annulée amiablement le 13 juillet 2023 faute de pouvoir continuer à régler les échéances ; que les considérations du liquidateur sur ses autres société dont la dernière a été dissoute le 15 janvier 2023 sont hors sujet .

Sur la recevabilité de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif :

Dès lors que le tribunal de commerce n'a pas prononcé la clôture des opérations de liquidation judiciaire conformément à l'article L.644-5 du code de commerce, le mandat du liquidateur judiciaire n'a pas pris fin de plein droit par l'expiration du délai de 6 mois fixé par cet article et il conserve qualité pour agir en responsabilité pour insuffisance d'actif contre l'ancienne dirigeante nonobstant les termes impératifs de l'article susvisé.

L'action est par conséquent recevable et Mme [Z], qui au demeurant pouvait à tout moment, au même titre que le liquidateur, demander au tribunal de commerce de statuer sur la clôture de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée, et qui n'a pas contesté le jugement du 9 mars 2023 portant application de la procédure de liquidation judiciaire de droit commun, doit être déboutée de sa fin de non-recevoir.

Sur le bien-fondé de l'action pour insuffisance d'actif :

L'article L.651-2 du code de commerce dispose :

« Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée. (')»

Il est constant que l'insuffisance d'actif s'élève in fine à 374.807,86 euros, l'actif recouvré étant de 5.634,85 euros (dont 5275,94 euros de vente de matériel) et le passif admis de 380.442,71 euros dont 26.954,29 euros à titre privilégié.

Sur les fautes de gestion :

Sur la poursuite abusive d'une activité déficitaire ne pouvant conduire qu'à la cessation des paiements :

La cour constate que non seulement la demande d'ouverture d'une procédure de conciliation a été acceptée par le président du tribunal de commerce de Soissons alors même qu'il aurait pu s'y opposer si la société était déjà en état de cessation des paiements mais encore que dans son rapport du 24 octobre 2019 le conciliateur, tenant compte des prévisions comptables soumises par l'expert-comptable FNC assistant la SARL La banque à bulles, a adressé aux principaux créanciers des propositions de report et de rééchelonnement des dettes, déclarées par Mme [Z] à hauteur de 285.792 euros, afin de les apurer et éviter l'ouverture d'une procédure collective, Mme [Z] devant s'engager à renoncer à toute rémunération de la gérance avant remboursement complet et s'engageant concomitamment à mettre en vente le fonds de commerce pour le cas échéant rembourser plus rapidement les dettes.

De ce fait, le liquidateur judiciaire ne peut affirmer que la demande de conciliation était vouée à l'échec dès le début sans démontrer que les déclarations de Mme [Z] notamment sur le montant des dettes étaient mensongères et que la décision judiciaire et la proposition du conciliateur ont été obtenues par fraude ce qu'il n'allègue même pas.

En revanche la gérante savait dès le 15 novembre 2019 date à laquelle cette tentative a échoué et faute d'avoir réuni l'assemblée générale aux fins de recapitalisation éventuelle que la situation financière de la société était irrémédiablement compromise puisque les comptes montraient à la clôture du premier exercice clos au 31 juillet 2019 un résultat net négatif de 228.519 euros et des capitaux propres négatifs de 213.519 euros.

Cependant, il n'est pas justifié du fait que la continuation de l'exploitation déficitaire entre le 13 novembre 2019 et le 31 décembre 2019 date à laquelle elle a cessé toute exploitation, a été abusive, aucun élément ne permettant d'objectiver de nouvelles pertes sur cette seule période.

La cour estime en conséquence que cette faute de gestion est insuffisamment caractérisée.

Sur le défaut de réunion des associés :

L'article L.223-42 du code de commerce dispose que :

« Si, du fait de pertes constatées dans les documents comptables, les capitaux propres de la société deviennent inférieurs à la moitié du capital social, les associés décident, dans les quatre mois qui suivent l'approbation des comptes ayant fait apparaître cette perte s'il y a lieu à dissolution anticipée de la société.

Si la dissolution n'est pas prononcée à la majorité exigée pour la modification des statuts, la société est tenue, au plus tard à la clôture du deuxième exercice suivant celui au cours duquel la constatation des pertes est intervenue, de réduire son capital d'un montant au-moins à celui des pertes qui n'ont pu être imputées sur les réserves, si, dans ce délai, les capitaux propres n'ont pas été reconstitués à concurrence d'une valeur au-moins égale à la moitié du capital social.

Après la première année d'exercice, les comptes ont été clos au 31 juillet 2019 avec un résultat net négatif de 228.519 euros, les capitaux propres étant de -213.519 euros alors que le capital social était de 15000 euros.

Mme [Z] ne discute pas l'affirmation selon laquelle elle a omis de réunir les associés pour se prononcer sur la poursuite ou la dissolution anticipée de la société dans les 4 mois de l'approbation des comptes de l'exercice clos au 31 juillet 2019 conformément à cet article alors que les capitaux propres étaient devenus bien inférieurs à la moitié du capital social.

Il s'agit d'une faute de gestion dont il ne peut cependant être affirmé qu'elle a contribué directement à l'insuffisance d'actif faute pour le liquidateur d'indiquer à quelle date les comptes ont été approuvés (l'article L.223-26 du code de commerce impose la réunion de l'assemblée générale dans les 6 mois de cette clôture), étant rappelé que l'exploitation a cessé le 31 décembre 2019.

Sur l'omission de déclarer la cessation des paiements dans le délai de 45 jours de cette cessation : 

Aux termes de l'article L.631-4 du code de commerce, l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les quarante-cinq jours qui suivent la cessation des paiements s'il n'a pas, dans ce délai, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

La cour rappelle que la date de cessation des paiements à retenir ne peut être différente de celle fixée par le jugement d'ouverture de la procédure collective, en l'espèce le 31 décembre 2019.

Par ailleurs ni la délivrance de l'assignation à comparaître devant le tribunal de commerce aux fins de redressement ou liquidation judiciaire, ni l'enquête ordonnée par le premier juge pour vérifier la situation de l'entreprise n'étaient de nature à exonérer la gérante de son obligation.

La gérante aurait donc dû déclarer la cessation des paiements le 15 février 2020 au plus tard, ce qu'elle a omis de faire alors même qu'elle ne pouvait pas ignorer qu'après avoir cessé l'exploitation du restaurant le 31 décembre 2019 et en résilié le bail commercial le 7 janvier 2020 après qu'elle a reçu un refus d'étalement des dettes de la part des principaux créanciers mi-novembre 2019, la société, privée de ressources et d'une bonne partie de la valeur de ses immobilisations avec la perte de son droit au bail, était en cessation des paiements compte tenu des dettes immédiatement exigibles pour un montant de 50.000 euros environ rien qu'au titre des impayés envers l'URSSAF de Picardie, [Localité 9] et le Trésor public.

Elle ne peut se retrancher dernière les rapports d'enquête de Me [I] en faisant valoir qu'il ne trouvait pas la situation alarmante alors même qu'il en ressort que dès le 2 janvier 2020 elle lui indiquait qu'elle n'entendait pas faire de déclaration de cessation des paiements dans la perspective que la société reprenne son activité plus ou moins similaire dans de nouveaux locaux ([Localité 8]) et sur de nouvelles bases financières, laissant planer le doute sur l'état de cessation des paiements en lui affirmant, sans cependant jamais en justifier par la suite, avoir pris des accords de règlements avec les principaux créanciers, ce qui montre de plus fort qu'elle a sciemment omis de déclarer la cessation des paiements dans le délai de 45 jours.

Elle ne saurait prétendre davantage s'exonérer en feignant d'ignorer la loi d'autant qu'elle n'en était pas à sa première liquidation judiciaire, que Me [I] avait mentionné dans son rapport du 5 janvier 2011 relatif à la liquidation judiciaire de la SARL Interdesign qu'il était regrettable suite aux pertes très importantes des dernières années que Mme [Z] gérante n'ait pas fait le nécessaire beaucoup plus tôt pour effectuer une déclaration de cessation des paiements, et où ses démarches auprès de la présidente du tribunal de commerce de Soissons aux fins d'ouverture de procédure de conciliation montrent qu'elle n'était pas profane en la matière.

La cour estime que cette faute de gestion est donc suffisamment caractérisée.

Cependant elle n'a pas contribué à l'insuffisance d'actif dans la mesure où l'exploitation a cessé antérieurement le 31 décembre 2019 et où il n'est pas démontré que le passif se soit aggravé après cette date.

Sur la résiliation prématurée du fonds de commerce :

Il ressort du projet de conciliation du 24 octobre 2019 que concomitamment aux propositions de règlement échelonné des dettes Mme [Z] s'est engagée à « mettre en vente son commerce. Le cas échéant, un règlement anticipé des créances moratoriées devra être envisagé au moyen du prix de vente. »

Des échanges par mail dont un du 13 octobre 2019 montrent que Mme [Z] a fait des démarches auprès d'un agent immobilier M. [N] pour vendre le fonds de commerce à un prix qu'elle acceptait de ramener à 250000 euros sans la cuisine et la technique sur la scène, matériel son et lumière et d'échanges par mail avec le propriétaire en date du 19 août 2019 que ce dernier refusait de lui accorder de nouveaux délais de paiement, le solde des impayés de loyers d'août et septembre 2019 étant de 16780 euros.

La mise en vente du fonds de commerce ayant manifestement été sans effet elle a résilié le bail par anticipation le 7 janvier 2020. Ce faisant, il est évident qu'elle privait la communauté des créanciers d'une chance de réaliser un actif dont le montant dans le bilan était conséquent.

Cependant, la cession du fonds de commerce étant aléatoire et le liquidateur ne démontrant pas ni n'invoquant de comportement frauduleux de la part de Mme [Z] de ce chef, ni que les locaux ont accueilli une autre activité de restauration à la suite de cette résiliation, cette dernière trois semaines après l'ouverture de l'enquête et durant la période suspecte, sans consultation préalable de l'enquêteur, apparaît comme une simple négligence et non une faute de gestion entraînant la responsabilité pour insuffisance d'actif.

C'est donc à juste titre que le premier juge a débouté le liquidateur de sa demande en paiement au titre de l'insuffisance d'actif et le jugement sera donc confirmé de ce chef.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Il est justifié, au regard de l'insuffisance d'actif et par application de l'article 696 du code de procédure civile, de dire que chaque partie supportera la charge de ses dépens et de ses frais hors dépens et de réformer le jugement du premier chef.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement et par décision publique par mise à disposition au greffe,

Prend acte du changement de liquidateur, la SCP [I] prise en la personne de Me [F] [I] ayant été désigné liquideur judiciaire de la SARL La banque à bulles en lieu et place de la SCP [I]-Barault-Maigrot, par ordonnance rendue le 3 janvier 2024 par le président du tribunal de Soissons,

Déboute Mme [Z] de sa fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif,

Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qui concerne les dépens et,

Statuant à nouveau de ce chef, et Y ajoutant pour ceux d'appel,

Laisse à chaque partie la charge de ses dépens et frais hors dépens.

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : Chambre Économique
Numéro d'arrêt : 23/04532
Date de la décision : 23/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-23;23.04532 ?
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