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23/05/2024 | FRANCE | N°23/04051

France | France, Cour d'appel d'Amiens, Chambre Économique, 23 mai 2024, 23/04051


ARRET

























[H]









C/







S.C.P. [F] BARAULT MAIGROT













VD





COUR D'APPEL D'AMIENS



CHAMBRE ÉCONOMIQUE



ARRET DU 23 MAI 2024





N° RG 23/04051 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I4DV





JUGEMENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE DE SOISSONS EN DATE DU 14 SEPTEMBRE 2023



APRES COMMUNICATION DU DOSS

IER ET AVIS DE LA DATE D'AUDIENCE AU MINISTERE PUBLIC



EN PRESENCE DU REPRESENTANT DE MADAME LE PROCUREUR GENERAL





PARTIES EN CAUSE :







APPELANTE







Madame [I] [H]

[Adresse 6]

[Localité 7]







Représentée par Me Florence GACQUER CARON, avocat au barreau d'AMIENS, ayant pour avocat plaidant Me A...

ARRET

[H]

C/

S.C.P. [F] BARAULT MAIGROT

VD

COUR D'APPEL D'AMIENS

CHAMBRE ÉCONOMIQUE

ARRET DU 23 MAI 2024

N° RG 23/04051 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I4DV

JUGEMENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE DE SOISSONS EN DATE DU 14 SEPTEMBRE 2023

APRES COMMUNICATION DU DOSSIER ET AVIS DE LA DATE D'AUDIENCE AU MINISTERE PUBLIC

EN PRESENCE DU REPRESENTANT DE MADAME LE PROCUREUR GENERAL

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

Madame [I] [H]

[Adresse 6]

[Localité 7]

Représentée par Me Florence GACQUER CARON, avocat au barreau d'AMIENS, ayant pour avocat plaidant Me Antoine GINESTRA, avocatau barreau de REIMS

ET :

INTIMEE

S.C.P. [F] BARAULT MAIGROT agissant poursuites et diligences en son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, prise en la personne de Maître [K] [F], Mandataire Judiciaire, dont le siège social est domicilié [Adresse 4] à [Localité 13] (Aube) et prise en son établissement secondaire, ès qualités de liquidateur judiciaire de la S.A.R.L. [11],

[Adresse 5]

[Localité 1]

Représentée par Me Alexis DAVID substituant Me Jérôme LE ROY de la SELARL LX AMIENS-DOUAI, avocats au barreau d'AMIENS, ayant

pour avocat plaidant Me Nathalie COLIGNON-BERTIN de la SELARL COLIGNON'BERTIN & Associés, avocat au Barreau de SOISSONS

DEBATS :

A l'audience publique du 25 Janvier 2024 devant :

Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre,

Mme Françoise LEROY-RICHARD, Conseillère,

et Mme Valérie DUBAELE, Conseillère,

qui en ont délibéré conformément à la loi, la Présidente a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 23 Mai 2024.

Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile.

GREFFIER LORS DES DEBATS : Madame Charlotte RODRIGUES

MINISTERE PUBLIC : M. Alain LEROUX, Avocat Général

PRONONCE :

Le 23 Mai 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ; Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre a signé la minute avec Mme Diénéba KONÉ, Greffier.

DECISION

Le 1er mars 2018 Mme [I] [H], née le [Date naissance 2] 1982, a créé avec son conjoint M. [D] [L] la SARL [11] ayant pour activité « restaurant, dîner, animations et spectacles et promotions de champagne » et ayant son siège social au [Adresse 3] à [Localité 8] (02) également lieu du domicile de Mme [H].

L'établissement principal de cette société, dont l'exploitation a débuté fin août 2018 après des travaux d'aménagement, était situé dans les anciens locaux de la banque de France de [Localité 9].

Mme [H] était titulaire de 51% du capital social d'un montant nominal de 15.000 euros et en a assumé la gérance de droit dès l'origine.

Elle a fait part des difficultés financières de la société à la présidente du tribunal de commerce de Soissons en mai 2019 et cette dernière a, par ordonnance du 13 juin 2019, désigné un conciliateur pour assister la société afin de trouver un accord de règlement avec les créanciers afin d'éviter l'ouverture d'une procédure collective.

Le conciliateur a mis fin à sa mission le 13 novembre 2019, aucun accord n'étant intervenu avec les principaux créanciers.

Saisi par le procureur de la République le 11 décembre 2019 d'une demande d'ouverture de procédure de redressement ou liquidation judiciaire, le tribunal de commerce a, le 16 décembre 2019, ordonné la citation de la société à l'audience du 18 juin 2020 et ordonné une enquête pour recueillir tout renseignement sur la situation financière économique et sociale de l'entreprise en désignant pour la conduire M. [Z] juge du siège lequel s'est fait assisté par la SCP [F] Barault Maigrot en la personne de Me [K] [F].

Par jugement rendu le 18 juin 2020, le tribunal de commerce de Soissons a prononcé l'ouverture de la liquidation judiciaire simplifiée de la société (avec un délai de 6 mois avant la clôture des opérations), la date de cessation des paiements étant fixée provisoirement au 31 décembre 2019 et la SCP [F]-Barault-Maigrot en la personne de Me [K] [F] étant désignée en qualité de liquidateur.

Entre-temps, durant l'enquête, l'entreprise avait cessé toute activité le 31 décembre 2019 et le bail avait été résilié amiablement par la gérante le 7 janvier 2020.

Par jugement rendu le 9 mars 2023, le tribunal de commerce, saisi par le liquidateur judiciaire, a mis fin à l'application des règles de la liquidation judiciaire simplifiée en décidant de l'application de la liquidation judiciaire de droit commun.

Par acte de commissaire de justice du 10 mars 2023, le liquidateur judiciaire a assigné Mme [H] devant le tribunal de commerce de Soissons aux fins de la voir condamner à une sanction de faillite personnelle à défaut une interdiction de gérer, pour poursuite d'une activité déficitaire et omission de déclarer la cessation des paiements dans le délai de 45 jours.

Par un autre acte délivré le même jour, il l'a fait assigner devant le tribunal de commerce de Soissons en paiement de 374.807,86 euros au titre de l'insuffisance d'actif. Le liquidateur débouté de cette action a formé appel qui est pendant devant la présente cour.

Par ordonnance du 30 mars 2023, notifiée le 17 avril suivant, une enquête patrimoniale a été ordonnée par le président du tribunal de commerce de Soissons et confiée au juge-commissaire qui s'est adjoint les services du mandataire-liquidateur qui a déposé un rapport le 26 juin 2023.

----

Suivant jugement du 14 septembre 2023, le tribunal de commerce de Soissons a :

-prononcé à l'encontre de Mme [H] une mesure d'interdiction de gérer, diriger, administrer et contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale et artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale,

-fixé la durée de cette mesure à 15 ans,

-condamné Mme [H] au paiement de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-ordonné l'exécution provisoire et les mesures de publicité prévues par la loi et le décret,

-ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure.

Mme [H] a interjeté appel de cette décision en toutes ses dispositions par déclaration du 25 septembre 2023.

Par conclusions infirmatives notifiées par voie électronique le 20 novembre 2023 elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de :

-débouter la SCP [F]-Barault-Maigrot de toutes ses demandes,

-condamner la SCP [F]-Barault-Maigrot ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL [11], à lui verser 10000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

-la condamner aux entiers dépens.

Par conclusions portant appel incident notifiées par voie électronique le 19 décembre 2023, la SCP [F] ès qualités de mandataire liquidateur demande à la cour, sur le fondement des articles L.653-1 et suivants du code de commerce, de confirmer le jugement en ce qui concerne l'article 700 du code de procédure civile et d'y ajouter 3000 euros à hauteur d'appel et de la condamner à la faillite personnelle durant 15 ans, subsidiairement de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, enfin condamner la même aux entiers dépens, dont distraction est requise au profit de Me Le Roy, avocat aux offres de droit, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Par avis du 5 novembre 2023, notifié aux parties par voie électronique le 7 décembre 2023, le ministère public prie la cour qu'elle veuille bien infirmer le jugement entrepris l'action étant irrecevable compte tenu de l'expiration de la mission du mandataire liquidateur le 18 janvier 2021 et sur le fond qu'elle la déclare mal fondée Mme [H] ayant obtenu une procédure de conciliation et les griefs invoqués n'étant pas suffisamment caractérisés, et tout état de cause qu'elle réduise la sanction lui apparaissant disproportionnée.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 mars 2024.

L'affaire a été plaidée le 25 janvier 2024 et mise en délibéré le 23 mai 2024.

*

Par courrier notifié par voie électronique le 16 février 2024 par l'avocat de la SCP [F]-Barault-Maigrot ès qualités de liquidateur de la SARL [11], la SCP [F] prise en la personne de Me [K] [F] désigné liquidateur judiciaire de la SARL [11] en lieu et place de la SCP [F]-Barault-Maigrot par ordonnance rendue le 3 janvier 2024 par le président du tribunal de commerce de Soissons, demande à la cour de rouvrir les débats de façon à déposer des conclusions faisant mention de son intervention en remplacement de la SCP [F]-Barault-Maigrot, afin que l'arrêt soit opposable entre les parties et pouvoir en assurer la bonne exécution.

Par courrier notifiée par voie électronique le 17 février Mme [H] s'y oppose en indiquant que cette réouverture ne s'impose pas le greffe pouvant indiquer cette intervention et dans la mesure où elle est inutile puisqu'elle ne permet pas de justifier le dépôt de nouvelles conclusions après l'ordonnance de clôture.

SUR CE,

Sur la demande de réouverture des débats :

La réouverture des débats ne s'impose pas en application de l'article 444 du code de procédure civile du fait du changement de liquidateur et elle n'apparaît pas opportune alors même que le défaut de mention du nouveau liquidateur dans le chapeau du jugement n'est pas de nature à empêcher sa mise à exécution par ce dernier venant aux droits ès qualités du précédant liquidateur en vertu des pouvoirs qui lui ont été conférés dans l'ordonnance le désignant le 3 janvier 2024, dont il n'est d'ailleurs pas justifié qu'elle soit devenue définitive au jour des débats devant la présente cour.

Sur la recevabilité de l'action en sanction :

Dès lors que le tribunal de commerce n'a pas prononcé la clôture des opérations de liquidation judiciaire conformément à l'article L.644-5 du code de commerce, le mandat du liquidateur judiciaire n'a pas pris fin de plein droit du fait de l'expiration du délai de 6 mois fixé par cet article et il conserve qualité pour agir en sanction contre l'ancienne dirigeante nonobstant les termes impératifs de l'article susvisé.

Au demeurant Mme [H] pouvait à tout moment, au même titre que le liquidateur, demander au tribunal de commerce de statuer sur la clôture de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée et elle n'a pas contesté le jugement du 9 mars 2023 portant application de la procédure de liquidation judiciaire de droit commun.

La fin de non-recevoir soulevée par le ministère public doit par conséquent être écartée.

Sur la demande de prononcé de la faillite personnelle ou l'interdiction de gérer :

Le premier juge a considéré que Mme [H] avait été négligente et incompétente dans la conduite des affaires de la société notamment en la sous-capitalisant dès l'origine ce qui méritait la sanction d'interdiction de gérer mais qu'elle ne s'était pas enrichie personnellement si bien qu'il n'y avait pas lieu de prononcer sa faillite personnelle.

Sur la poursuite abusive dans un intérêt personnel d'une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements :

Il résulte des articles L.653-4 4° et L.653-8 alinéa 1er du code de commerce le tribunal peut prononcer la faillite personnelle du dirigeant ou à la place l'interdiction de gérer lorsqu'il a poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale.

Le liquidateur fait valoir pour l'essentiel que l'exploitation a été déficitaire dès l'origine, que les comptes montrent des capitaux propres et des résultats nets négatifs tant le 31 juillet 2019 que le 29 février 2020, avec une aggravation de la situation entre ces deux dates. Mme [H] n'a pas, malgré le constat des pertes après la clôture du premier exercice au 31 juillet 2019, réuni les associés dans le délai de quatre mois pour statuer le cas échéant sur la dissolution anticipée de la société ou sa recapitalisation. Il affirme que la procédure de conciliation était vouée à l'échec dès le début, les dettes remontant au 4ème trimestre 2018 et qu'engagée au titre de caution des prêts souscrits la gérante a préféré continuer cette exploitation en en tirant au passage des revenus. Il indique qu'elle a tardé à déclarer la cessation des paiements alors même que les dettes s'accumulaient et ne pouvaient être résorbées par le chiffre d'affaires et que la poursuite de l'activité déficitaire est abusive en l'espèce puisqu'elle a causé l'aggravation du passif après la clôture du premier exercice.

La gérante estime que les éléments constitutifs de cette faute ne sont pas réunis. Elle fait valoir que les difficultés financières de l'entreprise proviennent d'une sous-capitalisation initiale au regard des éléments conjoncturels imprévus, qu'au vu de ces difficultés financières elle a immédiatement réagi en sollicitant l'ouverture d'une procédure de conciliation qui lui a été accordée et qu'au vu de l'échec de cette conciliation elle n'a pas poursuivi l'exploitation déficitaire puisqu'elle a cessé toute exploitation fin décembre 2019. Enfin elle indique que le liquidateur ne prouve pas l'intérêt personnel qu'il invoque. 

Plus précisément elle fait valoir que :

* alors sans emploi elle s'est associée avec son compagnon d'alors M. [L] qui était vigneron en champagne à son compte depuis 2015 afin de créer un restaurant-spectacle-bar à champagne dans les anciens locaux de la banque de France de [Localité 9] dans la [Adresse 12] qui étaient fermés depuis 30 ans et qu'ils ont dû aménager à grands frais, le projet s'étant révélé plus coûteux que prévu du fait de travaux supplémentaires exigés par la commission de sécurité pour obtenir la catégorie 4 qui n'a finalement pas été obtenue, l'obligeant à liquider toutes ses économies car la banque n'a pas voulu les financer et mettant la trésorerie de la société à sec dès le début de l'activité en septembre 2019 quand la société Eiffage a réclamé le paiement de sa facture des travaux supplémentaires réalisés à la demande de la commission de sécurité sans devis approuvé;

*la société a accusé des pertes de chiffre d'affaires importantes du fait d'évènements imprévus, à savoir la fermeture durant plusieurs jours de l'établissement à cause du mouvement des gilets jaunes démarré en octobre 2018, des salariés ne pouvant atteindre le centre-ville, et du fait de stationnement rendu impossible aux heures de pointes à compter du 8 avril 2019 dans la [Adresse 12] objet de travaux de voirie; ses démarches auprès du maire ont été vaines ;

*avant même la clôture du premier exercice elle a saisi en mai 2019 le tribunal de commerce des difficultés de l'entreprise (accumulation des dettes fiscales et sociales) et un conciliateur a été désigné pour assister la société dans son redressement,

*elle avait deux ans pour reconstituer les capitaux propres, à défaut de dissolution anticipée de la société,

*elle n'a pas poursuivi l'activité déficitaire après l'échec de la conciliation qui n'a été acté qu'à la mi-novembre 2019 et elle a cessé l'activité fin décembre 2019 en résiliant le bail pour ne pas aggraver les dettes et sous la pression du propriétaire, sans que le liquidateur judiciaire s'en émeuve dans son rapport du 16 janvier 2020,

*il n'y a aucun lien de causalité entre les fautes de gestion qui lui sont reprochées et les mauvais résultats du premier exercice.

La cour constate que non seulement la demande d'ouverture d'une procédure de conciliation a été acceptée par le président du tribunal de commerce de Soissons alors même qu'elle aurait pu s'y opposer si la société était déjà en état de cessation des paiements mais encore que dans son rapport du 24 octobre 2019 le conciliateur, tenant compte des prévisions comptables soumises par l'expert-comptable assistant la SARL [11], a adressé aux principaux créanciers des propositions de report et de rééchelonnement des dettes, déclarées par Mme [H] à hauteur de 285.792 euros, afin de les apurer et éviter l'ouverture d'une procédure collective, Mme [H] s'engageant concomitamment à mettre en vente le fonds de commerce et devant s'engager à renoncer à toute rémunération de la gérance avant remboursement complet.

De ce fait, le liquidateur judiciaire ne peut affirmer que la demande de conciliation était vouée à l'échec dès le début sans démontrer que les déclarations de Mme [H] étaient mensongères et que la décision judiciaire et la proposition du conciliateur ont été obtenues par fraude ce qui n'est au demeurant pas allégué.

En revanche la gérante savait dès le 15 novembre 2019 date à laquelle cette tentative a échoué et faute d'avoir réuni l'assemblée générale aux fins de recapitalisation éventuelle que la situation financière de la société était irrémédiablement compromise puisque les comptes montraient à la clôture du premier exercice au 31 juillet 2019 un résultat net négatif de 228.519 euros et des capitaux propres négatifs de 213.519 euros.

Cependant, il n'est pas justifié du fait que la continuation de l'exploitation déficitaire entre le 13 novembre 2019 et le 31 décembre 2019 date à laquelle elle a cessé toute exploitation, ait été abusive, aucun élément ne permettant d'objectiver de nouvelles pertes sur cette seule période.

La cour estime en conséquence que cette faute de gestion est insuffisamment caractérisée.

Sur le défaut de déclaration de cessation des paiements dans le délai de 45 jours de cette cessation :

Il résulte des articles L.653-8 alinéa 3 et L.653-11 du code de commerce que l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler une entreprise commerciale ou artisanale, une exploitation agricole ou une personne morale, peut être prononcée à l'encontre du dirigeant qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

Le liquidateur fait valoir que Mme [H] a omis de déclarer la cessation des paiements dans le délai prescrit légalement et n'a pas réagi malgré un rendez-vous avec le liquidateur le 2 janvier 2020 lors duquel elle a exprimé son refus de déposer une telle déclaration auprès du greffe au motif qu'elle comptait que la société reprenne son activité plus ou moins similaire à [Localité 10] dans de nouveaux locaux. Il ajoute qu'elle aurait dû déclarer cette cessation dès lors que le conciliateur avait mis fin à sa mission et qu'elle n'a pas réagi davantage lorsqu'elle a été convoquée devant le tribunal de commerce le 13 décembre 2019 sur requête du ministère public.

La gérante réplique que le liquidateur ne prouve pas qu'elle avait connaissance de la cessation des paiements le 31 décembre 2019 si bien que l'omission de déclaration de cessation des paiements dans le délai de 45 jours qui suivent la cessation des paiements prescrit par l'article L.631-4 du code de commerce ne peut lui être opposée. Elle estime au surplus qu'elle était dispensée de la faire dès lors qu'elle avait demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation qui a été ordonnée et s'est achevée mi-novembre 2019 puis dès lors que le tribunal de commerce avait déjà été saisi par le procureur de la République de l'ouverture d'une procédure collective le 11 décembre 2019. Elle ajoute qu'au demeurant les rapports de l'enquêteur des 16 janvier 2020, 13 mars 2020 et 30 juin 2020 ne font pas état d'un état de cessation des paiements avéré.

La cour rappelle que la date de cessation des paiements à retenir ne peut être différente de celle fixée par le jugement d'ouverture de la procédure collective, en l'espèce le 31 décembre 2019.

Par ailleurs ni la délivrance à l'initiative du procureur de la République de l'assignation à comparaître devant le tribunal de commerce aux fins de redressement ou liquidation judiciaire, ni l'enquête ordonnée par le premier juge pour vérifier la situation de l'entreprise n'étaient de nature à exonérer la gérante de son obligation légale.

La gérante aurait donc dû déclarer la cessation des paiements le 15 février 2020 au plus tard, ce qu'elle a omis de faire alors même qu'elle ne pouvait pas ignorer qu'après avoir cessé l'exploitation du restaurant le 31 décembre 2019 et en résiliant le bail commercial le 7 janvier 2020 après qu'elle ait reçu un refus d'étalement des dettes de la part des principaux créanciers mi-novembre 2019, la société, privée de ressources et d'une bonne partie de la valeur de ses immobilisations avec la perte de son droit au bail, était en cessation des paiements compte tenu des dettes immédiatement exigibles pour un montant de l'ordre de 50.000 euros rien qu'au titre des impayés envers l'URSSAF de Picardie, Malakoff et le Trésor public selon le rapport du conciliateur.

Mme [H] ne peut se retrancher dernière les rapports d'enquête de Me [F] qui n'aurait pas repéré la cessation des paiement alors même qu'il en ressort que dès le 2 janvier 2020 elle lui exposait qu'elle n'entendait pas faire de déclaration de cessation des paiements dans la perspective que la société reprenne son activité plus ou moins similaire dans de nouveaux locaux ([Localité 10]), en laissant planer le doute sur l'état de cessation des paiements puisqu'elle lui affirmait, sans cependant jamais en justifier par la suite, avoir pris des accords de règlements avec les principaux créanciers, ce qui montre de plus fort qu'elle a sciemment omis de déclarer la cessation des paiements dans le délai de 45 jours. Au demeurant, Me [F] fait part de ses doutes en terminant son exposé par « Quand bien même, à supposer que l'état de cessation des paiements ne soit pas avéré, je vois mal comment la société pourra respecter ses engagements compte tenu qu'elle n'a plus d'activité et que le nouveau projet va générer sans aucun doute de nouvelles charges importantes d'installation. »

Elle ne saurait prétendre davantage s'exonérer de ses obligations légales en feignant de les ignorer d'autant qu'elle n'en était pas à sa première liquidation judiciaire, que Me [F] avait mentionné dans son rapport du 5 janvier 2011 relatif à la liquidation judiciaire de la SARL Interdesign qu'il était regrettable suite aux pertes très importantes des dernières années que Mme [H] gérante n'ait pas fait le nécessaire beaucoup plus tôt pour effectuer une déclaration de cessation des paiements, et où ses démarches auprès de la présidente du tribunal de commerce de Soissons aux fins d'ouverture de procédure de conciliation montrent qu'elle n'était décidemment pas profane en la matière.

La cour estime que cette faute de gestion est donc suffisamment caractérisée.

Sur la sanction :

Il résulte des articles L.653-8 du code de commerce et 455 du code de procédure civile que le tribunal qui prononce une mesure de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer doit motiver sa décision, tant sur le principe que sur le quantum de la décision, au regard de la gravité des fautes et de la situation personnelle de l'intéressée.

Une sanction d'interdiction de gérer à hauteur de 5 ans apparaît davantage proportionnée à la gravité de la faute de gestion et de la situation personnelle de Mme [H] dont le comportement vis-à-vis du monde des affaires est pour le moins désinvolte.

Par ailleurs elle se présente comme une entrepreneuse malchanceuse alors qu'il ressort du rapport d'enquête patrimoniale qu'elle n'était pas profane en la matière. Il ressort en effet du rapport d'enquête patrimoniale qu'elle avait, avant de créer la SARL [11], déjà dirigé deux sociétés qui ont été liquidées judiciairement avec clôture pour insuffisance d'actif le 12 novembre 2013 (SARL Interdesign, commerce de détail de meubles, à propos de laquelle son liquidateur Me [F] avait déjà déploré le retard de déclaration de cessation des paiements compte tenu des pertes très importantes des dernières années) et le 26 mai 2016 (SARL Boxx, ingéniérie, études techniques).

Par ailleurs avant même la fin de la procédure de liquidation de la SARL [11] dont elle connaissait l'insuffisance d'actif de l'ordre de 347.000 euros, elle n'a pas hésité à gérer deux nouvelles sociétés dont l'une la SARL France Zen- autres activités récréatives et de loisirs a été créée le 17 juillet 2019 peu de temps après l'ouverture de la procédure de conciliation et la seconde la SASU France Zen a été créée le 7 avril 2021 après l'ouverture de la présente procédure de liquidation judiciaire, quand bien même ces deux sociétés auraient été depuis lors radiées ou dissoutes.

C'est donc à juste titre que le premier juge a considéré qu'il convenait de l'écarter un temps du monde des affaires, la cour estimant cependant qu'il convient de ramener cette période à de plus justes proportions.

Le jugement sera réformé dans cette mesure.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Mme [H] succombant en appel sera condamnée à en supporter les dépens et les frais hors dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe et contradictoirement,

Dit n'y avoir lieu à rouvrir les débats,

Ecarte la fin de non-recevoir soulevée par le ministère public,

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a fixé la durée de la mesure d'interdiction de gérer à 15 ans et,

Statuant à nouveau de ce chef,

Prononce la mesure d'interdiction de gérer, diriger, administrer et contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale et artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, à l'encontre d'[I] [H] née le [Date naissance 2] 1982 à [Localité 7] (51), durant une durée de 5 ans,

Ordonne les mesures de publicité prévues par la loi et le décret,

Y ajoutant,

Condamne Mme [H] à verser à la SCP [F]-Barault-Maigrot ès qualités de liquidateur de la SARL [11] la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

La condamne aux dépens dont distraction au profit de Me Le Roy, avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier, La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : Chambre Économique
Numéro d'arrêt : 23/04051
Date de la décision : 23/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-23;23.04051 ?
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