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17/05/2024 | FRANCE | N°22/05020

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 1ère chambre civile, 17 mai 2024, 22/05020


ARRET







S.A.S. SYLVAGREG





C/



Société SCCV LE [Localité 10] QUENTOVIC























































































CJ/VB/DPC





COUR D'APPEL D'AMIENS



1ERE CHAMBRE CIVILE



A

RRET DU DIX SEPT MAI

DEUX MILLE VINGT QUATRE





Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 22/05020 - N° Portalis DBV4-V-B7G-ITI5



Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE D'AMIENS DU DEUX NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX





PARTIES EN CAUSE :



S.A.S. SYLVAGREG agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette q...

ARRET

S.A.S. SYLVAGREG

C/

Société SCCV LE [Localité 10] QUENTOVIC

CJ/VB/DPC

COUR D'APPEL D'AMIENS

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU DIX SEPT MAI

DEUX MILLE VINGT QUATRE

Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 22/05020 - N° Portalis DBV4-V-B7G-ITI5

Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE D'AMIENS DU DEUX NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX

PARTIES EN CAUSE :

S.A.S. SYLVAGREG agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LX AMIENS-DOUAI, avocat au barreau d'AMIENS.

Plaidant par Me Gilles GRARDEL de l'AARPI KERAS AVOCATS, avocat au barreau de LILLE

APPELANTE

ET

Société SCCV LE [Localité 10] QUENTOVIC agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Georgina WOIMANT, avocat au barreau d'AMIENS

Plaidant par Me Jean-Roch PARICHET de la SELARL RAMERY ET ASSOCIES, avocat au barreau de LILLE

INTIMEE

DÉBATS & DÉLIBÉRÉ :

L'affaire est venue à l'audience publique du 07 mars 2024 devant la cour composée de Mme Graziella HAUDUIN, Présidente de chambre, Présidente, M. Douglas BERTHE, Président de chambre et Mme Clémence JACQUELINE, Conseillère, qui en ont ensuite délibéré conformément à la loi.

A l'audience, la cour était assistée de Mme Vitalienne BALOCCO, greffière assistée de Mme Elise DHEILLY et de M. Edouard LAMBRY, greffiers statgiaires.

Sur le rapport de Mme [E] [G], et à l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré et la présidente a avisé les parties de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 17 mai 2024, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

PRONONCÉ :

Le 17 mai 2024, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Graziella HAUDUIN, Présidente de chambre et Mme Sylvie GOMBAUD-SAINTONGE, greffière.

*

* *

DECISION :

La SCCV Le [Localité 10] Quentovic a entrepris la construction de sept bâtiments abritant 134 logements et des commerces situés au [Localité 10] (62) [Adresse 5] et [Adresse 6], [Adresse 9], [Adresse 7] et [Adresse 8].

Par une lettre de marché en date du 27 mars 2018, la SCCV Le [Localité 10] Quentovic a confié l'exécution de tous les travaux de construction à la SAS Sylvagreg pour le prix de 18 638 416,31 euros HT soit 22 366 099,57 euros TTC.

Un ordre de service a été donné le même jour pour démarrer les travaux censés être achevés trente mois plus tard, à l'exception de ceux du bâtiment F.

Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 21 juin 2021, le maître d'oeuvre a notifié à la SAS Sylvagreg qu'elle était redevable à cette date de pénalités de retard d'un montant de 1 283 348,58 euros HT dont il imputait 471 299,16 euros HT sur les situations de travaux des mois de mars, avril et mai 2021.

Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 21 juillet 2021, la SAS Sylvagreg a contesté le bien-fondé de l'application de ces pénalités de retard.

Saisi par la SCCV Le [Localité 10] Quentovic d'une demande de condamnation de la SAS Sylvagreg à achever les travaux sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard, le juge des référés du tribunal judiciaire d'Amiens a, par une ordonnance rendue le 20 octobre 2021, rejeté cette demande, ordonné à la SCCV Le [Localité 10] Quentovic de justifier à la société Sylvagreg de la souscription d'une garantie de paiement conforme à l'article 1799-1 du code civil, et considérant l'existence de contestations sérieuses, a rejeté la demande reconventionnelle de la SAS Sylvagreg de condamnation de son adversaire à lui payer la somme provisionnelle de 565 558,99 euros TTC au titre des situations de travaux des mois de mars à mai 2021 et a ordonné une mesure d'expertise.

Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 22 décembre 2021, la SCCV Le [Localité 10] Quentovic a notifié à la SAS Sylvagreg, qui avait poursuivi ses travaux, la résiliation du contrat de construction.

Autorisée par une ordonnance en date du 19 janvier 2022, la SAS Sylvagreg a fait assigner à jour fixe la SCCV Le [Localité 10] Quentovic devant le tribunal judiciaire d'Amiens afin d'obtenir notamment sa condamnation à titre provisionnel à lui payer la somme de 1 559 877,05 euros TTC.

Par un jugement en date du 18 mai 2022, le tribunal a déclaré irrecevable cette demande de condamnation à titre provisionnel.

Autorisée par une nouvelle ordonnance en date du 8 juin 2022, la SAS Sylvagreg a fait assigner à jour fixe la SCCV Le [Localité 10] Quentovic devant le même tribunal afin d'obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 1 559 877,05 euros.

Par jugement du 2 novembre 2022, le tribunal judiciaire d'Amiens a débouté la SAS Sylvagreg de sa demande en paiement de la somme de 1 559 817,05 euros, l'a condamnée aux dépens et au paiement d'une somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles à la SCCV Le [Localité 10] Quentovic et rejeté sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

La SAS Sylvagreg a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 16 novembre 2022.

Par ses dernières conclusions signifiées par voie dématérialisée le 7 juin 2023, elle demande à la cour de :

- réformer le jugement prononcé par le tribunal judiciaire d'Amiens le 2 novembre 2022 en ce qu'il a débouté la société Sylvagreg de ses demandes, fins et conclusions,

- réparer l'omission de statuer dont est affecté le jugement s'agissant de la demande de sursis à

statuer présentée à titre subsidiaire par la société Sylvagreg,

- condamner la SCCV Le [Localité 10] Quentovic à verser à la société Sylvagreg la somme de 1 559 877,05 euros TTC outre les intérêts légaux dus sur cette somme à compter de l'exigibilité de chacune des situations,

- ordonner la capitalisation des intérêts,

À titre subsidiaire, elle sollicite un sursis à statuer dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise de Mme [P], désignée par ordonnance du 20 octobre 2021,

- débouter la SCCV Le [Localité 10] Quentovic de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la SCCV Le [Localité 10] Quentovic aux entiers frais et dépens de la cause,

- condamner la SCCV Le [Localité 10] Quentovic à verser à la société Sylvagreg la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle expose que le maître d'ouvrage n'a pas respecté les dispositions contractuelles reprises à l'article 14.4 du CCG et à l'article 8.1 alinéa 2 de l'acte d'engagement. Elle note que le maître d''uvre, la société Projex Ingénierie, n'a jamais fait mention dans ses comptes-rendus de chantiers de pénalités de retard imputables à la société Sylvagreg et que le maître d'oeuvre a pour la première fois annoncé l'application de pénalités de retard sur les situations des mois de mars, avril et mai 2021 par lettre recommandée du 21 juin 2021. Elle conteste que l'article 14.4 du CCG puisse être analysé comme une clause compromissoire.

Elle expose que si l'article 8.1 de la lettre marché renvoie aux dispositions des articles 36 et suivants du CCG qui viennent déterminer l'application des pénalités de retard, les dispositions de cet article 36 sont-elles mêmes subordonnées à l'existence préalable d'un retard constaté, lequel est quant à lui traité à l'article 14 du CCG «délai d'exécution des travaux». Elle en conclut que c'est à tort que le maître d'ouvrage considère que les dispositions de l'article 8.1 de la lettre-marché et de l'article 36 du CCG prévalent sur les dispositions de l'article 14.4 du CCG.

Elle indique que le premier compte-rendu de chantier dans lequel le maître d'oeuvre mentionne l'existence d'un retard qui lui est imputable, correspond au compte rendu n° 116 en date du 5 août 2021 si bien que le maître d'ouvrage, la SCCV Le [Localité 10] Quentovic, ne pouvait, avant le 5 août 2021, appliquer des pénalités de retard à l'égard de l'entreprise Sylvagreg.

Elle soutient que les situations de travaux établies entre mars 2021 et juillet 2021, sont certaines, liquides et exigibles et que la SCCV Le [Localité 10] Quentovic ne peut se prévaloir d'un paiement de ces situations par compensation avec l'application des pénalités de retard.

Elle indique qu'à titre subsidiaire, un sursis à statuer est indispensable dans l'attente du rapport d'expertise qui doit permettre d'opérer le compte entre les parties, faute de quoi elle serait définitivement privée du recouvrement des sommes dues. Elle rappelle avoir formé cette demande à titre subsidiaire devant le tribunal judiciaire qui a omis de statuer sur ce point.

Elle conteste enfin que toute forclusion puisse lui être opposée alors que l'article 47 du CCG n'est selon elle pas applicable à une facture émise par une entreprise.

Par ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 18 septembre 2023, la SCCV Le [Localité 10] Quentovic demande à la cour de :

- voir infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté le prononcé de l'irrecevabilité des demandes de la société Sylvagreg afférentes aux situations numéros 39 et 39 bis du 29 mars 2021 et des situations numéros 40 et 40 bis du 28 mars 2021 pour être forcloses,

- voir en conséquent prononcer l'irrecevabilité des demandes en paiement de la société Sylvagreg afférentes aux situations N° 39 et 39B du 29-03-2021 et des situations N° 40 et 40Bis du 28-03-2021 pour être forcloses,

- voir prononcer l'irrecevabilité de la demande de sursis à statuer de la société Sylvagreg pour être une demande nouvelle en cause d'appel,

- subsidiairement voir confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Sylvagreg de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- à titre très subsidiaire si par impossible la cour ne déboutait pas purement et simplement la société Sylvagreg, voir suspendre ce que la juridiction estimerait être son droit à paiement,

- voir condamner la société Sylvagreg à payer à la SCCV Le [Localité 10] Quentovic la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Elle soutient tout d'abord qu'une fois la facture arrivée à échéance, si celle-ci était impayée, l'entrepreneur était tenu d'adresser au maître d'ouvrage, par application de l'article 47 du CCG, une lettre recommandée avec accusé de réception interruptive de forclusion dans les 15 jours du non-paiement de la facturation en question. Elle en déduit qu'une partie de la demande en paiement est forclose.

Elle affirme que la demande de sursis à statuer est nouvelle car la procédure devant le tribunal judiciaire était orale et qu'en dépit de ses conclusions, la société a indiqué à l'oral que le juge du fond ne pouvait pas surseoir à statuer.

S'agissant des sommes réclamées, elle fait valoir que les montants n'ont pas été validés par le maître d'oeuvre et que le chantier a subi un retard chronique. Elle expose que le maître d'oeuvre devait servir d'arbitre entre les parties et valider tant les factures que les pénalités de retard.

Elle soutient qu'en application de la lettre-marché, l'article 36 du CCG est applicable si bien que le constat du retard peut être opéré par tout moyen et sans formalisme impératif.

Elle explique avoir été contrainte de résilier le contrat aux torts de la société Sylvagreg ce qui exclut qu'elle règle les sommes réclamées compte tenu de l'exception d'inexécution dont elle peut se prévaloir. Elle fait état des multiples procédures liées aux désordres affectant l'immeuble qui l'ont amenée à appeler en garantie la société Sylvagreg. Elle se prévaut à ce titre des dispositions de l'article 1220 du code civil.

La clôture de la procédure est intervenue le 6 décembre 2023 et l'affaire a été fixée pour être plaidée à l'audience du 7 mars 2024.

Par ordonnance du 6 mars 2024, le conseiller de la mise en état a débouté la SCCV Le [Localité 10] Quentovic de sa demande de révocation de l'ordonnance de clôture et de sursis à statuer et a dit que la pièce n°157 et les conclusions postérieures au 6 décembre 2023 seront pas voie de conséquence déclarées irrecevables.

MOTIFS

1. Sur la forclusion de la demande en paiement des situations 39 et 39 bis du 29 mars 2021 et des situations 40 et 40 bis du 28 avril 2021 :

Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Selon l'article 1104 du code civil, les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.

En vertu de l'article 1189 du code civil, toutes les clauses d'un contrat s'interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l'acte tout entier. Lorsque, dans l'intention commune des parties, plusieurs contrats concourent à une même opération, ils s'interprètent en fonction de celle-ci.

Selon l'article 48 du cahier des clauses générales qui lie les parties, titré "Réclamations de l'entrepreneur" du chapitre V "dispositions diverses", qui comprend trois autres articles "résiliation-contentieux-élection de domicile", tout fait ou événement, autre que les intempéries, de nature à motiver, en application des dispositions du marché, uneréclamation pécuniaire ou de délais, par l'entrepreneur, devra être notifié par lettre recommandée avec avis de réception au maitre de l'ouvrage dans les 15 jours de sa survenance, faute de quoi l'entrepreneur serait déchu du droit de présenter au maître de l'ouvrage, par la suite, une quelconque réclamation à raison de ces faits ou événements.

La SCCV soutient qu'en application de cet article, faute pour la société Sylvagreg de lui avoir notifié par lettre recommandée sa demande en paiement 15 jours à compter de l'exigibilité des situations, elle est irrecevable à lui réclamer le paiement des situations en cause.

Les modalités financières convenues entre les parties sont cependant définies au chapitre III et non au chapitre V du cahier des clauses générales. L'article 32 du chapitre III précise ainsi les modalités de règlement des acomptes sur travaux et sur approvisionnement. Il est ainsi prévu que les paiements sont effectués sur la base des états de situation vérifiés, déduction faite des acomptes précédemment payés, des pénalités, primes d'assurance, (...) et que sauf dérogation prévue par le marché des travaux, les acomptes sont réglés par chèque ou virement, sous réserve de la présentation de l'état de situation au plus tard 60 jours suivant le 30 du mois de la présentation de la situation.

Dans ces conditions, la position de l'article 48 au chapitre V et non au chapitre III, l'existence de dispositions spécifiques au chapitre III qui règlent la question des modalités de paiement des états de situation et la formulation de l'article 48 qui vise une "réclamation" de l'entrepreneur consécutive à "un fait ou à un événement" particulier, excluent d'appliquer ledit article 48 en cas d'inexécution par le cocontractant de son obligation de paiement. En application de l'article 1189 du code civil, appliquer l'article 48 au défaut de paiement conduirait à vider de son sens le contenu de l'article 32 du CCG qui protège l'entrepreneur afin de lui garantir un paiement régulier des situations tout au long de l'exécution du contrat.

En outre, les situations de travaux ne peuvent être assimilées à des "faits ou événements" susceptibles d'entrainer une "réclamation". L'obligation d'information préalable vise nécessairement un fait inconnu du maître de l'ouvrage qui peut donner lieu à une réclamation de l'entrepreneur et suppose une mise en demeure afin que les faits ou événements pouvant donner lieu à réclamation soient préalablement portés à la connaissance du maître de l'ouvrage. Un défaut de paiement est nécessairement connu de celui-ci. Retenir que le maître de l'ouvrage peut se prévaloir du défaut de notification d'un fait connu de lui et dont il est àl'origine lui permettrait d'être de mauvaise foi en violation des dispositions d'ordre public de l'article 1104 du code civil.

La demande en paiement des situations 39 et 39 bis du 29 mars 2021 et des situations 40 et 40 bis du 28 avril 2021 est donc recevable et le jugement sera confirmé sur ce point.

2. Sur le bien fondé de la demande en paiement des situations des 29 mars, 28 avril, 28 mai, 28 juin et 27 juillet 2021 :

- Sur l'imputation de pénalités de retard sur les situations

En vertu de l'article 1189 du code civil, toutes les clauses d'un contrat s'interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l'acte tout entier. Lorsque, dans l'intention commune des parties, plusieurs contrats concourent à une même opération, ils s'interprètent en fonction de celle-ci.

En l'espèce, la lettre marché du 27 mars 2018 prévoit que les pièces qui constituent le marché, ayant valeur contractuelle, sont, par ordre de priorité les unes par rapport aux autres la lettre marché et ses annexes en première place, puis les avenants éventuels au marché et les ordres de services, les autorisations administratives, la règlementation d'urbanisme, les documents contractuels entre le maître d'ouvrage et ses acquéreurs et le cahier des clauses générales du 1er février 2018 en cinquième place.

La lettre marché mentionne à son article 8.1 qu'au regard du caractère substantiel pour le maître d'ouvrage du délai de livraison, des pénalités et indemnités seront appliquées à l'entrepreneur conformément à l'article 36 du cahier des clauses générales dès le premier jour de retard. Elle ajoute que les pénalités sont calculées, cumulées et retenues par provision sur la situation en cours de règlement par le maître d'oeuvre, et réajustées, lors du compte définitif, sur le retard final réel des travaux par rapport au calendrier détaillé d'exécution, suivant conditions indiquées au CCG marché.

L'article 36 du cahier des clauses générales se situe au sein du chapitre III intitulé "modalités financières". Il stipule que si les travaux ne sont pas effectués et terminés dans les délais prévus au calendrier détaillé d'exécution, l'entrepreneur subira une pénalité pour chaque jour calendaire de retard (article 36.1), fixe le mode de calcul des pénalités et précise que les pénalités sont applicables du seul fait du retard et sans qu'il y ait lieu, pour le maître de l'ouvrage ou le maître d'oeuvre, d'adresser une mise en demeure à l'entrepreneur, le constat du retard devant être fait par le maître d'oeuvre (36.3).

Il est également prévu à cet article que l'ensemble des pénalités visé au marché sera appliqué sous la forme d'une retenue soit sur la situation suivant le constat par le maître d'oeuvre de l'infraction conduisant à l'application d'une pénalité, soit sur le décompte définitif, soit ajouté à toute autre somme due par l'entrepreneur au maître d'ouvrage ou, à défaut, dans le cadre d'une réclamation de ce dernier (36.9).

En outre l'article 14 nommé "délais d'exécution des travaux", prévoit au paragraphe 14.4 que "tout retard, soit à l'égard du délai global, soit au regard de chaque tâche visée au calendrier détaillé d'exécution, donne lieu de plein droit, par la seule échéance de chaque terme, et sans mise en demeure préalable, à l'application d'une pénalité dont le montant est défini par l'article 36 du présent marché. (....) Les parties conviennent que c'est le maître d'oeuvre qui est compétent pour constater et apprécier la réalité du retard par rapport au calendrier détaillé d'exécution, et chiffrer les incidences éventuelles de ce retard sur les autres corps d'état ainsi que sur le respect du calendrier détaillé d'exécution. Il fera figurer ses constatations et son chiffrage dans un compte rendu de chantier suivant la constatation du retard dont copie sera adressé à l'entrepreneur et proposera alors au maître d'ouvrage d'appliquer, sur le versement de l'acompte suivant devant être payé à l'entrepreneur et sur toutes sommes dues à l'entrepreneur, les pénalités, selon chiffrage prévu au marché et de retenir le cas échéant, sur ces sommes, le surcoût lié au retard, tel qu'évalué par le maître d'oeuvre, ce que l'entrepreneur accepte dans son principe."

Si la lettre mission prime sur les clauses du cahier des clauses générales et renvoie à l'article 36 du cahier des clauses générales s'agissant de l'application des pénalités de retard, cette lettre mission n'exclut cependant pas l'application de l'article 14.4 du cahier des clauses générales. L'alinée 2 de l'article 8.1 de la lettre marché dont se prévaut la SCCV mentionne de surcroît que "les pénalités sont calculées, cumulées et retenues par provision sur la situation en cours de règlement (...) suivant conditions indiquées au CCG marché " sans se limiter à un renvoi à l'article 36 du CCG.

L'article 14.4 renvoie quant à lui à l'article 36 s'agissant de l'application d'une pénalité de retard de plein droit sans mise en demeure préalable en cas de retard aussi bien au regard du délai global qu'au regard de chaque tâche visée au calendrier détaillé d'exécution. L'article 36 prévoit bien que le constat du retard doit être fait par le maître d'oeuvre et qu'une retenue peut être opérée sur la situation suivant le constat par le maître d'oeuvre de l'infraction conduisant à l'application d'une pénalité.

L'article 14.4 reprend ainsi les dispositions de l'article 36 et décline leur mise en oeuvre en précisant que le maître d'oeuvre devra faire figurer ses constatations et son chiffrage dans le compte rendu de chantier suivant la constatation du retard dont copie est adressée à l'entrepreneur et que le maître d'oeuvre propose alors au maître d'ouvrage d'appliquer sur le versement de l'acompte suivant les pénalités en cause.

Il en ressort qu'en application de la lettre marché et du CCG, les pénalités de retard sont dues de plein droit sans mise en demeure préalable en cas de retard, que le constat du retard doit être fait par le maître d'oeuvre, qu'une retenue peut être opérée sur la situation suivant le constat de l'infraction et que le maître d'oeuvre doit faire figurer sa constatation du retard dans le compte rendu de chantier et proposer au maître d'ouvrage d'appliquer sur le versement de l'acompte suivant les pénalités en cause.

Or, en l'espèce, le maître d'oeuvre a fait état de l'application de pénalités de retard sur les situations des mois de mars, avril et mai 2021 dans une lettre recommandée du 21 juin 2021 sans en faire mention dans les comptes rendus de chantiers avant le compte rendu du 5 août 2021.

La SCCV entend donc se prévaloir de pénalités appliquées sur des situations antérieures alors que les pénalités devaient, en application de la lettre mission et du CCG, être appliquées sur la situation de travaux en cours après mention sur un compte rendu de chantier.

Le retard dans l'exécution des travaux n'a donc pas été caractérisé dans les conditions contractuelles qui lient les parties. Si aucune sanction spécifique n'est prévue, il convient de procéder à une stricte application des dispositions précitées et de constater que faute de notification du retard et de son chiffrage dans les conditions fixées par l'article 14.4 du CCG, la SCCV ne peut se prévaloir de pénalités de retard imputables sur les situations dont le paiement est réclamé par la société Sylvagreg quand bien même les pénalités auraient été appréciées par le maître d'oeuvre, "arbitre du chantier" comme l'indique la SCCV.

Par ailleurs, cette dernière a réglé les situations, déduction faite des pénalités de retard qu'elle entendait imputer, certes sans validation des éléments de situation par le maître d'oeuvre comme le prévoit l'article 32.1.2 du cahier des clauses générales, mais en reconnaissant implicitement le bien-fondé de la créance.

La société SYLVAGREG justifie donc d'une créance de 1 559 877,05 euros TTC au titre des situations des 29 mars 2021, 28 avril 2021, 28 mai 2021, 28 juin 2021 et 27 juillet 2021.

- Sur la demande de suspension de l'obligation au paiement

Selon l'article 1219 du code civil, une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.

En vertu de l'article 1220 du code civil, une partie peut suspendre l'exécution de son obligation dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera pas à l'échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais.

La SCCV invoque le premier article à titre principal et le second à titre subsidiaire pour solliciter de la cour la suspension de son obligation au paiement si la société Sylvagreg n'était pas déboutée de sa demande en paiement des situations litigieuses.

Ces deux articles se situent dans la sous-section 1 sur l'exception d'inexécution et s'appliquent alors que le contrat est en cours, ce qui n'est plus le cas en l'espèce puisque le contrat a été résilié. Ils permettent à une partie de se dispenser d'exécuter ses propres obligations en cas de constat de l'inexécution de ses propres obligations par le co-contractant sans conférer au juge le pouvoir d'ordonner la suspension d'un contrat.

Compte tenu de ces éléments, la demande de suspension de l'obligation au paiement formée par la SCCV sera rejetée.

Dans ces conditions, le jugement sera infirmé et la SCCV sera condamnée à payer à la société Sylvagreg la somme de 1 559 877,05 euros au titre des situations des 29 mars 2021, 28 avril 2021, 28 mai 2021, 28 juin 2021 et 27 juillet 2021 avec intérêts au taux légal à compter de l'exigibilité de chacune des situations avec capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil.

Il n'y a donc pas lieu de statuer sur la recevabilité et le bien fondé de la demande subsidiaire de sursis à statuer formée par la société Sylvagreg.

3. Sur les autres demandes

Le jugement sera également infirmé en ce qu'il a condamné la société Sylvragreg aux dépens et au paiement de frais irrépétibles de première instance.

La SCCV, partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et au paiement d'une indemnité de 4 000 euros à la SA Sylvagreg au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a déclaré recevable la demande de la SA Sylvagreg,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condame la SCCV Le [Localité 10] Quentovic à payer à la SA Sylvagreg la somme de 1 559 877,05 euros au titre des situations des 29 mars 2021, 28 avril 2021, 28 mai 2021, 28 juin 2021 et 27 juillet 2021 avec intérêts au taux légal à compter de l'exigibilité de chacune des situations ;

Ordonne la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil ;

Dit n'y avoir lieu à statuer sur la recevabilité et le bien fondé de la demande subsidiaire de sursis à statuer formée par la SA Sylvagreg ;

Déboute la SCCV Le [Localité 10] Quentovic de ses demandes ;

Condamne la SCCV Le [Localité 10] Quentovic aux dépens de première instance et d'appel ;

Condamne la SCCV Le [Localité 10] Quentovic à verser à la SA Sylvagreg une indemnité de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 22/05020
Date de la décision : 17/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 26/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-17;22.05020 ?
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