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14/05/2024 | FRANCE | N°22/04603

France | France, Cour d'appel d'Amiens, Chambre Économique, 14 mai 2024, 22/04603


ARRET



















[T]





C/



S.A. SOCIETE GENERALE









FLR





COUR D'APPEL D'AMIENS



CHAMBRE ÉCONOMIQUE



ARRET DU 14 MAI 2024





N° RG 22/04603 - N° Portalis DBV4-V-B7G-ISQT



JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE BEAUVAIS EN DATE DU 29 JUILLET 2022





PARTIES EN CAUSE :





APPELANT







Monsieur [I] [T]

[A

dresse 2]

[Localité 3]



Représenté par Me Amandine GAUBOUR, avocat au barreau d'AMIENS, vestiaire : 37









ET :







INTIMEE







S.A. SOCIETE GENERALE agissant poursuites et diligences de ses Président et Administrateurs domiciliés en cette qualité audit siège social venant aux droits et obligati...

ARRET

[T]

C/

S.A. SOCIETE GENERALE

FLR

COUR D'APPEL D'AMIENS

CHAMBRE ÉCONOMIQUE

ARRET DU 14 MAI 2024

N° RG 22/04603 - N° Portalis DBV4-V-B7G-ISQT

JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE BEAUVAIS EN DATE DU 29 JUILLET 2022

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [I] [T]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Amandine GAUBOUR, avocat au barreau d'AMIENS, vestiaire : 37

ET :

INTIMEE

S.A. SOCIETE GENERALE agissant poursuites et diligences de ses Président et Administrateurs domiciliés en cette qualité audit siège social venant aux droits et obligations du CREDIT DU NORD par suite de sa fusion absorption intervenue en date du 1 er janvier 2023.

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me FORMET Corinne substituant Me Xavier PERES de la SELARL MAESTRO AVOCATS, avocats au barreau d'AMIENS

DEBATS :

               A l'audience publique du 05 Mars 2024 devant Mme Françoise LEROY-RICHARD, entendue en son rapport, magistrat rapporteur siégeant seule, sans opposition des avocats, en vertu de l'article 805 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le  14 Mai 2024.

GREFFIER : Mme Charlotte RODRIGUES

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme [J] [F] en a rendu compte à la Cour composée de :

Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre,

Mme Françoise LEROY-RICHARD, Conseillère,

et Mme Valérie DUBAELE, Conseillère,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

               Le 14 Mai 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ; Mme Odile GREVIN, Présidente a signé la minute avec Mme Malika RABHI, Greffier.

DECISION

Suivant offre acceptée le 8 février 2018, la SA Crédit du nord a consenti à M. [I] [T] et M. [R] [T] un prêt immobilier d'un montant de 227 368 € au taux de 1,96 % destiné à financer l'acquisition d'un immeuble à usage d'habitation situé '[Adresse 5].

Il était remboursable comme suit :

-23 mensualités de 704,95 €

-un versement de 114 000 € au plus tard le 24ème mois suivant le démarrage du prêt ;

-puis192 mensualités de 674,38 €.

Le versement de 114 000 € devait provenir de la vente d'un bien situé [Adresse 2] évalué à 190 000 € et nanti auprès du Crédit du nord.

Se prévalant d'impayés, la SA Crédit du nord a notifié l'exigibilité anticipée du prêt et par acte d'huissier en date du 6 octobre et du 22 octobre 2021 a attrait en paiement respectivement M. [I] [T] et M. [R] [T] devant le tribunal judiciaire de Beauvais qui par jugement réputé contradictoire en date du 29 juillet 2022 a condamné solidairement messieurs [R] et [I] [T] à payer à la SA Crédit du nord la somme de 224 577,37 € avec intérêts au taux de 1,96 % à compter du 28 juillet 2021, 3 000 € au titre de la clause pénale, 800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens dont distraction au profit de la Selarl Maestro.

Par déclaration en date du 6 octobre 2022, M. [I] [T] a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions remises par voie électronique le 6 janvier 2023 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens développés, M. [I] [T] demande à la cour d'infirmer le jugement dont appel et statuant à nouveau, de débouter la SA Crédit du nord de ses demandes.

En tout état de cause de condamner la société Crédit du nord à verser à M. [T] la somme de 224 577,37 € de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice subi pour manquement de la banque dans l'activation de la caution et au titre de son devoir de mise en garde et d'ordonner la compensation de cette somme avec celles auxquelles il viendrait à être condamné.

Il demande également de condamner la SA Crédit du nord à lui payer la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

Par conclusions remises par voie électronique le 5 avril 2023, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens développés, la Société générale venant aux droits de la SA Crédit du nord demande à la cour de débouter M. [T] de ses demandes, de confirmer le jugement dont appel sauf à prononcer la condamnation au profit de la Société générale en suite du traité de fusion absorption, de condamner M. [T] au paiement de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens dont distraction au profit de la Selarl Maestro.

Subsidiairement et si par impossible il était fait droit aux demandes de l'appelant, de les réduire dans de plus justes proportions.

SUR CE :

Sans remettre en cause la souscription du prêt et sa défaillance dans le remboursement des sommes dues dans les termes du contrat, M. [I] [T] affirme que la SA Crédit du nord aux droits de qui se trouve dorénavant la Société générale, a commis une faute dans l'exécution du contrat.

Il explique que le prêt était garanti par une caution de l'organisme Crédit logement, que la SA Crédit du nord n'a pas payé les frais de garantie de sorte qu'elle lui a fait perdre une chance de se faire garantir par cet organisme durant le cycle de vie du crédit.

Il prétend également que la SA Crédit du nord a commis une autre faute constituée du manquement à l'obligation de mise en garde lors de la souscription du prêt.

Il explique qu'il n'a pas été suffisamment mis en garde sur les risques de l'opération mise en place qui contenait une modalité aléatoire en lien avec la vente d'un immeuble.

Ainsi, il affirme que la SA Crédit du nord aurait dû vérifier qu'en faisant abstraction de la vente de l'immeuble situé à Crèvecoeur, il se trouvait dans une situation financière lui permettant de faire face au remboursement du prêt.

Il en conclut qu'elle lui a fait perdre une chance de ne pas contracter.

Il chiffre son préjudice à la somme de 224 577,37 € et demande une indemnisation à cette hauteur, susceptible de se compenser avec les sommes dues à la banque.

L'intimée prétend que la SA Crédit du nord n'a commis aucune faute dans l'exécution du contrat.

Elle explique que si elle a sollicité l'organisme Crédit logement pour garantir le prêt litigieux, ce montage avait pour finalité d'éviter aux emprunteurs de fournir une garantie hypothécaire mais que cette garantie ne la privait pas d'agir préalablement contre les emprunteurs en cas de défaillance au regard du caractère accessoire de la garantie.

Au surplus, elle explique que l'appelant se méprend sur la nature de la garantie qui ne profite qu'à la banque, de sorte qu'à supposer qu'elle ait actionné l'organisme Crédit logement cette circonstance ne dispensait pas les emprunteurs de faire face à leurs engagements ni d'échapper aux poursuites.

Par ailleurs, l'intimée soutient que la SA Crédit du nord n'a pas été défaillante dans son devoir de mise en garde, que l'emprunteur est défaillant à démontrer les risques d'endettement en lien avec l'opération financée.

Elle explique que le prêt était consenti à deux co-emprunteurs, que les 23 premières mensualités ont été remboursées sans aucun incident de paiement, que les échéances postérieures au paiement de la 24ème mensualité constituée du prix de vente de l'immeuble de Crèvecoeur étaient inférieures aux 23 premières.

Elle fait observer que l'emprunteur avait certifié avoir mis en vente l'immeuble au prix de 190 000 € ; somme susceptible de couvrir largement la 24ème mensualité.

Elle ajoute qu'il ne peut lui être imputé aucune faute à défaut pour l'emprunteur de démontrer avoir mis en oeuvre les diligences suffisantes pour réaliser la vente de ce bien et à défaut pour ce dernier de s'expliquer sur les circonstances qui ont rendu cette vente vaine.

Elle considère que ce défaut d'explication s'analyse en un comportement déloyal qui exclut de pouvoir lui opposer quelconque manquement.

Sur la garantie Crédit logement

Il ressort de la lecture du contrat de prêt qu'y a été inclus un engagement de l'organisme Crédit logement par lequel il a déclaré se porter caution en faveur de la SA Crédit du nord pour le remboursement du prêt (page 7/22).

Il y est stipulé que l'engagement devient effectif à la date de réception par Crédit logement des sommes dues par l'emprunteur au titre des participations financières qui doivent être adressées par le prêteur dès la mise en place du prêt mais que cet engagement est caduc de plein droit si les participations financières ne sont pas parvenues au Crédit logement après l'expiration d'un délai de 12 mois.

L'appelant rapporte la preuve que le prêt a été mis en place dans la mesure où il a débuté les remboursements mais qu'il a pu légitimement croire que le prêt souscrit était garanti par l'organisme Crédit logement qui le 8 juin 2020 lui a envoyé un courrier rédigé en ces termes : 'nous apprenons que vous avez arrêté de payer les échéances de votre prêt souscrit auprès de la SA Crédit du nord. Pour éviter des mesures contraignantes et coûteuses, retournez dès aujourd'hui le présent courrier, accompagné d'un chèque ou d'un mandat de 118 158,78 € à l'attention de la personne qui suit votre dossier dans cet établissement. A défaut de régularisation, nous vous informons que Crédit logement, en sa qualité de garant, pourra être amené à intervenir en paiement de la dette en votre lieu et place. Nous comptons sur votre ponctualité'.

Cependant, il produit un courriel par lequel il a interrogé le 6 janvier 2022 l'organisme Crédit logement pour 'connaître la situation de son dossier de caution' et par lequel il lui a été répondu 'je vous confirme que votre dossier est en statut prescrit dû au non paiement des frais de garantie de la part de votre banque. Nous vous invitons à vous rapprocher de celle-ci'.

Ce n'est donc qu'à réception de ce courriel que l'emprunteur a eu connaissance de ce que le prêt souscrit n'était pas garanti par l'organisme Crédit logement du fait de la défaillance de la SA Crédit du nord qui n'a pas payé les frais de garantie sans l'en avertir.

Cette faute de la banque dans l'exécution du contrat est d'autant plus établie, qu'elle-même a informé l'organisme Crédit logement de la défaillance des emprunteurs dans la perspective de la mise en oeuvre de la garantie, ce dernier étant par ailleurs également persuadé qu'il était caution du prêt litigieux comme cela résulte du contenu de son envoi en date du 8 juin 2020.

Si une garantie bénéficie au prêteur, elle permet également à l'emprunteur d'obtenir un financement pour réaliser un projet et, si elle ne le décharge pas de son engagement d'exécuter le contrat de prêt, cette garantie lui permet en cas de défaillance de bénéficier d'un délai pour rechercher des solutions financières auprès de tiers ou par la mise en vente du bien.

La faute commise par la SA Crédit du nord dans l'exécution du contrat a fait perdre une chance à M. [I] [T] de faire prendre en charge le remboursement du prêt suite à l'exigibilité anticipée de ce dernier le temps de trouver une solution financière pour faire face à sa défaillance.

M. [T] a cru pendant presque 4 ans que le prêt litigieux était garantit par l'organisme Crédit logement étant observé que les modalités de remboursement du prêt intégraient l'aléa tiré de la vente d'un autre immeuble.

Il a pu légitimement croire que l'organisme servirait à la banque les sommes dues dans le cadre de l'exigibilité anticipée.

Sur le devoir de mise en garde

Il est admis qu'un établissement de crédit est tenu, lors de la conclusion d'un contrat de prêt, à un devoir de mise en garde à l'égard d'un emprunteur non averti, au regard des capacités financières de celui-ci et des risques de l'endettement né de l'octroi du prêt.

Il est admis qu'il appartient à l'emprunteur qui invoque le manquement de la banque au devoir de mise en garde d'apporter la preuve du caractère excessif du crédit consenti.

Il incombe néanmoins à l'établissement de crédit de rapporter la preuve que le devoir de mise en garde n'était pas dû dès lors que le crédit était adapté aux capacités financières du client. Cette preuve résulte le plus souvent du remboursement sans difficultés des premières échéances du crédit.

En l'espèce, outre le fait que l'appelant emprunteur ne produit aucune pièce financière pour caractériser le caractère excessif du prêt consenti étant observé qu'il était co-emprunteur l'établissement de crédit rapporte la preuve que le prêt consenti était adapté à leurs capacités financières non-contredites.

En effet, il résulte de l'offre de prêt que les emprunteurs se sont engagés à rembourser la somme de 114 000 € au plus tard le 24ème mois, qu'ils ont déclaré que le bien situé à Crèvecoeur était estimé à 190 000 € et libre d'inscription, ils ont certifié exacts les renseignements de solvabilité à savoir que l'appelant percevait 23 304 € de salaire annuel et qu'il disposait de 8 000 € d'épargne.

Le prêt consenti s'élevait à 227 368 € et les 23 premières mensualités ont été remboursées sans incident.

Dans ces circonstances, la SA Crédit du nord n'était pas débitrice d'un devoir de mise en garde à défaut de risques d'endettement excessif.

C'est donc à tort que l'appelant prétend devoir être indemnisé de la perte de chance de ne pas avoir contracté pour manquement de la banque à son devoir de mise en garde.

Sur la demande de dommages et intérêts

Il est admis que toute perte de chance ouvre droit à réparation et qu'elle doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance.

Cette perte de chance ne peut être équivalente au montant des sommes dues à la SA Crédit du nord.

Tenant compte du fait que M. [T] a cru que le remboursement du prêt était garanti par l'organisme Crédit logement pendant 4 ans il convient de condamner la Société générale venant aux droits de la SA Crédit du nord à lui payer 15 000 € de dommages et intérêts.

Sur le compte entre les parties

Le montant des condamnations prononcées en première instance n'est pas critiqué de sorte que le jugement est confirmé sur le principe et le montant des condamnations.

Il convient de prononcer la compensation partielle avec les 15 000 € de dommages et intérêts alloués.

Sur les demandes accessoires

L'appelant qui succombe en majorité supporte les dépens d'appel.

Le jugement est confirmé en ces dispositions au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens de première instance.

Il ne paraît pas inéquitable de laisser à chacune des parties les frais irrépétibles exposés en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu par mis à disposition au greffe ;

Confirme le jugement ;

Y ajoutant :

Condamne la SA Société générale venant aux droits de la SA Crédit du Nord à payer à M. [I] [T] la somme de 15 000 € de dommages et intérêts ;

Prononce la compensation de cette somme avec les sommes dues à la SA Société générale venant aux droits de la SA Crédit du Nord ;

Condamne M. [I] [T] aux dépens d'appel dont distraction au profit de la Selarl Maestro et dit que chaque partie gardera la charge des frais irrépétibles exposés en appel.

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : Chambre Économique
Numéro d'arrêt : 22/04603
Date de la décision : 14/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-14;22.04603 ?
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