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11/04/2024 | FRANCE | N°22/03074

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 1ère chambre civile, 11 avril 2024, 22/03074


ARRET







POLE EMPLOI HAUTS-DE-FRANCE





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DB/SGS/DPC/VB





COUR D'APPEL D'AMIENS



1ERE CHAMBRE CIVILE



ARRET DU ONZE AVRIL
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Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 22/03074 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IPOL



Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE D'AMIENS DU TREIZE JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX





PARTIES EN CAUSE :



POLE EMPLOI HAUTS-DE-FRANCE représenté par son directeur régional domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité ...

ARRET

POLE EMPLOI HAUTS-DE-FRANCE

C/

[S]

DB/SGS/DPC/VB

COUR D'APPEL D'AMIENS

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU ONZE AVRIL

DEUX MILLE VINGT QUATRE

Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 22/03074 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IPOL

Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE D'AMIENS DU TREIZE JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX

PARTIES EN CAUSE :

POLE EMPLOI HAUTS-DE-FRANCE représenté par son directeur régional domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Dorothée FAYEIN BOURGOIS de la SCP FAYEIN BOURGOIS-WADIER, avocat au barreau d'AMIENS

APPELANTE

ET

Madame [Y] [S]

née le 07 Septembre 1963 à [Localité 6]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Naoëlle IDRISSI substituant Me Imad TANY de la SELARL DORE-TANY-BENITAH, avocats au barreau d'AMIENS

INTIMEE

DÉBATS & DÉLIBÉRÉ :

L'affaire est venue à l'audience publique du 1er février 2024 devant la cour composée de Mme Graziella HAUDUIN, Présidente de chambre, Présidente, M. Douglas BERTHE, Président de chambre et Mme Clémence JACQUELINE, Conseillère, qui en ont ensuite délibéré conformément à la loi.

A l'audience, la cour était assistée de Mme Sylvie GOMBAUD-SAINTONGE, greffière.

Sur le rapport de M. Douglas BERTHE et à l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré et la présidente a avisé les parties de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 11 avril 2024, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

PRONONCÉ :

Le 11 avril 2024, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Graziella HAUDUIN, Présidente de chambre et Mme Vitalienne BALOCCO, greffière.

*

* *

DECISION :

Mme [Y] [R] épouse [S] s'est inscrite sur la liste des demandeurs d'emploi le 7 juillet 2014 et a bénéficié de l'allocation d'aide au retour à l'emploi à compter du 19 juillet 2014 pour une période de 1095 jours calendaires, l'ouverture de ses droits lui ayant été notifiée par l'établissement public à caractère administratif Pôle emploi Hauts-de-France (Pôle emploi) par courrier du 2 avril 2015.

Elle a bénéficié d'un rechargement de ses droits pour 313 jours du 29 octobre 2018 au 31 juillet 2019 qui lui a été notifié par lettre du 10 janvier 2019.

Un contentieux est né entre les parties pour l'indemnisation de Mme [S] sur une période considérée comme prescrite par Pôle emploi et sur assignation de cette dernière, la 1ère chambre civile du tribunal judiciaire d'Amiens, par un jugement du 13 mai 2020, a condamné Pôle emploi, pris en son établissement régional Pôle emploi Hauts-de-France, à payer à Mme [S] la somme de 9 100 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 16 août 2018, accordant par ailleurs la capitalisation des intérêts, correspondant à son indemnisation au titre de l`assurance chômage pour la période courant du 1er janvier 2015 au 31 mai 2016.

Considérant qu'il existait des paiements indus pour la période du 27 janvier 2018 au 31 juillet 2019 pour un montant de 8 936,63 euros, Pôle emploi a demandé à Mme [S] de s'acquitter de cette somme par courrier du 2 juillet 2020.

Mme [S] a exercé un recours amiable qui a été rejeté par courrier du 24 août 2020 de Pôle emploi qui, par lettre recommandée avec avis de réception du 6 septembre 2021, a mis en demeure Mme [S] de rembourser l'indu allégué.

Pôle emploi a ensuite établi le 2 décembre 2021 une contrainte à l'encontre de Mme [S] pour le recouvrement de cet indu d'allocation chômage d'un montant de 8 441,48 euros, comprenant des frais de mise en demeure préalable pour 4,85 euros.

Ce titre a été signifié par un huissier de justice à la débitrice le 13 décembre 2021, la remise s`étant faite en l'étude de l'huissier.

Par courrier du 22 décembre 2021, déposé au greffe du tribunal judiciaire d'Amiens le 24 décembre suivant, Mme [S] a déclaré former opposition à cette contrainte invoquant l'autorité de la chose jugée du jugement du 13 mai 2020, la nullité de la mise en demeure préalable du 6 septembre 2021, l'irrégularité de la signification de la contrainte du 13 décembre 2021 et enfin la prescription de l'action pour les règlements antérieurs au 13 décembre 2018 par application de l'article L. 5422-5 du code du travail.

Par jugement du 13 juin 2022, la chambre de la proximité et de la protection du tribunal judiciaire d'Amiens a :

- Déclaré recevable l'opposition de Mme [Y] [R] épouse [S] à la contrainte du 2 décembre 2021 émise par Pôle emploi Hauts-de-France ;

- Rejeté les exceptions de nullité et fin de non-recevoir opposés par Mme [S] ;

- Déclaré recevable l'action en restitution de l'indu engagée par Pôle emploi ;

- Cantonné l'indu à la période du 14 février 2019 au 31 juillet 2019 ;

- Constaté en conséquence la cessation de la suspension de la mise en 'uvre de la contrainte, sauf à réduire le montant à la somme de 705,60 euros, en ce compris les frais de mise en demeure pour 4,85 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 2021 ;

- Condamné Pôle emploi à payer à Mme [S] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Rejeté toutes les autres demandes des parties ;

- Condamné Pôle emploi aux dépens comprenant le coût de la signification du 13 décembre 2021 de la contrainte.

Par déclaration du 20 juin 2023, Pôle emploi a interjeté appel de cette décision.

Vu les conclusions récapitulatives déposées le 6 juillet 2023 par lesquelles Pôle emploi demande à la cour de :

- Le déclarer recevable en son appel principal et bien fondé en ses demandes,

- Déclarer Mme [Y] [S] recevable en appel incident et mal fondée en ses demandes,

En conséquence,

- Infirmer le jugement rendu le 13 juin 2022 par le tribunal judiciaire d'Amiens en ce qu'il a :

- Cantonné l'indu à la période du 14 février 2019 au 31 juillet 2019 ;

- Constaté en conséquence la cessation de la suspension de la mise en 'uvre de la contrainte, sauf à réduire le montant à la somme de 705,60 euros, en ce compris les frais de mise en demeure pour 4,85 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 2021 ;

- Condamné Pôle emploi à payer à Mme [S] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Rejeté toutes les autres demandes des parties ;

- Condamné Pôle emploi aux dépens comprenant le coût de la signification du 13 décembre 2021 de la contrainte.

Statuant à nouveau,

- Déclarer que la somme de 8 936,63 euros (correspondant aux indus de 9 100 euros (aide retour à l'emploi versée entre le 27 janvier et le 31 octobre 2018) + 700,75 euros (aide retour à l'emploi versée entre le 15 février et le 31 juillet 2019), soit 9 800,75 euros, dont à déduire la somme de 864,12 euros) est intégralement indue,

Ce faisant,

- Prononcer la cessation de la suspension de la mise en 'uvre de la contrainte pour un montant de 8 936,63 euros en principal, outre les frais de mise en demeure pour 4,85 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 2021,

- Confirmer le jugement rendu le 13 juin 2022 par le tribunal judiciaire d'Amiens en ses autres dispositions et singulièrement, en ce qu'il a :

- Déclaré recevable l'opposition de Mme [Y] [S] à la contrainte du 2 décembre 2021 émise par le Pôle emploi hauts-de-France ;

- Rejeté les exceptions de nullité et fin de non-recevoir opposées par Mme [S] ;

- Déclaré recevable l'action en restitution de l'indu engagée par le Pôle emploi ;

- Condamner Mme [Y] [S] à payer à Pôle emploi Hauts-de-France la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner Mme [Y] [S] aux dépens de première instance et d'appel, comprenant le coût de signification de la contrainte.

Il expose :

- que le défaut de signature sur sa mise en demeure est sans incidence sur sa régularité dès lors

que son émetteur est clairement identifiable,

- qu'il a informé Mme [S] de la possibilité de former un recours, qu'elle a effectivement exercé,

- qu'il a exécuté sans en interjeter appel le jugement 13 mai 2020 du tribunal judiciaire d'Amiens,

- que l'objet de cette première instance est distinct et concernait l'indemnisation du chômage de Mme [S] du 1er janvier 2015 au 31 mai 2016 alors que la présente instance concerne un trop-perçu entre le 27 janvier 2018 et le 31 juillet 2019,

- qu'il a engagé son action en remboursement dans le délai de trois ans suivant le jugement rendu le 13 mai 2020 par le tribunal judiciaire d'Amiens dont l'exécution est à l'origine du trop-perçu,

- qu'en effet, ce jugement n'a pas modifié la période totale d'indemnisation due mais les dates d'indemnisation et donc les calculs afférents aux montants des droits à l'origine du trop-perçu sur ces nouvelles dates,

- qu'il convient en effet de distinguer, période par période, les sommes effectivement perçues et les sommes qui auraient dû l'être, au regard des règles inhérentes à l'assurance chômage,

- que le versement de l'indu est démontré par son propre tableau de synthèse et l'impression des écrans de son logiciel de décompte.

Vu les conclusions récapitulatives déposées le 26 juin 2023 par lesquelles Mme [Y] [S] demande à la cour de :

- Infirmer le jugement rendu le 13 juin 2022 par le tribunal judiciaire d'Amiens en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité et fin de non-recevoir qu'elle a opposées ;

Statuant de nouveau,

À titre principal,

- Constater la prescription de tout demande portant sur une période antérieure à la date du 13 décembre 2018 ;

- Déclarer irrégulière et nulle la mise en demeure lui ayant été adressée par Pôle emploi le 6 septembre 2021 ;

- Déclarer irrégulière et mal fondée la contrainte de Pôle emploi établie le 2 décembre 2021 et signifiée par exploit d'huissier de justice le 13 décembre 2021 ;

- Débouter Pôle emploi de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

En conséquence,

- Annuler la contrainte de Pôle emploi établie le 2 décembre 2021 et signifiée par exploit d'huissier de justice le 13 décembre 2021 ;

- Laisser à la charge de Pôle emploi les frais de signification de la contrainte ;

À titre subsidiaire,

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a cantonné l'indu à la période du 14 février 2019 au 31 juillet 2019 et en ce qu'il a condamné Pôle emploi à verser la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

En tout état de cause,

- Condamner Pôle emploi à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle expose :

- que la mise en demeure lui ayant été notifiée n'est pas signée et ne mentionne nullement la possibilité d'un recours gracieux, qu'elle est donc nulle et ne nécessite la démonstration d'aucun grief en ce qu'une mise en demeure avant contrainte n'est pas un acte contentieux,

- que dès lors la contrainte subséquente se fondant sur la mise en demeure nulle est elle-même entachée de nullité,

- que Pôle emploi revient sur la question des mêmes droits et des allocations lui ayant été versées dans une nouvelle procédure et qu'ainsi sa demande se heurte à l'autorité de la chose déjà jugée le 13 mai 2020 par le tribunal judiciaire d'Amiens,

- que cette dernière décision n'est nullement à l'origine d'un prétendu trop-perçu,

- que Pôle emploi ne démontre pas en quoi les sommes servies consisteraient en un trop-perçu,

- que Pôle emploi ne justifie pas avoir effectivement versé les nouvelles sommes dont il réclame le remboursement.

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

La clôture a été prononcée le 25 octobre 2023 et l'affaire a été renvoyée pour être plaidée à l'audience du 1er février 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

À titre liminaire, il convient d'observer que la recevabilité de l'opposition de Mme [S] à la contrainte émise par le Pôle emploi Hauts-de-France le 2 décembre 2021 n'est pas contestée.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la chose jugée :

Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Selon l'article 1355 du code civil, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.

En l'espèce, si la présente instance et celle ayant abouti au premier jugement du 13 mai 2020 du tribunal judiciaire d'Amiens concernent les mêmes parties, il convient de constate que la première instance introduite à l'initiative de Mme [S] tendait à l'indemnisation de son chômage pour la période du 1er janvier 2015 au 31 mai 2016, tandis que la présente instance tend au recouvrement d'un trop-perçu versé par Pôle emploi à Mme [S] entre le 27 janvier 2018 et le 31 juillet 2019.

Dès lors, la chose demandée n'est pas la même et n'a pas été considérée par le premier jugement du 13 mai 2020, aucun compte définitif entre les parties n'ayant été demandé à l'occasion de cette instance.

La fin de non-recevoir invoquée sera donc rejetée et la décision entreprise sera confirmée sur ce point.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes portant sur une période antérieure à la date du 13 décembre 2018 :

Il résulte de l'article L5422-5 du code du travail que l'action en remboursement de l'allocation d'assurance indûment versée se prescrit par trois ans et que ce délai court à compter du jour de versement des sommes.

Selon l'article 2244 du code civil, le délai de prescription ou le délai de forclusion est interrompu par une mesure conservatoire ou un acte d'exécution forcée.

Toutefois l'article 2234 du code civil dispose que la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.

Il s'infère de cette dernière disposition que la suspension de la prescription lorsqu'un droit se trouve subordonné à la solution d'une action en cours suppose que soit caractérisée une impossibilité d'agir et que par ailleurs, la règle selon laquelle la prescription ne court pas contre celui qui est empêché d'agir ne s'applique pas lorsque le titulaire de l'action disposait encore, à la cessation de l'empêchement, du temps nécessaire pour agir avant l'expiration du délai de prescription.

En l'espèce, Pôle emploi estime avoir notamment induement versé la somme de 9 100 euros à Mme [S] au titre des allocations d'aide de retour à l'emploi servies entre le 27 janvier et le 21 octobre 2018.

Cette allocation d'aide de retour à l'emploi a été initialement servie à Mme [S] du 19 juillet au 31 décembre 2014 puis seulement sur un nombre de jours limités entre le 1er janvier 2015 et le 31 mai 2016.

Pôle emploi au vu des éléments actualisés communiqués par son allocataire, s'était en effet opposé au paiement d'un rappel de jours sur la période d'indemnisation limitée courant de janvier 2015 à mai 2016 en invoquant la prescription.

Pour autant, ce dernier s'est vu condamné par jugement du 13 mai 2020 du tribunal judiciaire d'Amiens à procéder à une rappel d'allocation à hauteur de 9 100 euros sur cette période comprise entre le 1er janvier 2015 et le 31 mai 2016.

La précédente situation établie par Pôle Emploi avant sa condamnation définitive faisait ressortir une fin des droits au 21 octobre 2018.

Cependant, par l'effet du jugement du 13 mai 2020, la fin de la période d'indemnisation (d'une durée maximale de 1095 jours calendaires) a effectivement due être ramenée au 26 janvier 2018.

La créance invoquée couvre donc les allocations versées après l'expiration de la fin de droits entre le 27 janvier et le 21 octobre 2018 a fait l'objet d'un acte de recouvrement forcé, soit un contrainte émise le 2 décembre 2021 signifiée à la débitrice le 13 décembre 2021.

Cette mesure a eu pour effet d'interrompre la prescription, s'agissant du premier acte interruptif.

Toutefois, les allocations versées avant le soit le 13 décembre 2018, soit trois années avant la première mesure d'exécution forcée signifiée le 13 décembre 2021, ne sont en principe plus recouvrables car prescrites au regard de la règle de la prescription triennale de l'action en recouvrement.

Cette prescription du recouvrement des allocations servies avant le 13 décembre 2018 affecte donc en principe l'intégralité des allocations d'aide de retour à l'emploi faisant l'objet de la contrainte car elle concerne la période du 27 janvier au 21 octobre 2018.

Pour autant, Pôle emploi fait valoir à juste titre que le jugement rendu le 13 mai 2020 par le tribunal judiciaire d'Amiens, et qui n'a pas fait l'objet d'un appel, a eu pour conséquence de modifier et de fixer définitivement la période exacte d'indemnisation due à Mme [S] et que son action en recouvrement se trouvait subordonnée à la solution du premier litige pendant devant le tribunal judiciaire d'Amiens.

Il en résulte que Pôle Emploi s'est effectivement trouvé dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement inhérent à l'issue de la première instance en cours. Pôle emploi n'a eu connaissance de la solution du litige, ayant modifié la période d'indemnisation et donc la fin de droit, que le 13 mai 2020, date du jugement dont elle ne conteste pas avoir eu connaissance et qu'elle a d'ailleurs exécuté sans le contester.

Ainsi, le 13 mai 2020 est la date de la cessation de son empêchement à agir aux fins de recouvrement des sommes induement versées à compter du 27 janvier 2018.

Dès lors, au 13 mai 2020, Pôle emploi disposait du temps nécessaire, soit presque neuf mois, pour agir en recouvrement des sommes servies à compter du 27 janvier 2018 et dont l'exigibilité n'était à cette date pas prescrite.

Ses premières diligences interruptives n'ont été initiées qu'en décembre 2021, soit un an et sept mois après la cessation de son empêchement à agir.

Dans ces conditions, la règle selon laquelle la prescription ne court pas contre celui qui est empêché d'agir ne peut s'appliquer au cas d'espèce dès lors que Pôle Emploi disposait encore, à la cessation de l'empêchement, du temps nécessaire pour agir avant l'expiration du délai de prescription.

Ainsi, les demandes tendant à la restitution des allocations versées avant le 13 décembre 2018 ne sauraient être accueillies car prescrites et la décision entreprise sera infirmée sur ce point.

Sur la nullité alléguée de la mise en demeure et de la contrainte subséquente :

L'article 114 du code de procédure civile dispose qu'aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public.

La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public.

Selon l'article 1344 du code civil, le débiteur est mis en demeure de payer soit par une sommation ou un acte portant interpellation suffisante.

Aux termes de l'article R5312-1 du code du travail, Pôle emploi est un établissement public à caractère administratif.

Il résulte des articles L111-2 L212-1 et L212-2 du code des relations entre le public et l'administration que toute personne a le droit de connaître le prénom, le nom, la qualité et l'adresse administratives de l'agent chargé d'instruire sa demande ou de traiter l'affaire qui la concerne ; ces éléments figurent sur les correspondances qui lui sont adressées.

Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci.

Sont dispensés de la signature de leur auteur, dès lors qu'ils comportent ses prénom, nom et qualité ainsi que la mention du service auquel celui-ci appartient, les lettres de relance relatives à l'assiette ou au recouvrement et les mises en demeure de souscrire une déclaration ou d'effectuer un paiement.

Enfin les article L5426-8-2 et R5426-20 du code du travail, dans leurs versions applicables au litige, disposent que pour le remboursement des allocations, aides, ainsi que de toute autre prestation indûment versées par Pôle emploi, le directeur général de Pôle emploi ou la personne qu'il désigne en son sein peut, après mise en demeure, délivrer une contrainte qui, à défaut d'opposition du débiteur devant la juridiction compétente, comporte tous les effets d'un jugement et confère le bénéfice de l'hypothèque judiciaire.

Cette contrainte est délivrée après que le débiteur a été mis en demeure de rembourser l'allocation, l'aide ou toute autre prestation indue.

Cette mise en demeure comporte le motif, la nature et le montant des sommes demeurant réclamées, la date du ou des versements indus donnant lieu à recouvrement ou la date de la pénalité administrative ainsi que, le cas échéant, le motif ayant conduit à rejeter totalement ou partiellement le recours formé par le débiteur.

Si la mise en demeure reste sans effet au terme du délai d'un mois à compter de sa notification, le directeur général de Pôle emploi peut décerner la contrainte.

En l'espèce, la mise en demeure du 6 septembre 2021, reçue le 11 septembre 2021, fait suite à une notification de trop-perçu du 2 juillet 2021 et la contrainte a été émise le 2 décembre 2021 et signifiée le 13 décembre 2021.

Pôle emploi, établissement public à caractère administratif, relève ainsi de l'article L212-2 du code des relations entre le public et l'administration ; sa mise en demeure d'effectuer un paiement de 8 936,63 euros était ainsi dispensée de porter la signature de son auteur et n'encourt donc aucune nullité de ce chef.

Par ailleurs, la mise en demeure litigieuse :

- indique qu'elle émane du directeur de l'agence Pôle emploi d'[Localité 5],

- comporte le motif, la nature et le montant des sommes demeurant réclamées, soit un trop-perçu de 8 936,63 euros d'allocation d'aide au retour à l'emploi,

- la date des versements indus donnant lieu à recouvrement, soit du 27 janvier 2018 au 31 janvier 2019,

- ainsi que le motif ayant conduit à rejeter totalement ou partiellement le recours formé par le débiteur selon référence à la décision de rejet du 24 août 2020 du recours gracieux formé par Mme [S].

En outre, la notification de trop-perçu du 2 juillet 2021 a informé Mme [S] de l'ensemble de ses droits et notamment sa faculté de contester le trop-perçu notifié par un recours gracieux. Un coupon-réponse à cet effet était joint à cette correspondance et Mme [S] a effectivement formé un recours gracieux le 24 juillet 2020.

Dès lors, la mise en demeure ne présente aucune irrégularité et la contrainte subséquente n'encourt elle-même aucune nullité en ce qu'elle s'appuierait sur une procédure préalable non contentieuse irrégulière.

En conséquence, la demande de nullité de la mise en demeure et de la contrainte seront rejetées et la décision entreprise sera confirmée sur ce point.

Sur la répétition de l'indu :

Il résulte des articles 1302 et 1302-1 du code civil que tout paiement suppose une dette ; ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution que et celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu.

Aux termes de l'article 9 code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

Compte tenu de ce qui précède, il conviendra d'examiner les sommes induement versées à compter du 14 décembre 2018.

Sur la période à compter du 14 décembre 2018, Pôle emploi fait état d'un trop-versé de sa part d'allocation de rechargement des droits à hauteur de 700,75 euros entre le 15 février et le 31 juillet 2019.

Cependant, Mme [S] fait valoir à juste titre que Pôle emploi, sur lequel pèse la charge de la preuve des versements indus, se borne à produire des captures d'écran des décomptes internes que ce dernier s'est lui-même constitué sans fournir la justification d'aucun des versements allégués.

Il y a donc lieu de constater qu'aucune démonstration de l'existence de versements d'indus par Pôle emploi au bénéfice de Mme [S] n'est démontrée et la décision entreprise sera infirmée sur ce point.

Dès lors, il n'y a pas lieu à prononcer la cessation de la suspension de la mise en 'uvre de la contrainte frappée d'opposition ni a fortiori à en cantonner le montant.

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Pôle emploi qui succombe sera condamné aux dépens de l'appel et la décision de première instance sera confirmée en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles.

L'équité commande de condamner Pôle emploi à payer à Mme [S] la somme de 2 000 euros au titre des dispositions prévues par l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à disposition au greffe,

Infirme la décision entreprise en ce qu'elle a :

- Rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée par Mme [S],

- Déclaré recevable l'action en restitution de l'indu engagée par le Pôle emploi,

- Constaté en conséquence la cessation de la suspension de la mise en 'uvre de la contrainte, sauf à réduire le montant à la somme de 705,60 euros, en ce compris les frais de mise en demeure pour 4,85 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 2021,

La confirme pour le surplus,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Déclare irrecevable comme prescrites les demandes en restitution des allocations d'assurance indûment versées avant le 13 décembre 2018 par Pôle emploi Hauts-de-France,

Rejette la demande de prononcé de la cessation de la suspension de la mise en 'uvre de la contrainte émise par Pôle emploi Hauts-de-France le 2 décembre 2021,

Condamne Pôle emploi Hauts-de-France aux dépens de l'appel,

Condamne Pôle emploi Hauts-de-France à verser à Mme [Y] [R] épouse [S] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles que cette dernière a exposé à hauteur d'appel,

Rejette les autres demandes.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 22/03074
Date de la décision : 11/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-11;22.03074 ?
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