ARRET
N°
[M]
C/
[P]
[C]
VBJ/DK/VB
COUR D'APPEL D'AMIENS
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU VINGT NEUF JUIN
DEUX MILLE VINGT TROIS
Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 22/01610 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IMZR
Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL DE PROXIMITE D'ABBEVILLE DU VINGT SEPT DECEMBRE DEUX MILLE VINGT ET UN
PARTIES EN CAUSE :
Madame [Z] [M]
née le [Date naissance 3] 1989 à [Localité 8]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 7]
Représentée par Me Amandine HERTAULT de la SCP CREPIN-HERTAULT, avocat au barreau D'AMIENS
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/001404 du 31/03/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AMIENS)
APPELANTE
ET
Monsieur [W] [P]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représenté par Me Pascal BIBARD de la SELARL CABINETS BIBARD AVOCATS, avocat au barreau D'AMIENS qui a dégagé sa responsabilité professionnelle le 20 avril 2023.
Monsieur [E] [C]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 5]
Assigné à étude le 27/05/2022.
INTIMES
DEBATS :
A l'audience publique du 04 mai 2023, l'affaire est venue devant Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, magistrat chargé du rapport siégeant sans opposition des avocats en vertu de l'article 805 du Code de procédure civile. Ce magistrat a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 29 juin 2023.
La Cour était assistée lors des débats de Mme Diénéba KONÉ, greffière, assistée de M. Michaël LEBAS, greffier stagiaire.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Le magistrat chargé du rapport en a rendu compte à la Cour composée de Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente de chambre, Mme Christina DIAS DA SILVA, Présidente de chambre et M. Pascal MAIMONE, Conseiller, qui en ont délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE DE L'ARRET :
Le 29 juin 2023, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente de chambre et Mme Vitalienne BALOCCO, greffière.
*
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DECISION :
FAITS ET PROCEDURE
Par acte sous seing privé en date du 14 janvier 2012, M.[P] a donné à bail à Mme [M] une maison d'habitation sise à [Localité 7] moyennant un loyer mensuel de 680 euros. En cours de bail Mme [M] s'est mariée avec M.[C]. Les époux ont ensuite divorcé et Mme [M] a quitté le logement le 4 juillet 2020, restituant les clés par courrier.
Suivant acte du 23 mars 2021, M.[P] a fait assigner Mme [M] et M.[C] devant le juge de l'exécution du tribunal de proximité d'Abbeville en paiement de réparations locatives et de dommages-intérêts pour préjudice de jouissance. Mme [M] s'est opposée à ces demandes en invoquant le caractère indécent du logement.
Par jugement en date du 27 décembre 2021, le juge de l'exécution du tribunal de proximité d'Abbeville a :
-Condamné Mme [M] et M.[C] à payer à M.[P] la somme de 2040 euros au titre du délai de préavis ;
-Débouté M.[P] de sa demande de dommages et intérêts au titre des dégradation locatives ;
-Condamné M.[P] à payer à Mme [M] la somme de 680 euros au titre de la restitution du dépôt de garantie ;
-Débouté Mme [M] de sa demande de dommages et intérêts au titre du trouble de jouissance ;
-Débouté M.[C] de sa demande de dommages et intérêts au titre du trouble de jouissance ;
-Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
-Condamné M.[C] et Mme [M] à payer à M.[P] la somme de 700 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
-Débouté Mme [M] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
-Débouté M.[C] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
-Partagé les dépens par tiers entre les parties ;
-Dit n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire de la présente décision.
Mme [M] a interjeté appel de cette décision le 5 avril 2023.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 janvier 2023 et l'affaire fixée à l'audience des débats du 4 mai 2023.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions en date du 28 juin 2022, Mme [M] demande à la cour d'infirmer le jugement en en ce qu'il a :
o Condamné M.[C] et Mme [M] à payer à M.[P] à M.[P] la somme de 2040 euros au titre du délai de préavis
o Débouté « M.[C] et Mme [M] » de sa demande de dommages et intérêts au titre du trouble de jouissance
o Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires
o Condamné M.[C] et Mme [M] la somme de 700 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
-de juger le logement loué par M.[C] et Mme [M] est indécent,
En conséquence,
-Condamner M.[P] à indemniser Mme [M] à la somme de 6 528 euros,
-Dire que Mme [M] ne peut être tenue du paiement du préavis soit de la somme de 2080€ en raison de l'indécence du logement
-Condamner M.[P] à payer à Mme [M] la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
M.[P] a constitué avocat mais n'a pas conclu dans les délais de l'article 909 du code de procédure civile. Par ordonnance du 29 décembre 2022, le conseiller de la mise en état l'a déclaré irrecevable à conclure.
M.[C] n'a pas constitué avocat. La déclaration d'appel lui a été signifiée suivant acte du 27 mai 2022 remis à l'étude.
MOTIFS DE LA COUR
Le contrat de bail est un contrat synallagmatique qui met à la charge des parties des obligations réciproques.
Le locataire est tenu de payer les loyers à la date convenue ( article 1728 du code civil ; article 7 a) de la loi du 6 juillet 1989 ).Le bailleur est quant à lui tenu d'une obligation de délivrance d'un logement décent et d'une obligation d'entretien.
L'article 1719 du code civil pose le principe que les obligations de délivrance d'un logement décent, d'entretien de ce logement et de garantie de la jouissance paisible du preneur pèsent sur le bailleur de locaux à usage d'habitation principale, par la nature même du contrat, sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière.
L'article 6 de la loi d'ordre public du 6 juillet 1989 dispose :
'Le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé et doté des éléments le rendant conforme à l'usage d'habitation.
Les caractéristiques correspondantes sont définies par décret en Conseil d'Etat pour les locaux à usage d'habitation principale ou à usage mixte mentionnés au premier alinéa de l'article 2 et les locaux visés au deuxième alinéa du même article, à l'exception des logements-foyers et des logements destinés aux travailleurs agricoles qui sont soumis à des règlements spécifiques.'
L'article 2 du décret no2002-120 du 30 janvier 2002 édicte les conditions auxquelles le logement doit satisfaire pour être décent.
Si le logement loué ne satisfait pas aux dispositions des premier et deuxième aliénas de l'article 6, l'article 20-1 de la loi du 6 juillet 1989 autorise le locataire à demander au propriétaire leur mise en conformité sans qu'il soit porté atteinte à la validité du contrat en cours. Sur le fondement du même article, le juge peut également être saisi par l'une ou l'autre des parties et il détermine, le cas échéant, la nature des travaux à réaliser et le délai de leur exécution. Il peut réduire le montant du loyer ou suspendre, avec ou sans consignation, son paiement et la durée du bail jusqu'à l'exécution de ces travaux.
Le locataire peut également solliciter des dommages et intérêts pour trouble de jouissance lorsque le bailleur ne satisfait pas à son obligation de délivrance d'un logement décent.
Ces critères, posés par le décret n°2002-120 du 30 janvier 2002, imposent notamment que le logement assure le clos et le couvert.
Pour le surplus, le logement doit contenir des dispositifs d'ouverture et de ventilation permettant un renouvellement d'air adapté aux besoins d'une occupation normale du logement et au fonctionnement des équipements.
En l'espèce, il résulte du procès-verbal de constat d'état des lieux dressé le 30 septembre 2020, des traces d'infiltrations dans la cuisine, dans le salon/séjour les murs sont tâchés de moisissures en partie basse, dans la salle de bains:, la peinture blanche en partie supérieure est noircie par l'humidité, dans le coin WC: les murs sont fortement noircis de moisissures, dans la deuxième chambre à l'étage les plinthes en bois et la partie inférieure des murs sont noircis par l'humidité, dans la troisième chambre les murs comportent des taches de moisissures.
La cour relève que l'huissier qui mentionne la chaudière dans la cuisine ne constate à aucun moment l'existence d'une VMC.
Les photographies en noir et blanc de la copie procès-verbal de constat attestent de la très importante dégradation des murs par l'humidité et les moisissures.
Ces photographies correspondent à celles produites par Mme [M] qui sont elles en couleur et qui démontrent l'état de dégradation du logement en raison des moisissures.
Selon le courriel de la DDTM de la Somme, la mairie de [Localité 7] avait mis en demeure M.[P] de réaliser les travaux de mise en conformité le 20 février 2018.
Par ailleurs par courrier du 21 janvier 2019 la CAF a informé Mme [M] qu'en considération du diagnostic établi par la DDTM de la Somme, le logement n'était pas conforme aux critères de décence conditionnant le versement de l'allocation logement.
En considération de ces éléments, c'est à tort que le premier juge a considéré que n'était pas rapportée la preuve de l'indécence du logement alors qu'au contraire il est parfaitement démontré que le logement remis à Mme [M] et M.[C] ne remplit pas les critères d'un logement décent au sens du décret du 30 janvier 2002, l'importance des moisissures établissant à minima l'absence de renouvellement d'air adapté aux besoins d'une occupation normale du logement.
Sur le préavis
Il résulte de l'article 1131 ancien du code civil applicable en la cause et 1219 du code civil qu'une partie peut refuser d'exécuter son obligation si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.
Le bailleur ayant manqué à ses obligations de donner à bail un logement décent, il ne peut être reproché à Mme [M] et M.[C] d'avoir quitté ce logement indécent sans avoir respecté le préavis contractuel.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a condamné Mme [M] à payer à M.[P] la somme de 2040 euros au titre du délai de préavis et M.[P] sera débouté de sa demande de ce chef.
Sur l'indemnisation du préjudice de jouissance
Le preneur qui s'est vu délivrer un logement indécent peut solliciter des dommages et intérêts pour trouble de jouissance.
En l'espèce, Mme [M] a dû vivre dans un logement indécent alors que le propriétaire avait été mis en demeure par la mairie de [Localité 7] de faire les travaux. Ce non-respect par son bailleur des conditions d'habitabilité de conformité du logement donné à bail lui ont causé un préjudice de jouissance des lieux loué qui sera justement indemnisé par l'octroi de la somme de 4000 euros.
Sur les frais du procès
M.[P] qui succombe doit être condamné aux dépens d'appel et à verser à Mme [M] la somme de 1000 euros au titre des frais de procédure exposés en appel
Le jugement doit être infirmé s'agissant des dépens qui seront mis à la charge de M.[P] et de la somme allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile, M.[P] étant débouté de sa demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt par défaut et en dernier ressort
Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté M.[P] de sa demande de dommages-intérêts pour réparations locatives et de sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice de jouissance et en ce qu'il a condamné M.[P] à payer à Mme [M] la somme de 680 euros au titre de la restitution du dépôt de garantie ;
Statuant à nouveau et y ajoutant
Déboute M.[P] de sa demande en paiement au titre du délai de préavis ;
Condamne M.[P] à payer à Mme [M] la somme de 4000 euros de dommages-intérêts en réparation des on préjudice de jouissance ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ;
Condamne M.[P] à payer à Mme [M] la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M.[P] aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE