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15/06/2023 | FRANCE | N°16/02832

France | France, Cour d'appel d'Amiens, Chambre Économique, 15 juin 2023, 16/02832


ARRET

































S.A.S. DISTILLERIE DE GAYANT









C/







S.A.S. SAVERGLASS















COUR D'APPEL D'AMIENS



CHAMBRE ÉCONOMIQUE



ARRET DU 15 JUIN 2023





N° RG 16/02832 - N° Portalis DBV4-V-B7A-GK6R





JUGEMENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE DE BEAUVAIS EN DATE DU 21 AVRIL 2016







PARTIES EN CAUSE :







APPELANTE







S.A.S. DISTILLERIE DE GAYANT prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au dit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]





Représentée par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LEXAVOUE AMIENS-DOUAI, avocat au barreau d'AMIENS, vestiaire : 101 et ayant pour avoc...

ARRET

S.A.S. DISTILLERIE DE GAYANT

C/

S.A.S. SAVERGLASS

COUR D'APPEL D'AMIENS

CHAMBRE ÉCONOMIQUE

ARRET DU 15 JUIN 2023

N° RG 16/02832 - N° Portalis DBV4-V-B7A-GK6R

JUGEMENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE DE BEAUVAIS EN DATE DU 21 AVRIL 2016

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

S.A.S. DISTILLERIE DE GAYANT prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au dit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LEXAVOUE AMIENS-DOUAI, avocat au barreau d'AMIENS, vestiaire : 101 et ayant pour avocat plaidant Me Marie ALBERTINI, avocat au barreau de PARIS

ET :

INTIMEE

S.A.S. SAVERGLASS prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au dit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Florence GACQUER CARON, avocat au barreau d'AMIENS, vestiaire : 65 et ayant pour avocat plaidant Me Eric BACHELERIE, avocat au barreau de PARIS

DEBATS :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Avril 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre et Mme Françoise LEROY-RICHARD, Conseillère, qui ont avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 15 Juin 2023.

Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile.

GREFFIER :

Mme Sophie TRENCART, adjointe administrative faisant fonction.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Ces magistrats ont rendu compte à la Cour composée de :

Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre,

Mme Françoise LEROY-RICHARD, Conseillère,

Mme Cybèle VANNIER, Conseillère

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 15 Juin 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ; Mme Odile GREVIN, Présidente a signé la minute avec Mme Charlotte RODRIGUES, Greffier.

DECISION

Par acte d'huissier en date du 23 octobre 2014, la société Saverglass,fabricant de flacons et bouteilles en verre a fait assigner la société Distillerie de Gayant en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait de l'absence de réelles négociations en vue du renouvellement du contrat de fournitures conditionnant des boissons alcoolisées produites par la société Distillerie de Gayant .

Par jugement en date du 21 avril 2016, le tribunal de commerce de Beauvais a constaté la rupture brutale et définitive des relations contractuelles aux torts exclusifs de la société Distillerie de Gayant , dit y avoir lieu à l'octroi de dommages et intérêts au bénéfice de la société Saverglass, désigné M.[R] [G] en qualité d'expert pour évaluer le montant des dommages et intérêts pouvant être alloué à la société Saverglass avec mission notamment de déterminer la marge brute liée au nombre de bouteilles produites par le fournisseur nouvellement retenu par la société Distillerie de Gayant pour la fabrication de bouteilles du modèle Miami Haute de 1, 75 litre et ceci sur la durée du contrat signé avec ce nouveau fournisseur et réservé les autres chefs de demandes et les dépens .

La société Distillerie de Gayant a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 7 juin 2016.

Par arrêt du 5 avril 2018, la cour a :

-déclaré recevable l'appel immédiat de la société Distillerie de Gayant

-réformé le jugement rendu par le tribunal de commerce de Beauvais le 6 octobre 2016,

-dit que la société Distillerie de Gayant a manqué à son obligation d'entrer en négociation en vue du renouvellement du contrat et au titre de la clause de premier refus, et a engagé sa responsabilité contractuelle .

-dit que le préjudice subi par la société Saverglass consiste en une perte de chance de ne pas avoir conclu un contrat de fourniture de bouteilles destinées au conditionnement de la vodka Kirkland aux clauses et conditions de ce concurrent.

-dit que cette perte de chance s'apprécie à hauteur de la moitié de la marge brute annuelle qu'aurait pu escompter la société Saverglass en fonction de ses propres moyens de production, sur le marché de fabrication de bouteilles du modèle « Miami Haute 1, 75 litre » aux conditions conclues avec le fournisseur retenu par la Société Distillerie de Gayant .

- pour l'évaluation de ce préjudice , désigné M.[C] [J] afin de:

-

entendre tout sachants et se faire communiquer tous documents et pièces utiles et nécessaires à l'accomplissement de sa mission et notamment le contrat conclu par la société Distillerie de Gayant avec une entreprise tiers en vue de la fourniture de bouteilles nécessaires au conditionnement de la vodka Kirkland et ayant pris effet postérieurement au 30 juin 2013,

rechercher quels étaient les moyens de production de la société Distillerie de Gayant à la date du 30 juin 2013.

dire si ces moyens de production (personnel , machines , locaux ) permettait la fourniture des bouteilles dans les conditions prévues à ce contrat , le cas échéant préciser les investissements qui auraient été nécessaires à l'exécution de ce contrat et leur coût et dire à quelle date elle aurait disposé de moyens de production opérationnels.

Déterminer le montant de la moitié de la marge brute pouvant être escomptée pendant une année de la fabrication et fourniture de bouteilles pour le conditionnement de la vodka Kirkland en fonction des conditions prévues au contrat conclu par la société Distillerie de Gayant avec une entreprise tiers et des moyens de production nécessaires à l'exécution de ce contrat dont disposait la société Saverglass à la date du 30 juin 2013 ou qu'il lui aurait fallu est déterminer en ce cas l'impact de leur financement sur la marge brute.

Dit que l'expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile et qui déposera l'original de son rapport au greffe de la chambre commerciale de la cour d'appel d'Amiens dans les six mois à compter du jour au lieu où il aura été avisé de la consignation .

Fixé à la somme de 6000 € la provision à valoir sur la rémunération de l'expert , qui devra être consignée par la société Saverglass à la régie de la cour d'appel d'Amiens dans les deux mois de l'invitation faite par le greffe d'avoir à consigner .

Dit que faute de consignation de la provision dans ce délai, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet.

Délègue le président de la chambre économique de la cour et en cas d'empêchement un conseiller de cette chambre pour contrôler l'exécution de cette expertise.

Renvoie l'affaire pour reprise des débats après dépôt du rapport de l'expert au constat de caducité de la mesure d'instruction à l'audience du conseiller de la mise en état de la chambre économique de la cour à la date qui sera fixée ultérieurement par celui-ci.

Dit que les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens sont réservés.

L'expert a déposé son rapport le 25 février 2022.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 30 octobre 2022, la société Distillerie de Gayant demande à la Cour de :

-débouter la société Saverglass de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions .

-réduire à de plus justes proportions l'indemnisation du préjudice sollicité par la société Saverglass .

-fixer le préjudice de perte de chance subi par la société Saverglass après retraitement partiel de la marge brute arrêtée par le rapport d'expertise à la somme de 812 319 , 09 € .

à titre subsidiaire ,

-fixer le préjudice de perte de chance subi par la société Saverglass sur la stricte base de la marge brute arrêtée par le rapport d'expertise à savoir la somme de 923 150, 83 € .

En tout état de cause ,

- condamner la société Saverglass à lui verser la somme de 15 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile .

-condamner la société Saverglass aux entiers dépens de l'instance et subsidiairement , à tout le moins aux frais d'expertise .

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 1er février 2023, la société Saverglas demande à la Cour de :

-déclarer ses demandes recevables et bien fondées .

-condamner Distillerie de Gayant à lui payer la somme de 1 437 675,32 € au titre de son préjudice correspondant à la moitié de la marge brute qu'elle aurait réalisée en fabriquant les 1 000 000 de cols au prix de 3, 40 € par col prévus au contrat conclu entre Distillerie de Gayant et Verallia .

-condamner Distillerie de Gayant au paiement d'intérêts au taux légal sur le montant auquel elle sera condamnée au titre du préjudice subi par la société Saverglass à compter de la mise en demeure du 22 avril 2013 avec application des dispositions de l'article 1154 du code civil.

-débouter Distillerie de Gayant de l'ensemble de ses demandes .

-condamner Distillerie de Gayant à payer à la société Saverglass une somme de 40 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .

-condamner Distillerie de Gayant aux entiers dépens de première et seconde instance ainsi qu'au remboursement à la société Saverglass de la totalité des honoraires et frais d'expertise avancés par elle .

Pour un exposé détaillé des prétentions et moyens des parties , la Cour renvoie à leurs écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile .

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 octobre 2017 .

SUR CE

Sur l'indemnisation sollicitée par la société Saverglass

La société Distillerie de Gayant rappelle que devant la Cour , la société Saverglass déclarait que son préjudice devait être estimé à une somme a minima égale à la marge brute perdue par elle, faute de pouvoir être établi sur la base du ou des nouveaux contrats passés par la société Distillerie de Gayant avec un ou des tiers, soit une somme de 3 697 951 € , que la Cour a réfuté cette analyse et a estimé que le préjudice subi consiste en une perte de chance de ne pas avoir conclu un contrat de fourniture de bouteilles destinées au conditionnement de la Vodka Kirkland aux clauses et conditions de ce concurrent , qu'elle a ensuite fixé le préjudice indemnisable à hauteur de la moitié de la marge brute annuelle qu'aurait pu escompter Saverglass , que le rapport d'expertise conclut à une marge brute annuelle comprise entre 1 706 179, 84 € et 2 060 697, 35 € pour l'estimer en définitive à 1 884 301, 66 € que si la Cour retenait les conclusions du rapport , l'indemnisation serait de 942 150, 83 € soit un préjudice de quatre fois inférieur à celui allégué, que la Cour ne peut donc que réduire de façon très significative l'indemnisation totalement fantaisiste réclamée par la société Saverglass .

Elle déclare que des retraitements sont à apporter au calcul de la marge brute issu du rapport d'expertise concernant des frais de royalties et d'exclusivité ainsi que du nombre de cols .

S'agissant des frais de royalties et d'exclusivité ,elle fait valoir que le modèle déposé de la Miami Haute n'est pas la propriété de Saverglass , que comme l'a retenu l'expert , des droits d'auteur doivent donc être appliqués , qu'en outre l'expert a également retenu qu'aux termes de la production de la  Miami Haute par Verallia , la société Distillerie de Gayant avait obtenu l'exclusivité sur la vente du modèle pour la durée du contrat , que les termes de l'arrêt imposent de faire application de la même exigence d'exclusivité à l'égard de Saverglass, que dans le cadre de la fixation du quantum d'indemnisation de Saverglass , il est donc nécessaire de fixer le taux de la redevance due à ce titre en tenant compte de ces particularités, que compte tenu du niveau d'exclusivité totale en l'espèce , il convient de retenir la fourchette haute de la redevance soit 10 % , que la base de prix de vente du flacon nu retenue étant de 2, 20 € , le coût des royalties devra donc être fixé à 0, 22 € / col et non 0, 20 € / col comme proposé par l'expert et que le coût associé aux royalties dans le calcul de la marge brute devra donc être fixé à 220 € pour 1 000 cols , soit 179 269, 20 € pour 814 860 cols .

S'agissant du nombre de cols , la société Distillerie de Gayant fait valoir que l'expert a considéré que la négociation aurait pu conduire à la fourniture de 914 100 cols mais qu'en application du principe de réparation intégrale , il s'agit de prendre en compte 50 % de la marge brute dont la société a été effectivement privée à savoir 50 % de la marge brute générée par la fabrication et la fourniture à la société Distillerie de Gayant des 814 860 bouteilles « Miami Haute 1.75 litre » effectivement fournies par Verallia pour le conditionnement de la Vodka Kirkland sur la période du 1er juillet 2013 au 30 juin 2014 , étant souligné que Saverglass a notamment livré 123 354 cols entre le 3 juin 2013 et le 10 juin 2013 et 85 796 cols entre le 28 août 2013 et le 4 septembre 2013 , a donc encaissé des marges complémentaires sur les livraisons effectuées entre le 1er juillet et mi septembre 2013 et ne peut donc à la fois avoir bénéficié de marges sur cette période et obtenir une indemnisation de son préjudice sur la base de volumes théoriques prévus au contrat de Verallia .

Compte tenu de ces éléments , elle indique que sur la base de royalties à 0, 22 € par col en retenant un nombre de cols de 814 860 , le coût de royalties à retrancher devra être de 179 269 , 20 et non de 162 972 comme retenu par l'expert , que la marge brute doit donc être ramenée à 1 662 638, 19 € , somme à laquelle doit être retranchée celle de 38 000 € soit une somme marge brute de 1 624 638, 19 € , que la Cour ayant estimé que le préjudice devait être estimé au montant de la moitié de la marge brute , c'est la somme de 812 319 , 09 € ( 1 624 638, 19 € x 50 % ) qui doit être retenue.

A titre subsidiaire , si la Cour estimait devoir rejeter les deux retraitements du calcul de la marge brute tels qu 'exposés ,elle indique qu'il conviendrait de fixer le montant de la perte de chance subie sur la base de la marge brute estimée par l'expert soit une somme de 923 150, 83 € ( 1 884 301, 66 € - 38 000 € x 50 %) .

La société Saverglass rappelle qu'elle a été le fabricant et le fournisseur exclusif depuis la création en 2006 de la vodka Kirkland de la bouteille décorée dans laquelle cette vodka était conditionnée , bouteille dont le modèle déposé et enregistré lui appartient , modèle connu dans le catalogue produits de Saverglass et sur le marché sous le nom de « Fidji » et que suite au contrat conclu le 1er juin 2012 avec la société Distillerie de Gayant , elle a fourni à cette dernière la bouteille Fidji dans sa contenance de 175 cl avec une réalisation de parachèvement de décor , pour permettre à la société Distillerie de Gayant d'y conditionner la vodka Kirkland fabriquée par elle, et d'approvisionner la société américaine Costco , propriétaire de la marque Kirkland .

Elle souligne qu'elle a sollicité tant en première instance qu'en appel, la communication des contrats passés par la Distillerie de Gayant au titre du marché de la vodka Kirkland et tous éléments comptables nécessaires permettant d'apprécier les volumes réalisés mais que cette dernière s'y est refusée, n'a communiqué lors de l'expertise qu'une seule page de son contrat passé avec la société Verallia , que la position retenue par la Cour dans son premier arrêt a réduit de façon substantielle son indemnisation et que le rapport d'expertise repose sur des postulats qui ne peuvent être retenus, que l'expert a déposé son rapport tardivement sans répondre à tous ses dires .

Elle fait valoir, ainsi que l'expert le reconnaît, qu'elle était parfaitement en capacité de produire un million de bouteilles « Miami Haute » sans recourir à de la sous-traitance ou avoir besoin de réaliser d'investissements , disposant des moyens techniques et humains à cet effet précisant qu'elle produit par an 165 millions de cols .

Elle conteste les éléments retenus par l'expert pour le calcul de la marge brute.

S'agissant des charges de personnel ,elle souligne qu'elle a pour activité la fabrication et la décoration de produits verriers hauts de gamme ce qui nécessite une main d'oeuvre qualifiée, que le personnel nécessaire à la fabrication et au décor des bouteilles commandées est donc inscrit à l'effectif de manière permanente, sans aucune faculté d'ajustement en cas de baisse d'activité et que l'arrêt d'un four en verrerie est une opération complexe et très coûteuse qu'il n'est pas envisageable de réaliser dans le cas d'une très faible baisse d'activité , que par conséquent la charge de personnel n'est pas une charge variable contrairement à ce que l'expert a retenu .

Elle souligne que celui ci n'a admis la main d'oeuvre comme charge fixe seulement pour celle affectée à la fusion du four , à une faible partie de la maintenance et au retri, alors que l'usine entière doit fonctionner pour que le four fonctionne, que l'ensemble des coûts de maintenance correspond nécessairement à des charges fixes , que la Cour doit écarter les conclusions du rapport d'expertise en ce qu'il a déduit du calcul de la marge brute une quote-part des charges de personnel de Saverglass soit un montant supérieur à 500 000 € pour un million de cols fabriqués et décorés .

S'agissant des royalties , elle indique que l'expert a considéré à tort que le modèle Miami Haute, objet du contrat entre Distillerie de Gayant et Vérallia étant un modèle déposé , la société Saverglass aurait été obligée de payer des royalties alors que ce modèle Miami Haute n'est pas une déclinaison du modèle  Miami qui appartient non à la société Verallia mais à la société VOA -Verrerie d'Albi, et que le modèle Miami Haute n'a été enregistré que le 8 mars 2013 pour les besoins de la cause .Elle souligne que la bouteille Miami Haute n'était pas un modèle déposé à l'époque où la société Distillerie de Gayant est entrée en négociations avec Verallia , soit le dernier trimestre 2012 et ne l'était toujours pas à l'époque où elle était tenue d'entrer en négociations avec Saverglass soit au plus tard à compter du 28 février 2013, qu'elle aurait donc été en mesure de répondre à la demande de Costco et donc de fabriquer une bouteille identique à la Miami Haute sans avoir à acquitter de royalties si elle avait été sollicitée en même temps que Verallia. Elle précise que dans l'industrie verrière , il n'existe jamais de royalties susceptibles d'être payées , aucun verrier n'accordant de droits sur ses propres modèles , que l'expert ne pouvait donc retenir une quelconque valeur à ce titre, qui plus est la fixer entre 5 et 10 % , ce taux étant très élevé pour l'industrie manufacturière dont les marges sont très faibles .Elle souligne en ce qui concerne l'exclusivité, que cette dernière n'était pas valorisée dans le contrat conclu entre Distillerie de Gayant et Vérallia et qu'elle aurait été en mesure de prendre le même engagement d'exclusivité .

Elle indique donc au vu de ces éléments que la Cour doit écarter les conclusions de l'expert en ce qu'il a déduit du calcul de la marge brute un montant au titre de prétendues royalties et exclusivité que Saverglass aurait dû payer à Verallia pour 200 000 € pour un million de cols .

S'agissant du nombre de cols, elle fait valoir que la Cour a écarté le principe de la réparation intégrale au profit d'une indemnisation forfaitaire fixée à la moitié de la marge brute que Saverglass aurait pu réaliser si elle avait exécuté la commande conclue entre Distillerie de Gayant et Vérallia , que seul compte le nombre de bouteilles commandées à Verallia sur un an , soit 1 000 000 bouteilles décorées .

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments , elle maintient que sa marge brute pour la réalisation et le décor de 1 000 000 de bouteilles au prix unitaire de 3, 40 € aurait été de 2 875 350, 65 € , qu'elle est donc bien fondée à réclamer la condamnation de la société Distillerie de Gayant à lui payer la moitié de cette somme soit celle de 1 437 675, 32 € .

La Cour dans son précédent arrêt , a déclaré que les manquements contractuels de la société Distillerie de Gayant au titre de son obligation d'entrer en négociation en vue du renouvellement du contrat et au titre de la clause de premier refus avaient empêché la société Saverglass de soumissionner aux conditions d'un concurrent , que le préjudice de la société Saverglass résultant de ces manquements ne saurait d'une part correspondre comme le demande la société Saverglass à hauteur de la marge brute réalisée au cours du contrat écoulé qu'elle chiffre à hauteur de 3 697 951 € ni d'autre part se limiter au dédommagement des frais occasionnés par la négociation , mais consistait en une perte de chance de ne pas avoir conclu un contrat de fourniture de bouteilles destinées au conditionnement de la vodka Kirkland aux clauses et conditions de ce concurrent et a ajouté que cette perte de chance devait être appréciée à hauteur de la moitié de la marge brute annuelle qu'aurait pu escompter la société Saverglass en fonction de ses propres moyens de production ,sur le marché de fabrication de bouteilles du modèle Miami Haute 1, 75 litres aux conditions conclues avec le fournisseur retenu par la société Distillerie de Gayant .

L'expert a déclaré que l'usine de Saverglass était techniquement apte à fabriquer le flacon nu et à le décorer et que le flacon Miami Haute était proche du flacon Fidji produit par Saverglass.

Compte tenu des dispositions de l'arrêt du 5 avril 2018 , il convient à titre préalable d'examiner le contrat conclu entre la société Distillerie de Gayant et la société Verallia concurrente de la société Saverglass qui a obtenu le nouveau marché. Ce contrat n'est pas produit devant la cour par la société Distillerie de Gayant qui a cependant fourni à l'expert une convention de création d'outillage en date du 7 mai 2013 conclu avec la société Verallia, ladite convention étant rédigée sur une page qui précise qu'il s'agit de la fourniture de 1 000 000 bouteilles modèle Miami Haute 175 cl avec décor Kirkland pour un prix applicable jusqu'au 30 juin 2014 de 3, 40 € par bouteille franco HT, surcharge énergie incluse.

Cette convention précisait que Terroirs Distillers (groupe de plusieurs sociétés dont la Distillerie de Gayant ) s'engageait à commander en exclusivité à Verallia , un minimum de 1 million de bouteilles décorées sur la période allant du 1er juillet 2013 au 30 juin 2014, que le modèle Miami Haute était un modèle déposé par Verallia qui s'engageait à le vendre en exclusivité à Terroirs Distillers pour ce marché Kirkland Vodka pour la durée de cet engagement .

Ainsi que le soutient la société Saverglass, le nombre de bouteilles effectivement fabriquées ou livrées par Verallia est indifférent, seul compte le nombre de bouteilles commandées à la société Verallia puisque doit être prise en compte la perte de marge brute perdue à l'aune du contrat conclu avec Verallia par la société Distillerie de Gayant .

L'expert a exposé qu'il définissait la marge brute comme la différence entre le prix de revient , défini par les charges variables et le prix de vente , que le prix de revient devait inclure la matière, l'énergie, mais aussi la main d'oeuvre et une part de maintenance. Il a calculé la marge brute dans 3 hypothèses , la première concerne un nombre de 814 860 cols, la marge brute s'élevant dans ce cas à 1 706 179, 84 € , la deuxième concerne un nombre de cols de 914 400, la marge brute s'élevant alors 1 884 301, 66 € la troisième afférente à un nombre de cols de 1 000 000 , la marge brute s'élevant dans ce dernier cas à 2 060 697, 35 € .

L'expert a retenu pour calculer la marge brute pour 1 000 000 de cols les sommes suivantes

Fusion : 318 520 €

Bout chaud : 192 490 €

Bout froid : 180 900 €

décor : 318 050 €

palette : 87 720 €

transport : 21 830 €

royalties : 200 000 €

soit un prix de revient de base de 1 319 510 € ,

un prix de vente de 3 400 000 € et donc une marge brute de base de 2 080 490 € dont il a déduit la somme de 19 792, 65 € au titre des aléas soit une marge brute de 2 060 697, 35 € .

Il a en outre estimé les investissements pour produire et livrer le flacon Miami Haute à 38 000 € HT . Saverglass devant réaliser le moule (17 500 € ) l'étude du moule (3 000 € ) et le thermoformé pour l'emballage et le transport (17 500 € ) dont une partie est potentiellement récupérable en cas de volumes suffisants .

S'agissant des royalties et de l'exclusivité , si la société Saverglass fait valoir que le modèle a été déposé tardivement et qu'elle aurait été en mesure de faire évoluer son propre modèle , la bouteille Fidji, vers la nouvelle forme voulue, il est établi et retenu par l'expert que la bouteille Miami Haute est un modèle déposé par Verallia et qu'il est constant que le détenteur du modèle doit être rétribué, par ailleurs la société Verallia s'est engagée à le vendre en exclusivité à Terroirs Distillers , il y a donc lieu de retenir ainsi que l'a proposé l'expert, un coût de 20 centimes par col soit 8, 9 % au titre des royalties ce taux intégrant ainsi que l'a mentionné l'expert que les royalties portent sur le flacon non décoré et qu'il existe une exclusivité , le pourcentage de 10 % proposé par la société Distillerie de Gayant n'est donc pas justifié , de sorte que la somme de 200 000 € au titre des royalties, calculée par l'expert pour 1 000 000 de cols est à retenir.

S'agissant des charges, l'expert a pris en compte que le four fonctionne sans discontinuité 24 Heures sur 24 , 7 jours sur 7, toute l'année qu'il ne peut pas techniquement être arrêté , les seuls arrêts possibles étant liés aux maintenances avec changement de réfractaires ce qui intervient après plusieurs années de fonctionnement , que le four nécessitait la présence de 2 personnes 24 heures sur 24 , et qu'une partie du personnel de fusion était associé à une charge fixe car l'usine produisant ou pas , il était présent, cette analyse doit être retenue , en revanche il ne saurait lui être fait grief d'avoir estimé que le reste de la main d'oeuvre et une partie de la maintenance sont des coûts variables et non des charges fixes , nonobstant les particularités de l'industrie verrière, puisque des périodes de sous activité ne peuvent être exclues et que dans cette hypothèse , des mesures sont prises pour réduire la charge de personnel, il en est de même pour la maintenance .

Au vu de l'ensemble de ces éléments , il convient donc de retenir une marge brute de 2 060 697, 35 € pour 1 000 000 cols, de déduire de cette somme celle de 38 000 €, soit un reliquat de 2 022 697, 35 € , la moitié de cette somme étant égale à 1 011 348, 67 € , il y a donc lieu de condamner la société Distillerie de Gayant à payer à la société Saverglass la somme de 1 011 348, 67 € outre les intérêts au taux légal non pas à compter du 22 avril 2013 mais à compter du 21 avril 2016, date du premier jugement , et dans les conditions de l'article 1154 ancien devenu l'article 1343-2 du code civil.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

La société Saverglass demande la condamnation de la société Distillerie de Gayant à régler les entiers dépens comprenant les frais d'expertise outre la somme de 40 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile , faisant valoir que la société en cause a été de mauvaise foi , qu'il y a eu quatre années de procédure pour parvenir à l'arrêt du 5 avril 2018 , qu'elle a été amenée à participer à une expertise particulièrement longue et que huit années au total se sont écoulées depuis l'introduction de la procédure .

La société Distillerie de Gayant succombant en ses prétentions , sera condamnée à payer les entiers dépens qui comprendront les frais d'expertise , ainsi que la somme de 15 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .

PAR CES MOTIFS

La Cour , statuant par arrêt contradictoire , en dernier ressort , par mise à disposition au greffe ,

Condamne la société Distillerie de Gayant à payer à la société Saverglass la somme de 1 011 348, 67 € outre les intérêts au taux légal à compter du 21 avril 2016 .

Dit que les intérêts échus dûs au moins pour une année entière produisent intérêt.

Condamne la société Distillerie de Gayant à payer à la société Saverglass la somme de 15 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .

Condamne la société Distillerie de Gayant aux entiers dépens de première instance et d'appel qui comprendront les frais d'expertise judiciaire .

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : Chambre Économique
Numéro d'arrêt : 16/02832
Date de la décision : 15/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-15;16.02832 ?
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