ARRET
N°
[N]
C/
[N]
VA/VB
COUR D'APPEL D'AMIENS
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU VINGT QUATRE JANVIER
DEUX MILLE VINGT TROIS
Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 20/02031 - N° Portalis DBV4-V-B7E-HWS7
Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE SAINT QUENTIN DU TREIZE JANVIER DEUX MILLE VINGT
PARTIES EN CAUSE :
Monsieur [I] [N]
né le 01 Novembre 1951 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représenté par Me Dominique ANDRE, avocat au barreau d'AMIENS
Ayant pour avocat plaidant la SCP BEJIN-CAMUS, avocat au barreau de SAINT QUENTIN
APPELANT
ET
Monsieur [A] [N]
né le 19 Juin 1947 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représenté par Me Marc ANTONINI de la SCP ANTONINI ET ASSOCIES, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN
INTIME
DEBATS :
A l'audience publique du 15 novembre 2022, l'affaire est venue devant M. Vincent ADRIAN, magistrat chargé du rapport siégeant sans opposition des avocats en vertu de l'article 805 du Code de procédure civile. Ce magistrat a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 24 janvier 2023.
La Cour était assistée lors des débats de Mme Vitalienne BALOCCO, greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Le magistrat chargé du rapport en a rendu compte à la Cour composée de M. Pascal BRILLET, Président, M. Vincent ADRIAN et Mme Myriam SEGOND, Conseillers, qui en ont délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE DE L'ARRET :
Le 24 janvier 2023, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par M. Pascal BRILLET, Président de chambre, et Mme Vitalienne BALOCCO, greffier.
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* *
DECISION :
[K] [R] veuve [N] est décédée le 13 mars 2016 à [Localité 7] laissant pour lui succéder deux fils: M. [I] [N] et M. [A] [N].
[K] [N] avait souscrit de son vivant un contrat d'assurance-vie 'Confluence', le 25 septembre 1993, auprès du Crédit Agricole du Nord-Est désignant comme bénéficiaire son conjoint, à défaut ses enfants nés ou à naître, à défaut ses héritiers.
Par un avenant régularisé le 15 ai 2007, [K] [N] a fait modifier la désignation du bénéficiaire, le capital devant revenir 'en totalité à [son] fils M. [N] [A] né le 19 juin 1947 à [Localité 6] à défaut ses héritiers », modification acceptée le jour même par M. [A] [N].
Celui-ci a sollicité le paiement du capital le 1er juin 2016.
Une déclaration de succession a été réalisée le 27 septembre 2016.
Par acte du 18 juillet 2018, M. [I] [N] a fait assigner M. [A] [N] devant le tribunal de grande instance de Saint-Quentin aux fins de voir rapporter à la succession le capital de l'assurance-vie, soit la somme de 122 041,95 € ou tout au moins celle de 87 227, 72 € correspondant aux primes payées par sa mère, avec intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2018, et capitalisation des intérêts.
Par jugement du 13 janvier 2020, dont il a relevé appel, il a été déclaré irrecevable en son action faute de l'avoir exercée dans le cadre d' une demande de partage judiciaire.
La cour se réfère aux dernières conclusions des parties par visa.
Vu les conclusions récapitulatives en appel n°7 notifiées par M. [I] [N] le 28 avril 2022 sollicitant l'infirmation du jugement.
M. [N] demande à la cour de déclarer irrecevable le moyen d'irrecevabilité soulevé par M. [A] [N], moyen tiré de ce que la demande est faite hors demande d'ouverture de partage judiciaire, le partage étant en effet clôturé, alors que ce dernier a soutenu en première instance de manière totalement opportuniste le contraire, à savoir que les opérations de partage n'avaient pas été ouvertes ou n'étaient pas clôturées.
Il sollicite explicitement l'ouverture des opérations de partage judiciaire, lesquelles pourront être confiées à Maître [V].
Ou tout au moins, à titre subsidiaire, il voudrait voir ouvrir des opérations de 'partage complémentaire' ou de 'partage rectificatif'.
A titre plus subsidiaire, il soutient que l'avenant de changement de bénéficiaire du contrat d'assurance-vie doit être annulé pour insanité d'esprit de sa mère à l'époque, mars 2017, ou du chef de la nullité spéciale de l'article L. 132-4-1 alinéa 4 du code des assurances.
Vu les conclusions n° 3 notifiées par M. [A] [N] le 31 janvier 2022 visant à la confirmation du jugement et au constat de l'irrecevabilité de la demande nouvelle en nullité du changement de bénéficiaire pour cause de prescription, subsidiairement à leur rejet au fond l'une comme l'autre.
M. [A] [N] réfute un par un les moyens soulevés par M. [I] [N].
L'instruction a été clôturée le 15 novembre 2022, jour de l'audience.
MOTIFS
1. Sur la recevabilité de la demande de rapport.
'La demande de rapport d' une libéralité déguisée dont aurait bénéficié un héritier ne peut être formée qu'à l'occasion d'une action en partage judiciaire; une telle action ne peut plus être engagée lorsque les parties, ayant déjà procédé au partage amiable de la succession, ne sont plus en indivision' (Civ.1re, 6 novembre 2019, 18-24.332 P, voir aussi Civ.1re, 4 janv. 2017, n° 15-26.827, Civ.1re, 30 janv. 2019, n° 18-11.078).
M. [I] [N] se donne beaucoup de peine dans ses écritures d'appel pour convaincre le lecteur de ce que le partage amiable, au cours duquel, précise-t-il, il s'est interrogé sur la question de savoir si le contrat d'assurance-vie 'ne devait pas être requalifié en donation', est clôturé.
Il en énumère, page 8, les manifestations, notamment le compte de clôture des frais rédigé par l'étude de Maître [V] le 17 janvier 2019 et la confirmation de la main de Maître [V] lui-même de ce que 'la succession de Madame [N] est réglée'.
En outre, ajoute-t-il, selon Maître [G], successeur de Maître [Z], notaire de M. [I] [N], une somme de 95 945, 71 € 'représentant la part revenant à Monsieur [I] [N]' a été versée à ce dernier.
Ni M. [A] [N], en appel, ni la juridiction ne le mettent en doute.
C'est précisément cette situation qui justifie l'irrecevabilité de la demande en rapport faite hors demande de partage judiciaire: il s'agit d'éviter une remise en cause tardive du partage déjà acquis ou du partage comme acte de règlement global de toutes les questions intéressants les co-héritiers indivis.
L'action de M. [N] devait d'abord faire l'objet d'une demande amiable dans le cadre des opérations de partage amiable, puis, à défaut d'être acceptée, d'une demande jointe à une demande en ouverture de partage judiciaire.
Dans la mesure où M. [I] [N] connaissait l'existence de l'assurance vie, comme il le reconnait lui-même, il ne saurait contourner l'irrévocabilité du partage en faisant qualifier sa demande de demande en partage complémentaire ou de demande en complément de partage portant sur un bien indivis prétendument omis.
Au regard de l'impérativité de cette irrecevabilité, laquelle pourrait être relevée d'office par la juridiction (article 125 du code de procédure civile), il importe peu que M. [A] [N] ait soutenu le contraire (les opérations de liquidation n' ont pas commencé ou ne sont pas clôturées) au début du procès.
Le jugement ne peut qu'être confirmé en ce qu'il a déclaré la demande de rapport irrecevable.
2. Sur la demande en nullité de la clause de désignation du bénéficiaire pour insanité d'esprit de Mme [N] ou incapacité 'notoire'.
[K] [N] est décédée le 13 mars 2016.
Le dernier changement de bénéficiaire du contrat Confluences est intervenu, au profit de M. [A] [N], le 15 mai 2007.
La mise sous tutelle de Mme [N] est intervenue au terme d' un jugement rendu le 6 février 2008, et la première convocation de M. [I] [N] par le greffe du tribunal d'instance de Saint-Quentin date du 23 juillet 2007.
Selon l'article L.132-4-1 du code des assurances, ' Lorsqu'une tutelle a été ouverte à l'égard du stipulant, la souscription ou le rachat d'un contrat d'assurance sur la vie ainsi que la désignation ou la substitution du bénéficiaire ne peuvent être accomplis qu'avec l'autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille s'il a été constitué. Après l'ouverture d'une curatelle, ces mêmes actes ne peuvent être accomplis qu'avec l'assistance du curateur.
(...)
L'acceptation du bénéfice d'un contrat d'assurance sur la vie conclu moins de deux ans avant la publicité du jugement d'ouverture de la curatelle ou de la tutelle du stipulant peut être annulée sur la seule preuve que l'incapacité était notoire ou connue du cocontractant à l'époque où les actes ont été passés'.
Par ailleurs, selon l'article 901 du code civil, pour faire une libéralité il faut être sain d'esprit et l'article 414-2 du même code dispose que si l'action n'a pas été exercée du vivant de l'intéressé, l'action en nullité s'éteint par le 'délai de cinq ans prévu à l'article 2224 du code civil ».
M. [I] [N] soutient que sa mère avait perdu sa santé mentale à l'époque du changement de la clause de bénéficiaire en 2017. 'Une probable maladie d'Alzeimer' et ' des troubles cognitifs importants' avaient été diagnostiqués parle docteur [X] en mars 2017 selon les termes d'un certificat rédigé à l'époque (pièce 29). A l'étude du dossier médical qui a pu être obtenu et a été soumis au docteur [S] [P], psychiatre, expert judiciaire, il apparaît en effet que les troubles cognitifs sont documentés à partir de mars 2007.
Mme [N] aurait dû être placée sous tutelle avant la demande de juillet 2007.
L'incapacité était déjà notoire pour M. [A] [N].
Mme [N] avait perdu sa capacité à faire une libéralité (indirecte) à l'un de ses enfants.
La juridiction d'appel doit annuler la désignation du nouveau bénéficiaire sur le fondement des articles 901 du code civil et L. 132-4-1 du code des assurances et ordonner à M. [A] [N] de restituer la moitié des sommes reçues, soit 122 04, 9 € : 2 = 61 020, 97 €.
M. [A] [N] soutient que ces moyens, outre qu'ils sont inexacts, sont prescrits.
Selon l'article 2224 du code civil 'Les actions personnelles et mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer'.
Ce point de départ est le décès de l'auteur de la libéralité, sauf preuve de ce que le contestant ignorait légitimement l'existence de la libéralité, voire ignorait le trouble mental du disposant.
En l'espèce, M. [N] a soulevé ces moyens en cours de procédure d'appel dans des conclusions n° 5 signifiées le 20 décembre 2021, plus de cinq après le décès du 16 mars 2016, de sorte qu' il est normalement irrecevable à faire valoir ces nouveaux moyens devant la cour pour cause de prescription, comme le soutient M. [A] [N].
M. [I] [N] ne soutient pas avoir rencontré des circonstances qui lui auraient fait ignorer le contrat d'assurance-vie constitué par sa mère à partir de 1993 et dont il retrace l'historique.
Il ne peut non plus avoir ignoré pendant toutes ces années, de 1997 à 2016, l'état de santé mental et cognitif de sa mère. Il pouvait pendre sa décision d'agir en nullité dès l'époque du décès. Il admet lui-même avoir hésité à le contester pendant les années où les opérations de liquidation se sont déroulées devant Maître [V] (conclusions, page 4).
L'action en nullité doit être déclarée prescrite, elle est également rrecevable.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Saint-Quentin le 13 janvier 2020,
Y ajoutant,
Déclare prescrite l'action en nullité exercée par M. [I] [N] contre le changement de bénéficiaire réalisée par avenant du 15 mai 2007,
Condamne M. [I] [N] aux dépens d'appel et à payer une somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile à M. [A] [N].
LE GREFFIER LE PRESIDENT