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19/01/2023 | FRANCE | N°19/07658

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 1ère chambre civile, 19 janvier 2023, 19/07658


ARRET







[U]

[E]





C/



[E]













VBJ/SGS





COUR D'APPEL D'AMIENS



1ERE CHAMBRE CIVILE



ARRET DU DIX NEUF JANVIER

DEUX MILLE VINGT TROIS





Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 19/07658 - N° Portalis DBV4-V-B7D-HRBP



Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LAON DU TRENTE SEPTEMBRE DEUX MILLE DIX NEUF>




PARTIES EN CAUSE :



Madame [D], [Z], [N] [U]

née le 09 Février 1940 à [Localité 31] (80)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 2]



Monsieur [T], [B], [J] [E]

né le 10 Septembre 1974 à [Localité 5] (80)

de nationalité F...

ARRET

[U]

[E]

C/

[E]

VBJ/SGS

COUR D'APPEL D'AMIENS

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU DIX NEUF JANVIER

DEUX MILLE VINGT TROIS

Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 19/07658 - N° Portalis DBV4-V-B7D-HRBP

Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LAON DU TRENTE SEPTEMBRE DEUX MILLE DIX NEUF

PARTIES EN CAUSE :

Madame [D], [Z], [N] [U]

née le 09 Février 1940 à [Localité 31] (80)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 2]

Monsieur [T], [B], [J] [E]

né le 10 Septembre 1974 à [Localité 5] (80)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentés par Me MASSON substituant Christophe DE LANGLADE de la SELARL LANGLADE ET ASSOCIES, avocat au barreau de COMPIEGNE

Plaidant par Me Romain ROYAUX, avocat au barreau des ARDENNES

APPELANTS

ET

Madame [A] [E] épouse [L]

née le 03 Août 1973 à [Localité 5] (80) (80)

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me DAVID substituant Me CAMIER de la SELARL LEXAVOUE AMIENS-DOUAI, avocat au barreau D'AMIENS

Ayant pour avocat plaidant Me Romain ROYAUX avocat au barreau des ARDENNES

INTIMEE

DEBATS :

A l'audience publique du 17 novembre 2022, l'affaire est venue devant Mme  Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, magistrat chargé du rapport siégeant sans opposition des avocats en vertu de l'article 805 du Code de procédure civile. Ce magistrat a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 19 janvier 2023.

La Cour était assistée lors des débats de Mme Sylvie GOMBAUD-SAINTONGE, greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Le magistrat chargé du rapport en a rendu compte à la Cour composée de Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente de chambre, Mme Christina DIAS DA SILVA, Présidente de chambre et M. Pascal MAIMONE, Conseiller, qui en ont délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE DE L'ARRET :

Le 19 janvier 2023, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente de chambre et Mme Sylvie GOMBAUD-SAINTONGE, greffière.

*

* *

DECISION :

FAITS ET PROCEDURE

[W] [E], notaire de son vivant, est décédé le 29 avril 1993 laissant pour lui succéder son épouse, Mme [D] [U] et ses trois enfants M. [T] [E], Mme [A] [E] épouse [L] et Mme [C] [E].

Il était propriétaire d'immeubles à vocation agricoles non bâtis.

Suivant acte du 2 mars 1978, il a fait donation à Mme [E] (âgée de 5 ans à cette date) et à M. [T] [E] (âgé de 4 ans à cette date) de la nue propriété des immeubles lui appartenant en totalité: en vertu d'autres donations ultérieures la surface totale des terres indivises en nue propriété est de 223ha 65a 60ca.

En vertu d'un acte d'option du 28 octobre 1993, Mme [U] est usufruitière de l'universalité des biens composant la succession de son époux et donc de ces terres.

Du vivant de [W] [E], l'ensemble des terres agricoles était exploité sous le régime des baux à long préavis et à long terme et sous le régime du fermage.

Après le décès de [W] [E], Mme [U], M.[E], et Mme [L] ont fait délivrer des congés ou des notifications de non-renouvellement aux fermiers en place.

L'exploitation des premiers hectares libérés, 35ha64a60ac concernés par les baux à long préavis (préavis délivrés 4 ans avant le terme du bail), a d'abord été confiée à Mme [O] [I], les travaux étant assurés par l'ETA Gernez, jusqu'à l'année culturale 2003, année de l'obtention de son diplôme agricole par M.[E].

Par acte sous-seing privé en date du 1er avril 2004, Mme [U], en sa qualité d'usufruitière et ses enfants, M.[E], Mme [L] et Mme [C] [E] ont donné à bail rural à M.[E] un ensemble de terres et pâture pour une surface totale de 48 ha 16a 28ca, pour une durée de 9 ans commençant à courir le 1er avril 2004 et s'étant renouvelé pour la dernière fois le 1er avril 2013.

S'agissant des autres parcelles constituant le patrimoine familial, libérées au fur et à mesure des congés et non-renouvellement de baux, dont M.[E] et Mme  [L] sont nu-propriétaires, M.[E] fait valoir qu'il les a mis en valeur et a toujours versé un fermage au profit de Mme [U], usufruitière, sans pour autant qu'aucun acte ne soit formalisé.

Une mésentente s'est instaurée entre les intéressés.

Par courrier du 15 avril 2016, M.[E] a sollicité Mme [L] pour obtenir son accord pour prendre à bail l'ensemble des biens indivis. Par courrier du même jour puis recommandé du 15 septembre 2016, Mme [U] indiquait donner son accord pour ce bail et informait sa fille de ce qu'elle envisageait de saisir le juge afin d'obtenir cette autorisation si aucune réponse ne lui était apportée.

Parallèlement, le 19 octobre 2016 Mme [L] notifiait à son frère, M.[E], un projet d'acte notarié de partage des terres indivises. Par lettre du 7 novembre 2016, M.[E] notifiait son opposition à la proposition amiable de partage.

Suivant acte du 16 novembre 2016, Mme [U], en présence de M.[E], a fait assigner Mme [L] devant le tribunal de grande instance de Laon afin d'être autorisée en qualité d'usufruitière, sur le fondement de l'article 595 du code civil à conclure seule un bail rural en faveur de M.[E] portant sur des parcelles d'une superficie totale de 174ha143a, dont M.[E] et Mme [L] sont nus propriétaires indivis.

Par jugement du 30 septembre 2019 le tribunal de grande instance de Laon a ainsi statué :

- Rejette la fin de non recevoir soulevée par Mme [L]

- Dit n'y avoir lieu à sursis à statuer ;

-Déboute Mme [U] de sa demande tendant à être autorisée à conclure seule, en qualité d'usufruitière, un bail rural de 25 ans au profit de M.[E] ;

-Dit que Mme [U] et M.[E] ne peuvent se prévaloir de l'existence d'un bail verbal concernant des terres dont Mme [L] est nue propriétaire indivise ;

-Déboute Mme [L] de sa demande tendant à voir juger que la convention d'occupation précaire conclue le 11 novembre 2016 entre Mme [U] et M.[E] est nulle

-Déboute Mme [L] de sa demande tendant à voir ordonner l'expulsion de M.[E] des parcelles concernées par la convention d'occupation précaire précitée ;

-Déboute Mme [L] de sa demande de production de pièces sous astreinte ;

-Déboute Mme [L] et Mme [U] de leurs demandes respectives de dommages et intérêts ;

-Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement ;

-Dit que chacune des parties supportera la charge de ses propres dépens ;

-Déboute les parties de leurs demandes respectives fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [U] et M.[E] ont interjeté appel de ce jugement le 30 octobre 2019.

L'affaire a été clôturée le 21 octobre 2021 et fixée à l'audience de débats du 20 janvier 2022.

En cours de délibéré, la cour a ordonné la comparution personnelle des parties aux fins de les inviter à la médiation.

Aucun accord n'est intervenu et la médiation n'a pas été ordonnée.

L'affaire a été clôturée le 7 septembre 2022 et évoquée lors de l'audience du 17 novembre 2022.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de leurs dernières conclusions en date du 27 avril 2022, Mme [U] et M.[E] demandent à la cour d'infirmer le jugement et statuant à nouveau :

-autoriser Mme [U] à conclure, seule, en qualité d'usufruitière, un bail rural à long terme de 18 ou 25 ans au profit de M.[E], nu-propriétaire indivis par moitié des terres en cause,

-(...),

à titre infiniment subsidiaire :

-autoriser Mme [U] à conclure, seule, en qualité d'usufruitière, un bail rural à long terme de 9 ans au profit de M.[E], nu-propriétaire indivis par moitié des terres en cause,

en tout état de cause :

-débouter Mme [L] de sa demande de nullité du bail verbal qui existerait entre Mme [U] et M.[E] depuis 2004

-débouter Mme [L] de sa demande de nullité de la convention d'occupation précaire conclue entre Mme [U] et M.[E]

-débouter Mme [L] de sa demande d'expulsion de M.[E] des parcelles litigieuses

-débouter Mme [L] de sa demande d'astreinte

-débouter Mme [L] de sa réserve de dommages-intérêts de Mme [L] (sic)

-débouter Mme [L] de sa demande de condamnation à l'égard de Mme [U] et M.[E] au titre d'une procédure abusive

-débouter Mme [L] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires

-condamner Mme [L] à verser d'une part à Mme [U] une indemnité de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et d'autre part à M.[E] une indemnité de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

-condamner Mme [L] aux entiers dépens de l'instance.

Mme [U] et M.[E] contestent cette décision et font valoir pour l'essentiel que:

-le tribunal a à tort considéré que l'absence de demande préalable d'autorisation d'exploiter faisait obstacle à ce qu'il soit fait droit la demande d'autorisation de conclure le bail : la validité du bail n'est pas conditionnée au bénéfice de cette autorisation d'exploiter et la question de la conformité de l'exploitant avec le contrôle des structures relève d'une appréciation administrative

-la conclusion d'un bail verbal est nécessaire pour la protection des intérêts de l'usufruitier et n'est pas préjudiciable aux droits du nu-propriétaire,

- Mme [U] en sa qualité d'usufruitière a seule le droit de jouissance et est la seule compétente pour décider des modalités de jouissance de ses terres. Elle peut soit les exploiter personnellement soit les confier à un tiers à titre gratuit ou par bail; âgée de 79 ans elle n'est plus en mesure de mettre en valeur plus de 200 ha de terres agricoles : c'est la raison pour laquelle lorsqu'existait une entente familiale elle-même et ses enfants nu-propriétaires d'un commun accord avaient confié l'exploitation des terres à M.[E],

-Mme [E] n'est pas cheffe d'exploitation et n'a jamais fait de démarches pour s'installer sur les terres. Elle est enseignante et en tout état de cause le cumul d'activités est interdit aux fonctionnaires

-la mise en valeur des terres sous un bail rural à long terme permettra de conserver la substance des biens qui sont dans la famille depuis plusieurs générations de maintenir leur destination et leur bon état d'entretien tout en assurant à l'usufruitière un revenu sécurisé décent lui permettant de vivre par la perception des fermages,

-les intérêts de la nu-propriétaire sont également protégés : absence de dépréciation des terres puisqu'en cas d'attribution préférentielle au preneur, la valeur des terres retenues est une valeur libre et non louée; un bail de 25 ans n'a pas vocation à être renouvelé et permet au propriétaire bailleur de reprendre les terres sans motif,

- Mme [L] avait d'ailleurs déjà accepté le principe d'un bail sur les terres qu'elle détient pour partie : un bail rural a été signé avec son accord le 1er avril 2004, depuis 13 ans elle accepte tacitement que les autres terres soient exploitées par son frère qui verse un fermage régulier à leur mère et elle a cédé ses droits indivis sur le corps de ferme à proximité des terres à son frère,

-en tout état de cause l'article 595 du Code civil n'exige pas que le preneur envisagé justifie disposer des moyens d'exploiter; sur ce point Mme [U] et M.[E] demandent à la cour d'écarter le rapport d'expertise de Mme [M],

- ils versent aux débats les justificatifs des formations et diplômes agricoles obtenus par M.[E], des constats d'huissier relatifs à l'état des terres et des attestations d'agriculteurs voisins indiquant tous qu'il travaille ses terres propres et correctement, l'ensemble étant confirmé par l'expertise de M.[G],

-la demande de nullité du bail verbal est sans intérêt puisque précisément l'objet de l'assignation est d'obtenir l'autorisation de conclure un bail et que nul ne revendique les effets d'un bail verbal,

-la demande de nullité de la convention d'occupation précaire sur le fondement de 595 du code civil doit être rejetée dès lors que cette convention ne relève pas du statut du fermage par application de l'article L411-2 du code rural et de la pêche maritime .

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 5 mai 2020, Mme [L] demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [U] de sa demande tendant à être autorisée à conclure seule un bail rural au profit de M.[E] et en ce qu'il a dit qu'ils ne peuvent se prévaloir de l'existence d'un bail verbal concernant les terres dont elle est nu- propriétaire indivise. Elle demande à la cour de l'infirmer pour le surplus et de :

A titre principal :

-constater l'absence de demande et d'autorisation préalable d'autorisation d'exploiter de M.[E],

En conséquence,

-débouter Mme [U] de sa demande tendant à être autorisée à conclure seule, en qualité d'usufruitière, un bail rural de 25 ans au profit de M.[E] ,

A titre subsidiaire :

-constater l'absence de fondement légal à la demande,

-dire et juger l'action introduite mal fondée et débouter Mme [U] et M.[E] de l'ensemble de sa demande et prétentions

En tout état de cause:

-constater que le bail verbal dont se prévalent Mme [U] et M.[E] depuis 2004 a été conclu sans le consentement de Mme [L],

-dire et juger le bail nul et de nul effet,

-constater que la convention d'occupation précaire signée entre M.[E] et Mme [U] ne répond pas aux exigences de l'article L 411-2 du Code Rural.

-constater que la convention d'occupation précaire signée entre M.[E] et Mme [U] est constitutive d'un bail à ferme soumis aux dispositions de l'article L 411-1 et suivants du Code Rural.

-constater que cette convention a été conclue sans le consentement de Mme [L]

-dire et juger ladite convention nulle et de nul effet,

En conséquence:

-ordonner l'expulsion de M.[E] des parcelles faisant l'objet dudit « bail verbal » et de la convention d'occupation précaire sous astreinte de 200,00 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir

-dire et juger que l'astreinte sera liquidée le mois passé ladite décision,

-donner acte à Mme [L] quant à sa réserve de dommages et intérêts,

-débouter Mme [U] et M.[E] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires,

-condamner solidairement Mme [U] et M.[E] à verser à Mme [L] la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 1240 du Code civil du fait de l'action abusive,

-condamner solidairement Mme [U] et M.[E] à payer à Mme [L] la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner solidairement Mme [U] et M.[E] aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction est requise au profit de Me Camier.

Mme [L] fait valoir pour l'essentiel que:

*sur le bail verbal

-dès lors qu'au soutien de la demande soumise au tribunal puis à la cour il est conclu tant dans l'assignation que dans les conclusions qu'existe un bail verbal, il convient d'en tirer toutes les conséquences quant à sa nullité pour violation des dispositions de l'article 595 du Code civil et également de l'article 815-3 du Code civil qui exige le consentement de tous les indivisaires pour les actes d'administration et de disposition. Cette nullité du bail verbal doit en conséquence entraîner l'expulsion de M.[E],

*sur la convention d'occupation précaire

-le document qualifié de « convention d'occupation précaire sur des biens successoraux » daté du 11 novembre 2016 est un document de circonstance pour pallier les effets des moyens pertinents qu'elle a soulevés dans ses conclusions ayant trait à la nullité du bail verbal et à l'impossibilité de conclure un bail de 25 ans pour défaut d'autorisation d'exploiter de M.[E]

-cette convention n'entre pas dans le champ d'application des dispositions dérogatoires de l'article L411-2 du code rural et de la pêche maritime. Pour qu'une convention portant sur un bien rural puisse être exclue du statut du fermage, cet article pose trois conditions qui ne sont pas remplies en l'espèce : les biens ne proviennent pas d'une succession mais de donation, il n'y a aucune instance en partage en cours entre Mme [U] et ses enfants puisqu'il n'y a pas d'indivision entre eux, le maintien dans l'indivision n'a pas été ordonné par décision judiciaire,

-cette convention d'occupation précaire n'a été signée que pour faire échec par anticipation aux décisions à venir et notamment à l'annulation possible du bail verbal de 2004 et au refus possible de la juridiction d'autoriser la conclusion du bail ; en tout état de cause la nature juridique réelle de cette convention est en réalité un bail à ferme puisqu'elle en comprend tous les éléments constitutifs et doit donc être réputée non écrite par l'application de l'article L415-12 du code rural,

-elle doit en outre être déclaré nulle car passée en violation dispositions de l'article 595 du Code civil sans le consentement d'un des nu-propriétaires,

-ainsi la nullité du bail verbal et celle de l'acte du 11 novembre 2016 improprement qualifié de convention d'occupation précaire ont pour effet de remettre les parties dans la situation d'avant leur conclusion c'est-à-dire une situation de parcelles de terre, libres de toute location et occupation.

*sur la demande d'autorisation de l'article 595 du code civil, elle soutient que contrairement à ce qui est avancé, son frère n'exploite pas personnellement les terres, il ne dispose pas du matériel pour ce faire et la conclusion d'un bail de 25 ans contreviendrait à l'article 504 du code civil et que les terres louées perdraient de la valeur.

MOTIVATION DE LA COUR

Sur le contrôle des structures:

L'article L331-2 du code rural et de la pêche maritime prévoit:

I.-Sont soumises à autorisation préalable les opération suivantes:

1° Les installations, les agrandissements ou les réunions d'exploitations agricoles au bénéfice d'une exploitation agricole mise en valeur par une ou plusieurs personnes physiques ou morales, lorsque la surface totale qu'il est envisagé de mettre en valeur excède le seuil fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles (..)

3°Quelle que soit la superficie en cause, les installations, les agrandissements ou les réunions d'exploitations agricoles au bénéfice d'une exploitation agricole:

a) Dont l'un des membres ayant la qualité d'exploitant ne remplit pas les conditions de capacité ou d'expérience professionnelle fixées par voie réglementaire ;

b)Ne comportant pas de membre ayant la qualité d'exploitant ;

c)Lorsque l'exploitant est un exploitant pluriactif, remplissant les conditions de capacité ou d'expérience professionnelle, dont les revenus extra-agricoles excèdent 3 120 fois le montant horaire du salaire minimum de croissance (..) ;

II.-Les opérations soumises à autorisation en application du I sont, par dérogation à ce même I, soumises à déclaration préalable lorsque le bien agricole à mettre en valeur est reçu par donation, location, vente ou succession d'un parent ou allié jusqu'au troisième degré inclus et que les conditions suivantes sont remplies:

1° Le déclarant satisfait aux conditions de capacité ou d'expérience professionnelle mentionnées au a du 3° du I ;

2° Les biens sont libres de location ;

3°Les biens sont détenus par un parent ou allié, au sens du premier alinéa du présent II, depuis neuf ans au moins

4° Les biens sont destinés à l'installation d'un nouvel agriculteur ou à la consolidation de l'exploitation du déclarant, dès lors que la surface totale de celle-ci après consolidation n'excède pas le seuil de surface fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles en application du II de l'article L. 312-1.

L'article L331-4-1 du code rural et de la pêche maritime prévoit que toute personne envisageant une opération susceptible d'entraîner la modification de la structure d'une exploitation agricole peut demander, préalablement à cette opération, à l'autorité administrative compétente de lui indiquer si l'opération projetée relève de l'un des régimes, d'autorisation ou de déclaration préalable ou bien si elle peut être mise en oeuvre librement. L'autorité administrative prend formellement position sur cette demande dans un délai fixé par décret en conseil d'Etat

L'article L. 331-6 du code rural et de la pêche maritime dispose que: « Tout preneur doit faire connaître au bailleur, au moment de la conclusion du bail ou de la prise d'effet de la cession de bail selon les cas, la superficie et la nature des biens qu'il exploite; mention expresse en est faite dans le bail. Si le preneur est tenu d'obtenir une autorisation d'exploiter en application de l'article L. 331-2, la validité du bail ou de sa cession est subordonnée à l'octroi de cette autorisation. Le refus définitif de l'autorisation ou le fait de ne pas avoir présenté la demande d'autorisation exigée en application de l'article L. 331-2 dans le délai imparti par l'autorité administrative en application du premier alinéa de l'article L331-7 emporte la nullité du bail que le préfet du département dans lequel se trouve le bien objet du bail, le bailleur ou la société d'aménagement foncier et d'établissement rural, lorsqu'elle exerce son droit de préemption peut faire prononcer par le tribunal des baux ruraux.

Il résulte de ces textes que l'appréciation du respect des conditions relatives au contrôle des structures posées par le code rural et de la pêche maritime, dans lesquelles doit être demandée une autorisation préalable ou effectuée une déclaration préalable, relève de l'autorité administrative seule compétente, comme le soutiennent justement Mme [U] et M.[E], pour indiquer si l'opération projetée relève de l'un ou de l'autre des régimes d'autorisation ou de déclaration préalable.

Il en résulte également que l'annulation du bail conclu en méconnaissance de ces dispositions n'est pas automatique. Elle peut être prononcée à la demande du préfet, du bailleur ou de la SAFER lorsqu'elle exerce son droit de préemption et cette question relève de la compétence exclusive du tribunal paritaire des baux ruraux. Tant qu'aucune action en nullité n'a été engagée, le preneur conserve le bénéfice de son bail.

Dès lors contrairement à ce qu'a retenu le premier juge saisi sur le fondement de l'article 595 du code civil et à ce que soutient Mme [L], il ne pouvait se fonder sur l'absence de demande préalable d'autorisation d'exploiter pour rejeter la demande d'autorisation de conclure le bail rural litigieux.

Sur l'article 595 du code civil

L'article 595 du code civil prévoit que l'usufruitier ne peut, sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un fonds rural ou un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal. A défaut d'accord du nu-propriétaire, l'usufruitier peut être autorisé par justice à passer seul cet acte.

Cet article ne subordonne l'autorisation judiciaire à aucune condition mais pour autoriser, faute d'accord du nu- propriétaire, l'usufruitier à conclure seul un bail rural, il appartient au juge de veiller à ce que le projet ne porte pas atteinte aux droits du nu-propriétaire. Ainsi la location envisagée ne doit pas être susceptible, à terme, de devenir préjudiciable au nu-propriétaire.

Il est constant que si M.[E] devenait titulaire d'un bail rural, au décès de l'usufruitière lors du partage de l'indivision, il bénéficierait d'un droit d'attribution préférentielle sur les terres louées.

Mais Mme [L] ne saurait soutenir qu'un tel droit lui causerait préjudice, la privant de la possibilité d'exploiter ou de confier à son propre fils l'exploitation de la moitié des terres indivises lui revenant.

En effet elle ne justifie par aucune pièce avoir à un moment quelconque depuis le décès de leur père manifesté le souhait d'être exploitante agricole et ne justifie pas plus que son fils serait engagé dans cette voie.

Elle ne justifie pas s'être intéressée à la façon dont sa mère, usufruitière, jouissait des terres indivises lesquelles, selon les attestations produites émanant de voisins agriculteurs, qualifiiant M.[T] [E] d'agriculteur et de l'expert comptable, sont normalement exploitées depuis 2004 et produisent des revenus réguliers.

Par ailleurs enfin dès lors que dans le cadre de l'attribution préférentielle, les terres seraient évaluées en valeur libre, Mme [L] ne justifie pas plus de ce que la conclusion du bail sollicitée lui causerait un préjudice financier.

Enfin faute pour Mme [L] d'avoir développé le moyen tiré de l'article 504 du code civil et justifié en quoi cet article aurait vocation à s'appliquer en l'espèce, la cour ne peut la suivre dans son argumentation.

En revanche le bail rural qu'entend conclure Mme [U] avec son fils permettra de maintenir l'unité du patrimoine familial dans lequel se trouvent les terres litigieuses depuis 4 générations et de préserver l'intégrité de l'exploitation à la mise en valeur de laquelle M.[E], titulaire de diplômes agricoles, contribue depuis de nombreuses années ainsi que cela résulte des attestations versées aux débats. La seule opposition de principe liée à une mésentente familiale profonde ne saurait suffire à justifier un refus en l'espèce.

Mais la conclusion d'un bail de 25 ans ou de 18 ans par sa longueur, compte-tenu de l'âge des parties n'apparaît pas de nature à garantir les droits de Mme [L]. Seul sera donc autorisé un bail rural de 9 années

En considération de ces éléments il convient d'infirmer le jugement qui a débouté Mme [U] de sa demande et d'autoriser Mme [U] à conclure au profit de son fils un bail rural de 9 ans sur les terres dont elle est usufruitière et dont ses enfants M.[E] et Mme [L] sont nus propriétaires indivis et précisées au dispositif du présent arrêt.

Sur la demande de nullité du bail verbal

En l'absence de toute revendication d'un bail verbal par Mme [U] ou par M. [T] [E] et en l'absence de toute demande portant sur les effets d'un tel bail, lequel aurait été conclu sans son autorisation en violation des dispositions de l'article 595 du code civil à son encontre, Mme [L] ne peut qu'être déboutée de sa demande de nullité.

Il n'appartient pas à la cour de prononcer ex nihilo la nullité d'un contrat qui n'est revendiqué par aucune des parties et le jugement sera infirmé en ce qu'il a par avance dit que les parties ne peuvent se prévaloir de son existence

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a dit que Mme [U] et M.[E] ne peuvent se prévaloir de l'existence d'un bail verbal concernant des terres dont Mme [L] est nue-propriétaire indivise et Mme [L] sera déboutée de sa demande

Sur la demande de nullité de la convention d'occupation précaire

L'article L411-1 du code rural et de la pêche maritime prévoit que le statut du fermage s'applique à toute mise à disposition à titre onéreux d'un immeuble à usage agricole pour y exercer une activité agricole.

Selon l'article L411-2 du code rural et de la pêche maritime ce statut du fermage ne s'applique pas aux conventions d'occupation précaire passées en vue de la mise en valeur des biens compris dans une succession dés lors qu'une instance est en cours devant la juridiction compétente (..)

En effet les conventions d'occupation précaire, destinées à régir des situations particulières et temporaires, dérogent au statut du fermage et sont soumises au régime général du bail: elles peuvent dés lors être consenties par l'usufruitier seul.

En l'espèce, Mme [L] soutient que la convention précaire conclue entre sa mère et son frère à effet au 11 novembre 2016 ne remplit pas les conditions de l'article L411-2 du code rural et de la pêche maritime , qu'elle constitue donc une mise à disposition à titre onéreux relevant du statut du fermage et qu'ainsi elle est nulle faute d'avoir été autorisée par elle en application de l'article 595 du code civil.

La convention d'occupation précaire conclue entre Mme [U], usufruitière et M.[E] preneur à bail porte sur les terres dont Mme [U] est usufruitière à la suite de la donation de son époux. Il ne s'agit donc nullement d'une succession quand bien même la donation a pris tous ses effets au décès de son époux. Les terres dont s'agit ne font pas partie d'une indivision successorale.

Dès lors elle ne relève pas de l'exception prévue à l'article L411-2 du code rural et de la pêche maritime mais du statut du fermage.

En application de l'article 595 du code civil qui prévoit que l'usufruitier ne peut, sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un fonds rural, il convient donc d'infirmer le jugement et de déclarer nulle la convention litigieuse.

Sur la demande d'expulsion

L'article 578 du code civil dispose que l'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance.

Mme [L] indique autoriser son fils à se maintenir sur les terres par un simple contrat de prêt à usage.

Un tel prêt ne relève pas du statut du fermage. En application de l'article 595, l'usufruitier peut donc y consentir seul sans le concours du nu propriétaire.

Il n'y a donc pas lieu d'ordonner l'expulsion de M.[E].

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Mme [L] de sa demande tendant à voir ordonner l'expulsion de M.[E] des parcelles visées par la convention d'occupation précaire et désormais mises à sa disposition par prêt à usage.

Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive

Mme [L] qui succombe pour l'essentiel sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Sur les frais du procès

Le sens du présent arrêt justifie que chaque partie conserve la charge de ses dépens et qu'il ne soit pas fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Le jugement sera confirmé sur ces points.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort

Infirme le jugement sauf en ce qu'il a

-Débouté Mme [L] de sa demande tendant à voir ordonner l'expulsion de M.[E] des parcelles ;

-Déboute Mme [L] et Mme [U] de leurs demandes respectives de dommages et intérêts ;

-Dit que chacune des parties supportera la charge de ses propres dépens ;

-Déboute les parties de leurs demandes respectives fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant

Autorise Mme [U] veuve [E] à conclure, seule, en qualité d'usufruitière, un bail rural de 9 ans au profit de M.[T] [E], les terres suivantes:

Parcelle

Commune

Section

Numéro

Ha

A

Ca

HA.A.CA

Lieudit

1

Chevennes

ZA

8

10

05

30

10,053

[Adresse 11]

2

Chevennes

ZA

9

0

43

0

0,43

[Adresse 11]

3

Chevennes

ZA

11

8

45

0

8,45

[Adresse 11]

4

Chevennes

ZB

12

2

73

0

2,73

[Adresse 10]

5

Chevennes

ZC

56

3

91

10

3,911

L'Epinette

6

Chevennes

ZC

57

0

62

20

0,622

L'Epinette

7

Chevennes

ZE

43

0

4

19

0,0419

[Adresse 17]

8

Chevennes

ZE

45

0

71

30

0,713

Le Bon Hôtel

9

Chevennes

ZH

1

0

20

30

0,203

[Adresse 25]

10

Chevennes

ZH

3

7

61

40

7,614

[Adresse 25]

11

Chevennes

ZH

24

4

87

40

4,874

[Adresse 20]

12

Chevennes

ZH

33

4

51

70

4,517

La Garenne

13

Chevennes

ZH

34

0

64

40

0,644

La Garenne

14

Chevennes

ZH

35

5

59

50

5,595

[Adresse 24]

15

Chevennes

ZH

37

3

3

30

3,033

[Localité 29]

16

Chevennes

ZI

18

8

99

90

8,999

[Localité 29]

Chevennes

62,4299

1

[Localité 7]

ZD

1

9

72

90

9,729

[Adresse 27]

2

[Localité 7]

ZE

1

5

85

60

5,856

La Marinière

3

[Localité 7]

ZE

16

4

29

30

4,293

Les Quatre

4

[Localité 7]

ZE

23

0

04

10

0,041

Les Quatre

5

[Localité 7]

ZE

67

7

53

80

7,538

Les Quatre

6

[Localité 7]

ZH

22

0

36

60

0,366

[Adresse 22]

7

[Localité 7]

ZH

31

11

18

0

11,18

[Adresse 22]

8

[Localité 7]

ZH

32

0

24

80

0,248

[Adresse 22]

[Localité 7]

39,251

1

[Localité 8]

ZH

12

7

69

20

7,692

Le Boutonnier

[Localité 8]

7,692

1

[Localité 9]

ZD

17

7

80

0

7,8

Le Pin

2

[Localité 9]

ZO

21

4

30

50

4,305

[Adresse 18]

[Localité 9]

12,105

1

Lemé

ZB

30

0

83

80

0,838

[Adresse 21]

2

Lemé

ZK

5

0

14

10

0,141

La Pièce D

3

Lemé

ZK

6

1

21

40

1,214

La Pièce D

Lemé

2,193

1

[Localité 30]

A

166

0

50

45

0,5045

[Localité 28]

2

[Localité 30]

B

14

1

64

61

1,6461

[Localité 28]

3

[Localité 30]

B

110

6

63

70

6,637

[Adresse 23]

4

[Localité 30]

B

115

0

42

90

0,429

Le Calvaire

5

[Localité 30]

B

160

1

74

50

1,745

[Adresse 15]

6

[Localité 30]

C

22

5

33

10

5,331

L'Arbre Gaillard

7

[Localité 30]

D

7

3

0

70

3,007

Le Hart Baret

8

[Localité 30]

D

22

1

23

90

1,239

[Localité 12]

9

[Localité 30]

D

74

1

36

60

1,366

[Adresse 13]

10

[Localité 30]

ZC

2

11

14

75

11,1475

[Adresse 19]

[Localité 30]

33,0521

1

[Adresse 14]

ZC

2

5

0

50

5,005

[Localité 29]

[Adresse 14]

5,005

1

[Localité 32] et [Localité 6]

ZC

23

1

43

40

1 ,434

Les Grandes Pièces

[Localité 32] et [Localité 6]

1,434

1

Sains-Richaumont

ZN

8

0

01

10

0,0011

[Adresse 26]

2

Sains-Richaumont

ZN

9

10

97

0

10,97

[Adresse 16]

Sains-Richaumont

10.981

TOTAL

174,143

Déboute Mme [L] de demande de nullité du bail verbal ;

Prononce la nullité de la convention d'occupation précaire signée entre M.[E] et Mme [U] le 11 novembre 2016 ;

Déboute Mme [L] de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Dit que chacune des parties supportera la charge de ses propres dépens ;

Déboute les parties de leurs demandes respectives fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 19/07658
Date de la décision : 19/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-19;19.07658 ?
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