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21/07/2022 | FRANCE | N°21/02701

France | France, Cour d'appel d'Amiens, Chambre Économique, 21 juillet 2022, 21/02701


ARRET

























[S]









C/







MINISTERE PUBLIC



















COUR D'APPEL D'AMIENS



CHAMBRE ÉCONOMIQUE



ARRET DU 21 JUILLET 2022





N° RG 21/02701 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IDOB





JUGEMENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE D' AMIENS EN DATE DU 11 mai 2021



APRES COMMUNICATION DU DOSSIER ET AVIS DE L

A DATE D'AUDIENCE AU MINISTERE PUBLIC



EN PRESENCE DU REPRESENTANT DE MADAME LE PROCUREUR GENERAL







PARTIES EN CAUSE :





APPELANT





Monsieur [Z] [S]

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représenté par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LEXAVOUE AMIENS-DOUAI, avocat postulant au barreau d'AMIENS, vestiaire : 101, ...

ARRET

[S]

C/

MINISTERE PUBLIC

COUR D'APPEL D'AMIENS

CHAMBRE ÉCONOMIQUE

ARRET DU 21 JUILLET 2022

N° RG 21/02701 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IDOB

JUGEMENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE D' AMIENS EN DATE DU 11 mai 2021

APRES COMMUNICATION DU DOSSIER ET AVIS DE LA DATE D'AUDIENCE AU MINISTERE PUBLIC

EN PRESENCE DU REPRESENTANT DE MADAME LE PROCUREUR GENERAL

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [Z] [S]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LEXAVOUE AMIENS-DOUAI, avocat postulant au barreau d'AMIENS, vestiaire : 101, et ayant pour avocat plaidant Me Stéphane DIBOUNDJE, avocat au barreau d'AMIENS

ET :

INTIME

MINISTERE PUBLIC

[Adresse 1]

[Localité 4]

DEBATS :

A l'audience publique du 21 Juillet 2022 devant :

Mme Dominique BERTOUX, Présidente de chambre,

Mme Françoise LEROY-RICHARD, Conseillère,

et Mme Cybèle VANNIER, Conseillère,

qui en ont délibéré conformément à la loi, la Présidente a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 21 Juillet 2022.

Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile.

GREFFIER LORS DES DEBATS : Madame Vanessa IKHLEF

MINISTERE PUBLIC : M. Eric BOUSSUGE, Avocat Général

PRONONCE :

Le 21 Juillet 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ; Mme Dominique BERTOUX, Présidente de chambre a signé la minute avec Madame Vitalienne BALOCCO, Greffier.

DECISION

Par jugement du 20 septembre 2019, le tribunal de commerce d'Amiens a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SAS Daphné exerçant une activité de délégation de personnel intérimaire, de placement et toute prestation de service pour l'emploi ouverte par la loi aux entreprises de travail intérimaire et fixé la date de cessation des paiements au 30 juin 2019.

Par jugement du 18 octobre 2019, le tribunal de commerce d'Amiens a converti cette procédure collective en liquidation judiciaire et désigné Me [C] [M] en qualité de liquidateur judiciaire.

Le 11 mai 2020, Me [M] a rendu un rapport concluant à une clôture de la procédure collective pour insuffisance d'actif à hauteur de 653.001,56 €.

Saisi sur requête du ministère public, le tribunal de commerce d'Amiens, par jugement contradictoire du 11 mai 2021, a :

- prononcé à l'encontre de M. [Z] [S] une mesure d'interdiction de gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale pendant 6 ans par application des articles L.653-1, L.653-5.5, L.653-5.6 et L.653-8 du code de commerce;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire;

- ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.

Par déclaration au greffe du 21 mai 2021, M. [S] a relevé appel de cette décision.

Par ordonnance rendue en date du 08 juin 2021 par le président de la chambre commerciale l'affaire a été fixée à bref délai pour être plaidée, après renvoi le 28 avril 2022.

Aux termes de ses conclusions remises le 21 avril 2022, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens développés, M. [S] demande à la cour de :

- infirmer en l'ensemble de ses dispositions le jugement entrepris;

- faire droit à l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions;

- débouter le ministère public de sa demande d'interdiction de gérer pendant une durée de 10 ans;

à titre subsidiaire,

- revoir à de plus justes proportions la durée de cette interdiction de gérer;

en tout état de cause,

- dire et juger que cette interdiction de gérer ne concernera pas les postes occupés par M. [S] dans les sociétés suivantes :

* Cecrops, société immatriculée au RCS de Compiègne sous le numéro 840 770 234 000 10, laquelle dispose toujours d'une activité et employant 3 salariés ;

* Iocaste, société immatriculée au RCS de Compiègne sous le numéro 840 957 351 000 17;

*Integre Compiègne, société immatriculée au RCS de Compiègne sous le numéro 833 567 837 000 20, laquelle est toujours en activité et qui emploie une salariée;

* Integre Reims, société immatriculée au RCS de Reims sous le numéro 838 751 691 000 18, laquelle bénéficie actuellement d'un plan de redressement judiciaire ;

* Integre Aix-en-Provence, société immatriculée au RCS d'Aix-en-Provence sous le numéro 838 609 261 000 14;

- ordonner l'emploi des dépens en frais privilégiés de la procédure collective.

Aux termes de ses conclusions d'intimé remises le 6 décembre 2021, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens développés, le ministère public demande à la cour de :

- dire et juger l'appel recevable mais mal fondé;

- débouter l'intimé de son appel;

- le dire et juger recevable en ses conclusions d'intimé;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il condamne M. [S] à une interdiction de gérer;

jugeant à nouveau,

- fixer à 10 ans avec exécution provisoire, la durée de ladite interdiction de gérer;

- dire et juger que les dépens seront à la charge de M. [S].

L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 avril 2022.

SUR CE

- sur la demande du ministère public

Pour statuer comme il l'a fait, le tribunal a retenu que, malgré l'impossibilité de prise en charge des salariés par l'OPCA, (organisme paritaire collecteur agréé en charge de collecter les obligations financières des entreprises en matière de formation professionnelle) faute d'accord préalable, l'entreprise Daphné a procédé à un recrutement massif et hasardeux, ce qui a mécaniquement eu un impact sur la trésorerie, en entraînant la poursuite d'une activité déficitaire, le passif a été frauduleusement augmenté par l'omission de verser la TVA pour un montant de 198 K, et à l'URSSAF pour un montant de 242.700 €, des virements en faveur de Tiresias Efc ont été effectués pendant la période suspecte après la cessation des paiements retenue au 30 juin 2019, que M. [S] a omis sciemment de demander l'ouverture de la procédure de redressement dans le délai de 45 jours puisque la date de cessation des paiements a été fixée deux mois et demi avant la date du prononcé du redressement judiciaire, qu'il a perçu des rémunérations de juillet, août et septembre pour un total de 9.687 € postérieurement à la date de cessation des paiements.

Selon les dispositions de l'article L 653-4 du code de commerce , le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant de droit ou de fait d'une personne morale qui a :

1° disposé des biens de la personne morale comme des siens propres,

2° sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements a fait des actes de commerce dans un intérêt personnel ,

3° fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles , ou pour favoriser une autre personne morale dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement,

4° poursuivi abusivement dans un intérêt personnel ,une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ,

5° détourné ou dissimulé une partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale .

L'article L.653-5 du code de commerce dispose que le Tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L.653-1 contre laquelle a été relevé l'un des faits ci après :

1° avoir exercé une activité commerciale artisanale ou agricole ou une fonction de direction ou d'administration d'une personne morale contrairement à une interdiction prévue par la loi;

2° avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire , fait des achats en vue d'une revente au dessous du cours ou employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds.

3° avoir souscrit pour le compte d'autrui, sans contrepartie des engagements jugés trop importants au moment de leur conclusion , eu égard à la situation de l'entreprise ou de la personne morale.

4° avoir payé ou fait payer , après cessation des paiements et en connaissance de cause de celle-ci un créancier au préjudice des autres créanciers.

5° avoir en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure , fait obstacle à son bon déroulement.

6 ° avoir fait disparaître des documents comptables , ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation , ou avoir tenu une comptabilité fictive , manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables.

7°avoir déclaré sciemment au nom d'un créancier, une créance supposée.

L'article L.653-8 du code précité dispose que dans les cas prévus aux articles L.653-3 à L.653-6 le tribunal peut prononcer à la place de la faillite personnelle , l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale, ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.

L'interdiction mentionnée au premier alinéa peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L.653-1 qui, de mauvaise foi, n'aura pas remis au mandataire judiciaire , à l'administrateur ou au liquidateur les renseignements qu'il est tenu de lui communiquer en application de l'article L.622-6 , dans le mois suivant le jugement d'ouverture , ou qui aura sciemment manqué à l'obligation d'information prévue par le second alinéa de l'article L.622-22 .

Elle peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L.653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la date de cessation des paiements, sans avoir par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation .

M. [S] explique qu'aucune faute sur le fondement des articles L.653-4 3°, L.653-4 4° et L.653-5 4° du code de commerce ne peut lui être reprochée; que la SAS Daphné régularisait généralement un contrat de mission d'intérim pour une durée déterminée de deux mois pour l'équivalent d'environ 180 heures de mise à disposition et 120 heures de formation; que parallèlement, elle régularisait avec la société Tiresias-Efc une convention pour la formation desdits salariés; qu'après réception de la facture de formation établie par la société Tiresias(Efc la SAS Daphné refacturait l'intégralité de cette formation à l'Opca, en l'espèce la Faf-TT (Fond d'Assurance Formation du Travail Temporaire).

Il précise que les fonds Opca sont une subvention de formation; que dès lors l'argent qui provient de l'Opca touché par la SAS Daphné doit obligatoirement être versé à Tiresias ou être rendu à l'Opca; que cet argent n'est pas de l'actif, donc aucun euro de chiffre d'affaire de la société Daphné n'a été versé à Tiresias, ce sont juste des subventions; que s'il a embauché autant de salariés, c'est qu'il ne savait pas au moment de l'embauche que l'Opca avait décidé de ne plus assurer le financement; que seul le désengagement de l'Opca peut être considéré comme étant à l'origine de la procédure collective; que les 120 premiers dossiers déposés entre le 20 septembre 2018, date de création de la société- et la fin décembre 2018, ont été intégralement financés parla Faf-TT; que les subventions qu'elle recevait de la Faf-TT devaient être réglées à la société Tyresis-EFC ou restituées au Faf-TT; que les 320.870 € sont des OPCO donc des subventions de formations qui n'avaient vocation qu'à être payées à Tiresias et à personne d'autre; qu'elles l'ont été sur la base de facture régulièrement établies par la société Tyresias, certes en période suspecte mais surtout au moment où elle les a reçues; que si la société Daphné n'avait pas payé Tiresias, la dette aurait été encore plus grande et ce paiement n'a pas été fait au préjudice des autres créanciers car cet argent ne peut servir qu'à payer les frais de formation.

Il indique que la SAS Daphné s'est ensuite lancé dans une période de recrutement d'intérimaires ; qu'elle a fait signer aux intérimaires leur contrat de mission avant d'avoir l'accord écrit de la Faf-TT; que ces contrats n'ont pas été subventionnés; que contrairement à ce qui est invoqué, pour ces nouveaux salariés , la SAS Daphné n'a pas réglé le moindre euro à la société Tyresias.

Il fait également valoir qu'aucune pièce ne justifie des prétendus règlements en cascade au profit de l'associé unique l'Illiade.

Il souligne, s'agissant de sa rémunération en tant que président, que sur l'exercice ayant couru du 20 septembre 2018 au 30 juin 2019, le produit d'exploitation de la SAS Daphné s'est élevé à la somme de 1.663.000 €; qu'il a perçu du 20 septembre 2018 au 12 septembre 2019, 12.610,25 €, soit une rémunération mensuelle moyenne de 2.522,15 € ce qui est loin d'être excessif.

Le Ministère public soutient qu'il a fait des biens ou du crédit de la SAS Daphné un usage contraire à l'intérêt de celle-ci soit à des fins personnelles, soit pour favoriser une autre personne morale ou une entreprise dans laquelle il était directement ou indirectement intéressé, en particulier les sociétés Tiresias Efc et l'Illiade à qui la SAS Daphné a versé des virements non causés pour un montant globale de 320.870 €, tandis que M. [S] continuait d'effectuer en sa faveur des virements mensuels de plus de 3.000 €, grief prévu à l'article L.653-4 3° du code de commerce.

Il fait valoir qu'il a poursuivi abusivement et dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la SAS Daphné, notamment pour continuer à alimenter la SAS Tiresias Efc, elle-même en difficulté; que la SAS Daphné a procédé à un recrutement massif de salariés qu'il fallait former auprès de la SARL Tiresias Efc pour les mettre à disposition de la société Globe Expresse, ce qui a mécaniquement produit un impact négatif sur sa trésorerie alors que M.[S] savait que l'Opca avait décidé de ne plus assurer le financement de telles formations, d'où la poursuite d'une activité déficitaire aggravé, grief prévu à l'article L.653-4 4° du code de commerce.

Il explique qu'après la date de cessation des paiements judiciairement fixée au 30 juin 2019, en période suspecte, des versements ont été faits à la SARL Tiresias Efc pour un montant de 431.000 € alors que les factures de frais de formation communiquées au liquidateur représentaient un montant total de 122.592 € soit une différence inexpliquée de plus de 300.000 € au préjudice des autres créanciers de la SAS Daphné, grief prévu à l'article L. 653-5 4° du code de commerce.

Il n'est pas contesté ainsi qu'il ressort du rapport de liquidation judiciaire dressé par Me [M] en date du 11 mai 2020 que la SAS Daphné, créée le 20 septembre 2018 et présidée par M. [S], exerçait une activité de délégation de personnel intérimaire pour un client unique, la société AAC Globe Express à ROISSY (sous-traitant de La Poste), pour laquelle elle plaçait des préparateurs de commande, lesquels bénéficiaient d'un parcours de formation assuré par l'entreprise Daphné en partenariat avec la société Tiresias-Efc; que selon les déclarations de M. [S] au mandataire, les difficultés rencontrées seraient liées au désengagement de l'OPCA dans la prise en charge des salariés formés et mis à disposition du client, seul les 120 premiers ayant été pris en charge, et non les suivants, alors qu'un accord verbal aurait été donné; que la comptabilité tenue par le cabinet Ess- Expertise a établi un premier et unique bilan comptable sur la période du 20.09.2018 au 30.06.2019 (soit sur 9 mois) qui enregistre un produit d'exploitation de 1.663K€ (dont 463.492 € de chiffre d'affaires et 1.200 K€ de subventions des organismes de formation) pour un résultat d'exploitation de -481.878 € et une perte nette de -481.287 €.

* sur la faute au sens de l'article L.653-4 3° du code de commerce.

Le rapport du mandataire liquidateur ne circonscrit pas la période au cours de laquelle s'est inscrite la poursuite de l'activité déficitaire et aucune autre pièce n'est versée aux débats que celles produites par M. [S] qui seront prises en considération.

Il ressort de l'examen des relevés bancaires entre le 06 décembre 2018 et le 31 décembre 2019 produits par M. [S], que des virements ont été effectués au profit des sociétés Tiresias Efc et l'Iliade, tandis que la SAS Daphné recevait de son côté, entre le 21 mars 2019 et le 31 décembre 2019 plus de 1.161.321,40 € versés par la Faf-TT, ce qui corrobore les explications de M. [S] selon lesquelles celles-ci pouvaient être versées avec retard.

Toutefois, en l'absence de production a minima des factures émises par les sociétés bénéficiaires des virements, les déclarations de M. [S] sont insuffisantes à justifier de l'affectation des subventions perçues à des prestations de formation réellement assurées.

En revanche, ces mêmes documents révèlent la perception par M. [S], entre le 13 mai et le 12 septembre 2019 d'une rémunération mensuelle moyenne de 2.522,15 €. Aucune autre pièce n'est versée aux débats qui établisse que la SAS Daphné, dans le même temps qu'elle procédait à des règlements en cascade en faveur des sociétés Tiresias Efc et l'Iliade sans justifier de facturation, elle assurait la rémunération de M. [S] par virements de plus de 3.000 € par mois comme indiqué par le ministère public reprenant les observations du mandataire liquidateur.

Il s'en déduit que si effectivement des versements conséquents ont été effectués par la SAS Daphné au profit d'autres personnes morales et plus particulièrement les société Tiresias Efc et l'Iliade pour un montant global de 320.870 € à tout le moins, faisant ainsi des biens de la société un usage contraire à celle-ci, il n'est toutefois pas justifié qu'il l'a fait à des fins personnelles dans la mesure où il n'est pas démontré qu'il a reçu des virements de plus de 3.000 € par mois. Il n'est pas davantage démontré qu'il était directement ou indirectement intéressé dans lesdites sociétés bénéficiaires des versements, le fait que M. [W] et M. [O] soient co-gérants de la SARL Tiresias Efc, ancien dirigeant de la SAS Daphné pour M. [W], et dirigeant de droit de la société l'Iliade pour M. [O], et M. [S] fassent tous trois l'objet d'une enquête pénale à la suite de trois plaintes dirigés contre eux, qu'ils entretiennent des relations entre eux étant suffisant à caractériser l'intérêt direct ou indirect de M. [S] dans lesdites sociétés.

Dès lors, il n'est pas suffisamment établi que M. [S] a fait des biens de la SAS Daphné un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles, ou pour favoriser des personnes morales dans lesquelles il était directement ou indirectement intéressé.

* sur la faute au sens de l'article L.653-4 4° du code de commerce.

Il est également reproché à M. [S] d'avoir poursuivi abusivement et dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale.

S'il est établi que la SAS Daphné a procédé à un recrutement massif de salariés intérimaires devant être formés auprès de la SARL Tiresias Efc pour les mettre à disposition de la société Globe Express, impactant ainsi de manière négative sa trésorerie, caractéristique de la poursuite d'une activité déficitaire, rien ne démontre que cette dernière l'a été dans l'intérêt personnel de M. [S].

En l'absence de justification suffisante de l'intérêt personnel de M. [S] dans la poursuite abusive d'une exploitation déficitaire ne pouvant conduire qu'à la cessation des paiements de la SAS Daphné, cette faute n'est pas constituée.

* sur la faute au sens de l'article L.653-5 4° du code de commerce.

Le ministère public reproche également à M. [S] d'avoir payé ou fait payer, après cessation des paiements et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice des autres créanciers.

Il est constant que la date de cessation des paiements a été fixée au 30 juin 2019.

L'examen des relevés bancaires produits par M. [S] révèle l'existence de nombreux virements effectués après cette date en faveur de la société Tiresias, pour un montant de 312.470 €, alors que les factures Tiresias communiquées à ce dernier ne totalisent que 122.592 € sur le mois de juin selon le rapport du mandataire liquidateur.

Force est de constater que M. [S], qui explique qu'il percevait avec retard les subventions de l'Opca et n'avait d'autre choix ensuite que de payer en priorité la SARL Tiresias, ne verse aux débats qu'une seule facture de cette société dans le dossier d'un salarié qu'elle produit à titre d'exemple, ce qui est insuffisant pour démontrer que ces versements au profit de la SARL Tiresias étaient causés par des formations réellement dispensées aux salariés intérimaires de la SAS Daphné, de sorte qu'ils doivent être considérés comme des règlements effectués au profit d'un créancier au détriment des autres créanciers, notamment les caisses sociales et le Trésor Public, et en connaissance de cause.

Le grief prévu à l'article L.653-5 4° du code de commerce est donc établi à l'encontre de M. [S].

* sur la faute au sens de l'article L.653-4 5° du code de commerce.

Le ministère public reproche également à M. [S] d'avoir détourné de l'actif de la SAS Daphné en omettant de régler une partie de la TVA collectée pour un montant de 198.000 € de TVA dont 180.718 € à titre provisionnel et des cotisations sociales URSSAF pour un montant de 242.732 € dont 21.473 € de parts salariales.

M. [S] explique que le montant de ces dettes reste lié à l'absence de financement des formations par le Faf-TT; que le client unique a stoppé ses missions à la fin du mois de février 2019, contraignant la SAS Daphné à trouver des missions pour les salariés toujours en poste; que l'intégralité des salaires a été payée; que la dette URSSAF est répartie à hauteur de 10% de cotisations salariales, et 90% de cotisations patronales; qu'ayant été contrainte de procéder à des arbitrages, elle a préféré privilégier le paiement des salaires de ces intérimaires placés en très forte précarité, au détriment de l'URSSAF et du Trésor Public.

Toutefois, le non reversement de la TVA et la part salariale constitue un détournement d'actif de tiers (Trésor Public/salariés) qui a pour conséquence une augmentation frauduleuse du passif constitue une faute au sens de l'article L.653-4 5° du code de commerce.

* sur la faute au sens de l'article L.653-8 du code de commerce.

Il est également reproché à M. [S] d'avoir sciemment omis de demander l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire dans le délai de 45 jours, alors qu'il était parfaitement conscient de l'état de cessation des paiements de la SAS Daphné dont la liquidation judiciaire a été prononcée sur assignation de l'Urssaf.

Il est constant que la date de cessation des paiements a été fixée au 30 juin 2019 par jugement en date du 20 septembre 2019, de sorte qu'il est établi qu'un délai de plus de 45 jours s'est écoulé entre la date à laquelle a été fixé l'état de cessation des paiements et l'ouverture de la procédure collective, la faute visée à l'article L.653-8 3° du code de commerce est donc constituée.

Au vu des fautes commises par M.[S] ci-dessus démontrées, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé à l'encontre de M.[H] une mesure d'interdiction de gérer , administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, sauf à en réduire toutefois la durée à 4 ans.

- sur la demande subsidiaire de M. [S]

M. [S] demande à la cour de dire et juger que cette interdiction de gérer ne concernera pas les postes qu'il occupe dans les sociétés suivantes :

* Cecrops, société immatriculée au RCS de Compiègne sous le numéro 840 770 234 000 10, laquelle dispose toujours d'une activité et employant 3 salariés ;

* Iocaste, société immatriculée au RCS de Compiègne sous le numéro 840 957 351 000 17;

*Integre Compiègne, société immatriculée au RCS de Compiègne sous le numéro 833 567 837 000 20, laquelle est toujours en activité et qui emploie une salariée;

* Integre Reims, société immatriculée au RCS de Reims sous le numéro 838 751 691 000 18, laquelle bénéficie actuellement d'un plan de redressement judiciaire ;

* Integre Aix-en-Provence, société immatriculée au RCS d'Aix-en-Provence sous le numéro 838 609 261 000 14.

M. [S] indique qu'il est actuellement dirigeant de 19 entreprises dont la plupart sont en sommeil.

Toutefois, M. [S] ne verse aux débats aucune pièce justificative de ce qu'il est le dirigeant des sociétés ci-dessus énumérées.

Il convient de le débouter de sa demande de ce chef.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il n'a pas fait droit à cette demande.

- Sur les dépens

M. [S] qui succombe sera condamné aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour , statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort, rendu par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a prononcé à l'encontre de M. [Z] [S] une mesure d'interdiction de gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale pendant 6 ans;

Statuant à nouveau sur le chef infirmé,

Prononce à l'encontre de M. [Z] [S] une mesure d'interdiction de gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale pendant 4 ans;

Rappelle que la mesure prononcée sera inscrite au fichier national des interdits de gérer .

Condamne M. [Z] [S] aux dépens d'appel.

Le Greffier,La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : Chambre Économique
Numéro d'arrêt : 21/02701
Date de la décision : 21/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-21;21.02701 ?
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