ARRET
N°
S.C.A. DES JARDINS DE L'EVECHE
C/
S.A.R.L. [B] [R] CONSTRUCTION
PB/VB
COUR D'APPEL D'AMIENS
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU CINQ JUILLET
DEUX MILLE VINGT DEUX
Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 21/00823 - N° Portalis DBV4-V-B7F-H74T
Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE D'AMIENS DU TREIZE JANVIER DEUX MILLE VINGT ET UN
PARTIES EN CAUSE :
S.C.A. DES JARDINS DE L'EVECHE agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Aude TONDRIAUX-GAUTIER, avocat au barreau d'AMIENS
APPELANTE
ET
S.A.R.L. [B] [R] CONSTRUCTION agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me PERRIER substituant Me Frédérique ANGOTTI de la SCP ANGOTTI, avocats au barreau de COMPIEGNE
INTIMEE
DÉBATS & DÉLIBÉRÉ :
L'affaire est venue à l'audience publique du 03 mai 2022 devant la cour composée de M. Pascal BRILLET, Président de chambre, M. Vincent ADRIAN et Mme Myriam SEGOND, Conseillers, qui en ont ensuite délibéré conformément à la loi.
A l'audience, la cour était assistée de Mme Vitalienne BALOCCO, greffier.
Sur le rapport de M. [Z] [W] et à l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré et le président a avisé les parties de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 05 juillet 2022, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
PRONONCÉ :
Le 05 juillet 2022, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par M. Pascal BRILLET, Président de chambre, et Mme Vitalienne BALOCCO, greffier.
*
* *
DECISION :
FAITS ET PROCÉDURE
Selon devis signé en date du 17 mars 2019, la SCA des Jardins de l'Evêché a confié à la société [B] [R] Construction la réalisation de travaux d'isolation et de plâtrerie dans 18 appartements et les parties communes dans le cadre de travaux de réhabilitation d'un immeuble sis [Adresse 2] pour un montant global de 260 850,04 € TTC.
Prétendant que, malgré diverses mises en demeure, un solde lui restait dû au titre de certaines de ses diverses factures et que la SCA des Jardins de l'Evêché avait fait déposer ses installations et demandé à une entreprise tierce de réaliser une partie des prestations prévues par le devis, la société [B] [R] Construction a fait assigner cette dernière devant le tribunal judiciaire d'Amiens par acte d'huissier de justice du 10 juillet 2020 pour obtenir sa condamnation au paiement de ce solde ainsi qu'au versement d'une somme de 88 632,16 € à titre de dommages et intérêts correspondant au solde des travaux dont elle a été privée.
Par jugement en date du 13 janvier 2021, auquel la cour renvoie pour une présentation plus complète des faits et de la procédure antérieure, le tribunal, devant lequel la SCA des Jardins de l'Evêché n'a pas comparu, a :
- condamné la société des Jardins de l'Evêché à verser à la société [B] [R] Construction les sommes suivantes :
- 24 000 € au titre de la facture n° 252 avec intérêts au taux légal à compter du 13 février 2020,
- 36 000 € au titre des factures n° 255 et 257 avec intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2020,
- 40 517,88 € au titre des factures n° 246, 248, 259 et 260 avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
- 800 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamné la SCA des Jardins de l'Evêché aux dépens qui pourront être directement recouvrés par Me Frédérique Angotti, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile,
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit,
- rejeté toute autre demande.
Par déclaration en date du 11 février 2021, la société des Jardins de l'Evêché a interjeté appel du jugement, sauf en ce qu'il a rejeté toute autre demande.
Vu les dernières conclusions récapitulatives de la société des Jardins de l'Evêché notifiées par voie électronique le 8 novembre 2021 aux termes desquelles elle demande à la cour de :
- juger recevable et bien fondé son appel,
- infirmer le jugement en ce qu'il :
- l'a condamnée à verser à la société [B] [R] Construction les sommes de 24 000 € au titre de la facture n°252 avec intérêts au taux légal à compter du 13 février 2020, date de la 1ère mise en demeure, de 36 000 € au titre des factures n° 255 et 257, avec intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2020 date de la seconde mise en demeure, de 40 517,88 € au titre des factures n° 246,248,259 et 260, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, et de 800 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- l'a condamnée aux dépens qui pourront être directement recouvrés par maître Angotti conformément à l'article 699 du Code de procédure civile,
- a rappelé que l'exécution provisoire est de droit,
- le confirmer pour le surplus,
- débouter la société [B] [R] Construction de son appel incident,
Statuant à nouveau,
- déclarer que les mises en demeure en date du 13 février et 27 mars 2020 ne sont pas valables,
- juger que la société [B] [R] Construction ne justifie pas de la réalité de sa créance à défaut de produire un extrait de compte relatif aux versements effectués par elle,
Sur les demandes en paiement de la société [B] [R] Construction :
A titre principal,
- débouter la société [B] [R] Construction de l'ensemble de ses demandes,
A titre subsidiaire,
- enjoindre la société [B] [R] Construction à produire un extrait de compte certifié conforme,
Sur ses demandes reconventionnelles,
- juger que l'extrême retard de la société [B] [R] Construction lui a causé un préjudice,
A titre principal,
- suspendre tout paiement éventuellement dû à la société [B] [R] Construction jusqu'à la production du décompte susmentionné et l'évaluation du préjudice causé au jour de la livraison, les lots n'étant pas encore livrés à ce jour,
A titre subsidiaire,
- condamner la société [B] [R] Construction en paiement de la somme de 50 000 € au titre du préjudice subi.
- constater la compensation des créances respectives des parties,
En tout état de cause,
- débouter la société [B] [R] Construction de toutes ses demandes, fins et conclusions
- rappeler qu'aucune mesure d'exécution ne peut concerner des créances devenues exigibles pendant la période de protection de l'ordonnance du 25 mars 2020,
- condamner la société [B] [R] Construction en paiement de la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel,
Vu les dernières conclusions récapitulatives de la société [B] [R] Construction, notifiées par voie électronique le 6 août 2021 aux termes desquelles elle demande à la cour de :
- déclarer la société des Jardins de l'Evêché irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes, et l'en débouter,
- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :
- condamné la société des Jardins de l'Evêché à lui verser les sommes de 24 000 € au titre de la facture n° 252 avec intérêts au taux légal à compter du 13 février 2020, de 36 000 € au titre des factures n° 255 et 257 avec intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2020, de 40 517,88 € au titre des factures n° 246, 248, 259 et 260 avec intérêts au taux légal à compter du jugement, et de 800 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société des Jardins de l'Evêché aux dépens,
- débouter la société des Jardins de l'Evêché de l'ensemble de ses prétentions,
- la déclarer recevable et bien fondée en son appel incident,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts,
Statuant à nouveau :
- la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes, et en conséquence :
- condamner la société des Jardins de l'Evêché à lui verser :
- la somme de 88 632,16 € à titre de dommages et intérêts,
- la somme de 4 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société des Jardins de l'Evêché aux entiers dépens, dont distraction au profit de maître Frédérique Angotti, avocat, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 1er décembre 2021.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties s'agissant de la présentation plus complète de leurs demandes et des moyens qui les fondent.
MOTIFS
1)- sur le solde de factures
- prétention des parties
La société des Jardins de l'Evêché soutient en substance ne pas avoir procédé au paiement de certaines factures dans la mesure où elles étaient contestables. La livraison n'a pas encore été effectuée et, dans ces conditions, une réserve légale de 5 % a été retenue par la maîtrise d''uvre. D'autre part, pour certaines factures, le maître d''uvre a constaté que les travaux ne correspondaient pas aux factures émises et a donc procédé à une réduction des sommes dues. Elle fait valoir que la société [B] [R] Construction se libère de son obligation de justifier sa créance en ne produisant aucun extrait de compte, ce qui ne permet pas de prendre connaissance de l'ensemble des paiements qu'elle-même a d'ores et déjà effectués.
La société [B] [R] Construction réplique en substance qu'en dépit des travaux réalisés correspondant à près de 70 % de ceux tels que définis dans le devis validé et signé, la société des Jardins de l'Evêché n'a procédé à ce jour qu'au paiement d'une somme globale de 71 700 € TTC et lui reste redevable d'une somme de 100 517,88 € TTC. Elle n'a jamais contesté les travaux facturés correspondant précisément aux prestations qu'elle a accomplies. La production d'un extrait de compte certifié n'est requise par aucune disposition légale ou réglementaire et il appartient à la société des Jardins de l'Evêché de faire la preuve de sa libération. Le jugement a donc légitimement fait droit à ses demandes.
- Réponse de la cour
Selon l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
Il n'y a pas de contestation s'agissant des travaux et de leur coût résultant du devis n°88 de la société [B] [R] Construction du 17 mars 2019 accepté par la société des Jardins de l'Evêché.
Conformément à l'article 1353 du code civil, il appartient à la société [B] [R] Construction de rapporter la preuve qu'elle a réalisé les travaux prévus à ce devis et, dans ce cas, à la société des Jardins de l'Evêché de rapporter la preuve qu'elle s'est libérée de son obligation d'en payer le prix stipulé.
Dès lors, il n'y a pas lieu d'enjoindre la société [B] [R] Construction de produire un extrait de son compte client pour justifier de la réalité des règlements intervenus pour le compte de la société des Jardins de l'Evêché mais à celle-ci de produire les justificatifs du paiement des factures.
À cet égard, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention (article 9 du code de procédure civile). En aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve.
De simples copies de talons de chèques sont par elles-mêmes insuffisantes pour démontrer l'existence alléguée d'un paiement.
1-1)-sur le quantum dû au titre des factures litigieuses
- la facture n° 246
La société [B] [R] Construction a émis cette facture le 14 janvier 2020 pour le montant de 25 000 € HT, soit 30 000 € TTC (pièce intimée n°4).
Le maître d''uvre a uniquement retenu une somme de 1500 € sur le montant hors taxes au titre de la retenue de garantie de 5 %, soit une validation à concurrence de la somme totale de 28 500 € (25 000 ' 1250 plus la TVA à 20% - pièce intimée n°5).
Il en résulte que le maître d''uvre a validé le principe de la réalité des travaux facturés.
Selon l'article 1er de la loi n° 71-584 du 16 juillet 1971, dans sa version applicable au jour du contrat, les paiements des acomptes sur la valeur définitive des marchés de travaux privés visés à l'article 1779-3° du code civil peuvent être amputés d'une retenue égale au plus à 5 % de leur montant et garantissant contractuellement l'exécution des travaux, pour satisfaire, le cas échéant, aux réserves faites à la réception par le maître de l'ouvrage. La retenue de garantie stipulée contractuellement n'est pas pratiquée si l'entrepreneur fournit pour un montant égal une caution personnelle et solidaire émanant d'un établissement financier figurant sur une liste fixée par décret.
La faculté offerte au maître d'ouvrage de retenir ce montant maximum de 5% sur les paiements des acomptes sur la valeur définitive des marchés de travaux suppose d'avoir été stipulée (3e Civ., 7 octobre 2009, n° 08-70.030; 4 mars 2014, n° 12-25.539). Or, en l'espèce, il n'est produit par les parties, spécialement la société des Jardins de l'Evêché qui revendique le bénéfice de cette garantie, aucune pièce de valeur contractuelle stipulant cette faculté au bénéfice du maître d'ouvrage.
La retenue de garantie n'est donc pas justifiée.
Le montant de la facture doit donc être retenu pour son montant total. La société [B] [R] Construction ne conteste pas qu'une somme de 28 500 € a déjà été réglée. Un solde de 1 500 € reste donc dû au titre de cette facture en l'absence de preuve apportée par des Jardins de l'Evêché de sa libération totale.
- la facture n° 248
La société [B] [R] Construction a émis cette facture le 23 octobre 2019 pour le montant de 20 000 € HT, soit 24 000 € TTC (pièce intimée n°6).
Le maître d''uvre a uniquement retenu une somme de 1 000 € sur le montant hors taxes au titre de la retenue de garantie de 5 %, soit une validation à concurrence de la somme totale de 22 800 € (20 000 ' 1000 plus la TVA à 20% - pièce intimée n°7).
Il en résulte que le maître d''uvre a validé le principe de la réalité des travaux facturés.
Pour les motifs précédemment exprimés, la retenue de garantie n'est pas justifiée.
Le montant de la facture doit donc être retenu pour son montant total. La société [B] [R] Construction ne conteste pas qu'une somme de 22 800 € a déjà été réglée. Un solde de 1 200 € reste donc dû en l'absence de preuve apportée par des Jardins de l'Evêché de sa libération totale.
- la facture n° 252 :
La société [B] [R] Construction a émis cette facture le 14 janvier 2020 pour le montant de 20 000 € HT, soit 24 000 € TTC (pièce intimée n°8).
Le maître d''uvre a uniquement retenu une somme de 1 000 € sur le montant hors taxes au titre de la retenue de garantie de 5 %, soit une validation à concurrence de la somme totale de 22 800 € ((20 000 ' 1000 plus la TVA à 20% - pièce intimée n°9).
Il en résulte que le maître d''uvre a validé le principe de la réalité des travaux facturés.
Pour les motifs précédemment exprimés, la retenue de garantie n'est pas justifiée.
Le montant de la facture doit donc être retenu pour son montant total, qui reste dû en son intégralité en l'absence de preuve apportée par des Jardins de l'Evêché de sa libération.
- la facture n° 255
La société [B] [R] Construction a émis cette facture le 11 février 2020 pour le montant de 20 000 € HT, soit 24 000 € TTC (pièce intimée n°10).
Le maître d''uvre a retenu le principe de travaux réalisés à concurrence d'une somme de 10 000 € HT et a retenu une somme de 500 € sur le montant hors taxes au titre de la retenue de garantie de 5 %, soit une validation à concurrence de la somme totale de 11 400 € (10 000 ' 500 plus la TVA à 20% - pièces intimée n°10 et 11).
Il en résulte que le maître d''uvre n'a validé que partiellement la réalité des travaux facturés par société [B] [R] Construction et celle-ci n'apporte pas la preuve de leur réalisation pour le surplus.
Pour les motifs précédemment exprimés, la retenue de garantie n'est pas justifiée.
Le montant de la facture doit donc être retenu pour le montant de 12 000 € TTC (10 000 plus la TVA à 20%).
- la facture n° 257
La société [B] [R] Construction a émis cette facture le 9 mars 2020 pour le montant de 10 000 € HT, soit 12 000 € TTC (pièce intimée n°12).
Le maître d''uvre a uniquement retenu une somme de 500 € sur le montant hors taxes au titre de la retenue de garantie de 5 %, soit une validation à concurrence de la somme totale de 11 400 € (10 000 ' 500 plus la TVA à 20% - pièce intimée n°12 et 13).
Il en résulte que le maître d''uvre a validé le principe de la réalité des travaux facturés.
Pour les motifs précédemment exprimés, la retenue de garantie n'est pas justifiée.
Le montant de la facture doit donc être retenu pour son montant total.
- sur les factures 259 et 260.
La société [B] [R] Construction a émis ces factures le 18 mai 2020 pour le montant, respectivement, de 6 913,44 € HT, soit 8 296,13 € TTC (pièce intimée n°14), et 24 601,46 € HT, soit 29 521,75 € TTC (pièce intimée n°15).
La société [B] [R] Construction ne rapporte par la preuve que la réalisation des travaux correspondants a pas été validée par le maître d'oeuvre ou le maître d'ouvrage.
Elle ne produit aucune pièce utile établissant avec le degré de certitude requis cette réalisation.
Elle doit donc être déboutée de sa demande concernant ces factures.
1-2)- sur les mises en demeure
La société des Jardins de l'Evêché soutient en substance que la mise en demeure du 13 février 2020 doit être jugée irrecevable, comme ne lui ayant pas été adressée mais comme ayant été envoyée à M. [M], et que celle du 27 mars 2020 n'est pas valable comme ayant été adressée en pleine période de confinement. Elle ajoute que le premier juge a irrégulièrement fait courir des intérêts à compter de cette mise en demeure du 27 mars 2020 compte tenu des termes de l'article 4 de l'ordonnance n° 2020'306 du 25 mars 2020.
La société [B] [R] Construction réplique en substance que la première mise en demeure du 13 février 2020 a été adressée à Monsieur [M], gérant de la société des Jardins de l'Evêché, le siège social de cette dernière étant située à l'époque à l'adresse de son domicile. La société des Jardins de l'Evêché ne peut ignorer que la facture numéro 252 de 24 000 € lui incombait. La mise en demeure du 27 mars 2020 a bien été adressée au siège social de la société appelante nonobstant le fait que la lettre recommandée est revenue avec la mention « destinataire inconnue à l'adresse ». Une copie a été adressée par lettre recommandée à Monsieur [M] et au maître d''uvre. La société des Jardins de l'Evêché ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 4 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, non applicables en l'espèce.
- réponse de la cour
Selon l'article 1231-6 du code civil, les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte.
Sur le principe, aux termes de l'article 1344-1 du code civil, la mise en demeure de payer une obligation de somme d'argent n'est un préalable que pour faire courir l'intérêt moratoire, au taux légal, sans que le créancier soit tenu de justifier d'un préjudice.
Selon l'article 1344 du code civil, le débiteur est mis en demeure de payer soit par une sommation ou un acte portant interpellation suffisante, soit, si le contrat le prévoit, par la seule exigibilité de l'obligation.
Il est classique de retenir que la mise en demeure que le créancier doit adresser au débiteur pour faire courir les intérêts moratoires n'est pas de nature contentieuse. Le défaut de réception effective par le débiteur de la mise en demeure, adressée par lettre recommandée, n'affecte donc pas sa validité ni son efficacité.
Enfin, aux termes de l'article 4 de l'ordonnance n° 2020-306, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2020-427, le paiement des obligations contractuelles n'a pas été suspendu pendant la période juridiquement protégée prévue à l'article 1er de l'ordonnance liée au confinement imposé pour cause de pandémie de la Covid 19. Les échéances contractuelles devaient donc toujours être respectées. L'article 4 a paralysé uniquement le jeu des « astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance ».
Le débiteur d'une obligation de somme d'argent s'exposait donc toujours, en cas d'inexécution, à devoir verser des intérêts de retard au créancier, en vertu de l'article 1231-6 du code civil.
En l'espèce, le courrier de mise en demeure du 13 février 2020 de la société [B] [R] Construction visant les factures numéro 250, 251 et 252 n'a pas été adressé à la société des Jardins de l'Evêché mais à M. [M]. Les personnalités juridiques et patrimoines entre la personne morale et son gérant étant séparés, il y a lieu de retenir que celle-ci n'a pas été personnellement mise en demeure par cette lettre.
Par lettre recommandée du 27 mars 2020, le conseil de la société [B] [R] Construction a toutefois mis en demeure la société des Jardins de l'Evêché de régler une somme totale de 48 000 € TTC au titre des factures numéro 252, 255 et 257. Il ressort de l'accusé réception produit en copie que celle-ci a été avisée mais n'a pas réclamé la lettre.
Cette lettre a donc régulièrement mis en demeure la société des Jardins de l'Evêché au titre de ces factures numéro 252, 255 et 257.
Pour le surplus, la société [B] [R] Construction demande la confirmation du jugement en ce qui concerne les autres factures.
En conclusion, la société des Jardins de l'Evêché doit être condamnée à payer :
- 2 700 € au titre des factures n° 246 et 248 avec intérêts au taux légal à compter du jugement, le jugement étant infirmé en ce sens s'agissant du quantum des sommes dues.
- 24 000 € au titre de la facture n° 252 avec intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2020, le jugement étant infirmé en ce sens s'agissant du point de départ des intérêts moratoires.
- 36 000 € au titre des factures n° 255 et 257 avec intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2020, le jugement étant confirmé de ce chef.
La société [B] [R] Construction est déboutée pour le surplus de ses demandes.
2)- sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour retard excessif
- prétentions des parties
La société des Jardins de l'Evêché soutient que le retard excessif de la société [B] [R] Construction dans une situation particulièrement périlleuse. Le 9 mars 2020, soit près d'un an à compter de la signature du devis, les travaux n'étaient toujours pas finalisés. Le retard pris a entraîné une réaction de retard en chaîne. Les lots ne sont toujours pas livrés, alors que la date de livraison initialement prévue était fixée au 2ème trimestre 2019. Elle était donc fondée à suspendre tous les paiements. Elle prétend que son préjudice lié à ce retard est énorme, mais difficilement mesurable à ce stade, les lots n'étant pas encore livrés à ce jour. Elle demande à la cour de consacrer son droit de suspendre les paiements jusqu'à l'évaluation du préjudice réellement subi qui ne pourra être évalué qu'à la livraison complète de l'immeuble prévue pour l'été 2022. A défaut, elle sollicite la condamnation à titre provisionnel de la somme de 50 000 € forfaitaire à titre d'avance sur le montant des dommages et intérêts.
En substance, la société [B] [R] Construction soutient en réplique que la société des Jardins de l'Evêché ne produit aucun élément probant susceptible de conforter ses allégations de pure opportunité. Son prétendu retard n'est pas démontré. Elle affirme que le retard pris sur le chantier résulte d'un défaut de coordination des différents prestataires par le maître d'oeuvre et ne lui est aucunement imputable. En toute hypothèse, le devis signé par les parties en mars 2019 ne mentionne aucun délai pour l'exécution des travaux de sorte qu'aucun manquement contractuel ne peut lui être valablement reproché. Aucune revendication ou mise en demeure d'effectuer les travaux ne lui a jamais été adressée, ce qui témoigne de son sérieux dans la réalisation de ses prestations. Le préjudice dont se prévaut l'appelante n'est établi, ni dans son principe, ni dans son montant.
- réponse de la cour
Les pièces produites par la société des Jardins de l'Evêché sont notoirement insuffisantes. Ainsi, il n'est versé :
- aucune pièce contractuelle établissant l'existence d'un calendrier de réalisation des travaux opposable à la société [B] [R] Construction.
- aucun compte rendu de chantier établi par son maître d''uvre d'exécution. Ainsi, il n'est permis aucun contrôle particulier des conditions de mise en 'uvre concrète des travaux de réhabilitation de logements impliquant plusieurs corps de métiers. L'état actuel du chantier n'est même pas justifié.
- aucune mise en demeure notifiée à la société [B] [R] Construction lui reprochant telle ou telle carence et notamment son retard dans l'exécution des travaux.
Le seul élément produit est un simple courriel du maître d''uvre en date du 9 mars 2020, au demeurant non spécifiquement réservé à la société [B] [R] Construction, indiquant : « Compte tenu du retard trop conséquent enregistré sur le chantier il a été décidé avec la Maîtrise d'ouvrage de faire appel à une seconde entreprise de plâtrerie. L'entreprise FSC commencera ce mardi 9/03 les travaux dans les logts 101 et 102. Vous trouverez en annexe le périmètre des travaux assurés par M. [R] et ceux qui seront assurés par l'entreprise FSC».
Non seulement ce courriel ne dit strictement rien des causes du retard mentionné mais il ne fait état d'aucun reproche particulier à l'attention de la société [B] [R] Construction dont l'intervention est maintenue.
Il est observé que, le 13 février précédent, la société [B] [R] Construction a écrit au gérant de la société des Jardins de l'Evêché, qui en a accusé réception, pour se plaindre que malgré de nombreux rappels et promesses, elle n'avait toujours pas reçu le règlement restant de ses factures 250, 251 et 252 et que, faute de règlement, elle ne serait plus en mesure, financièrement, de poursuivre le projet.
En réponse à son courriel précité, la société [B] [R] Construction a adressé un message au maître d''uvre pour lui indiquer : « suite à votre e-mail concernant les logements 101 et 102. Nous avons plus de moyens d'acheter le matériel et en plus il a de l'eau dans les logements et aucune gaine d'électricité passée. Je vous envoie les photos. Les photos sont effectivement jointes, qui confirment la teneur du message.
La société des Jardins de l'Evêché échoue à faire la preuve de ses allégations concernant le retard fautif attribué à la société [B] [R] Construction et ne produit rien d'utile de nature à consacrer le principe même du préjudice allégué.
Ses demandes sont donc rejetées.
3)- sur la demande de dommages-intérêts formée par la société [B] [R] Construction
- prétentions des parties
La société [B] [R] Construction affirme que le 6 mars 2020, le maître d'oeuvre a fait déposer ses installations sans aucune information préalable. Parallèlement, le cabinet d'architecture a mandaté une autre entreprise plaquiste qui est intervenue sur le chantier le jour même, toujours sans l'en aviser autrement que par courriel du maître d'oeuvre du 9 mars 2020. Elle soutient que la société des Jardins de l'Evêché ne pouvait valablement confier les travaux prévus dans le devis à une autre entreprise sans violer l'accord intervenu entre elles. L'application des articles 1103, 1104 et 1193 du Code civil, les obligations nées du devis signé le 17 mars 2019 et incombant à chacun des cocontractants ne peuvent être remise en cause par la volonté unilatérale de l'une des parties. Le respect de ce contrat par les parties s'imposait d'autant plus que le retard invoqué par le maître d'oeuvre pour tenter de justifier l'intervention d'une nouvelle entreprise, ne lui est aucunement imputable. La rupture unilatérale du contrat par la société des Jardins de l'Evêché engage sa responsabilité contractuelle. La violation du contrat a entraîné un préjudice considérable qui s'est pleinement investie dans le chantier litigieux en dépit d'une absence manifeste d'organisation par le maître d'oeuvre et de l'absence de règlement de l'intégralité de ses factures. Elle est fondée, en application de l'article 1231-2 du Code civil, à solliciter la condamnation de la société des Jardins de l'Evêché à lui verser des dommages et intérêts pour un montant de 88 632,16 € correspondant au solde du devis.
La société des Jardins de l'Evêché réplique qu'elle a été tenue de mettre un terme aux relations contractuelles à la suite des retards et inexécution de la société [B] [R] Construction. Celle-ci est malfondée à solliciter la réparation d'un quelconque préjudice dont elle ne justifie nullement le quantum. A considérer fondé un quelconque préjudice, ce qu'elle conteste, il ne saurait être réparé que comme une perte de chance.
- réponse de la cour.
Selon les articles 1103 et 1104 du Code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Ils doivent être exécutés de bonne foi.
Selon l'article 1193 du même code, les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise.
Enfin, selon l'article 1226 du même code, le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable. La mise en demeure mentionne expressément qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat. Lorsque l'inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent. Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l'inexécution.
En l'espèce, la société des Jardins de l'Evêché expose elle-même même avoir mis un terme aux relations contractuelles.
La formalité imposée par l'article 1226 du Code civil n'a pas été respectée, celle-ci ne justifiant d'aucune mise en demeure préalable à destination de la société [B] [R] Construction d'avoir à satisfaire son engagement dans un délai raisonnable.
Si elle justifie sa décision en alléguant l'existence des retards et inexécution de la société [B] [R] Construction, elle ne les démontre pas.
Dès lors, doit être considérée comme fautive sa résiliation unilatérale du contrat.
Selon les articles 1231-1 et 1231-2 du Code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure. Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après.
En l'espèce, la société [B] [R] Construction échoue à convaincre la cour que son préjudice est égal à la différence entre le montant total prévu au devis et le montant effectivement facturé facturé (260 850,04 € - 172 217,86 € = 88 632,16 €).
Le premier juge a retenu qu'elle n'a pas été totalement déchargée des travaux puisque ceux restant à faire ont simplement été répartis avec un autre constructeur.
Surtout, les montants devisés et facturés incluent des charges (achat de matériel, paiement des salaires et autres) qui en l'espèce, faute de réalisation des travaux, n'ont donc pas été exposés.
Le préjudice, qui n'est pas une perte de chance, est constitué de la perte de la marge bénéficiaire attendue de l'opération contractuelle s'agissant de la partie de travaux prévus par le devis et confiés à l'entreprise tierce.
La société [B] [R] Construction ne produit strictement aucune pièce permettant à la cour d'apprécier le principe même de l'existence, et a fortiori le montant, d'un tel préjudice concrètement éprouvé par elle en l'espèce.
Dès lors, comme indiqué précédemment, qu'il n'appartient pas à la cour de mettre en 'uvre une mesure d'instruction pour pallier sa carence totale, le jugement est confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande faute d'établir la preuve de son préjudice.
4)- sur les demandes annexes
Le premier juge a justement arbitré les frais irrépétibles et les dépens de première instance.
La société des Jardins de l'Evêché, qui succombe sur l'essentiel de son appel, est condamnée aux dépens et par ailleurs condamnée à verser à la société [B] [R] Construction la somme complémentaire de 2 000 € au titre des frais irrépétibles exposés en appel.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, rendu publiquement par sa mise à disposition au greffe, après débats publics, en dernier ressort,
Confirme le jugement en ce qu'il a :
- condamné la SCA des Jardins de l'Evêché à verser à la société [B] [R] Construction les sommes suivantes :
- 36 000 € au titre des factures n° 255 et 257 avec intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2020,
- 800 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SCA des Jardins de l'Evêché aux dépens qui pourront être directement recouvrés par maître Frédérique Angotti, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile,
- rejeté la demande formée par la société [B] [R] Construction à fin de condamnation de la SCA des Jardins de l'Evêché à lui payer la somme de 88 632,16 € à titre de dommages-intérêts,
Statuant à nouveau pour le surplus et ajoutant au jugement,
Condamne la SCA des Jardins de l'Evêché à verser à la société [B] [R] Construction les sommes suivantes :
- 24 000 € au titre de la facture n° 252 avec intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2020,
- 2 700 € au titre des factures n° 246 et 248 avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
- 2 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,
Condamne la SCA des Jardins de l'Evêché aux dépens de l'instance d'appel, maître Frédérique Angotti, avocat, bénéficiant du droit de recouvrement dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT