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30/06/2022 | FRANCE | N°21/02482

France | France, Cour d'appel d'Amiens, Chambre Économique, 30 juin 2022, 21/02482


ARRET

























S.A. GENFIT









C/







[J]

[D]

















COUR D'APPEL D'AMIENS



CHAMBRE ÉCONOMIQUE



ARRET DU 30 JUIN 2022





N° RG 21/02482 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IDA5





ARRÊT AU FOND, ORIGINE COUR DE CASSATION DE PARIS, DÉCISION ATTAQUÉE EN DATE DU 04 NOVEMBRE 2020, ENREGISTRÉE SOUS LE N° 612

-F-D



ARRÊT DE LA COUR D'APPEL DE DOUAI EN DATE DU 05 JUILLET 2018



JUGEMENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE DE LILLE EN DATE DU 23 AVRIL 2015





PARTIES EN CAUSE :





APPELANTE





S.A. GENFIT, agissant poursuites et diligences en son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3...

ARRET

S.A. GENFIT

C/

[J]

[D]

COUR D'APPEL D'AMIENS

CHAMBRE ÉCONOMIQUE

ARRET DU 30 JUIN 2022

N° RG 21/02482 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IDA5

ARRÊT AU FOND, ORIGINE COUR DE CASSATION DE PARIS, DÉCISION ATTAQUÉE EN DATE DU 04 NOVEMBRE 2020, ENREGISTRÉE SOUS LE N° 612-F-D

ARRÊT DE LA COUR D'APPEL DE DOUAI EN DATE DU 05 JUILLET 2018

JUGEMENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE DE LILLE EN DATE DU 23 AVRIL 2015

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

S.A. GENFIT, agissant poursuites et diligences en son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Sibylle DUMOULIN de la SCP FRISON ET ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AMIENS, vestiaire : 02

Plaidant par Me Marion LEMERLE, avocat au barreau de LILLE

ET :

INTIMES

Monsieur [K] [J]

[Adresse 4]

[Localité 1] (MAROC)

Madame [O] [D] épouse [J]

[Adresse 4]

[Localité 1] (MAROC)

Représentés par Me Odile CLAEYS, avocat au barreau d'AMIENS, vestiaire : 28

Plaidant par Me David MEAS, avocat au barreau de PARIS

DEBATS :

A l'audience publique du 24 Mars 2022 devant :

Mme Dominique BERTOUX, Présidente de chambre,

Mme Françoise LEROY-RICHARD, Conseillère,

et Mme Cybèle VANNIER, Conseillère,

qui en ont délibéré conformément à la loi, la Présidente a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 Juin 2022.

Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du Code de procédure civile.

GREFFIER LORS DES DEBATS : Mme Charlotte RODRIGUES

PRONONCE :

Le 30 Juin 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ; Mme Dominique BERTOUX, Présidente de chambre a signé la minute avec Mme Charlotte RODRIGUES, Greffier.

DECISION

La SA Genfit est une société biopharmaceutique créée en 1999 par Mrs [J] et [U]. Cette dernière, dont le conseil de surveillance était présidé par M. [J] jusqu'en avril 2008, a développé une molécule nommée 'GFT 505" pour le traitement des maladies d'origine métabolique. Elle a publié, les 23 et 26 novembre 2009, des communiqués relatifs à ce produit et le 9 décembre 2009 un collectif a également publié un communiqué portant sur cette molécule.

Reprochant à M. [J] et son épouse, en leur qualité de membres du collectif, d'avoir dénigré son produit dans le communiqué du 9 décembre 2009 la société Genfit est intervenue volontairement à une instance opposant M et Mme [J] à ses actionnaires (la SASU Finorpa, CIC investissement nord toutes deux également membres du conseil de surveillance et la société CM-CIC ci-après 'les fonds d'investissement') devant le tribunal de commerce de Lille et leur a demandé réparation de son préjudice.

Par jugement contradictoire du 23 avril 2015, le tribunal de commerce de Lille Métropole :

- a dit les demandes des fonds et de la SA Genfit à l'encontre de Mme [J] recevables;

- s'est déclaré compétent rationae matériae et rationae loci ;

- a débouté les époux [J] de leur demande de sursis à statuer ;

- a dit que les Fonds ont intérêt à agir ;

- a dit les demandes de la SA Genfit recevables;

- a dit l'intervention volontaire de la SA Genfit recevable ;

- a débouté les sociétés Finorpa, CM-CIC Capital privé, CIC Investissement Nord et la SA Genfit de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

- a condamné solidairement les sociétés Finorpa, CM-CIC Capital privé, CIC Investissement Nord et la SA Genfit à payer aux époux [J] la somme de 30.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens.

Par déclaration du 4 juin 2015, les sociétés Finorpa, CM-CIC Capital privé, CIC Investissement Nord et la SA Genfit ont interjeté appel total de la décision.

Suivant arrêt contradictoire du 5 juillet 2018, la cour d'appel de Douai a :

- fait droit à la demande d'annulation du jugement entrepris présentée par les sociétés Finorpa SCR, CM-CIC Capital Privé, CM-CIC Investissement SCR, et la SA Genfit ;

en conséquence,

- annulé le jugement du tribunal de commerce de Lille Métropole du 23 avril 2015 ;

vu l'effet dévolutif de l'appel,

- rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir et du défaut d'intérêt à agir opposée à l'action des sociétés Finorpa SCR, CM-CIC Capital Privé, CM-CIC Investissement SCR par les époux [J] ;

- rejeté la fin de non-recevoir opposée à l'intervention principale de la SA Genfit par les époux [J] ;

- rejeté la fin de non-recevoir opposée par les époux [J] à la demande présentée par la SA Genfit au titre de la procédure abusive;

- débouté les sociétés Finorpa SCR, CM-CIC Capital Privé, CM-CIC Investissement SCR de leur action en responsabilité à l'encontre de M. [K] [J] en sa qualité de membre du conseil de surveillance ;

- débouté les sociétés Finorpa SCR, CM-CIC Capital Privé, CM-CIC Investissement SCR de leur action en responsabilité à l'encontre de M. et Mme [J] au titre de la diffusion d'informations graves et mensongères sur l'appréciation de la gestion de la société ;

- débouté la SA Genfit de son action en responsabilité à l'encontre de M. et Mme [J] au titre du dénigrement ;

- débouté la SA Genfit de sa demande à l'encontre des époux [J] au titre de l'abus du droit d'ester en justice ;

- condamné in solidum les sociétés Finorpa SCR, CM-CIC Capital Privé, CM-CIC Investissement SCR et la SA Genfit à payer à M. [J] et Mme [J] la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rejeté les demandes d'indemnités procédurales des sociétés Finorpa SCR, CM-CIC Capital Privé, CM-CIC Investissement SCR et la SA Genfit ;

- rejeté la demande de prononcé d'une amende civile par les sociétés Finorpa SCR, CM-CIC Capital Privé, CM-CIC Investissement SCR et la SA Genfit ;

- condamné les sociétés Finorpa SCR, CM-CIC Capital Privé, CM-CIC Investissement SCR, et la SA Genfit aux dépens de première instance et d'appel.

La SA Genfit a formé un pourvoi en cassation (n° 18-23.757).

Suivant arrêt du 4 novembre 2020, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a :

- cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 juillet 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

- remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel d'Amiens.

Par déclaration du 4 mai 2021 seule la société Genfit a saisi la cour d'appel de renvoi.

Par ordonnance du 20 mai 2021, la première présidente de la cour d'appel d'Amiens a fixé cette affaire devant la 4ème chambre.

Aux termes de ses dernières conclusions remises le 24 février 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé détaillé des moyens développés, l'appelante demande à la cour de renvoi :

- de la déclarer recevable et bien fondée en son appel ;

y faisant droit,

à titre liminaire,

- de constater que le jugement entrepris est fondé sur des éléments de fait résultant d'investigations personnelles du juge, non soumis aux débats contradictoires des parties ;

- de dire et juger que le jugement entrepris est frappé de nullité pour violation des principes directeurs du procès ;

sur le fond,

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a :

$gt; déboutée de l'ensemble de ses demandes ;

$gt; condamnée solidairement avec les sociétés Finorpa, CM-CIC Capital Privé et CM-CIC Investissement à payer aux époux [J] la somme de 30.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens de première instance;

statuant à nouveau, en ce qui concerne ses demandes,

sur le dénigrement du GFT 505,

- de dire et juger :

$gt; que M. et Mme [J] ont usé de procédés déloyaux dans le cadre de l'élaboration et de la diffusion du 'communiqué de presse' du 9 décembre 2009 et de l'email du 14 décembre 2009;

$gt; que le 'communiqué de presse' du 9 décembre 2009 et l'email du 14 décembre 2009 constituent des actes de dénigrement, engageant la responsabilité de M. et Mme [J] ;

$gt; qu'elle a subi un préjudice d'image du fait du dénigrement opéré par M. et Mme [J] ;

- de condamner solidairement, en conséquence, les époux [J] à lui payer la somme de 1.000.000 € à titre de dommages et intérêts au titre d'atteinte à son image ;

sur l'abus du droit d'ester en justice,

- de dire et juger :

$gt; que M. et Mme [J] ont abusé de leur droit à ester en justice ;

$gt; qu'elle a subi, du fait de la faute ainsi réalisée par M. et Mme [J], un préjudice matériel correspondant au solde des honoraires des conseils et autres prestataires extérieurs demeurant à sa charge, après déduction des indemnités qui lui ont été judiciairement allouées;

- de condamner solidairement les époux [J] à lui payer :

$gt; la somme de 591.416,45 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel ;

$gt; la somme de 1.000.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice

moral ;

en tout état de cause,

- de débouter les époux [J] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;

- de condamner les époux [J] à lui payer la somme de 45.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de la présente instance ;

- de condamner solidairement les époux [J] au paiement d'une amende civile de 3.000 € au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile.

Aux termes de leurs conclusions d'intimés remises le 24 janvier 2021, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé détaillé des moyens développés, les époux [J] demandent à la cour de renvoi:

- de déclarer la SA Genfit irrecevable en sa demande relative à un prétendu abus d'ester en justice

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les sociétés Genfit, Finorpa, SCR, CM-CIC Investissement SCR et CM-CIC Capital privé de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

- de débouter la SA Genfit de toutes ses demandes, fins et conclusions;

- de condamner la SA Genfit à leur payer à chacun la somme de 50.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens qui seront recouvrés par Me Claeys, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

La SA Genfit fait valoir :

- que le jugement entrepris est nul pour violation des principes directeurs du procès car les premiers juges se sont fondés sur des éléments de fait résultant d'investigations personnelles du juge (articles de presse publiés en mars et avril 2015, évolution boursière de l'action Genfit en mars 2015), postérieurs à l'audience des plaidoiries du 10 février 2015, non soumis aux débats contradictoires des parties

- que les époux [J] ont commis des actes de dénigrement portant sur la molécule 'GFT 505" engageant leur responsabilité délictuelle en usant de procédés déloyaux dans le cadre de l'élaboration et de la diffusion du communiqué de presse du 9 décembre 2009 et du courriel du 14 décembre 2009 et qu'ils doivent être condamnés à lui payer une somme de 1 000 000 € en raison de l'atteinte à l'image, en proportion de l'intérêt patrimonial lésé (chute du cours boursier de l'action Genfit et entrave à des campagnes de levée de fonds).

- que les époux [J] ont abusé de leur droit d'ester en justice en manifestant un acharnement procédural à son encontre, la mettant en cause directement ou indirectement, via son actionnaire principal, la Biotech Avenir, dans vingt-cinq instances différentes, que cet abus lui cause un préjudice matériel d'un montant de 591.416,45 et d'atteinte à son image à hauteur de 1 000 000 €.

Les intimés prétendent que le jugement n'est pas nul au motif que les références à des articles de presse n'ont pas pu fonder le jugement dont appel pour débouter les demanderesses. Ils soutiennent également que la SA Genfit est irrecevable et mal fondée en sa demande relative à un abus d'ester en justice aux motifs, d'une part, qu'elle n'a pas été mise en cause dans plusieurs des instances alléguées, et que d'autre part, les décisions les opposant ont autorité de la chose jugée.

Ils affirment que les communiqués reposent sur des bases factuelles suffisantes excluant qu'ils puissent être qualifiés de dénigrement, de sorte que la SA Genfit est défaillante à démontrer que les éléments constitutifs de l'action en responsabilité délictuelle sont rassemblés.

L'affaire a été fixée à bref délai pour plaider à l'audience du 18 novembre 2021, puis renvoyée à l'audience du 24 mars 2022.

SUR CE :

La cour de cassation en cassant et annulant l'arrêt de la cour d'appel de Douai du 5 juillet 2018 en toutes ses dispositions, remet les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette décision de sorte qu'il sera au préalable statué sur la demande tirée de l'annulation du jugement dont appel.

Sur la demande d'annulation du jugement du 23 avril 2015

L'article 542 du code de procédure civile dispose que l'appel tend par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel.

L'article 7 du même code pose le principe selon lequel le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans les débats.

Conformément aux dispositions de l'article 16, le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de contradiction et ne peut retenir dans sa décision, les moyens, les explications documents invoquées produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.

Par application combinée de ses dispositions il est admis que le juge ne peut fonder sa décision sur le résultat d'investigations personnelles ou de connaissances personnelles acquises hors des débats judiciaires.

Contrairement à ce que soutiennent M. et Mme [J], le tribunal, pour dire que les fonds d'investissement ne rapportent pas la preuve d'un préjudice en lien avec le communiqué litigieux et les débouter en conséquence, a relevé que le cours de l'action Genfit au 10 février 2015 est de 63,20 € et qu'il est redescendu début avril 2015, que ces variations sont étroitement liées aux informations sur les résultats des essais de leur candidat médicament phare.

Par ailleurs, pour débouter la SA Genfit de sa demande de dommages et intérêts pour faits de dénigrement portant atteinte à son image, le tribunal fait notamment référence à un article de la revue les Echos de la semaine du 23 au 27 mars 2015 intitulé ' tempête boursière pour la biotech Genfit' faisant suite à une comparaison entre les résultats d'un essai clinique du 'GFT 505" par rapport à un placebo et ayant entraîné une chute brutale de 44 % du cours de l'action Genfit.

Les débats d'audience s'étant déroulés le 12 février 2015 sur la base des conclusions échangées par les parties antérieurement, le tribunal ne pouvait pas fonder sa décision même pour partie sur ces éléments de fait postérieurs aux débats qui n'ont pas été soumis au contradictoire des parties sans violer le principe du contradictoire.

En conséquence, il y a lieu de prononcer la nullité du jugement du tribunal de commerce Lille métropole du 23 avril 2015.

L'effet dévolutif s'opérant dans ces circonstances pour le tout, mais seule la SA Genfit ayant exercé un pourvoi et saisi la cour de renvoi, ne seront abordés que les demandes de cette dernière.

Sur les demandes de la SA Genfit

$gt; sur le dénigrement fautif du 'GFT 505"

Selon l'article 1382 devenu 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. L'existence d'une situation de concurrence n'est pas nécessaire à la qualification d'une faute de dénigrement.

La liberté d'expression est un principe à valeur constitutionnelle en droit français, garanti également par l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui prescrit que toute personne a droit à la liberté d'expression, ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière.

Le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifié et se distingue de la critique admissible.

Il est admis que même en l'absence d'une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation par l'une d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l'autre constitue un acte de dénigrement à moins que l'information en cause ne se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure.

Le document litigieux daté du 9 décembre 2009 supposé constituer l'acte de dénigrement du 'GFT 505" est matérialisé sous forme de communiqué occulte contenant des avis d'experts scientifiques tendant à contredire les communiqués de presse de la SA Genfit portant sur les qualités de ce produit diffusé les 23 et 26 novembre 2009 selon lesquels le 'GFT 505" enregistre des résultats extrêmement prometteurs en phase II.

Il est ainsi rédigé 'bonjour Mme/M., veuillez trouver ci-joint l'avis d'experts scientifiques de renom suite au communiqué de presse de Genfit sur le GFT 505" bonne réception, bien cordialement. L'équipe Teletech au nom de biotech avenir.

Le GFT 505 est deux fois moins efficace que les fibrates génériques.

Des experts scientifiques de renom ont été interpellés par la publication de données concernant le GFT 505 (80mg/j), présentées comme étant extrêmement prometteuses. Plus de cinquante experts cliniciens et chercheurs mondialement reconnus ont évalué les résultats.

La cible du GFT 505 concerne le traitement des dyslipidémies athérogènes dont souffrent les patients atteints d'un syndrome métabolique et du diabète de type deux. Ces affections sont souvent caractérisées par une concentration sanguine élevée de triglycérides et une concentration sanguine basse de bon cholestérol.

Après évaluation des données publiées, ces experts indiquent que le traitement de référence par le phéno fibrates ou le bézafibrate générique n'est pas remis en cause et qu'hélas aucune avancée notable ne peut être relevée avec le GFT 505.

Les données disponibles montrent que le fénofibrate est utile dans le traitement du foie gras d'un alcoolique qui accompagne souvent le syndrome métabolique. Ainsi le fénofibrate diminue de façon significative les enzymes du foie marqueurs d'une dysfonction hépatique, contrairement GFT 505.

Commentant ces données ces experts internationaux déclarent :

Les nouvelles données publiées sur GFT 505 ne donnent aucune chance à cette molécule de remplacer les fibrates génériques dans le traitement des patients atteints de dyslipidémie athérogène et d'autres complications des maladies métaboliques comme le diabète de type 2.'

Ce document contient également un tableau dans lequel se trouvent des éléments chiffrés issus d'analyses comparatives.

Il n'est pas contesté qu'intervenant auprès de Teletech, la SA Genfit a obtenu l'arrêt de la diffusion de ce communiqué le 14 décembre 2009.

En l'espèce, les époux [J] ne contestent pas avoir participé à cette publication sauf à dire qu'ils n'étaient pas les seuls instigateurs, de sorte que leur responsabilité peut être recherchée.

Il est établi que ce communiqué constitue une analyse différente des effets de la molécule 'GFT 505" de celle diffusée par la société Genfit dans la mesure où sous la signature de M. [U] elle fait état 'd'effets bénéfiques hautement significatifs de son candidat médicament le plus avancé, le GFT 505, sur la fonction hépatique des patients en surpoids ou obèses souffrant de dysllpidémie athérogène, une population à risque de développer des affections hépatiques telle que stéatose hépatique ou une hépatite stéatosique non alcoolique.'

Dans ce communiqué il est précisé que 'les patients traités par GFT 505 ont enregistré une baisse significative du taux de triglycérides et une augmentation sensible du taux de bon cholestérol. Parallèlement, par rapport au groupe placébo, une réduction significative sur les taux d'ApoCllI était mise en évidence. Enfin GFT 505 augmentait les niveaux d'apolipoprotéines, deux constituants essentiels des particules de HDL anti-athérosclérose.

Outre les effets sur le métabolisme des lipides, une action bénéfique de GFT 505 a été clairement observée sur deux marqueurs hépatiques clés associés au développement des stéatoses hépatiques et des hépatites stéatosiques.'.

Se pose la question en l'espèce de savoir si le communiqué litigieux diffusé par l'équipe Teletech à laquelle participent M et Mme [J] est un acte de dénigrement tendant à discréditer le travail de recherche de la société Genfit sur la molécule litigieuse ou s'il s'agit d'opposer avec mesure un autre point de vue étayé sur d'autres bases factuelles suffisantes sur un sujet d'intérêt général, à savoir le traitement des maladies métaboliques par cette molécule.

Des pièces du dossier et des données chiffrées contenues dans le communiqué il ressort que ce dernier repose sur une analyse de résultats issus de la comparaison d'essais cliniques. Il contient des conclusions aux termes desquelles cette molécule n'est pas plus efficace que le générique existant et déjà prescrit pour traiter ces maladies.

Il est la démonstration d'un point de vue étayé de sources sérieuses au même titre que la publication de la société Genfit, cette dernière étant plus optimiste sur l'intérêt de poursuivre les travaux sur cette molécule au stade II de son développement.

Le communiqué litigieux ne dénigre pas le travail de la société Genfit dont au demeurant M. [J] est actionnaire mais est l'expression d'un point de vue scientifique différent que celui développé par la société Genfit sous la signature de M. [U]. La démarche scientifique, permet en général d'encadrer les observations et les positions des chercheurs dans l'objectif d'aboutir à une conclusion, ce communiqué en réponse aux publications de la société Genfit en est l'illustration.

S'il est pessimiste sur la nécessité de poursuivre les recherches sur la molécule 'GFT 550" pour traiter les maladies métaboliques et qu'il alerte sur une efficacité limitée et qu'il a pu influer sur la valeur des actions de la société Genfit sur le marché boursier, il constitue un avis relevant de la libre critique et donc de la liberté d'expression et n'est pas constitutif d'un dénigrement fautif car il repose sur une base factuelle suffisante et est rédigé dans des termes mesurés dans un domaine où les chercheurs sont des acteurs passionnés.

En matière de dénigrement, contrairement à ce qui est admis en matière de diffamation, l'exception de vérité n'est pas retenue de sorte qu'il est indifférent que les faits dénoncés soient exacts, c'est l'expression de la critique qui est en jeu et doit être vérifiée.

En conséquence, la SA Genfit étant défaillante à démontrer que le communiqué litigieux constitue un acte de dénigrement fautif, cette dernière est déboutée de sa demande à hauteur de 1 000 000 € de dommage et intérêts pour atteinte à son image .

$gt; sur l'abus de droit d'ester en justice

La SA Genfit soutient que les époux [J] sont à l'origine de 25 instances contre elle soit directement soit à travers son actionnaire principal la société Biotech avenir, que ces procédures ont compliqué la recherche d'investisseurs et de partenariat.

Elle affirme que ces procédures lui ont causé un préjudice matériel qu'elle chiffre à 591 416,45 € et un préjudice d'image qu'elle chiffre à 1 000 000 €.

M et Mme [J] s'opposent à ces demandes comme étant irrecevables et mal fondées.

Reprenant la liste des affaires dont se prévaut la société Genfit, ils opposent le défaut de qualité à agir de cette dernière au soutien des intérêts de Biotech notamment.

Pour d'autres affaires ils considèrent que les demandes de la SA Genfit sont également irrecevables au motif que cette dernière a demandé à être indemnisée pour abus d'ester en justice dans certaines en vain, de sorte que l'autorité de la chose jugée exclut que la cour puisse statuer de nouveau sur cette demande.

Pour le surplus ils soutiennent que ces demandes sont mal fondées.

Aux soutien de ces demandes la SA Genfit a intégré dans ses écritures un tableau comprenant 14 actions, leur sort en première instance et en appel mais également en cassation.

En l'espèce, outre le fait que dans la présente instance, la SA Genfit est demanderesse de sorte qu'elle ne peut opposer aux époux [J] l'abus d'ester en justice, il ressort du tableau intégré à ses écritures que seules 14 procédures sont visées et non 25 et que 10 d'entre elles ( la 5, 6 , 7 , 8, 9, 10, 11, 12, 13 et 14) concernent Biotech non partie à la présente instance peu importe qu'elle soit actionnaire de la SA Genfit. Par ailleurs il ressort des pièces de la société Genfit que certaines affaires ont opposé M. [U] et non la société Genfit qui est une personne morale distincte de ce dernier (dans des affaires non reprises dans le tableau), à M. [J].

En conséquence la société Genfit qui ne démontre pas avoir qualité pour agir au soutien des intérêts de la société Biotech ni de M. [U] à titre personnel est irrecevable en ses demandes concernant ces affaires.

Pour les autres (les 5 premières du tableau) il ressort de leur lecture qu'elles concernent :

- une ordonnance de référé du 9 juin 2008 opposant M. [J] à la SA Genfit ordonnant l'ajournement d'une assemblée générale de la SA Genfit, déboutant cette dernière de sa demande de dommages et intérêts et la condamnant à supporter les dépens ;

- une ordonnance de référé du 26 juin 2008 opposant Mme [J] à la SA Genfit renvoyant les parties à mieux se pourvoir et condamnant Mme [J] aux dépens ;

- une ordonnance de référé du 4 mars 2010 opposant la SA Genfit à Mme et M. [J] déboutant la SA Genfit de ses demandes et la condamnant aux dépens et à payer d'importants frais irrépétibles ;

- un arrêt de la cour d'appel de Douai du 27 novembre 2011 statuant sur appel de l'ordonnance pré citée, la confirmant et déboutant la société Genfit de ses demandes et la condamnant aux dépens et à d'importants frais irrépétibles ;

- une ordonnance de référé du 25 juin 2008 opposant la société Genfit à M. [J] disant n'y avoir lieu à référé et condamnant la SA Genfit aux dépens.

Les ordonnances de référé n'ayant pas autorité de la chose jugée, il convient d'écarter cette fin de non recevoir.

Il est admis que l'exercice des voies de droit ne peut dégénérer en abus, susceptible d'engager la responsabilité d'une partie à l'instance, que lorsqu'il présente un caractère dolosif ou malveillant.

Sur les cinq procédures sus rappelées il est établi que la SA Genfit est à l'initiative de 4 d'entre elles de sorte qu'elle ne peut sérieusement soutenir que les époux [J] ont abusivement et de façon malveillante agi contre elle.

En conséquence, la SA Genfit qui est pour partie irrecevable et qui pour le surplus ne démontre pas que les époux [J] ont diligenté des procédures de nature à caractériser un abus du droit d'agir en justice, est déboutée de ses demandes de dommages et intérêts au titre d'un préjudice matériel et d'une atteinte portée à son image.

Sur les demandes accessoires

La SA Genfit qui succombe supporte les dépens d'appel et est condamnée à payer à M. [K] [J] et Mme [O] [D] épouse [J] la somme de 35 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

la cour statuant contradictoirement par mise à disposition ;

prononce l'annulation du jugement du tribunal de commerce de Lille métropole en date du 23 avril 2015 ;

évoquant par l'effet dévolutif de l'appel

déclare irrecevable pour partie la demande de la SA Genfit tirée de l'abus du droit d'ester en justice et la dit non fondée pour le surplus ;

déboute en conséquence la SA Genfit de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice matériel et de l'atteinte portée à son image ;

déboute la SA Genfit de sa demande de dommages et intérêts au titre du dénigrement fautif ;

déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

condamne la SA Genfit à payer à M. [K] [J] et Mme [O] [D] épouse [J] la somme de 35 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamne la SA Genfit aux dépens d'appel qui seront recouvrés directement par maître Claeys qui le demande, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier,La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : Chambre Économique
Numéro d'arrêt : 21/02482
Date de la décision : 30/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-30;21.02482 ?
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