La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/06/2022 | FRANCE | N°21/01577

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 1ère chambre civile, 28 juin 2022, 21/01577


ARRET







[B] épouse [Z]





C/



S.A.S. HOPITAL PRIVE [Localité 7]













VA/CB/VB





COUR D'APPEL D'AMIENS



1ERE CHAMBRE CIVILE



ARRET DU VINGT HUIT JUIN

DEUX MILLE VINGT DEUX





Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 21/01577 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IBJ3



Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE SAINT QUENTIN DU DIX HUI

T JANVIER DEUX MILLE VINGT ET UN





PARTIES EN CAUSE :



Madame [D] [B] épouse [Z]

née le [Date naissance 4] 1952 à [Localité 1] (Aisne) ([Localité 1])

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 2]



Représentée par Me LOMBA...

ARRET

[B] épouse [Z]

C/

S.A.S. HOPITAL PRIVE [Localité 7]

VA/CB/VB

COUR D'APPEL D'AMIENS

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU VINGT HUIT JUIN

DEUX MILLE VINGT DEUX

Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 21/01577 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IBJ3

Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE SAINT QUENTIN DU DIX HUIT JANVIER DEUX MILLE VINGT ET UN

PARTIES EN CAUSE :

Madame [D] [B] épouse [Z]

née le [Date naissance 4] 1952 à [Localité 1] (Aisne) ([Localité 1])

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représentée par Me LOMBARD substituant Me Christophe DONNETTE de l'ASSOCIATION DONNETTE-LOMBARD, avocats au barreau de SAINT-QUENTIN

APPELANTE

ET

S.A.S. HOPITAL PRIVE [Localité 7] Immatriculée au RCS de ST QUENTIN agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me DENYS substituant Me Franck DERBISE de la SCP LEBEGUE DERBISE, avocats au barreau d'AMIENS

INTIMEE

DEBATS :

A l'audience publique du 26 avril 2022, l'affaire est venue devant M. Vincent ADRIAN, magistrat chargé du rapport siégeant sans opposition des avocats en vertu de l'article 805 du Code de procédure civile. Ce magistrat a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 28 juin 2022.

La Cour était assistée lors des débats de Mme Camille BECART, greffier.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Le magistrat chargé du rapport en a rendu compte à la Cour composée de M. Pascal BRILLET, Président, M. Vincent ADRIAN et Mme Myriam SEGOND, Conseillers, qui en ont délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE DE L'ARRET :

Le 28 juin 2022, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par M. Pascal BRILLET, Président de chambre, et Mme Vitalienne BALOCCO, greffier.

*

* *

DECISION :

Mme [D] [B] épouse [Z], alors qu'elle visitait son époux hospitalisé à la Polyclinique [6], le 22 janvier2015, a reçu un coup de téléphone, a 'appris une terrible nouvelle', s'est sentie mal, a été placée dans une pièce ou elle aurait ouvert la fenêtre, geste qui aurait été interprété comme une amorce de tentative de suicide, et a fait l'objet d'un transfert aux urgences du centre hospitalier de [Localité 1] puis d'une hospitalisation d'office au service de psychiatrie du même hôpital.

Par décision du 9 mai 2017, en appel d'une ordonnance du 6 octobre 2016 du juge des référés du tribunal de Saint-Quentin, la cour d'appel d'Amiens a ordonné une expertise ayant pour objet d'éclairer la juridiction sur l'éventuelle responsabilité de la clinique en cause et les préjudices subis par Mme [Z], confiée au docteur [T], lequel a déposé son rapport le 29 janvier 2019.

Par acte du 17 octobre 2019, Mme [Z] a fait assigner la société par actions simplifiées Hôpital privé [6] devant le tribunal de grande instance de Saint-Quentin afin de voir condamner celui-ci à lui payer, selon ses dernières conclusions:

-14 000 € au titre d'une infirmité permamente partielle,

-4 000 € au titre d'un préjudice moral,

-3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient n'avoir jamais eu l'intention de se suicider, en particulier, elle expose qu'elle avait ouvert la fenêtre à cause de la chaleur de la pièce et estime que le comportement de la Clinique a été abusif. Elle précise que la demande d'hospitalisation d'office a été obtenue de son fils sous la pression alors que son mari était présent.

L'Hôpital privé [6] s'oppose à ces demandes. Il précise que l'hospitalisation d'office de Mme [Z] s'est faite sur le fondement du péril imminent prévu par le code de la santé publique, qu'elle a été emmenée d'abord au service des urgence de la Clinique où Mme [Z] s'est opposée aux soins, ce qui a déclenché la procédure d'hospitalisation d'office parfaitement légale et justifiée en l'espèce.

Par jugement du 18 janvier 2021, dont Mme [Z] a relevé appel, le tribunal judiciaire de Saint-Quentin l'ayant déboutée de ses demandes, en relevant en particulier les termes du certificat médical du psychiatre, le docteur [J], qui a rédigé le second certificat, 24 heures après l'admission.

La cour se réfère aux dernières conclusions des parties par visa.

Vu les conclusions notifiées par Mme [B] épouse [Z] le 15 juin 2021 visant à faire infirmer la décision entreprise et à faire condamner l'intimé à lui régler en réparation de son préjudice les sommes de :

- AIPP : 14.000€

-Préjudice moral : 4.000 €

-Article 700 du Code de Procédure Civile : 6.000 €

Vu les conclusions notifiées le 14 septembre 2021 par la SAS Hôpital privé [6] visant à voir dire et juger [D] [Z] mal fondée en son appel et à voir confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Saint-Quentin du 18 janvier 2021 en toutes ses dispositions.

L'instruction a été clôturée le 5 janvier 2022.

MOTIFS

Mme [Z] a fait l'objet le 22 janvier 2015 d'une hospitalisation sous contrainte conformément aux dispositions l'article L. 3212-1-II-2 du code de la santé publique en raison de l'existence d'un péril imminent qui dispose que :

"Une personne atteinte de troubles mentaux ne peut faire l'objet de soins

psychiatriques sur la décision du directeur d'un établissement mentionné à l'article L.3222-1 que lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :

1° Ses troubles mentaux rendent impossible son consentement ;

2° Son état mental impose des soins immédiats assortis soit d'une surveillance

médicale constante justifiant une hospitalisation complète, soit d'une surveillance médicale régulière justifiant une prise en charge sous la forme mentionnée au 2° du I de l'article L.3211-2-1.

II.-Le directeur de l'établissement prononce la décision d'admission :

[...]

2° Soit lorsqu'il s'avère impossible d'obtenir une demande dans les conditions prévues au 1° du présent II et qu'il existe, à la date d'admission, un péril imminent pour la santé de la personne, dûment constaté par un certificat médical établi dans les conditions prévues au troisième alinéa du même 1°. Ce certificat constate l'état mental de la personne malade, indique les caractéristiques de sa maladie et la nécessité de recevoir des soins. [...]".

Selon l'Hôpital privé [6], l'hospitalisation sous contrainte aurait été justifiée par l'état d'agitation de la patiente qui aurait tenu des propos suicidaires et qui aurait tenté de se défénestrer par la fenêtre du deuxième étage avant d'être rattrapée in extremis par le personnel de la Polyclinique, lequel aurait su ou appris que la patiente souffrait d'antécédents dépressifs avec abandon de traitement.

Mme [Z] met en avant, au contraire, une hospitalisation psychiatrique sous contrainte injustifiée provoquée à tort par l'hôpital [6] :

'diverses fautes ont ainsi été commises:

-Une absence de diagnostic de l'état de la concluante,

-L'absence de recueil de consentement de la patiente aux «soins», en réalité au transfert imposé,

-La rétention opérée par la polyclinique,

-Le transfert sous contrainte,

-Fautes qui génèreront la poursuite de cette contrainte par le centre hospitalier'.

Elle s'appuie sur les conclusions de l'expert, le docteur [T] :

On peut donc considérer un manquement aux règles de l'art de la part de la Polyclinique [Localité 7] de SAINT QUENTIN, qui semble-t-il n'a pas été assez attentive aux doléances de Madame [Z]'[B].

Cette dernière s'est donc trouvée privée de liberté et a vécu ensuite un cauchemar au centre hospitalier de [Localité 1], qui n'était pas disposé à recevoir ce type de patient, puisque non spécialisé en psychiatrie.

Madame [Z] ' [B] raconte tous ces évènements avec beaucoup

d'émotion témoignant d'un stress post-traumatique.

Elle n 'est pas dépressive, mais elle montre des manifestations anxieuses avec des réminiscences pénibles et une tension psychique à l'évocation de l'évènement.

Il n'est pas retrouvé de conduites d'évitement.

On peut considérer que la capacité permanente dû au préjudice moral subi imputable au manquement est de 5 %. »

'Ce rapport d'expertise, expose-t-elle, met très clairement et incontestablement en évidence la légèreté avec laquelle la Clinique Privée [Localité 7] a géré la situation de Madame [Z]'.

Il suffit de lire le récit des évènements rapportés en détail par le compte-rendu de la réunion de médiation tenue au Cente hospitalier de [Localité 1] le 17 février 2016 (pièce Geffory 1) pour comprendre que Mme [Z] a été prise dans un engrenage malheureux, ne parvenant pas à répondre aux questions qui lui étaient posées, et a souffert de la brutalité des précautions prises dans le cas d'hospitalisation d'office comme le fait de devoir se déshabiller devant deux personnels masculins pour se mettre en pyjama et d'être immédiatement mise à l'isolement.

Toutefois il convient de relever que la sortie est intervenue dès le 23 janvier au soir.

Il appartient à la juridiction de se prononcer sur la responsabilité de la seule Clinique.

Mme [Z] indique avoir appris une 'terrible nouvelle' sur laquelle elle ne dit rien et admet avoir resenti un fort choc émotionnel, avec 'agitation' et 'crise de sanglots', qui l'a empêchée, y compris jusqu'au service de psychiatrie de l'hôpital, de répondre à toute question.

Il est légitime pour le personnel médical de prendre les mesures d'urgence qui s'imposent face à l'état de danger actuel. Un médecin et une infirmière sont intervenus, alertés, après ce choc émotionnel, ce qui est normal.

Elle admet également avoir été placée dans une pièce à part et avoir ouvert la fenêtre, à cause de la forte chaleur, dit-elle, ce qui est néanmoins pour tout professionnel de santé un signe qui doit impérativement alerter et faire réagir sur une possibilité de tentative de suicide, étant acquis que Mme [Z] ne répondait pas aux questions.

Selon le compte-rendu d'entrée rédigé manuscritement par le docteur [J] le 23 janvier 2015, 'elle dit avoir fait ce geste pour attirer l'attention de son époux' (dossier médical pièce [Z] 8, 9° feuille, in fine). Le geste lui-même est donc certain et son interprétation objective comme un danger ou un 'péril imminent' par un personnel médical n'est pas criticable. Mme [Z] ne saurait imposer rétrospectivement son interprétation de l'évènement selon lequel elle n'avait aucune raison de se suicider ou qu'il était évident qu'elle n'allait pas se suicider.

Les maladresses du certificat du docteur [K] (rapport [T], page 10), rédacteur du premier certificat au service des urgences de la clinique -lequel présente la tentative de 'se jeter par la fenêtre' comme certaine, outre des antécédents dépressifs avec abandon de traitement dont on ne retrouve pas la trace aux pièces versées aux débat- ne peuvent occulter la réalité de ce geste et la légitimité de la réaction du personnel de la Clinique face à la situation.

Par ailleurs, dans le certificat médical de 24 heures, le Docteur [J] indique: 'Cette patiente a été admise suite à une tentative de suicide par defénestration dans une clinique. Ce jour, patient non confuse, parle avec volubilité de son geste qu'elle dit avoir eu dans un moment d'angoisse extrême suite à un appel téléphonique qui l'a déstabilisée. Cette patiente a un métier très prenant, et reconnait avoir perdu quelques kilos, mais de manière intentionnelle et qu 'elle est fatiguée. Les soins sous contrainte sont justifiés pour permettre à cette patiente de se détendre, de récupérer de sa fatigue et de permettre un temps d'observation de son comportement '.

Le médecin rapporte ici les propos de la patiente. Il y a donc bien eu, ainsi qu'il a été déjà démontré, une ouverture de fenêtre et un 'geste', lequel a, au moins, ressemblé à une défenestration.

Certes, ainsi que le souligne Mme [Z], l'expert judiciaire, le docteur [T], a été critique au sujet de ce certificat, page 16 :

'Les propos de ce certificat sont paradoxaux. Admettons que Madame [Z] ait vraiment fait une tentative de suicide, d'après le Docteur [J], la patiente est déjà dans une dynamique d'autocritique, capable d'analyser son geste puisque non confuse et expliquant par ailleurs sa perte de poids par une fatigue extrême due à son travail et non à cause d'un état dépressif. On ne comprend donc pas les raisons de soins sous contrainte, chez une patiente capable de s'expliquer et de donner son consentement. Par ailleurs, si 1'hospitalisation était nécessaire pour 'récupérer sa fatigue' les soins sous contrainte n'étaient donc pas nécessaires et encore moins en milieu psychiatrique'.

La critique, à la supposer fondée, ne réfute pas la réalité du 'geste', outre, ainsi qu'il a été indiqué, que la juridiction n'est saisie que du comportement de la Clinique.

En conclusion, la clinique est exempte de critique d'avoir déclenché une hospitalisation d'office en l'état d'une patiente ayant eu toute apparence de vouloir faire une tentative de suicide et ne s'expliquant pas sur sa crise.

L'action de Mme [Z] devait être rejetée.

Le jugement sera confirmé.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en dernier ressort,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Saint-Quentin le 18 janvier 2021,

Condamne Mme [D] [B] épouse [Z] aux dépens de l'instance d'appel et à payer à la SAS Hôpital privé [6] la somme de 1 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/01577
Date de la décision : 28/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-28;21.01577 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award