ARRET
N°
[H]
C/
Société SL RENOV HABITAT
S.A. DOMOFINANCE
VA/CB/VB
COUR D'APPEL D'AMIENS
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU VINGT HUIT JUIN
DEUX MILLE VINGT DEUX
Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 20/04441 - N° Portalis DBV4-V-B7E-H3E7
Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL DE PROXIMITE D'ABBEVILLE DU TRENTE ET UN JUILLET DEUX MILLE VINGT
PARTIES EN CAUSE :
Madame Michèle [H] épouse [I]
née le 04 Février 1941 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me HERTAULT substituant Me Angélique CREPIN de la SCP CREPIN-HERTAULT, avocats au barreau d'AMIENS
APPELANTE
ET
Société SL RENOV HABITAT agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Voie [Adresse 6]
[Localité 5]
Assignée à étude le 15/10/2020
S.A. DOMOFINANCE agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me ROBIT substituant Me Franck DELAHOUSSE de la SELARL DELAHOUSSE ET ASSOCIÉS, avocats au barreau d'AMIENS
Ayant pour avocat plaidant Me Francis DEFFRENNES, avocat au barreau de LILLE
INTIMEES
DEBATS :
A l'audience publique du 26 avril 2022, l'affaire est venue devant M. Vincent ADRIAN, magistrat chargé du rapport siégeant sans opposition des avocats en vertu de l'article 805 du Code de procédure civile. Ce magistrat a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 28 juin 2022.
La Cour était assistée lors des débats de Mme Camille BECART, greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Le magistrat chargé du rapport en a rendu compte à la Cour composée de M. Pascal BRILLET, Président, M. Vincent ADRIAN et Mme Myriam SEGOND, Conseillers, qui en ont délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE DE L'ARRET :
Le 28 juin 2022, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par M. Pascal BRILLET, Président de chambre, et Mme Vitalienne BALOCCO, greffier.
*
* *
DECISION :
Suite à un démarchage à son domicile, [Adresse 2] à [Localité 4] (80), Mme Michèle [H] épouse [I], née le 4 février 1941, a signé avec la société SL Renov Habitat un bon de commande, puis un devis, l'un et l'autre assortis d'un crédit affecté pour le financement de l'opération, avec la société Domofinance :
-le 4 octobre 2017 un 'bon de commande' pour des travaux de 'traitement de la toiture et pose d'un hydrofuge 75 m²'financés par un crédit affecté daté du 4 octobre 2017, d'un montant total de 3 500 € remboursable en 40 mensualités au taux effectif global de 3, 98 %,
-le 30 octobre 2017 un 'devis', accepté, pour des travaux de pose de clôture aluminium entre poteaux scellés, financés par un second crédit affecté daté du 15 janvier 2018 pour un montant de 4 100 € remboursable en 50 mensualités au taux effectif global de 3, 98 %.
La société SL Renov Habitat a fait régulariser par sa cliente une fiche de réception des travaux de clôture le 12 mars 2018 (pièce 13), laquelle a été transmise à la société Domofinance qui a libéré les fonds entre les mains de la société.
Mme [I] a fait dresser un procès-verbal de constat par Maître Brunet, huissier de justice, le 21 mai 2019, relatif à divers désordres et non conformités affectant les travaux de pose de la clôture.
Par acte du 3 juillet 2019, elle a fait assigner la société SL Renov Habitat et la société Domofinance en annulation ou résolution des deux contrats de prestations de service et des contrats de crédits, avec, au regard de la faute commise par le préteur, dispense d'avoir à restituer les capitaux versés à la société.
Par jugement en date du 31 juillet 2020, le tribunal de proximité d'Abbeville a :
-annulé les deux bons de commande pour diverses omissions relatives aux exigences posées par les articles L. 111-1 et L. 221-1 du code de la consommation sur les mentions devant figurer dans les contrats conclus avec des consommateurs hors établissements,
-annulé les deux contrats de crédit affectés,
-condamné la société Renov Habitat à remettre les lieux en état et à restituer à Mme [I] la somme de 9 800 €,
-condamné Mme [I] à restituer le matériel installé aux frais de la société Renov Habitat,
-condamné Mme [I] à restituer à la société Domofinance le capital prêté dont seront déduits l'ensemble des versements déjà réalisés,
-débouté les parties du surplus de leurs demandes,
-condamné in solidum les sociétés SL Renov Habitat et Domofinance aux dépens et à payer à Mme [I] une somme de 1 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [I] a relevé appel partiel de ce jugement en ce qu' il l'a déboutée de sa demande de dispense de restitution du capital emprunté à la société Domofinance.
La cour se réfère aux dernières conclusions des parties par visa.
Vu les conclusions notifiées par Mme [I] le 18 mai 2021, visant à la confirmation du jugement sauf sur la question de la restitution du capital, point sur lequel la cour devra infirmer le jugement pour la dispenser de toute restitution.
La société SL Renov Habitat, comparante en première instance, n'a pas constitué intimée en appel. La déclaration d'appel lui a été signifiée à domicile à [Localité 5] le 15 octobre 2020 et les conclusions de Mme [I] lui ont été signifiées le 10 décembre 2020, à nouveau à domicile, tiers présent non habilité à recevoir l'acte. La procédure est régulière à son égard. L'arrêt sera rendu par défaut.
Vu les conclusions récapitulatives et responsives notifiées par la société Domofinance le 25 mai 2021, signifiées à la société SL Renov Habitat le 22 juin 2021, formant appel incident.
La société Domofinance conteste que les bons de commande soient irréguliers.
A défaut, il y aurait lieu de constater que Mme [I] a renoncer à en invoquer la nullité.
Il n' y a pas lieu non plus à prononcer la résolution du contrat qui concerne la pose de la clôture.
A titre subsidiaire, il conviendrait de confirmer le jugement en ce qu' il a constaté qu'elle n'avait commis aucune faute dans la délivrance des fonds et en ce qu'il a ordonné à Mme [I] la restitution du capital moins les échéances versées.
A titre plus subsidiaire encore, il y aurait lieu de constater que le préjudice subi est inférieur à la partie de capital économisée et d'ordonner une restitution partielle.
L'instruction a été clôturée le 6 octobre 2021.
MOTIFS
1. Sur la nullité des contrats.
Dans le cas d'une vente ou d'une proposition de prestation de service avec démarchage à domicile, comme ce fut le cas en l'espèce, ou désormais dans le cas d'une vente hors établissement, et dans le cas d'une vente ou d'une prestation de service proposée à un consommateur, la loi pose un certain nombres de précautions pour que le consommateur sache par écrit, au-delà des propos qui lui sont tenus, à quoi s'engage précisément le professionnel et qu'il puisse exercer une réflexion suivie d'un droit de rétractation.
Aux premiers rangs de ces précautions figure la faculté de renonciation, son rappel dans le contrat écrit et le bordereau détachable qui en facilite l'exercice; et une description loyale des prestations offertes: 'les caractéristiques essentielles du bien et/ou du service' proposé et des conditions d'exécution du contrat: délai de livraison, modalités d'exécution, articles L 111-1 et L 121-23 du code de la consommation dans leurs versions applicables au litige.
En l'espèce, force est de constater l'indigence des deux documents valant contrat.
Aucun des deux documents ne contient le rappel, les conditions d'exercice du droit de rétractation, ni le formulaire détachable en contradiction flagrante avec la loi.
S'agissant de la toiture, la prestation est acceptée par la signature d'un bon de commande (pièce [I] 1) qui ne fait aucune mention du droit de rétractation et qui désigne la prestation, assez onéreuse pourtant (3 500 €), par une simple mention 'traitement de la toiture et pose d'un hydrofuge 75 m²', sans précision sur le 'traitement', le produit appliqué et sur sa qualité.
S'agissant de la clôture, dont l'exécution a été bâclée, la prestation a été commandée par la signature d' un simple devis (pièce [I] 6), qui n'indique non plus en rien l'existence du droit de rétractation.
Aucun des deux documents ne se réfère aux dispositions du code de la consommation et n'est signé par le professionnel.
Il sera relevé également comme indice du comportement désinvolte de la société SL Renov Habitat qu'il n'est donné aucune explication sur la différence des contrats de crédit concernant la seconde opération. Selon Mme [I] (sa pièce 9), le contrat de crédit porte sur un financement de 4 100 €, alors que selon la société de crédit et ses pièces, le crédit est de 6 300 €.
Il est patent qu'il n'a été tenu aucun compte de la loi sur le démarchage à domicile devenue contrat conclu hors établissement.
Le jugement doit être confirmé.
2. Sur la confirmation du contrat.
A titre subsidiaire la société Domofinance estime que les éléments de l'espèce attestent d'une confirmation des contrats, outre le fait qu'ils ont été exécutés.
La méconnaissance des dispositions des articles L. 121-21 et suivants du code de la consommation, édictées dans l'intérêt des personnes démarchées à domicile, est sanctionnée par une nullité relative (V. Cass. 1re civ., 2 oct. 2007, n° 05-17.691 ) et le nouvel article 1181 du code civil prévoit expressément que les nullités relatives sont susceptibles de confirmation, contrairement aux nullités absolues.
Il résulte du nouvel l'article 1182 du code civil, issu de l'ordonnance du 10 février 2016, que la confirmation est une véritable renonciation qui suppose la connaissance du vice qui affecte le contrat et l'intention de ne pas s'en prévaloir.
Le texte précise que l'exécution volontaire du contrat vaut confirmation si elle faite 'en connaissance de la cause de nullité (Cass. 1re civ., 20 avr. 2022, n° 20-22.084).
Tel n'est manifestement pas le cas en l'espèce.
Mme [I] était âgée de 76 ans à l'époque du démarchage. Les contrats ne contenaient aucune mention de l'existence d' un droit de rétractation et aucun indice ne permet de penser qu'elle en connaissait l'existence. D'après ses écritures, page 2, elle n'était pas certaine que le traitement de la toiture avait été fait.
S'agissant du traitement de la clôture, la fiche de réception des travaux est produite par la société Domofinance (pièce 7), dont Mme [I] indiquait ne pas avoir connaissance ou le souvenir. Comme le note le premier juge, elle est plus que suspecte. Datée du 3 novembre 2017, elle est écrite de trois mains différentes, Mme [I] n'en a écrit que la partie 'lu et approuvée' suivie de sa signature, la date relève d'une autre éctriture. Elle a très probablement été régularisée en blanc ; en tout cas, elle ne prétend nullement régulariser un contrat précédemment irrégulier.
Il est patent qu'elle ne comporte aucune conscience de l'annulabilité du contrat et aucune volonté de renoncer à l'invoquer.
S'agissant de la seconde opération, relative à la clôture, la fiche de réception est produite par Mme [I] (pièce 13). Les mêmes remarques peuvent lui être adressées. La date du 12 mars 2018 n'est pas de la main de Mme [I]. Le lieu de signature qui est indiqué est [Localité 5] ce qui est inexact. Elle a, elle aussi, très probablement été régularisée en blanc; en tout cas, comme la précédente, elle ne prétend nullement régulariser un contrat précédemment irrégulier et il est certain qu'elle ne comporte aucune conscience de l'annulabilité du contrat et aucune volonté de renoncer à l'invoquer.
En outre, ce procès-verbal de réception se réfère à un bon de commande n° CC00110 -peut-être transmis à la société de crédit -alors que Mme [I] a signé un devis n° 00489.
Selon le relevé de créance produit en pièce 22 par la société de crédit, concernant un crédit de 6 300 €, deux échéances seulement auraient été versées, ce qui n'atteste pas d' une volonté de confirmation.
Le jugement doit également être confirmé sur ce point.
3. Sur la restitution du capital et la faute de la société Domofinance.
Le tribunal a mis cette restitution à la charge de Mme [I] tout en relevant les fautes commises par la société de crédit, au motif que Mme [I] ne démontrait pas être dans l'impossibilité de recouvrer les sommes versées auprès de la société SL Renov Habitat.
Cette motivation est erronée au regard de la jurisprudence et des dispositions de l'article L. 312-56 du code de la consommation qui prévoit que c'est le prêteur qui peut se faire garantir par le vendeur (garantie non demandée par la société Domofinance en l'espèce).
En appel, en outre, tenant compte de cette motivation, Mme [I] produit une lettre de l'avocat de la société SL Renov Habitat qui indique que son client a des problèmes de trésorerie et ne peut que rembourser les sommes dues à Mme [I] par mensualités de 1 000 € d'abord puis de 300 € ensuite (pièce 18).
Certes, comme le rappelle la société de crédit, la faute du vendeur ne contamine pas par principe la relation distincte conclue entre l'établissement de crédit et son client, c'est l'effet relatif des contrats entre les parties et le principe de la responsabilité personnelle.
Néanmoins, la banque elle-même est tenue de participer à une opération loyale envers le consommateur dans la mesure de ses connaissances. Ainsi, il est désormais admis en jurisprudence, qu'il incombe à la banque, avant de procéder au versement des fonds entre les mains du vendeur, de vérifier la régularité du contrat de vente et/ou de prestation de service à l'occasion d'un démarchage à domicile ou d' une vente hors établissement.
En l'espèce, ainsi qu'il a été montré au point 1 du présent arrêt, les deux contrats sont gravement indigents au regard des règles protectrices du consommateur et ne devaient pas permettre à la société Domofinance d'en accepter le financement.
En outre, les deux procès-verbaux de réception étaient manifestement suspects.Une vérification auprès de la cliente s'imposait avant de verser les fonds.
La faute de la société de crédit est avérée.Mme [I] est fondée à opposer à la société Domofinance sa faute pour se faire dispenser de la restitution selon son préjudice. Le jugement est réformé en ce sens.
4. Sur le préjudice.
Deux arrêts du 11 mars 2020 de la Cour de cassation sont venus préciser les contours des conséquences de la faute commise par la société de crédit qui a financé un contrat principal irrégulier (Civ. 1ère, 11 mars 2020, deux arrêts, n°18-26189 et n°19-10870).
L'emprunteur qui obtient l'annulation du contrat principal, l'annulation du contrat de crédit, consécutive à celle-ci, et la reconnaissance de la faute du prêteur, 'demeure tenu de restituer ce capital, dès lors qu'il n'a subi aucun préjudice causé par la faute de la banque'.
'Il en résulte, énonce la Cour, que pour approuver, par un motif de pur droit substitué, la cour d'appel qui a condamné l'emprunteur à rembourser les fonds, si la banque a commis une faute en s'abstenant de vérifier la régularité formelle du contrat principal avant de verser les fonds empruntés, l'emprunteur n'établit pas avoir subi de préjudice consécutif à cette faute, de sorte qu'il demeure tenu de rembourser le capital emprunté (arrêt n° 18-26.189).'
En l'espèce, la société de crédit a financé sans vigilance deux opérations hasardeuses.
Le traitement de la toiture est totalement inconnu dans sa qualité.
Les clôtures posées, selon le constat de Maître Brunet (pièce 16), ont 65 cm de hauteur au lieu des 80 cm indiqués au devis. La couleur, non précisée au devis, est différente de celle du portail. Il existe un décalage de hauteur 'assez visible entre portail, portillon et les clôtures'. Les anciennes clôtures ont été déposées dans le jardin.
Il serait néamoins excessif d'en conclure que les prestations ne sont d'aucune utilité pour Mme [I]. En outre, elle dispose en principe de sa créance à l'égard de SL Renov Habitat.
Dans ces conditions, et compte-tenu des deux échéances versées, il conviendra de lui ordonner de restituer un solde de 3 500 € à la société Domofinance au titre des deux contrats de crédit.
Mme [I] qui a gain de cause pour la majeure partie de son appel sera remboursée de ses dépens et, partiellement, de ses frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par défaut, en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu par le tribunal de proximité d'Abbeville le 31 juillet 2020 excepté sur la restitution du capital des deux crédits litigieux, l'infirme sur ce point,
Statuant à nouveau,
Condamne Mme Michèle [I] née [H] à payer à la société Domofinance la somme de 3 500 € au titre de la restitution du solde du capital sur les deux crédits annulés, précise que toute somme payée s'imputera en priorité sur le principal,
Condamne la société Domofinance aux dépens d'appel et à payer une somme de 1 000 € à Mme Michèle [I] née [H] en application de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel.
LE GREFFIERLE PRESIDENT