La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/05/2022 | FRANCE | N°20/00063

France | France, Cour d'appel d'Amiens, Chambre Économique, 12 mai 2022, 20/00063


ARRET

























[E]









C/







[R]

S.C.I. JEARLOUISE

S.A.R.L. MATIMO













FLR





COUR D'APPEL D'AMIENS



CHAMBRE ÉCONOMIQUE



ARRET DU 12 MAI 2022





N° RG 20/00063 - N° Portalis DBV4-V-B7E-HTG4





JUGEMENT DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE COMPIEGNE EN DATE DU 03 DÉCEMBRE 2019

<

br>




PARTIES EN CAUSE :





APPELANT





Maître [J] [E]

[Adresse 1]

[Localité 7]



Représenté par Me Frédérique ANGOTTI de la SCP ANGOTTI, avocat postulant au barreau de COMPIEGNE, et ayant pour avocat plaidant Me Marie-José GONZALES substituant Me Michel RONZEAU, avocat au barreau de PARIS





ET :





INTIMEES

...

ARRET

[E]

C/

[R]

S.C.I. JEARLOUISE

S.A.R.L. MATIMO

FLR

COUR D'APPEL D'AMIENS

CHAMBRE ÉCONOMIQUE

ARRET DU 12 MAI 2022

N° RG 20/00063 - N° Portalis DBV4-V-B7E-HTG4

JUGEMENT DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE COMPIEGNE EN DATE DU 03 DÉCEMBRE 2019

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Maître [J] [E]

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représenté par Me Frédérique ANGOTTI de la SCP ANGOTTI, avocat postulant au barreau de COMPIEGNE, et ayant pour avocat plaidant Me Marie-José GONZALES substituant Me Michel RONZEAU, avocat au barreau de PARIS

ET :

INTIMEES

Madame [C] [R]

[Adresse 3]

[Localité 8]

Représentée par Me Lise DOMET substituant Me Sandrine MILHAUD, avocat postulant au barreau d'AMIENS, vestiaire : 32, et ayant pour avocat plaidant Me Arnaud GODRON, avocat au barreau de PARIS

S.C.I. JEARLOUISE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Gérard FERREIRA, avocat au barreau de COMPIEGNE

S.A.R.L. MATIMO, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représentée par Me Gérard FERREIRA, avocat au barreau de COMPIEGNE

DEBATS :

A l'audience publique du 03 Février 2022 devant :

Mme Dominique BERTOUX, Présidente de chambre,

et Mme Françoise LEROY-RICHARD, Conseillère

qui en ont délibéré conformément à la loi, la Présidente a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 28 Avril 2022.

Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du Code de procédure civile.

GREFFIER LORS DES DEBATS : Madame Vanessa IKHLEF

PRONONCE :

Le délibéré a été prorogé au 12 mai 2022.

Le 12 mai 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ; Mme Dominique BERTOUX, Présidente de chambre a signé la minute avec Madame Vanessa IKHLEF, Greffière.

DECISION

Par acte notarié du 10 mai 2016, reçu par maître [J] [E], notaire au sein de la SCP Abitbol, Le Gall-Abramczyck, Mme [C] [R] a consenti à la SARL Matimo ayant l'activité de marchand de biens, une promesse de vente d'un ensemble immobilier situé [Adresse 9], au prix de 500.000 € comprenant notamment des locaux faisant l' objet d'un bail commercial (rez de chaussée, cave et appartement au 3ème étage) formalisé sous forme authentique le 11 avril 1995 à effet au 1er octobre 1993, n'ayant jamais fait l'objet d'une procédure de renouvellement selon la venderesse.

La vente a été réitérée devant notaire le 7 octobre 2016.

Entre temps, suivant compromis en date des 21 et 26 juillet 2016, la SARL Matimo a consenti à M [S] [V], exerçant l'activité de notaire, la vente du bien immobilier au prix de 664.000 €.

La SCI Jearlouise s'est substituée à M. [V] dans la perspective de la réitération de la vente.

Dans des circonstances ignorées, la SARL Matimo a eu connaissance de l'existence d'une procédure de renouvellement du bail commercial intervenue en mai 2005 susceptible de faire perdre à son acheteur le bénéfice de la procédure de déplafonnement en matière de loyers commerciaux, en contradiction avec les déclarations de la venderesse, de sorte qu'elle a proposé à la SCI Jearlouise de trouver une solution amiable.

Dans ce contexte, la SARL Matimo s'est engagée le 28 octobre 2016, si la perte du bénéfice de déplafonnement se confirmait, à verser à la SCI Jearlouise une indemnité de 100 000 € en réparation du préjudice; la vente a été réitérée le même jour.

Par lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR) du 25 novembre 2016, la société SM Soissons, bénéficiaire du bail commercial litigieux, a sollicité le renouvellement du bail pour une durée de neuf années entières et consécutives à compter du 1er janvier 2017.

La SCI Jearlouise a confirmé son accord pour le renouvellement du bail, suivant acte d'huissier du 27 février 2017 mais a formé une demande de déplafonnement du loyer pour le porter à une somme annuelle de 26.400 €.

Par acte du 19 juin 2017 la SCI Jearlouise a consenti à la société SM Soisons un nouveau bail commercial ne portant plus que sur le local commercial en rez de chaussée et la cave, excluant l'appartement du 3ème étage. Ce dernier a fait l'objet d'un bail distinct.

Par acte d'huissier en date du 26 juillet 2017, la SARL Matimo et la SCI Jearlouise ont fait assigner Mme [R] devant le tribunal de grande instance de Compiègne, afin de la voir condamnée à réparer leur préjudice en lien avec la déclaration erronée portant sur le défaut de procédure de renouvellement.

Par acte d'huissier du 11 janvier 2018, Mme [R] a fait assigner en garantie maître [E], en sa qualité de notaire l'ayant assistée dans la rédaction de l'acte de vente litigieux, devant le même tribunal.

Par ordonnance du 9 avril 2018, le juge de la mise en état a prononcé la jonction des deux procédures.

Suivant jugement contradictoire du 3 décembre 2019, le tribunal de grande instance de Compiègne a :

- condamné Mme [R] à payer à la SARL Matimo la somme de 100.000 € à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;

- débouté la SCI Jearlouise de sa demande tendant à voir condamner Mme [R] à lui payer la somme de 206.915,05 € ;

- débouté la SARL Matimo et la SCI Jearlouise de leur demande tendant à voir condamner Mme [R] à leur payer la somme de 5.000 € pour résistance abusive ;

- débouté Mme [R] de sa demande tendant à voir condamner in solidum la SARL Matimo et la SCI Jearlouise à lui payer la somme de 10.000 € pour procédure abusive ;

- condamné Me [J] [E] à garantir Mme [R] pour le paiement de toute condamnation, et ce jusqu'à concurrence de la somme de 50.000 € ;

- condamné Mme [R] à payer à la SARL Matimo et à la SCI Jearlouise la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné Me [J] [E] à payer à Mme [R] la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Lefebvre, en vertu de l'article 699 du code de procédure civile ;

- rejeté la demande tendant à voir ordonner l'exécution provisoire du jugement.

Me [E] a interjeté appel de cette décision par déclaration du 8 janvier 2020.

Aux termes de ses dernières conclusions remises le 29 mars 2021, expurgées des demandes qui ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4 et 954 du code de procédure civile, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé détaillé des moyens développés, l'appelante demande à la cour :

- d'infirmer le jugement entrepris, en ce qu'il l'a condamnée à garantir Mme [R] pour le montant de sa condamnation et jusqu'à 50.000 €, ainsi qu'à lui payer une somme de 1.500 €, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens ;

y faisant droit,

- de rejeter l'appel incident de Mme [R] en ce qu'elle sollicite, à titre subsidiaire, la garantie totale de Me [E] ;

- de débouter Mme [R] de toutes ses demandes ;

- de rejeter toute demande en condamnation formulée à son encontre;

- de rejeter l'appel incident des sociétés Matimo et Jearlouise ;

- de condamner Mme [R] à lui payer la somme de 4.000 €, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions d'intimée et d'appelante incidente, remises le 29 mars 2021, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé détaillé des moyens développés, Mme [R] demande à la cour :

- de la recevoir en ses conclusions responsives et récapitulatives;

à titre principal,

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a :

$gt; condamnée à payer à la SARL Matimo la somme de 100.000 € à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal, à compter de la date du prononcé du jugement ;

$gt; condamnée à payer à la SARL Matimo et à la SCI Jearlouise la somme de 3.000 €, au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

$gt; déboutée de sa demande tendant à voir condamner in solidum la SARL Matimo et la SCI Jearlouise à lui payer 10.000 € pour procédure abusive;

statuant à nouveau,

- de débouter la SARL Matimo et la SCI Jearlouise de l'intégralité de leurs demandes ;

- de condamner solidairement la SARL Matimo et la SCI Jearlouise à lui payer la somme de 10.000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

- de confirmer le jugement entrepris en qu'il a :

$gt; débouté la SCI Jearlouise de sa demande tendant à voir condamner Mme [R] à lui payer la somme de 206.915,05 €;

$gt; débouté la SARL Matimo et la SCI Jearlouise de leurs demandes tendant à la voir condamner à leur payer la somme de 5.000 € pour résistance abusive ;

subsidiairement, si par impossible, la cour entrait en voie de condamnation à l'encontre de Mme [R],

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Me [E] à la garantir du paiement de toutes condamnations;

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a limité l'étendue de la garantie;

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Me [E] à lui payer une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a limité le quantum à une condamnation partielle,

statuant à nouveau à titre subsidiaire,

- de condamner Me [E] à garantir Mme [R] de l'intégralité des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre, dont les frais irrépétibles;

en tout état de cause,

- de débouter la SARL Matimo et la SCI Jearlouise de l'intégralité de leurs demandes ;

- de débouter Me [E] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre;

- de condamner la SARL Matimo et la SCI Jearlouise à lui payer la somme de 7.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais de procédure de première instance, outre une somme de 5.000 €, pour les frais de procédure d'appel;

- de condamner la SARL Matimo et la SCI Jearlouise, à titre principal, et Me [E], à titre subsidiaire, en tous les dépens.

Aux termes de leurs dernières conclusions d'intimées contenant appel incident remises le 26 juillet 2021, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé détaillé des moyens développés, la SCI Jearlouise et la SARL Matimo demandent à la cour :

- de les recevoir et dire bien fondées en leurs conclusions ;

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la responsabilité délictuelle de Mme [R] avec condamnation à indemniser la SARL Matimo du préjudice enduré et au paiement d'une somme de 3.000 € d'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens ;

- de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté Mme [R] de sa demande de dommages intérêts pour procédure abusive ;

- d'infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :

$gt; limité le montant des dommages intérêts à 100.000 €;

$gt; débouté la SCI Jearlouise de ses demandes;

$gt;débouté la SARL Matimo de ses demandes de dommages intérêts pour préjudices complémentaires et résistance abusive ;

statuant à nouveau,

- de condamner Mme [R] à leur payer une somme de 206.916,05 € à titre de dommages intérêts avec intérêts au taux légal à compter de l'acte introductif d'instance ;

- de condamner Mme [R] à leur payer une somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

- de débouter Mme [R] de toutes ses demandes contraires ou complémentaires ;

- de condamner Mme [R] à payer une somme de 5.000 € à la SARL Matimo sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

SUR CE :

Maître [J] [E] fait valoir que Mme [R] sur qui pèse la charge de la preuve d'une faute commise par elle, d'un préjudice actuel, certain et direct et du lien de causalité entre ces deux éléments, en application des articles 9 du code de procédure civile et 1240 du code civil est défaillante en cette démonstration.

Elle affirme qu'elle a satisfait à son obligation de vérifier la situation locative du bien objet de la vente, qu'aucun élément ne lui permettait de suspecter l'existence d'une procédure de renouvellement du bail commercial litigieux dans la mesure où les procédures de renouvellement de bail commercial ne font l'objet d'aucune publicité légale ou que les informations transmises par la propriétaire et par l'agence de gestion locative Cegit étaient erronées.

Elle explique qu'elle a interrogé la propriétaire qui l'a renvoyée vers l'agence en charge de la gestion locative et que cette dernière a confirmé le défaut de procédure de renouvellement du bail commercial depuis 1995 et qu'aucun élément remis ne pouvait lui permettre de suspecter que les informations communiquées posaient difficulté.

Elle rappelle que l'acte a été lu aux parties et que l'acheteur n'a eu connaissance que postérieurement à la réitération de la vente de la procédure de renouvellement remontant à l'année 2005.

Elle fait remarquer que Mme [R] a eu connaissance de la procédure de renouvellement dans la mesure où l'acte d'huissier délivré à cette fin le 23 mai 2005 l'a été à son adresse personnelle.

A supposer la caractérisation d'une faute à son endroit, la notaire soutient que Mme [R] ne justifie pas d'un préjudice indemnisable, qu'il n'appartient pas au notaire d'indemniser les conséquences d'une nullité de convention ou d'une réduction du prix. Elle explique que la demande formulée par la SARL Matimo, conjointement avec la SCI Jearlouise, accueillie à hauteur de la somme de 100.000 € par le tribunal au bénéfice de la SARL Matimo à l'encontre de Mme [R], ne constitue pas un préjudice indemnisable ayant un caractère certain et actuel, dans la mesure où le préjudice repose sur une perspective de loyers pendant vingt ans et que le bail commercial n'a pas vocation à durer aussi longtemps, que la SARL Matimo est mal fondée à invoquer un déplafonnement de loyer, dès lors qu'elle n'en a pas fait une condition substantielle, essentielle et déterminante de son engagement au stade de la promesse de vente, que l'absence de renouvellement n'a pas constitué une condition déterminante du consentement de l'acquéreur, aux termes de la promesse de vente, que la SCI Jearlouise était informée du renouvellement de bail opéré en 2005 au moment de l' acquisition du bien litigieux, que les loyers mensuels de 680 € perçus au titre de la location de l'appartement du 3ème étage doivent participer à l'appréciation du préjudice éventuel invoqué par la SCI Jearlouise et la SARL Matimo, que les intimées ne rapportent pas la preuve de ce qu'elles pourraient prétendre, sans le renouvellement de 2005, à un loyer annuel de 26.400 € en vertu du bail commercial, lequel ne correspond pas à la valeur locative du bien d'espèce, que le préjudice allégué par Mme [R] ne présente pas de lien de causalité direct avec un prétendu fait fautif du notaire, que le jugement entrepris a condamné Mme [R] à payer à la SARL Matimo une somme de 100.000 € au titre d'un préjudice de perte de chance de contracter à de meilleures conditions, alors qu'aucune demande de réparation d'un tel préjudice n'avait été sollicitée par cette dernière et que les intimés ne rapportent pas la preuve du versement de l'indemnité de 100.000 € convenue entre les SARL Matimo et SCI Jearlouise.

Mme [R] intimée et appelante incidente prétend que la preuve de manoeuvres dolosives qui lui sont imputées par la SARL Matimo et la SCI Jearlouise ne sont pas rapportées et qu'elle n'a jamais eu l'intention des les tromper.

Elle soutient qu'elle n'a effectué aucune déclaration mensongère, ni dissimulé aucune information en sa possession, ni commis aucune faute, tant à l'égard de la SARL Matimo, que de la SCI Jearlouise, que la SCI Jearlouise ne peut se prévaloir d'aucune faute délictuelle à son endroit, que l'absence de renouvellement du bail commercial ne constituait pas une condition essentielle du consentement de la SARL Matimo à la vente du bien litigieux, dès lors que son acquisition était destinée à la revente, intervenue 21 jours plus tard, et que cette dernière n'avait aucunement l'intention de percevoir des loyers commerciaux, que la SCI Jearlouise était informée de la demande de renouvellement de 2005 au moment de son engagement, si bien qu'elle ne peut lui reprocher aucune dissimulation d'information, que la SARL Matimo et la SCI Jearlouise ne peuvent pas se prévaloir d'un préjudice certain, ni d'un lien de causalité direct avec une faute inexistante, que la SARL Matimo ne démontre pas avoir acquis le bien litigieux avec la certitude de pouvoir bénéficier d'un déplafonnement des loyers, que le versement de l'indemnité de 100.000 € convenue entre la SARL Matimo et la SCI Jearlouise n'est pas démontré, que la plus-value réalisée par la SARL Matimo à la revente du bien litigieux suffit à neutraliser le préjudice de perte de chance invoqué par cette dernière de pas avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses, que la SCI Jearlouise n'a subi aucun préjudice qui lui serait imputable, que subsidiairement, l'appel en garantie de Me [E] est bien fondé, eu égard aux termes de la promesse de vente du 10 mai 2016 et du traitement erroné des informations que lui avaient transmises par l'agence de gestion locative Cegit, lequel démontre un manquement à l'obligation d'information et de conseil du notaire, que la garantie d'éventuelles condamnations vise à réparer son préjudice financier et non à indemniser :

$gt; une réduction du prix de vente de l'immeuble ;

$gt; le préjudice de pertes de loyers invoqué par la SARL Matimo et la SCI Jearlouise ;

$gt; le préjudice de perte de chance retenu par le jugement entrepris au bénéfice de la SARL Matimo.

Elle fait valoir que la procédure engagée à son encontre par la SARL Matimo et la SCI Jearlouise est abusive, en ce qu'elle vise à spéculer sur des préjudices incertains et non prouvés.

La SARL Matimo et la SCI Jearlouise soutiennent que Mme [R] a menti et ainsi trompé la SARL Matimo en lui affirmant qu'aucune demande de renouvellement de bail commercial n'avait été formulée depuis 1995, aux termes de la promesse du 10 mai 2016, ainsi que de la vente du 7 octobre 2016, alors qu'elle avait forcément eu connaissance de ladite demande, celle-ci lui ayant été signifiée à personne par acte d'huissier du 23 mai 2005 ; qu'à tout le moins, la déclaration eronnée de Mme [R] est constitutive d'une faute par négligence engageant sa responsabilité délictuelle ; qu'aux termes de le promesse du 10 mai 2016 (page 7), l'absence de renouvellement du bail était déterminante du consentement du premier acquéreur, la SARL Matimo, que l'acquisition du bien litigieux par la SCI Jearlouise en connaissance du renouvellement de bail de 2005 reste sans incidence sur le préjudice subi à raison de la demande de renouvellement intervenue le 25 novembre 2016, que le préjudice consécutif à l'impossibilité de bénéficier d'un déplafonnement du loyer commercial en conséquence du renouvellement de 2005 est avéré, qu'un protocole d'accord du 28 octobre 2016, complété par un avenant du 17 mars 2017, a chiffré ce préjudice à 100.000 €, concernant la SARL Matimo, que la SCI Jearlouise a évalué son préjudice de perte de loyers à une somme de 146.190 €, de laquelle il convient de déduire l'indemnité de 100.000 € stipulée par le protocole d'accord, que le solde de 46.190 € doit être versé pour moitié à la SARL Matimo et pour moitié à la SCI Jearlouise, que la valeur locative du local à usage commercial et du local à usage d'habitation, de l'ordre de 28.740 € par an, est supérieure à la proposition de fixation du loyer déplafonné à 26.400 €, telle que formulée par la SCI Jearlouise le 27 février 2017, que le préjudice de perte de loyers déplafonnés sur dix ans s'élève à 146.190 €, après lissage de l'augmentation conformément à la loi Pinel, que le loyer annuel non-déplafonné du local à usage commercial a été fixé à 10.800 € en juin 2017, lors du dernier renouvellement du bail, étant précisé que le local à usage d'habitation à été restitué au bailleur à cette occasion, puis reloué moyennant un loyer annuel de 8.160 € à compter du 22 février 2018, que la perte locative de la SCI Jearlouise doit être envisagée sur la période de remboursement du prêt contracté par elle pour financer l'acquisition de l'immeuble en cause, soit vingt années, ce qui porte son montant à 186.916,05 €, à laquelle il convient d'ajouter une indemnité forfaitaire de 20.000 € au titre du préjudice consécutif à la renégociation tardive des conditions de la revente, que la faute de Mme [R] est établie, ainsi que le lien de causalité entre celle-ci et le préjudice susvisé de perte de loyers, que la faute de Me [E] est également établie, ainsi que le lien de causalité entre celle-ci et l'indemnité de 100.000 € que la SARL Matimo a du verser à la SCI Jearlouise, que la preuve de versement échelonné de cette indemnité est rapporté par des attestations d'experts comptables de la SARL Matimo et que la contestation par Mme [R] de sa responsabilité est abusive, eu égard à son évidence.

***

A titre liminaire il est précisé que le développement de la SARL Matimo et de la SCI Jearlouise, dans le corps de leurs conclusions, portant sur la tromperie dolosive, est inopérant, à défaut pour ces dernières de s'être portées appelantes incidentes de la disposition du jugement les ayant débouté de leur demande fondée sur les dispositions des articles 1116 ancien et 1137 nouveau du code civil dans la mesure où elles se contentent de demander au dispositif de leurs dernières conclusions la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité délictuelle de Mme [R] au visa des articles 1382 ancien et 1240 nouveau du code civil.

Dans ces circonstances, le débat principal en dehors de la demande de garantie, ne portera que sur la faute délictuelle supposée commise par Mme [R] à l'endroit de la SARL Matimo et de la SCI Jearlouise.

$gt; sur la demande dirigée par la SARL Matimo contre Mme [R] au titre d'une faute délictuelle

La SARL Matimo qui est liée contractuellement par une promesse de vente puis par l'acte de vente avec Mme [R] ne peut rechercher la responsabilité délictuelle de cette dernière. D'ailleurs, elle fait état d'une négligence commise dans la remise des informations portant sur le bien litigieux déterminante de son engagement d'achat, expliquant qu'elle n'aurait pas contracté ou à un prix différent si elle avait eu connaissance que le bail commercial portant sur une partie du bien avait fait l'objet d'une procédure de renouvellement. Dans ces circonstances, la SARL Matimo est déboutée de sa demande d'indemnisation d'une faute délictuelle commise par Mme [R] en ce qu'elle est mal fondée.

$gt; sur la demande dirigée par la SCI Jearlouise contre Mme [R] au titre d'une faute délictuelle

Il est admis qu'un tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel, dès lors que ce manquement lui a causé un dommage

Dans ce cas il appartient à la SCI Jearlouise tiers à la vente entre Mme [R] et la SARL Matimo de rapporter la preuve que Mme [R] a commis une faute contractuelle à l'endroit du marchand de biens lui causant un préjudice.

En l'espèce, il ressort de la chronologie des faits que la SARL Matimo, qui exerce l'activité de marchand de biens, a proposé à la vente à M. [V] notaire, l'acquisition du bien litigieux appartenant à Mme [R] (profane et âgée de 83 ans) objet de la promesse de vente, deux mois après la signature de cette dernière, avant même la réitération de la vente à son profit au mois de septembre 2016.

Dans la perspective de la rédaction des actes (promesse et vente) la SCP de notaires Abitbol-Le Gall Abramczyk, a pris contact avec l'agence Orpi Cegit immo en charge de la gestion locative afin d'obtenir:

- les baux

- les dernières quittance de loyer

- l'état des lieux d'entrée des locataires .

L'agence a communiqué les éléments en sa possession et informé l'étude de notaire le 10 mars 2016 qu'elle n'avait repris la gestion que le 1er janvier 2010, qu'elle lui donnait dans ces circonstances les éléments en sa possession.

Par un nouvel envoi par courriel en date du 27 avril 2016, l'agence a envoyé à l'étude de notaires le bail commercial, à 17 h07 maître [J] [Y] a conclu, à réception de ce bail par courriel 'qu'aucun renouvellement n'a été fait ', ce à quoi l'agence a répondu à 17 h12 ' pour les renouvellements malheureusement je n'ai pas suivi ce dossier'.

C'est dans ces circonstances que la promesse de vente et l'acte de vente passés entre Mme [R] et la SARL Matimo ont été rédigés en intégrant la mention en page 5 de la promesse et en page 6 de l'acte de vente : 'le promettant déclare qu'il n'y a pas eu d'autres renouvellements depuis 1995".

Ces actes contrairement à ceux passés entre la SARL Matimo et la SCI Jearlouise ne contiennent pas la mention 'étant précisé que l'absence de renouvellement du bail commercial est déterminante du consentement de l'acquéreur'.

Outre le fait que la SARL Matimo et la SCI Jearlouise ne rapportent pas la preuve de la date à laquelle elles ont eu connaissance de l'existence d'une procédure de renouvellement du bail intervenue au mois de mai 2005, se contentant d'affirmer dans un accord écrit passé entre elles que l'agence Orpi Cegit leur a adressé l' acte portant demande de renouvellement le 26 octobre 2016, il n'est pas démontré que dans la relation entre Mme [R] et la SARL Matimo cet élément était déterminant de la vente, sinon en sa qualité de professionnel de l'immobilier il n'aurait pas manqué de le faire préciser dans les documents contractuels la liant à la venderesse. D'ailleurs la SARL Matimo (marchand de biens) n'a jamais tenté, lorsqu'elle a eu connaissance de ce fait juridique, de renoncer à cette vente étant observé qu'alors qu'elle en a fait l'acquisition au prix de 500 000 € elle l'a proposé à la vente deux mois plus tard au prix de 664 000 € en avançant l'argument au potentiel acheteur de la possibilité pour lui de faire déplafonner le loyer. Cette circonstance est établie par le contenu des actes passés entre la SARL Matimo et la SCI Jearlouise.

Il est toutefois établi que Mme [R] s'est dessaisie de l'acte d'huissier auprès de son gestionnaire puisque ce dernier a été communiqué par un tiers et non par elle. Par ailleurs, compte tenu de son âge et n'étant pas professionnelle de l'immobilier elle a pu avoir oublié le contenu d'un acte d'huissier reçu 11 ans plus tôt et ne pas mesurer l'importance de la mention y figurant aux termes de laquelle il n'y avait pas eu de renouvellement du bail commercial depuis 1995, dans la mesure où ce point n'était pas déterminant pour l'acheteur marchand de bien qui avait déjà revendu le bien deux mois plus tard en en majorant substantiellement le prix.

Il n'en demeure pas moins qu' il pesait sur elle l'obligation de communiquer à l'acheteur (la SARL Matimo) cette information, de sorte qu'elle a commis une faute dans l'exécution du contrat par négligence.

Des pièces propres au bail commercial litigieux, il ressort que la société SM Soissons (locataire) a demandé le 27 février 2017 le renouvellement du bail commercial, qu'au premier trimestre 2017 le loyer s'élevait à 564,32 € par mois pour le local commercial en rez-de-chaussée et l'habitation au 3ème étage, que la SCI Jearlouise a accepté le principe de renouvellement contre paiement d'un loyer annuel de 26 400 € par an soit 2 200 € par mois, que les parties au bail se sont rapprochées et ont conclu un nouveau bail le 19 juin 2017 ne portant que sur le rez-de- chaussée commercial et une cave contre paiement d'un loyer annuel de 10 800 € soit 900 € par mois. Il est également établi que la SCI Jearlouise a donné en location l'appartement contre paiement d'un loyer mensuel de 680 € par mois outre charges , de sorte que cette dernière perçoit depuis 2017, 18 960 € de loyers annuels pour les deux biens.

Se trouve également dans les pièces la copie d'un accord écrit passé entre la SARL Matimo et la SCI Jearlouise prévoyant le versement par la première à la seconde d'une indemnité de 100 000 € en cas de demande de renouvellement du bail par le preneur en 2017, que cette somme à été versée à hauteur de 70 000 € (paiement enregistré en compabilité) et par le versement d'un chèque de 30 000 € non encaissé au 12 novembre 2020.

La SCI Jearlouise qui ne démontre pas de façon certaine que la procédure de déplafonnement lui aurait permis de faire fixer le loyer à la somme de 26 400 € par an, ni que les loyers qu'elle perçoit à hauteur de 18 960 € par an ne sont pas conformes à la valeur locative, qui par ailleurs a perçu au moins 70 000 € au titre d'une supposée perte de chance de bénéficier d'un déplafonnement, ne justifie pas subir un préjudice en lien avec la faute contractuelle imputée à Mme [R], de sorte qu'elle est déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

$gt; sur la demande de garantie

La SARL Matimo et la SCI Jearlouise étant déboutées de leurs demandes dirigées à l'endroit de Mme [R], Mme [R] est déboutée de sa demande de garantie.

$gt; sur les demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive et pour résistance abusive

La SARL Matimo et la SCI Jearlouise qui succombent en leurs demandes indemnitaires sont déboutées de leur demande de dommages et intérêts pour résistance abusive.

Mme [R] qui a commis une faute contractuelle est mal fondée à demander paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive.

$gt; sur les demandes accessoires

La SARL Matimo et la SCI Jearlouise qui succombent majoritairement supportent in solidum les dépens de première instance et d'appel et sont condamnées in solidum à payer à Mme [R] la somme de 5 000 € au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel.

Maître [E] en charge d'assister Mme [R] dans la rédaction de la promesse de vente et de l'acte de vente et de vérifier les mentions à y intégrer en cas de doute, comme en l'espèce, dès lors que l'agence Orpi ne pouvait certifier de la situation de l'immeuble sur la question du renouvellement du bail, est déboutée de sa demande en paiement des frais irrépétibles par elle exposés pour se défendre dans le cadre de la demande de garantie et des dépens, dirigée contre Mme [R].

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire , rendu par mise à disposition au greffe,

confirme le jugement sauf en ce qu'il a :

- condamné Mme [R] à payer à la SARL Matimo la somme de 100.000 € à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;

- condamné Me [J] [E] à garantir Mme [R] pour le paiement de toute condamnation, et ce jusqu'à concurrence de la somme de 50.000 € ;

- condamné Mme [R] à payer à la SARL Matimo et à la SCI Jearlouise la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné Me [J] [E] à payer les entiers dépens, dont distraction au profit de Me Lefebvre, en vertu de l'article 699 du code de procédure civile.

Statuant des chefs infirmés et y ajoutant ;

- déboute la SARL Matimo de ses demandes dirigées contre Mma [C] [R] ;

-déboute en conséquence Mme [C] [R] de sa demande de garantie ;

- déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

- condamne in solidum la SARL Matimo et la SCI Jearlouise à payer à Mme [C] [R] la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamne in solidum la SARL Matimo et la SCI Jearlouise à supporter les dépens de première instance et d'appel.

Le Greffier,La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : Chambre Économique
Numéro d'arrêt : 20/00063
Date de la décision : 12/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-12;20.00063 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award