ARRET
N°
S.A.R.L. CABINET DE FIGUEIREDO
C/
[V]
VA/VB
COUR D'APPEL D'AMIENS
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU TROIS MAI DEUX MILLE VINGT DEUX
Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 21/00557 - N° Portalis DBV4-V-B7F-H7LO
Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BEAUVAIS DU VINGT HUIT JANVIER DEUX MILLE DIX NEUF
PARTIES EN CAUSE :
S.A.R.L. CABINET DE FIGUEIREDO agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Renaud DEVILLERS, avocat au barreau de BEAUVAIS
Ayant pour avocat plaidant Me Claudina FERREIRA, avocat au barreau de PARIS
APPELANTE
ET
Monsieur [S] [V]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 4]
Assigné à domicile le 24/03/2021
INTIME
DÉBATS & DÉLIBÉRÉ :
L'affaire est venue à l'audience publique du 01 mars 2022 devant la cour composée de M. Pascal BRILLET, Président de chambre, M. Vincent ADRIAN et Mme Myriam SEGOND, Conseillers, qui en ont ensuite délibéré conformément à la loi.
A l'audience, la cour était assistée de Mme Vitalienne BALOCCO, greffier.
Sur le rapport de M. [Y] [U] et à l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré et le président a avisé les parties de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 03 mai 2022, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
PRONONCÉ :
Le 03 mai 2022, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par M. Pascal BRILLET, Président de chambre, et Mme Vitalienne BALOCCO, greffier.
*
* *
DECISION :
La Sarl Cabinet de courtage de Figueiredo, courtier 'toutes assurances', installé à [Localité 3] (95), a conclu avec M. [V], demeurant à [Localité 4] (60), un 'contrat d'agrément d'agent mandataire', se définissant comme 'un mandat d' intérêt commun' soumis au code civil, par acte du 3 mai 2010, puis par acte du 6 septembre 2010.
Les relations entre les parties se sont dégradées et une rupture est intervenue en janvier 2011. Le 17 janvier 2011, M. [V] exprimait sa volonté de ne pas poursuivre sa collaboration compte tenu de son état de santé et de la perte de confiance intervenue entre les parties.
Par courriers du conseil du Cabinet de courtage de Figueiredo des 25 janvier2011 et 5 avril 2011, M. [V] a été sommé de cesser de démarcher les clients du Cabinet.
Par ordonnance de référé du 5 janvier 2012, à la demande de la société, il a été enjoint à M. [V] de cesser 'l'activité litigieuse de courtier en assurances', 'dans le secteur géographique de l'Ile de France et de l'Oise' sous astreinte de 500 € par infraction constatée et ce jusqu' au 18 avril 2012 et celui-ci a été condamné à la somme de 3 000 € à titre de provision à valoir sur l'indemnisation des actes de concurrence déloyale commis.
Puis, par acte du 5 janvier 2017, la société a assigné son ancien mandataire, M. [V], devant le tribunal de grande instance de Beauvais aux fins de condamnations :
- 6 000 € au titre du préavis de 3 mois non respecté,
-71 859 € en réparation des actes contraires à la clause de non-concurrence et des actes de concurrence déloyale,
-3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal dans son jugement contradictoire du 28 janvier 2019 a :
- débouté la société de la demande faite au titre du préavis, faute de préjudice,
-annulé la clause de non-concurrence insuffisamment limitée au regard des critères jurisprudentiels,
-reçu l'action au titre de la responsabilité délictuelle de droit commun pour concurrence déloyale,
-réduit l'indemnisation du préjudice aux sommes de 4 082, 69 € en reparation du préjudice financier et 3000 € pour le préjudice commercial,
-alloué 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Cabinet de courtage de Figueiredo a relevé appel de ce jugement.
M. [V] n'a pas constitué intimé devant la cour. La société a signifié sa déclaration d'appel le 24 mars 2021 (à domicile, à [Localité 4] (60)) et ses conclusions le 14 mai 2021 (en étude, même adresse). L'arrêt sera rendu par défaut.
La cour se réfère aux uniques conclusions de la société Cabinet de courtage de Figueiredo signifiées le 14 mai 2021 et déposées au greffe le 21 avril 2021, laquelle y sollicite l'infirmation du jugement et y reprend ses demandes de première instance.
L'instruction a été clôturée le 6 octobre 2021.
MOTIFS
1. Sur le non-respect du préavis.
La Sarl Cabinet de courtage de Figueiredo a été déboutée en première instance de sa demande, reprise en appel, de voir condamner M. [V] à lui payer la somme de 6000 € pour non respect du préavis prévu au contrat.
Le contrat intitulé 'contrat d'agrément d'agent mandataire', pièce 1, conclu entre les parties le 6 septembre 2020, pour une durée indéterminée à compter du 18 janvier 2010, prévoyait qu'il pouvait être résilié à tout moment 'sans indemnité compensatrice' par l'une ou l'autre des parties 'avec préavis de trois mois au moyen d'une lettre recommandée avec accusé de réception'. Il était donc bien prévu un préavis à respecter par le mandataire.
Il n'est pas exact de soutenir que la société n'a pas fait pas valoir de préjudice spécifique lié à la brutalité de la rupture et à la difficulté de trouver rapidement un successeur à M. [V], car celle-ci s'en plaint dès son courrier du 25 janvier 2011 qui acte la volonté de rupture exprimée par M. [V] dans son courrier du 17 janvier 2011 (pièces 3, 4 et 5).
En outre, il n'est pas douteux que le démarchage illicite des clients du cabinet auquel a procédé M. [V] a commencé immédiatement après, sinon avant, la ruptude du 17 janvier 2010.
Le cabinet s'en plaint dès la lettre de son Conseil du 25 janvier 2011 et plusieurs des lettres de clients produites par le cabinet, notamment celles de [M] [R] et [C] [R], indiquent un démarchage par M. [V] au 19 janvier 2011. Le grief est repris avec force dans le courrier du 5 avril 2011 et a donné lieu à l'assignation en référé du 26 octobre 2011.
L'exécution loyale du préavis aurait retardé cette concurrence déloyale et aurait permis aux parties de se rencontrer en vue de plus de loyauté dans l'aménagement de la rupture.
Il est donc excessif de conclure, comme l'a fait le premier juge, à l'absence totale de préjudice et cette faute de M. [V] mérite d'être réparée par l'allocation d' une somme de 3000 € de dommages et intérêts au regard d' un flux mensuel de commissions brutes de l'ordre de 4 000 € à 6000 € par mois.
Le jugement sera infirmé en ce sens.
2. Sur la clause de non-concurrence et sur le fondement de la demande de dommages et intérêts pour concurrence illicite.
La clause de non-concurrence (article VII) est ainsi rédigée :
'Pendant toute la durée du contrat et jusqu'à l'issue d' une période d'un an à compter de la cessation de celui-ci, pour quelque cause que ce soit, le mandataire s'interdit de représenter, directement ou indirectement, tout produit concurrent de ceux visés au présent contrat.
De même, pendant toute la durée du contrat jusqu' à l'issue d'une période d'un an à compter de la cessation de celui-ci, le Mandataire n'a pas le droit d'effectuer pour son propre compte des opérations commerciales qui pourraient faire concurrence à celles de ce dernier et ceci dans le secteur géographique de l'Ile de Ftrance et de l'Oise.
Le mandataire s'interdit expressément de se mettre en rapport pendant deux ans, avec tout demandeur de garanties ou client de son ex-entreprise Mandante, même à l'intitative de ces derniers, pour le placement direct ou indirect et même à titre d'indicateur d'affaire d'assurance de la catégorie de celle pour la réalisation desquelles il avait été mandaté.
Ces clauses peuvent être suspendues avec l'accord exprès de son Mandant'.
Par comparaison, l'article L. 134-14 du code de commerce, applicable aux agents commerciaux, auquel se réfère le Cabinet pour soutenir le caractère proportionné de la clause, dispose que le contrat peut contenir une clause de non concurrence pour une période deux ans maximum, laquelle doit 'concerner le secteur géographique et, le cas échéant, le groupe de personnes confiés à l'agent commercial ainsi que le type de biens ou de services pour lesquels il exerce la représentation aux termes du contrat'.
La juridiction d'appel ne peut suivre l'appelant dans sa demande de validation de cette clause et devra, par adoption de motifs, confirmer la décision d'annulation prise par le tribunal.
Par exemple, en application de l'article L. 134-14, il a été jugé qu' "Il ne peut y avoir violation d'une clause de non concurrence, dès lors que cette clause, qui interdit l'exercice d'une activité concurrente dans un rayon de 100 kilomètres autour du secteur géographique de l'agent commercial, ne précise pas quel est ce secteur et que l'insuffisance de cette clause muette sur l'étendue du secteur de l'agent n'est pas palliée par le fait que l'agent ne pouvait que connaitre son secteur (CA Angers, ch. com., 6 avr. 2012, [G] [H] c/ [N] [T] : JurisData n° 2012-030227; Source Lexis 360 Intelligence - JurisClasseur Contrats - Distribution - Encyclopédies - Fasc. 3500, AGENTS COMMERCIAUX. ' Contrat d'agence).
En l'espèce, l'avenant du 3 mai 2010 précise que M. [V] exerce son activité sur 'tous les secteurs et départements de France', ce qui interdit en pratique l'installation dans une autre région dans le même domaine professionnel.
Par ailleurs le mandat vise toutes les formes 'd'opérations relatives à (la) profession d'agent mandataire d'assurances'.
La clause de non-concurrence litigieuse renvoie bien à cette généralité: 'tout produit concurrent de ceux visés au présent contrat'...'des opérations commerciales qui pourraient faire concurrence à celles (du mandant)'.
La clause interdit donc bien en pratique au mandataire de se réinstaller dans le même métier sur la totalité du territoire.
C'est donc à bon droit que le premier juge l'a estimée dépouvue de limites proportionnées à la protection des intérêts légitimes du mandant et l'a annulée.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Il sera confirmé également, néanmoins, en ce qu'il a examiné la responsabilité de M. [V] sur le fondement de la responsabilité délictuelle, article 1382 du code civil ancien ou 1240 nouveau, au titre de l' obligation générale de ne pas faire concurrence de manière déloyale à son ancien employeur au sens large.
C'est à bon droit, en effet, que le premier juge a retenu que l'absence de clause contractuelle de non concurrence ne dispensait pas le mandataire de s'abstenir de faire un usage excessif de sa liberté d'entreprendre en recourant à des procédés contraires aux règles et usages (dénigrement, confiscation, désorganisation, parasitisme économique) de nature à occasionner un préjudice à son ancien mandant.
3. Sur le préjudice indemnisable.
Le tribunal dans son jugement du 28 janvier 2019 a réduit l'indemnisation du préjudice aux sommes de 4 082, 69 € en reparation du préjudice financier et de 3000 € pour le préjudice commercial.
La société reprend sa demande de première instance: allocation d' une somme de 71 859 € de dommages et intérêts 'en réparation du préjudice financier et commercial ainsi qu'il résulte des justificatifs produits aux débats (pièces 9 et 41).'
Il n' y pas d'autre analyse ou précision, cf. conclusions page 16, alors que la société est en appel et que le premier juge a esquissé une analyse de ses pièces, page 7, qui est rejetée, sans détail, par la société.
La cour se retrouve en réalité devant la même difficulté que le premier juge, à savoir le défaut d'analyse des éléments du préjudice allégué, alors que la charge de la preuve pèse sur le Cabinet de courtage de Figueiredo.
Aucune baisse de chiffre d'affaire n'est justifiée par des documents de comptablité ou par une attestation d'expert-comptable, ni même indiquée.
La pièce 9 est un long listing de plusieurs pages intitulé 'bordereau de commissions' versées par la société Aviva Assurances au Cabinet de courtage de Figueiredo à compter de décembre 2020 jusqu'au mois d'octobre 2011. Sur certaines pages des noms sont soulignés en rose sans que la juridiction ne voit la différence avec les autres noms, et sans la moindre explication.
La pièce 41 est une liasse de plusieurs dizaines de courriers, sans commentaires, ni récapitulation, dont la plupard sont des documents internes aux relations de la société AMIS, compagnie d'assurances, et de la société Cabinet de courtage de Figueiredo, indiquant des défauts de paiement de primes, des résiliations, des modifications de contrat, qu'on suppose intrervenus au préjudice du Cabinet de courtage de Figueiredo àla suites de démarchages illicites de M. [V], mais sans que cela ne soit formellement établi, ni même explicitement indiqué.
Cette pièce donne une idée des troubles substantiels provoqués par la concurrence déloyale exercée par M. [V] rapportés aux courriers de clients produits par la société.
Les actes de démarchage eux-mêmes ne sont en effet pas contestables au regard des nombreux courriers de clients ou d'anciens clients produits par le Cabinet de courtage de Figueiredo (pièces 23, 24, 25, 26, 27, 28 à confronter avec la liasse de documents produite en pièce 41) qui mentionnent un démarchage de M. [V] aux fins de signatures d' un nouveau contrat, avec ou sans la résiliation du précédent contrat, avec en outre des pratiques abusives: signatures de documents en blanc, ouvertures de nouveaux contrats faisant double-emploi, imitation de signatures, lettres types de résiliation (pièces 3à à 40); lesquels, toutefois, ne dépassent pas la période d'octobre 2011.
Il ne peut être nié un préjudice d'ampleur plus importante que celui retenu par le premier juge.
En l'état de ces éléments, il convient de fixer le préjudice subi par le cabinet à la somme de 15 000 € y compris le préjudice commercial ou d'image.
Le jugement entrepris sera infirmé en ce sens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par défaut, en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Beauvais le 28 janvier 2019 en ce qu'il a annulé la clause de non concurrence insérée au contrat de mandat de M. [V] et sur les dépens et les frais irrépétibles,
Infirme le jugement en ce qu'il a débouté la société Cabinet de courtage de Figueiredo de sa demande faite au titre du non-respect du préavis et et en ce qu'il a limité l'indemnisation du préjudice de concurrence déloyale à la somme de 7 082, 69 €,
Statuant à nouveau sur ces deux points,
Condamne M. [V] à payer à la société Cabinet de courtage de Figueiredo la somme de 3 000 € au titre du non-respect du préavis et la somme de 15 000 € au titre de sa responsabilité délictuelle pour actes de concurrence déloyale,
Condamne M. [V] aux entiers dépens d'appel et à payer une somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile à la société Cabinet de courtage de Figueiredo.
LE GREFFIERLE PRESIDENT