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03/05/2022 | FRANCE | N°20/01517

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 1ère chambre civile, 03 mai 2022, 20/01517


ARRET







SELARL AJILINK LABIS [H]





C/



[U]























































































VA/VB





COUR D'APPEL D'AMIENS



1ERE CHAMBRE CIVILE



ARRET DU TROIS MAI DEUX MILLE VINGT

DEUX





Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 20/01517 - N° Portalis DBV4-V-B7E-HVYL



Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE SOISSONS DU VINGT SEPT FEVRIER DEUX MILLE VINGT





PARTIES EN CAUSE :



SELARL AJILINK LABIS [H] anciennement dénommée S.E.L.A.R.L. [H] au capital de 50.000 €, immatriculée au RCS de MEAUX agissant poursuites et d...

ARRET

SELARL AJILINK LABIS [H]

C/

[U]

VA/VB

COUR D'APPEL D'AMIENS

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU TROIS MAI DEUX MILLE VINGT DEUX

Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 20/01517 - N° Portalis DBV4-V-B7E-HVYL

Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE SOISSONS DU VINGT SEPT FEVRIER DEUX MILLE VINGT

PARTIES EN CAUSE :

SELARL AJILINK LABIS [H] anciennement dénommée S.E.L.A.R.L. [H] au capital de 50.000 €, immatriculée au RCS de MEAUX agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me DEFER substituant Me Franck DERBISE de la SCP LEBEGUE DERBISE, avocats au barreau d'AMIENS

Plaidant par Me HERVÉ substituant Me Yves Marie LE CORF, avocats au barreau de PARIS

APPELANTE

ET

Monsieur [K] [U]

né le 16 Mai 1959 à [Localité 6] ([Localité 6]) ([Localité 6])

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Gonzague DE LIMERVILLE de la SCP CROISSANT DE LIMERVILLE ORTS, avocat au barreau d'AMIENS

Plaidant par Me Bernard RAPP, avocat au barreau de LILLE

INTIME

DÉBATS & DÉLIBÉRÉ :

L'affaire est venue à l'audience publique du 01 mars 2022 devant la cour composée de M. Pascal BRILLET, Président de chambre, M. Vincent ADRIAN et Mme Myriam SEGOND, Conseillers, qui en ont ensuite délibéré conformément à la loi.

A l'audience, la cour était assistée de Mme Vitalienne BALOCCO, greffier.

Sur le rapport de M. [G] [L] et à l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré et le président a avisé les parties de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 03 mai 2022, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

PRONONCÉ :

Le 03 mai 2022, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par M. Pascal BRILLET, Président de chambre, et Mme Vitalienne BALOCCO, greffier.

*

* *

DECISION :

En février 2011, la SAS Seler Industry, entreprise de métallisation, vernissage et découpe de films plastiques, représentée par son président M. [S] [V], embauchait M. [K] [U] en qualité de directeur de son site de production situé [Adresse 5].

Le 10 mars 2014, l'entreprise, employant 8 salariés et faisant un chiffres d'affaires de 690 000 € par an, était placée par le tribunal de commerce de Meaux en redressement judiciaire avec la Selarl Garnier et [X] comme mandataire judiciaire et la Selarl [H] (Maître [F] [H]) comme administrateur judicaire avec mission d'assistance.

Le 15 mars 2014, quelques jours après, M. [U] demandait à M. [V] la régularisation d'un arriéré de salaire 'depuis janvier 2012" entre un salaire de 4 677, 63 € et un salaire dû de 6 250 € (pièce [U] 20).

Selon attestation sur l'honneur datée du 20 mars 2014, M. [S] [V] reconnaissait avoir diminué le salaire de M. [U] en ces termes :

'avec son accord depuis 24 mois afin d'essayer de passer un cap difficile de trésorerie. Son salaire brut mensuel est passé de 6250 € à 4677, 63 € depuis le 1er janvier 2012. Hors (sic) en janvier 2014 Mr [U] nous a demandé de lui rembourser cet arriéré. Ne pouvant pas faire face à cette demande ainsi qu'à d'autres dettes, nous nous retrouvons en redressement judiciaire à ce jour.'

Le 6 juin 2014, M. [U] est reçu en entretien pour un licenciement économique.

Le même 6 juin 2014, M. [U] réitérait par écrit sa demande auprès de M. [V] de voir régulariser son arriéré de salaire, 47 171, 10 € à fin juin 2014 (pièce [U] 21), avec copie à l'étude de Maître [H] (M. [P]) le 14 juin (pièce Cabboter 13).

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 juin 2014, M. [U] faisait l'objet d'un licenciement économique sous la signature de Maître [H], avec dispense d'exécuter le préavis de 3 mois.

Le 17 juin 2014, Maître [H] demandait à M. [V] ses observations sur la réclamation de M. [U] (pièce [H] 13).

Le 3 juillet 2014, lui était soumis un solde de tout compte établi sur la base d'un salaire de 4 578, 09 € par mois.

Le 11 septembre 2014, M. [U] exprimait à M. [V] son refus de signer son solde de tout compte au motif qu'il n'était pas tenu compte de son véritable salaire contractuel de 6250 € ni de son droit à un arriéré de salaire, reconnu par M. [V], soit à fin mai un arriéré de 44 378, 82 €.

Peu après, par requête de son Conseil, Maître [B], M. [U] saisissait le conseil de prud'hommes de Meaux aux fins de convocation de la Selarl [H] et de la Selarl Garnier et [X] et aux fins de voir condamner la Selarl Garnier et [X] es qualité de mandataire judiciaire au paiement des sommes de 53 983, 69 € au titre de régularisation des sommes dues et de 10 000 € au titre d' un préjudice moral.

Entre temps, la société était placée en liquidation judiciaire, par jugement du tribunal de commerce de Meaux du 15 décembre 2014, avec maintien des organes de la procédure, Maître [H] comme administrateur judicaire et la Selarl Garnier et [X] comme mandataire liquidateur, et maintien de l'activité jusqu' au 31 décembre 2014.

Le 14 juin 2016, Maître [X] adresse à M. [U] une lettre et un chèque lui indiquant que sur une créance salariale brute de 89 203, 99 €, le CGEA prend en charge un montant brut de 75 096 € et que 'la différence de 11 709, 20 € sera inscrite au titre de l'article L.641-13 du code de commerce de SELER INDUSTRY, ce qui signifie que ce montant ne vous sera payé qu'en fonction des sommes recouvrées dans le cadre de la liquidation judiciaire'.

Cette situation ne satisfera pas M. [U].

Par courrier, le 25 octobre 2016, il écrit à la Selarl [H] pour lui exprimer qu' à son avis sa responsabilité est engagée :

-ses créances relevaient du super-privilège puisqu'elles étaient soit antérieures au jugement d'ouverture, soit postérieures à celui-ci,

-'Il relevait de votre responsabilité d'administrateur de veiller à ce que la trésorerie correspondante subsiste dans les caisses de SELER INDUSTRY...avant même les frais de justice...sans recours à l'AGS si la trésorerie le permet'.

Par acte des 11 et 16 janvier 2018, M. [U] a attrait devant le tribunal de grande instance de Soissons la Selarl [H] aux fins de la voir condamner à lui payer la somme de 11 709, 20 € avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure à titre de dommages et intérêts à raison de la faute ainsi caractérisée.

Par jugement du 27 février 2020, dont la Selarl a relevé appel, le tribunal judiciaire de Soissons a fait droit à sa demande.

La cour se réfère aux dernières conclusions des parties par visa et exposera dans ses motifs les moyens des parties.

Vu les conclusions n° 6 notifiées par la Selarl Ajilink Labis [H] le 27 janvier 2022 sollicitant l'infirmation du jugement, le rejet des demandes formées par M. [U] et la somme de 6000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu les conclusions n°5 récapitulatives notifiées par M. [U] le 28 décembre 2021 sollicitant la confirmation du jugement et l'allocation d'une somme de 6 000 € au titre des frais irrépétibles.

L'instruction a été clôturée le 2 février 2022.

MOTIFS

M. [U] ne conteste pas la pertinence du plafond (le plafond 6 de l'article D.3253-5 du code du travail) qui lui a été appliquée par le mandataire judiciaire devenu liquidateur de l'entreprise à la suite du CGEA. Il reproche à Maître [H] d'avoir joué en quelque sorte sur le temps pour que les sommes qui lui étaient dues ne soient payées que par l'AGS, et non par les fonds de l'entreprise, à l'époque suffisants, comme il aurait dû le faire dès sa connaissance de la revendication salariale de celui-ci.

Sa demande est fondée sur l'article 1240 du code civil.

Plus précisément, M. [U] soutient :

-que la totalité des sommes dont il se prétendait créancier à bon droit (le rattrapage de la réduction arbitraire de son salaire, en termes de rappels de salaires antérieurs au jugement d' ouverture, les rattrapages sur les salaires postérieurs au jugement d'ouverture, les incidences sur les congés payés et sur le calcul de l'indemnité de licenciement), comme le succès de sa procédure prud'homale le démontre, étaient payables immédiatement sur la trésorerie de l'entreprise,

-que le dirigeant de l'entreprise était d'accord avec ce paiement, la preuve en est sa pièce 4: l'attestation du 20 mars 2014 rédigée par M. [V] lui-même,

-que la faute de l'administrateur consiste à avoir 'mobilisé des fonds AGS pour payer des sommes qu'il aurait dû faire régler avec la trésorerie de la société qui disposait de ces fonds' (page 8),

-que l'entreprise disposait des fonds, cf. pièces 12 et 13: prévisionnels de trésorerie de janvier à décembre 2014,

- il en conclu à une 'astuce' de sa part, 'puisque c'est son métier', 'pour optimiser la trésorerie d'une société qui vient d'être placée en redressement judiciaire' (idem, page 8),

-il doit assumer la responsabilité de ce procédé dans la mesure où il a été 'le seul acteur de l'opération de licenciement' d'ailleurs en parfaite irrégularité, car sa mission d'assistance devait conduire à faire co-signer les actes relatifs à ce licenciement,

-c'est lui qui a commandé au mandataire judiciaire la régularisation des bordereaux AGS, et il n'y a pas à opposer à son action le fait que ce soit le mandataire judiciaire qui régle matériellement les fonds pendant la période d' observation.

-il conclut à un 'choix tacticien et anormal' qui lui incombe en totalité.

La Selarl [H] oppose à cette thèse les arguments suivants :

-il n'est pas établi que Maître [H] avait connaissance de la revendication salariale de M. [U] avant sa saisine du conseil de prud'hommes,

-des pièces versées aux débats, il ressort que l'attitude de M. [V] n'a pas été clairement en faveur de la satisfaction de la revendication salariale,

-en réalité, la créance salariale n'est devenue certaine que par la décision du conseil de prud'hommes, le 18 avril 2016,

-il n'appartenait pas à l'administrateur judicaire de trancher le différend existant entre l'employeur et le salarié, ni de se substituer par avance à la décision de la juridiction prud'homale.

La juridiction d'appel ne pourra faire droit à la demande de M. [U] et devra infirmer le jugement entrepris.

En premier lieu, il convient de relever, comme le soutient M. [U], qu' il n'est pas douteux que Maître [H] ait eu connaissance avant le licenciement et avant la présentation le 3 juillet 2014 du solde de tout compte de la réclamation salariale de M. [U].

Selon l'attestation du 20 mars 2014, la réclamation avait été faite dès janvier 2014. M. [U] était le directeur d'usine et le seul visé par un projet de lienciement. Dès le lendemain de l'ouverture de la procédure, le 15 mars 2014, à la demande, nécessairement de M. [U], M. [V] rédigeait une attestation en faveur de son directeur d'usine. L' administrateur judiciaire a nécessairement des liens avec le dirigeant et reçoit les informations par celui-ci, au premier chef sur les problèmes en cours, dont nécessairement celui-ci.

Plus certainement encore, il est établi que le 6 juin 2014, M. [U] réitérait par écritsa demande auprès de M. [V] de voir régulariser son arriéré de salaire, 47 171, 10 € à fin juin 2014, et que ce courrier a été envoyé en copie à l'étude de Maître [H] (à l'attention de M. [P] qui gérait le dossier à l'étude) le 14 juin (pièces [U], 20, 21 et 22). Or, le 17 juin 2014, selon la pièce [H] 13, Maître [H] demandait à M. [V] ses observations sur la réclamation de M. [U], dont la réponse n'est pas connue.

Il est donc désormais bien certain que l'administrateur judicaire, quoiqu'il en ait dit, avait connaissance de la revendication, au plus tard au mois de juin 2014. Ce point ne plus être discuté et doit être admis.

En deuxième lieu, il faut accepter de reconnaître, comme le soutient encore M. [U], que Maître [H] a entendu prendre en mains la question de son licenciement. C'est lui seul qui demande l'autorisation au juge-commissaire et lui seul qui signe la lettre de licenciement (on ignore qui a fait l'entretien de licenciement, le compte rendu d'entretien étant muet sur ce point). Il doit assumer en effet la responsabilité d'une éventuelle faute dans le paiement des sommes dues.

Toute la question est donc de savoir si l'administrateur judicaire, dont la responsabilité personnelle est recherchée, devait, dans ces circonstances, soit payer immédiatement M. [U] selon sa réclamation appuyée par l'attestation du 20 mars 2014, soit provisionner ou demander à M. [V] de provisionner les fonds nécessaires pour en assumer la charge.

Sur ce troisième point, la cour ne peut suivre le raisonnement de M. [U].

Il est certain que l'attitude de M. [V] a été au moins ambigüe, sinon duplice.

Dans un courriel du 19 mars 2018 adressé à Maître [H], dans le cadre de l'action intentée à son endroit, M. [V] écrit que :

'Mon point de vue est que M. [U] ne nous a jamais pendant la période où le salaire a été diminué, demander de lui payer la différence.

La diminution de salaire s'étant fait comme un accord pour tenter de sauver la société et diminuer les charges. Mon salaire a d'ailleurs été diminué (...).

Lors du licenciement de M. [U], je n'ai pas pu demander à M [H] de lui payer la différence de salaire, car notre objectif était toujours le même, sauver la société en conservant notre trésorerie.'

Cette version correspond aux pièces versées aux débats.

L'attestation du 20 mars 2014 est éminemment ambigüe. M. [S] [V] reconnait avoir diminué le salaire de Mr [U] 'avec son accord depuis 24 mois afin d'essayer de passer un cap difficile de trésorerie. Son salaire brut mensuel est passé de 6250 € à 4677, 63 € depuis le 1er janvier 2012. Hors en janvier 2014 Mr [U] nous a demandé de lui rembourser cet arriéré. Ne pouvant pas faire face à cette demande ainsi qu'à d'autres dettes, nous nous retrouvons en redressement judiciaire à ce jour. Ainsi, nous sollicitons votre aide pour perndre en charge cette perte notoire de salaire '.

Il est question d' un 'accord', d'une 'demande', d'une 'impossibilité de faire face', il est demandé une 'aide' pour faire face à une 'perte notoire'. Il n'est pas reconnu expressément une dette juridique.

Aucune des deux lettres de réclamation de M. [U] n'a, selon les pièces versées au débats, reçu de réponse de M. [V] et l'interrogation faite par l' administrateur judicaire le 17 juin 2014 (pièce [H] 13 précitée) est, elle aussi, sans réponse dans les pièces versées aux débats.

Finalement, toute la thèse de M. [U] repose sur l'attestation du 20 mars 2014, mais celle-ci est insuffisante pour faire admettre que M. [V] était en faveur d' un réglement sur les fonds de l'entreprise.

Il serait ainsi excessif d'estimer dans ces conditions que l' administrateur judicaire devait prendre sur lui de faire régler par le mandataire judiciaire la totalité de la réclamation salariale ou de faire provisionner la somme, sans attendre le résultat de l'instance prud'homale.

La question était litigieuse.

Le jugement doit donc être infirmé. L'action de M. [U] ne peut être reçue.

Au regard des circonstances du litige, il apparaît équitable d'accorder une somme de 2 000 € à la Selarl Ajilink Labis [H] ayant succédé à la Selarl [H] en indemnisation partielle de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en dernier ressort,

Infirme le jugement rendu le 27 février 2020 par le tribunal judiciaire de Soissons en toutes ses dispositions,

Rejette l'action en responsabilité exercée par M. [K] [U],

Condamne M. [K] [U] aux dépens de première instance et d'appel et à payer une somme de 2 000 € à la Selarl Ajilink Labis [H] en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des deux instances.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 20/01517
Date de la décision : 03/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-03;20.01517 ?
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