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27/02/2006 | FRANCE | N°JURITEXT000006948268

France | France, Cour d'appel d'Amiens, Ct0140, 27 février 2006, JURITEXT000006948268


ARRET No S.A.R.L. SADAS C/ SA SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR Mo./KF COUR D'APPEL D'AMIENS CHAMBRE SOLENNELLE ARRET DU 27 FEVRIER 2006 RG :

04/02912 TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LILLE DU 16 novembre 2000 COUR D'APPEL DE DOUAI DU 30 septembre 2002 RENVOI CASSATION DU 28 avril 2004

La Cour, composée ainsi qu'il est dit ci-dessous, statuant sur l'appel formé contre le jugement du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LILLE DU 16 novembre 2000 (sur renvoi qui lui en a été fait par la Cour de Cassation), après en avoir débattu et délibéré conformément à la Loi, a rendu entre les par

ties en cause la présente décision en son audience publique du 27 Févr...

ARRET No S.A.R.L. SADAS C/ SA SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR Mo./KF COUR D'APPEL D'AMIENS CHAMBRE SOLENNELLE ARRET DU 27 FEVRIER 2006 RG :

04/02912 TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LILLE DU 16 novembre 2000 COUR D'APPEL DE DOUAI DU 30 septembre 2002 RENVOI CASSATION DU 28 avril 2004

La Cour, composée ainsi qu'il est dit ci-dessous, statuant sur l'appel formé contre le jugement du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LILLE DU 16 novembre 2000 (sur renvoi qui lui en a été fait par la Cour de Cassation), après en avoir débattu et délibéré conformément à la Loi, a rendu entre les parties en cause la présente décision en son audience publique du 27 Février 2006. PARTIES EN CAUSE APPELANTE S.A.R.L. SADAS, "prise en la personne de ses représentants légaux pour ce domiciliés audit siège" 216 rue Winoc Chocquel 59200 TOURCOING Représentée et concluant par la SCP MILLON-PLATEAU, avoués à la Cour et plaidant par Maître BERTRAND de la SELARL BERTRAND etamp; ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS. ACTE INITIAL : DECLARATION DE SAISINE du13 juillet 2004

ET : INTIMEE SA SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR, "prise en la personne de ses représentants légaux pour ce domiciliés audit siège" Zone Industrielle 1ère Avenue 4989 M 06517 CARROS Représentée et concluant par la SCP TETELIN MARGUET ET DE SURIREY, avoués à la Cour et plaidant par Me Christian HOLLIER-LAROUSSE, avocat au barreau de PARIS. COMPOSITION DE LA COUR : La Cour, Première et Quatrième Chambres Civiles Réunies lors des débats et du délibéré : Président :

Brieuc de MORDANT de MASSIAC, Président de Chambre, faisant fonctions de Premier Président, Assesseurs : Mme SCHOENDOERFFER, Président de Chambre,

M. X..., Mme Y..., Mme LORPHELIN, Conseillers, La Cour, Première et Quatrième Chambres Civiles Réunies, lors du prononcé: Président :

Brieuc de MORDANT de MASSIAC, Président de Chambre, faisant fonctions de Premier Président, Assesseurs : M. Z..., Mme SCHOENDOERFFER, Présidents de Chambre,

M. A..., Mme FLORENTIN, Conseillers, Madame Agnès B..., Greffier, désignée conformément aux dispositions de l'article 812-6 du Code de l'Organisation Judiciaire en remplacement du Greffier en Chef empêché, a assisté la Cour lors des débats, puis lors du prononcé. * * *

PROCEDURE DEVANT LA COUR

Dans un litige opposant la SA SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR à la SARL SADAS, et sur le pourvoi de la seconde, la cour de cassation a cassé et annulé, le 28 AVRIL 2004, en toutes ses dispositions, un arrêt de la cour d'appel de DOUAI du 30 SEPTEMBRE 2002 et a renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel d'Amiens dans l'état où celles-ci se trouvaient avant l'annulation intervenue.

La SARL SADAS a repris la procédure dans les conditions et délais prévus par les articles 1032 et suivants du Nouveau Code de procédure civile et a conclu en demande (A.S du 13 juillet 2004 ; conclusions des 13 septembre 2004, 24 janvier 2005, 25 avril 2005).

La SA SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR a conclu (Conclusions des 6 décembre 2004, 1er mars 2005, 29 avril 2005).

Après clôture de la mise en état, l'affaire a été fixée au 14 novembre 2005 pour plaidoirie (O.C du 14 juin 2005).

Les parties et leurs conseils ont été régulièrement avisés pour cette date, dans les formes et délais prévus par la loi.

Le jour dit, l'affaire a été appelée en audience publique et solennelle. Après avoir successivement entendu le conseiller

rapporteur en son rapport, les avoués et avocats des parties en leurs demandes fins et conclusions, la cour a mis l'affaire en délibéré et indiqué aux parties que l'arrêt serait rendu le 27 février 2006 par mise à disposition de la copie au Greffe.

Après en avoir délibéré conformément à la loi, la cour a rendu la présente décision à la date indiquée.

DECISION

Faits, procédures, demandes en appel La SA SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR a déposé, auprès de l'INPI de Nice : le 22 janvier 1993, sous le numéro 93452561, la marque MORRIS SPORTSWEAR PRESENTE STREET GAMES pour la catégorie 25 (vêtements), et, le 21 juillet 1995, sous le numéro 95579678, la marque STREET GAMES BY SPORAZUR pour la catégorie 25 (vêtements). Les 22 et 26 mars 1999, elle a fait constater, par procès-verbal de saisie contrefaçon, que la SARL SADAS proposait à la vente par correspondance, dans un catalogue VERT BAUDET, pour l'automne hiver 1996/1997, des vêtements (sweats et combinaisons pour jeunes enfants) portant la marque STREET Game. Estimant que la SARL SADAS s'était rendue coupable de contrefaçon de marque à son préjudice, la SA SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR a assigné celle-ci, le 11 avril 1997, devant le tribunal de grande instance de Lille, en vue de la faire condamner au paiement de 2.000.000 francs de dommages intérêts, de lui faire interdire sous astreinte de poursuivre la commercialisation de tels produits et d'obtenir publication du jugement de condamnation. Par jugement du 16 novembre 2000, le tribunal de grande instance a fait droit à la demande. Estimant que la SARL SADAS s'était rendue coupable de contrefaçon par reproduction de marque, le tribunal a condamné cette société au paiement de 300.000 francs (45.735 euros) de dommages intérêts, à l'interdiction, sous astreinte de 1.000 francs par jour, de toute commercialisation de vêtements sous la marque STREET Game, à la

publication de la décision, au paiement de 10.000 francs (1.525 euros) au titre de l'article 700 NCPC. Le tribunal a ordonné, en outre, l'exécution provisoire de sa décision. Sur appel de la société SADAS et par arrêt du 30 septembre 2002, estimant qu'il s'agissait d'une imitation créant un risque de confusion et non pas d'une reproduction de marque, la cour d'appel de Douai a confirmé, par substitution de motifs, la décision entreprise. La cour a énoncé qu'à quelques différences près, la marque STREET Game utilisée par la SARL SADAS, était identique à la dénomination STREET GAMES , signe distinctif de la marque déposée par la SA SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR, et qu'utilisée pour des vêtements, un tel marquage avait créé un risque de confusion chez le consommateur d'attention moyenne. Sur pourvoi de la SARL SADAS et par arrêt du 28 avril 2004, la Cour de Cassation a cassé et annulé le dit arrêt, au visa de l'article L 713-1 du Code de la propriété industrielle, motifs pris qu'en prononçant ainsi qu'elle l'avait fait, sans rechercher si la ressemblance entre les signes considérés pouvait conduire le public à croire que les produits (dont l'identité ne résultait que de leur appartenance à une même classe) provenaient de la même entreprise, cette cour d'appel n'avait pas justifié sa décision. Devant la cour d'appel d'Amiens, statuant comme cour de renvoi, La SARL SADAS demande à la cour d'infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Lille, de dire et juger qu'il n'y a pas reproduction à l'identique des marques déposées par la SA SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR, de dire et juger qu'il n'y a pas risque de confusion entre les marques, de condamner la SA SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR à lui restituer les sommes versées au titre de l'exécution provisoire, de condamner la SA SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR, pour procédure abusive, à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages intérêts, de la condamner à lui payer 10.000 euros au titre de

l'article 700 NCPC. Elle demande également à la Cour, à titre reconventionnel, de prononcer la déchéance des enregistrements.

Sur la contrefaçon par reproduction, elle soutient que, faute de reproduction à l'identique des marques STREET GAMES BY SPORAZUR et MORRIS SPORTSWEAR PRESENTE STREET GAMES , la marque STREET Game ne peut être regardée, stricto sensu, comme contrefaisante au sens de l'article L 713-2 CPI. Elle se fonde sur ce point sur l'arrêt rendu le 20 mars 2003, par la CJCE, dans l'affaire SADAS VERT BAUDET c/ LTJ DIFFUSION, en application de l'article 5 OE 1, sous a), de la Directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988.

Sur la contrefaçon par risque de confusion, la société SADAS soutient que la société SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR ne démontre pas, ainsi que l'exige pourtant la réglementation communautaire, qu'un consommateur est susceptible de confondre la dénomination STREET Game et les marques STREET GAMES BY SPORAZUR et MORRIS SPORTSWEAR PRESENTE STREET GAMES et que ce consommateur serait amené à se méprendre sur l'origine des produits vendus. Elle fait observer que, dans les marques complexes déposées par la demanderesse, le groupe de mots STREET GAMES , quoique écrit en langue anglaise, est compréhensible, banal, voire descriptif, et que ce sont les termes MORRIS SPORTSWEAR et SPORAZUR qui ont un caractère distinctif - sinon la société demanderesse n'aurait pas éprouvé la nécessité de faire deux dépôts successifs - et que cette société ne saurait dès lors démembrer le groupe de mots STREET GAMES pour invoquer un risque de confusion. Elle fait observer qu'en l'absence d'un tel démembrement, les marques déposées prises dans leur globalité ne présentent aucune similitude visuelle, auditive, ou conceptuelle. Elle fait observer encore que la société demanderesse ne démontre pas la notoriété de sa marque, alors, au demeurant que les produits vendus par les sociétés SADAS et SPORAZUR ne sont pas distribués de la même manière (vente par

correspondance dans un cas, vente en grande surface dans l'autre) et ne s'adressent pas à la même clientèle (bébés et très jeunes enfants dans un cas, adolescents et adultes dans l'autre). Elle expose encore que ce sont les marques dans leur globalité qui bénéficient d'une protection légale, de telle sorte que la société demanderesse ne saurait, sans commettre un abus de droit, interdire à un tiers l'usage des termes banals qu'elle a inclut dans sa formulation complexe.

Sur sa demande reconventionnelle en déchéance de droits de marque, elle fait valoir que la société demanderesse n'exploite pas sérieusement les deux marques qu'elle a déposées, dès lors qu'il apparaît des pièces de la procédure et des conclusions de la demanderesse que la société SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR a toujours griffé et griffe encore ses vêtements du seul groupe de mots STREET GAMES - d'où l'imitation et le risque de confusion qu'elle invoque û mais qu'il s'agit là d'un usage de ses marques sous une forme modifiée qui en altère le caractère distinctif. Elle en conclut que dans ces conditions elle est, elle-même, fondée à demander que la société SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR soit déchue, conformément aux dispositions de l'article L 714-5 CPI, de la protection attachée à l'enregistrement de ses deux marques.

La SA SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SARL SADAS pour contrefaçon, mais, par substitution de motifs, de dire que cette contrefaçon relève de l'article L 713-3 CPI, et, pour le surplus, de porter à 800 euros le montant de l'astreinte, à 5 le nombre de journaux dans lesquels le jugement sera publié, à 320.000 euros le montant des dommages intérêts. Elle demande que la SARL SADAS soit déboutée de sa demande de déchéance de marque. Elle demande que cette société soit condamnée à lui payer 25.000 euros au titre de l'article 700 NCPC. Elle expose

qu'elle a fait enregistrer deux marques complexes STREET GAMES BY SPORAZUR et MORRIS SPORTSWEAR PRESENTE STREET GAMES , dans lesquelles l'expression STREET GAMES , mis en exergue par des guillemets, constitue l'élément essentiel et distinctif de ces marques, les autres termes ne servant qu'à désigner le nom de l'entreprise (SPORAZUR, MORRIS SPORTSWEAR) ou à faire la liaison entre la société et la marque (PRESENTE, BY). Elle estime qu'en utilisant la dénomination STREET Game, la société SADAS a reproduit presque à l'identique sa marque STREET GAMES et s'est ainsi livrée à une contrefaçon de sa marque. Elle précise que, compte tenu de l'évolution jurisprudentielle, cette contrefaçon relève de l'article L 713-3 du Code de la propriété industrielle et non de l'article L 713-2 de ce code et qu'il y a donc lieu de substituer ce fondement juridique au fondement retenu par les premiers juges. Sur la contrefaçon par imitation de nature à créer un risque de confusion définie par l'article L 713-3 CPI, elle soutient que STREET GAMES est l'élément essentiel et distinctif de sa marque, MORRIS SPORTSWEAR et SPORAZUR n'étant qu'une simple référence aux distributeurs des produits de la marque ; que cet élément étant distinctif et essentiel, il est nécessairement détachable de la marque, de telle sorte qu'en utilisant la dénomination quasi identique de STREET Game, la société SADAS l'a indiscutablement imitée ; que la marque bénéficiant d'une notoriété certaine, attestée par l'importance de son chiffre d'affaires avec les centrales d'achat telles AUCHAN, CASINO, CORA, LECLERC, avec certains magasins spécialisés tels KIABI, HAV SPOT, avec les vendeurs par correspondance tels LES TROIS SUISSES ou QUELLES, cette imitation a nécessairement conduit le consommateur moyen à penser que tout vêtement (y compris ceux à destination des jeunes enfants), griffé STREET GAMES ou STREET Game, provenait des exploitants MORRIS SPORTSWEAR et SPORAZUR. En ce qui concerne la

demande reconventionnelle en déchéance, la société SPORAZUR soutient que, pour être nouvelle en cause d'appel, cette demande est irrecevable et que, pour ne pas satisfaire à la condition de délai de 5 ans prévu à l'article L 714-5 CPI, cette demande est irrecevable ou mal fondée. Sur ce dernier point, elle fait observer que les marques ont été déposées en 1993 et 1995, les faits constatés en 1997 et l'action en contrefaçon engagée en 1997, soit à l'intérieur du délai de 5 ans et que, dans ces conditions, la société SADAS ne saurait se prévaloir, en défense à la dite action, d'une déchéance qui n'aurait pu jouer qu'à compter de 1998. Elle ajoute encore, sur le même point, qu'elle démontre, pièces à l'appui, qu'elle a toujours exploité et exploite encore la marque sous la forme STREET GAMES , cette exploitation n'altérant pas le caractère distinctif des marques déposées.

En cet état,

Sur la recevabilité de l'appel

La SARL SADAS ayant formé son recours dans les délais et forme prévus par la loi et la recevabilité de l'acte n'étant pas contestée, la cour recevra l'intéressée en son appel.

Sur le bien fondé de l'appel de la société SADAS

La SARL SADAS est appelante du jugement qui l'a condamnée pour contrefaçon, par reproduction de marque, au préjudice de la SA SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR. Cette dernière sollicite la requalification des faits en contrefaçon par imitation créant un risque de confusion.

- Sur la contrefaçon par reproduction de marque

Il y a lieu de rappeler que, en droit interne, l'article L 713-2 CPI interdit la reproduction d'une marque pour des produits identiques à ceux désignés dans l'enregistrement, la reproduction d'une marque s'entendant de la reproduction des éléments distinctifs de la dite marque, non de la reproduction d'éléments banals.

Pour les marques complexes qui comportent plusieurs éléments, chaque élément peut être protégé isolément s'il présente en lui même un caractère distinctif, la reproduction de l'un de ceux-ci constituant un acte de contrefaçon. Plus particulièrement, lorsqu'une marque est composée d'une combinaison de termes banals et de termes originaux, seule la reproduction des termes originaux, c'est à dire des éléments vedettes ayant un pouvoir d'attraction propre, est susceptible d'être poursuivie en contrefaçon, la reproduction des termes banals étant en revanche licite et libre pour les concurrents.es banals étant en revanche licite et libre pour les concurrents.

Lorsque des termes étrangers, déposés à titre de marque, sont descriptifs dans leur langue d'origine, la reproduction d'une marque constituée de ces termes peut néanmoins être qualifiés de contrefaçon si les termes en question ne sont pas connus ou compris du public français au moment du dépôt.

En l'espèce, la SA SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR a déposé, pour la catégorie 25 (vêtements), deux marques complexes : la marque MORRIS SPORTSWEAR PRESENTE STREET GAMES , et la marque STREET GAMES BY SPORAZUR. Les caractères sont en majuscules d'imprimerie droites. Aucun logo ou dessin n'accompagne les marques.

Ces deux marques sont des marques complexes, en ce qu'elles sont de courtes phrases composées de tout ou partie du nom de la société et d'un même groupe de mots de langue anglaise dont la signification est jeux dans la rue .

La référence aux deux dernières parties du nom de la société (MORRIS

SPORTWEAR), dans un cas, et à la première partie du nom de la société (SPORAZUR), dans l'autre cas, peuvent être regardées comme des signes distinctifs, puisqu'il s'agit du nom propre de la société. En revanche, le groupe de mots STREET GAMES utilisé dans les deux marques déposées peut difficilement être regardé comme un signe distinctif. Quoique écrit en langue anglaise, ce groupe de mots est parfaitement compréhensible par le public français, en l'état de la pénétration actuelle, en France, de la langue anglaise et en raison de l'utilisation courante de ces mots. En outre, loin d'être arbitraire au regard de la classe à laquelle il s'applique (les vêtements), il peut être regardé comme la destination de ces vêtements : par opposition aux vêtements de ville, aux vêtements de campagne, aux vêtements de sports, il vise des vêtements de jeux urbains. C'est en tout cas un terme banal.

Or, c'est de ce seul groupe de mots (STREET GAMES ), non de l'intégralité des marques complexes (MORRIS SPORTSWEAR PRESENTE STREET GAMES et STREET GAMES BY SPORAZUR), ni des éléments distinctifs (MORRIS SPORTWEAR et SPORAZUR), que la SARL SADAS s'est rapproché, pour griffer des combinaisons pour jeunes enfants, en utilisant le groupe de mots STREET Game (le mot jeu étant au singulier), tout en s'en distinguant nettement, au demeurant, par un graphisme totalement différent (une écriture en partie cursive et un environnement de trois petits c.urs et de trois petites têtes de chiens).

Dans ces conditions, faute de caractère distinctif attaché au seul groupe de mots prétendument copiés et faute, donc, de protection, la SA SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR ne saurait prétendre à l'existence d'une contrefaçon par reproduction.

Au regard du droit communautaire, il y a lieu de relever, dans le même sens, que, selon l'interprétation que la CJCE fait de l'article

5 OE 1, sous a), de la Directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988, dont est issu l'article L 713-2 CPI, la contrefaçon stricto sensu s'entend d'une reproduction à l'identique (sans modification ni ajout) de tous les éléments constituant la marque (CJCE 20/3/2003, SADAS VERT BAUDET c/ LTJ DIFFUSION). Or en l'espèce il n'y a pas reproduction à l'identique.

Le jugement du tribunal de grande instance de Lille qui a retenu une contrefaçon par reproduction sera donc réformé.

- Sur la contrefaçon par une imitation créant un risque de confusion. En droit interne, l'article L 713-3 CPI interdit, s'il peut en résulter une confusion dans l'esprit du public, l'imitation d'une marque pour des produits identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement. On entend par imitation une reproduction approximative de la marque d'autrui susceptible d'entraîner, par sa présentation générale, une confusion avec la marque de référence pour un acheteur d'attention moyenne qui n'aurait pas les deux marques sous les yeux.

1 - En l'espèce, la dénomination STREET Game, utilisée par la SARL SADAS pour griffer ses vêtements, n'est pas, par sa présentation générale, une reproduction approximative des marques déposées par la SA SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR pour marquer les siens.

En effet, en dehors de l'utilisation d'un groupe de mots phonétiquement similaires mais non distinctifs (STREET GAME), tout différencie les marques STREET Game et MORRIS SPORTSWEAR PRESENTE STREET GAMES et STREET GAMES BY SPORAZUR en conflit, qu'il s'agisse de l'approche visuelle, phonétique, sémantique ou graphique. La dénomination utilisée par la société SADAS est un groupe de deux mots (STREET Game), réalisé avec une écriture en partie cursive, dans un environnement de trois petits c.urs et de trois petites têtes de

chiens. Le message que l'ensemble véhicule est implicite : il suggère le jeu sur le sol, en rapport avec la gamme de vêtements (combinaisons en polaire) pour jeunes enfants de 1 à 3 ans à laquelle elle s'adresse. De leur côté, les marques déposées par la société SPORAZUR (MORRIS SPORTSWEAR PRESENTE STREET GAMES et STREET GAMES BY SPORAZUR) sont de courtes phrases, composées de tout ou partie du nom de la société, écrites en majuscules d'imprimerie droites, sans logo ni dessin. Le message véhiculé est explicite. Il se présente comme une annonce : il souligne d'abord l'intervention de la société dans la présentation du produit, avant d'évoquer une ligne de produits destinés aux jeux dans la rue (trainings, joggings, etc). La dénomination STREET Game n'est pas, dans sa présentation générale, une imitation des marques de référence. 2 - En l'espèce, encore, les produits distribués par la société SADAS, sous la dénomination STREET Game ne sont pas identiques à ceux distribués par la société plaignante. En effet, si les produits distribués par la société SADAS, sous la dénomination STREET Game, appartiennent à la même classe que les produits pour lesquels les deux marques de référence ont été enregistrées par la société SPORAZUR (classe 25-vêtements), les produits des deux sociétés n'en sont pas, pour autant, identiques. Les produits incriminés sont des sweats et combinaisons en polaire pour bambins (1 à 3 ans) de bonne facture, de bon goût et d'un prix relativement élevé (sweat à 119 francs). Les produits distribués par la société SPORAZUR sont des vêtements de détente de bas de gamme, pour enfants et adolescents (8 à 16 ans) en acrylique et coton, de facture moyenne, de prix peu élevés (sweat à 60 francs), distribués en grande surface (aucune pièce n'établit qu'ils sont vendus en boutique). Il y a lieu de relever, également, que les sérigraphies utilisées pour les produits SPORAZUR sont des sérigraphies de fantaisie extrêmement changeantes (SG Street Games

SPORT, 69 STREET GAMES TECHNOLINE, CITY LINE STREET GAMES TECHNOLINE, Street Games, Street Games, USA by STREET GAMES, STREET GAMES) et laissent penser que cette société est peu attachée à la notion d'image de marque. En outre, les produits distribués par la société SADAS, sous la dénomination STREET Game, le sont dans un catalogue de vente par correspondance de bonne facture (VERT BAUDET), connu et bien référencé (NAF NAF, REEBOK, NIKE, etc), alors que les produits distribués par la société SPORAZUR sont distribués en grande surface (AUCHAN, CONTINENT, CARREFOUR, CORA, CHAMPION) et font l'objet de publicité par dépliants, de mauvaise facture, déposés dans les boîtes aux lettres. Il est faux, dans ces conditions, pour la société SPORAZUR, de prétendre qu'elle bénéficie d'une notoriété certaine :

son nom n'apparaît nulle part sur les produits distribués, ces produits sont des produits de bas de gamme, ces produits sont marqués de manière fantaisiste. Les produits des deux sociétés ne sont donc pas identiques. 3 - Tout différencie donc, apparemment, les deux marques de référence déposées et la dénomination contestée ainsi que les produits vendus sous ces marques et dénomination et il ne saurait y avoir, dans ces conditions, de confusion possible, pour un consommateur d'attention moyenne, sur la provenance des produits. En réalité, le conflit suscité par la société SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR résulte de ce que, contrairement aux enregistrements qu'elle a effectués, cette société SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR griffe ses vêtements STREET GAMES (sans guillemets) et non pas MORRIS SPORTSWEAR PRESENTE STREET GAMES ou STREET GAMES BY SPORAZUR.

Les documents produits à la procédure établissent ainsi que cette société a commercialisé : en novembre 1995, dans les magasins à l'enseigne CONTINENT, des survêtements sérigraphiés SG Street Games SPORT, en caractères cursifs droits ; en janvier 1996, dans les magasins à l'enseigne AUCHAN, des survêtements sérigraphiés 69 STREET

GAMES TECHNOLINE, en majuscules d'imprimerie droites ; en février 1996, dans les magasins à l'enseigne CONTINENT, des survêtements sérigraphiés CITY LINE STREET GAMES TECHNOLINE, en majuscules d'imprimerie droite ; en mars 1997, dans les magasins à l'enseigne MAMMOUTH, des survêtements sérigraphiés Street Games, en italiques, des sweat-shirts sérigraphiés USA by STREET GAMES, en majuscules d'imprimerie droites, des pantalons de jogging sérigraphiés Street Games, en écritures cursives droites ; en mai 1997, dans les magasins à l'enseigne GEANT des T-shirts et des bermudas sérigraphiés USA by STREET GAMES, en majuscules d'imprimerie droites, des bermudas sérigraphiés STREET GAMES, en majuscules droites géantes ; en juin 1997, dans les magasins à l'enseigne CORA des bermudas sérigraphiés USA by STREET GAMES, en majuscules droites etc...

Il y a donc une très grande distance entre les marques déposées et la pratique de la société SPORAZUR.

La société SPORAZUR estime avoir le droit d'agir ainsi car le groupe de mots STREET GAMES serait un signe distinctif détachable.

La cour ne saurait partager la façon de voir de la société SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR. Le groupe de mots STREET GAMES peut difficilement être regardé comme un signe distinctif, car, ainsi que la cour l'a déjà souligné ci-dessus, c'est un terme banal, voire descriptif, et, même s'il est écrit en langue anglaise, il est parfaitement compréhensible par le public français. Or, lorsqu'une marque est composée d'une combinaison de termes banals et de termes originaux, seule la reproduction des termes originaux est susceptible d'être poursuivie en contrefaçon, la reproduction des termes banals étant en revanche licite et libre pour les concurrents.

La cour déboutera donc la société SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR de l'ensemble de ses demandes.

Sur la demande de déchéance des droits de marque présentée par la SARL SADAS

Il résulte des dispositions de l'article L 714-5 CPI qu'encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l'enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans. La déchéance peut être demandée par toute personne intéressée. La preuve de l'exploitation incombe au propriétaire de la marque dont la déchéance est demandée, mais peut être rapportée par tout moyen. En l'espèce, il est loisible de relever, au vu des documents qu'elle a produits, que, contrairement aux enregistrements qu'elle a effectués, de 1995 à 1997, la société SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR a griffé ses vêtements STREET GAMES et non pas MORRIS SPORTSWEAR PRESENTE STREET GAMES ou STREET GAMES BY SPORAZUR. Or il s'agit là, de la part de cette société, d'une utilisation de ses marques déposées sous une forme modifiée qui en altère le caractère distinctif, au sens que l'article L 714-5 CPI donne à ces termes. La société SADAS est recevable à solliciter en défense, même pour la première fois en cause d'appel, le bénéfice d'une telle déchéance, dès lors qu'une telle mesure est de nature, à faire échec à l'action en contrefaçon initiée contre elle. Cela étant la cour observe, avec la société SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR, que cette demande est mal fondée. En effet, l'article L 714-5 CPI pose trois conditions au prononcé de la déchéance : 1o) il faut un usage peu sérieux de la marque pour les produits et services visés dans l'enregistrement, 2o) sans justes motifs, 3o) pendant une période ininterrompue de cinq ans. En l'espèce, la troisième condition n'est pas remplie. Les marques ayant été déposées les 22 janvier 1993 et 21 juillet 1995, le délai de cinq ans susvisé n'a trouvé son accomplissement que les 22 janvier 1998 et 21 juillet 2000. A la date

de l'engagement de l'action en contrefaçon, le 11 avril 1997, l'utilisation des marques déposées sous une forme modifiée durait donc, au vu des pièces produites, depuis moins de cinq ans. Enfin, la société SADAS ne saurait invoquer la poursuite de cette pratique après la date d'engagement de l'action en contrefaçon, car, dans ces conditions, l'action en déchéance ne serait plus une action en défense, mais une action principale nouvelle et comme telle irrecevable par application des dispositions de l'article 564 NCPC. La société SADAS sera donc déboutée de sa demande de déchéance.

Sur la demande de dommages intérêts, pour procédure abusive, présentée par la société SADAS

La société SADAS soutient qu'il est constant que ce sont les marques dans leur globalité qui bénéficient d'une protection légale, et qu'ainsi, en interdisant à un tiers l'usage des termes banals qu'elle a inclut dans sa formulation complexe, la société SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR a commis un abus de droit évident.

Sur ce point, la cour observe, avec la SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR, que les règles en la matière ont notablement changé, notamment en raison de l'influence du droit communautaire, et que deux juridictions ont fait droit, jusque là, aux demandes de cette société et qu'il s'en déduit que l'abus de droit n'est pas aussi évident que la société SADAS le soutient aujourd'hui et qu'en tout cas la société SPORAZUR n'a pas fait preuve de légèreté blâmable.

La société SADAS sera donc déboutée de sa demande.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La partie perdante devant, aux termes de l'article 696 NCPC, être condamnée aux dépens, la cour condamnera la SA SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR, qui succombe, à supporter les dépens de première instance

et d'appels.

La partie perdante devant, en outre, aux termes de l'article 700 du même code, être condamnée à payer à l'autre partie, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, une somme arbitrée par le juge, tenant compte de l'équité et de la situation économique de la partie condamnée, la cour condamnera la SA SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR à payer à la SARL SADAS une somme de 10.000 euros, tous frais de première instance et d'appels confondus. PAR CES MOTIFS, La cour, statuant publiquement et contradictoirement, en audience solennelle, sur renvoi qui lui en a été fait par la cour de cassation, Reçoit la SARL SADAS en son appel,

Déclarant cet appel bien fondé, Infirme, en toutes ses dispositions, le jugement du tribunal de grande instance de Lille du 16 novembre 2000, Dit que la dénomination STREET Game utilisée, pour des vêtements d'enfants, par la société SADAS ne constitue ni une reproduction à l'identique, ni une imitation créant un risque de confusion, des marques enregistrées, auprès de l'INPI de Nice, par la SA SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR, le 22 janvier 1993, sous le numéro 93452561 (MORRIS SPORTSWEAR PRESENTE STREET GAMES ), et, le 21 juillet 1995, sous le numéro 95579678 ( STREET GAMES BY SPORAZUR), dans la classe 25, Déboute, en conséquence, la SA SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR de toutes ses demandes, Condamne la SA SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR à restituer à la société SADAS les sommes versées au titre de l'exécution provisoire du jugement, Déboute la société SADAS de sa demande de dommages intérêts pour procédure abusive, Déboute la société SADAS de sa demande reconventionnelle tendant au prononcé de la déchéance des marques enregistrées, auprès de l'INPI de Nice, par la SA SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR, le 22 janvier 1993, sous le numéro 93452561 (marque MORRIS SPORTSWEAR PRESENTE STREET GAMES ), et, le 21 juillet 1995, sous le numéro 95579678 (marque STREET GAMES BY

SPORAZUR), Condamne la SA SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR aux dépens de première instance et d'appels, dont distraction au profit de la SCP MILLON, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la SA SPORAZUR MORRIS SPORTSWEAR à payer à la SARL SADAS la somme de 10.000 euros, tous frais de première instance et d'appels confondus, au titre de l'article 700 NCPC, Déboute les parties du surplus de leurs demandes contraire au présent dispositif. Mme B...

M. de MASSIAC Greffier,

Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : Ct0140
Numéro d'arrêt : JURITEXT000006948268
Date de la décision : 27/02/2006

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.amiens;arret;2006-02-27;juritext000006948268 ?
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