COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-1
ARRÊT AU FOND
DU 04 SEPTEMBRE 2024
N° 2024/ 282
N° RG 20/06496 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BGA63
[S] [F] épouse [Y]
[T] [Y]
C/
[N] [I]
S.A.R.L. LE MAS FLEURI
Copie exécutoire délivrée le :
à :
Me Agnès ERMENEUX
Me Marc CONCAS
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 10 Juin 2020 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 16/05896.
APPELANTS
Madame [S] [F] épouse [Y]
née le 16 Février 1975 à [Localité 2],
demeurant [Adresse 4] - [Localité 5]
Monsieur [T] [Y]
né le 19 Octobre 1965 à [Localité 2], demeurant [Adresse 4] - [Localité 5]
Tous deux représentés par Me Agnès ERMENEUX de la SCP SCP ERMENEUX - CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et assistés par Me Julien DARRAS, avocat au barreau de NICE substitué par Me Emily MADELEINE, avocat au barreau de NICE
INTIMÉES
Madame [N] [I]
née le 09 Janvier 1946 à [Localité 1], demeurant [Adresse 3] - [Localité 5]
S.A.R.L. LE MAS FLEURI, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,
demeurant [Adresse 3] - [Localité 5]
Toutes deux représentées et assistées par Me Marc CONCAS, avocat au barreau de NICE substitué par Me Maxime GRATPANCHE, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Fabienne ALLARD, Conseillère, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Olivier BRUE, Président
Madame Catherine OUVREL, Conseillère
Madame Fabienne ALLARD, Conseillère
Greffier lors des débats : Madame Céline LITTERI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Septembre 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Septembre 2024
Signé par Madame Fabienne ALLARD, Conseillère, pour le Président empêché et Madame Céline LITTERI, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Exposé des faits et de la procédure
Mme [N] [I] est la gérante de la SARL le mas fleuri, qui exploite un fonds de commerce de camping à [Localité 5].
Par un jugement du 8 novembre 2013, le tribunal correctionnel de Nice a condamné Mme [S] [F] épouse [Y] pour contrefaçon, falsification et usage de 96 chèques falsifiés, pour un montant total de 64 783,24 €, commis du 8 mars 2009 au 10 février 2012 au préjudice de Mme [I] et/ou de la SARL le mas fleuri.
Son époux, M. [T] [Y] a été condamné pour recel de ces infractions.
Le tribunal correctionnel a, en revanche, considéré que l'action publique engagée contre les époux [Y] était prescrite pour cinquante-six autres chèques, d'un montant total de 57 636, 18 €, émis entre le 15 décembre 2006 et le 21 février 2009.
Mme [I] s'est constituée partie civile, tant à titre personnel qu'en qualité de gérante de la SARL le mas fleuri, et a obtenu la condamnation des époux [Y] à payer les sommes de 64 783,24 € en réparation d'un préjudice matériel et 10 000 € en réparation d'un préjudice moral.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 juillet 2016, la SARL le mas fleuri et Mme [I] ont mis en demeure les époux [Y] de payer la somme de 57 636, 18 € correspondant aux chèques émis sur la période du 15 décembre 2006 au 21 février 2009.
En l'absence de réponse à cette mise en demeure, par acte du 27 octobre 2016, Mme [I] et la SARL le mas fleuri ont assigné les époux [Y] devant le tribunal de grande instance de Nice, afin d'obtenir leur condamnation à payer, à titre de dommages-intérêts, la somme de 27 262,18 € à la SARL le mas fleuri et la somme de 15 000 € à Mme [I].
Par conclusions d'incident du 7 décembre 2017, les époux [Y] ont saisi le juge de la mise en état de fins de non recevoir tirées de la prescription de l'action et de l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du tribunal correctionnel du 8 novembre 2013.
Par ordonnance du 9 avril 2018, le juge de la mise en état s'est déclaré incompétent pour statuer sur ces fins de non-recevoir.
Par jugement rendu le 10 juin 2020, le tribunal judiciaire de Nice a :
- rejeté les fins de non-recevoir soulevées par les époux [Y] ;
- déclaré les demandes formées par Mme [I] et la SARL le mas fleuri recevables ;
- condamné in solidum les époux [Y] à payer à la SARL le mas fleuri la somme de 57 363, 18 €, avec intérêts au taux légal à compter du 7 juillet 2016 ;
- dit que les intérêts échus dus au moins pour une année entière produiront eux-mêmes intérêts ;
- condamné in solidum les époux [Y] à payer à Mme [I] la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts ;
- condamné in solidum les époux [Y] à payer à Mme [I] et à la SARL Le Mas fleuri la somme de 1 500 € chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeté les demandes plus amples ou contraires ;
- ordonné l'exécution provisoire du jugement ;
- condamné les époux [Y] aux dépens.
Pour statuer ainsi, le tribunal a considéré que :
- l'article 5 du code pénal et la règle 'electa una via' qui en découle, n'empêchent pas Mme [I] de saisir le juge civil de la même action que celle engagée devant le juge pénal, dans la mesure où celui-ci a rendu une décision constatant l'extinction de l'action publique, sans statuer au fond sur l'action civile ;
- le point de départ de la prescription quinquennale, doit être fixé au 25 septembre 2012, jour de l'audition de Mme [I] par la gendarmerie, puisque c'est à cette date qu'elle a eu connaissance de l'encaissement sur les comptes de Mme [Y] des chèques litigieux ;
- le jugement du tribunal correctionnel de Nice du 8 novembre 2016 n'a pas statué sur l'action civile afférente aux faits de falsification de chèques au cours de la période du 15 décembre 2006 au 21 février 2009, de sorte que sa décision n'a pas autorité de la chose jugée à l'égard des demandes qui sont l'objet de l'action engagée devant la juridiction civile ;
- la responsabilité de Mme [Y] est engagée sur le fondement des articles 1991 et 1992 du code civil, dès lors qu'elle a utilisé les chéquiers de la société à son bénéfice alors que Mme [I] lui avait donné mandat de la remplacer à la comptabilité du camping ;
- la responsabilité de M. [Y] est également engagée sur le fondement de l'action de in rem verso, puisqu'il a profité de l'argent détourné par son épouse, s'enrichissant ainsi indûment au détriment de la SARL la mas fleuri.
Par acte du 15 juillet 2020, dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, les époux [Y] ont relevé appel de cette décision en visant tous les chefs de son dispositif.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 29 mai 2024.
Prétentions et moyens des parties
Dans leurs dernières conclusions, régulièrement notifiées le 10 mai 2024, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, les époux [Y] demandent à la cour de :
' infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nice le 10 juin 2020 ;
Statuant à nouveau,
' constater la prescription de l'action afférente à la revendication des sommes prétendument dues au titre de la période du 15 décembre 2006 au 21 février 2009 ;
' constater que l'action introduite par Mme [I] et la SARL le mas fleuri, par acte du 27 novembre 2016, se heurte à l'autorité de la chose jugée attachée au jugement rendu par la sixième chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Nice le 8 novembre 2016, que Mme [I] et la SARL le mas fleuri ont déjà présenté leurs demandes devant la juridiction pénale et déclarer irrecevable l'action introduite par Mme [I] et la SARL le mas fleuri par acte du 27 novembre 2016 ;
Sur le fond,
' débouter la SARL le mas fleuri et Mme [I] de l'ensemble de leurs demandes ;
En tout état de cause,
' condamner solidairement Mme [I] et la SARL le mas fleuri à leur verser une somme de 5 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
' condamner solidairement Mme [I] et la SARL le mas fleuri aux entiers dépens de l'instance.
Ils font valoir que :
Sur la recevabilité des demandes :
- l'action est prescrite, d'une part au regard de l'article 10 du code de procédure pénale puisque Mme [I] a souhaité porter l'affaire devant la juridiction pénale, de sorte que l'action civile suit les règles de l'action publique et est prescrite au regard de la date des faits, commis entre le 15 décembre 2006 et le 21 février 2009, d'autre part au regard des dispositions du code civil, puisque la prescription a commencé à courir le 21 février 2009, date du fait générateur de la créance revendiquée, les intimées ne pouvant ignorer, au regard des éléments comptables et des documents sociaux, l'identité du bénéficiaire des chèques émis entre le 15 décembre 2006 et le 21 février 2009 ;
- l'action se heurte à l'autorité attachée au jugement du tribunal correctionnel de Nice, en ce que la demande portée devant le juge civil tend à l'indemnisation du même préjudice que celui allégué devant la juridiction pénale qui a rejetée la demande ;
- l'article 5 du code de procédure pénale interdit à la victime, qui a initialement opté pour la voie pénale, d'introduire ensuite, à raison des mêmes faits, une action devant la juridiction civile ;
Sur le fond :
- l'existence d'un contrat de mandat n'est pas démontrée ;
- Mme [Y] a exercé des fonctions de comptable au sein de la SARL le mas fleuri au cours de la période allant du 15 décembre 2006 au 21 février 2009, de sorte que les règlements litigieux, effectués à son bénéfice et qui figurent tous en comptabilité, correspondent à la rémunération de son travail en qualité d'auto-entrepreneur ;
- la décision pénale ne démontre pas qu'elle a commis une quelconque infraction entre décembre 2006 et février 2009 et les éléments comptables afférents à cette période n'ont pas été examinés par le tribunal correctionnel qui a considéré que l'action publique était prescrite ;
- Mme [I] et la SARL le mas fleuri ne produisent pas toutes les pièces de l'enquête pénale afférente aux chèques émis sur la période litigieuse.
S'agissant de M. [Y], il considère que sa responsabilité ne peut être retenue puisqu'il pensait légitimement que les sommes perçues par son épouse procédaient de sa rémunération en qualité d'auto-entrepreneur.
Dans leurs dernières conclusions d'intimées, régulièrement notifiées le 28 mai 2024, auxquelles il convient de renvoyer pour un exposé plus exhaustif des moyens, la SARL le mas fleuri et Mme [I] demandent à la cour de :
' confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
' condamner in solidum les époux [Y] à payer, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, 3 000 € à la SARL le mas fleuri et 3 000 € à Mme [I] ;
' condamner in solidum les époux [Y] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Elles font valoir que :
- l'article 10 du code de procédure pénale ne permet pas de considérer que, lorsque la demande de dommages-intérêts est présentée à la juridiction répressive, le délai de prescription de l'action civile est celui de prescription de l'action publique, de sorte qu'en l'espèce, le délai à retenir est celui de droit commun de cinq ans ;
- le point de départ du délai de prescription doit être fixé au 25 septembre 2012, date à laquelle Mme [I] a connu toute l'ampleur des détournements et l'identité de leur auteur, ce qu'elle ignorait au moment où elle saisi les services de police et dont elle ne pouvait avoir connaissance sur la seule base des documents comptables puisqu'il s'agissait de documents de synthèse ;
- le jugement du tribunal correctionnel de Nice a, tout au plus, constaté la prescription de l'action publique concernant les détournements commis du 15 décembre 2006 au 21 février 2009, de sorte qu'elles sont recevables à saisir la juridiction civile d'une demande indemnitaire, étant rappelé que la règle 'electa una via' n'interdit pas le passage de la juridiction pénale à la juridiction civile dès lors que les demandes n'ont pas été tranchées par le juge pénal.
Sur le fond, elles considèrent que Mme [Y] a conclu avec la SARL le mas fleuri un contrat de mandat, que les investigations ont établi la matérialité des détournements qui, en tout état de cause, ont été intégralement reconnus par les époux [Y], et qu'en conséquence, ceux-ci consacrent un manquement par Mme [Y] à ses obligations de mandataire, l'obligeant à réparer les dommages qui en sont résultés.
Elle soutient que M. [Y] s'est enrichi indûment puisqu'il savait que les fonds ayant rejoint les comptes bancaires communs correspondaient à des détournements.
Elle insiste sur le fait qu'en raison de son engagement en qualité de caution solidaire de la SARL le mas fleuri, elle a été contrainte de faire face aux dettes de celle-ci.
Motifs de la décision
Sur les fins de non recevoir
Les époux [Y] soulèvent plusieurs fins de non recevoir tirées, d'une part de la prescription de l'action, d'autre part de l'autorité de la chose jugée.
A titre liminaire, il sera rappelé que, selon l'article 5 du code de procédure pénale, la partie qui a exercé son action devant la juridiction civile compétente ne peut la porter devant la juridiction répressive.
Il résulte de cette disposition que le droit d'option dont bénéficie la victime d'une infraction a pour seule conséquence qu'une fois la voie civile choisie, elle ne peut plus la quitter.
En revanche, si la victime privilégie la voie répressive, elle a toujours la faculté d'abandonner celle-ci au profit de la voie civile.
Par ailleurs, les décisions sur la recevabilité de la constitution de partie civile ou d'irrecevabilité des demandes sur intérêts civils n'ont pas d'autorité quant à l'exercice de l'action civile devant la juridiction civile.
En conséquence, les époux [Y] ne peuvent utilement opposer à Mme [I] et à la SARL le mas fleuri la règle posée par l'article 5 du code de procédure pénale pour contester la recevabilité de leurs demandes.
Aucune fin de non recevoir ne peut donc être retenue à ce titre.
Ceci exposé, il convient d'examiner successivement les deux fins de non recevoir tirées de la prescription de l'action et de l'autorité de chose jugée.
1/ sur la prescription de l'action
L'article 10 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, dispose que, lorsque l'action civile est exercée devant une juridiction répressive, elle se prescrit selon les règles de l' action publique. Lorsqu'elle est exercée devant une juridiction civile, elle se prescrit selon les règles du code civil.
La victime peut donc saisir les juridictions civiles dans les délais de prescription civile, peu important que l'action publique soit elle-même prescrite.
En application de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles et mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu, ou aurait dû connaitre, les faits lui permettant de l'exercer.
En matière de responsabilité contractuelle, pour agir en justice, le demandeur doit établir un manquement contractuel et un dommage en lien avec celui-ci.
La prescription d'une action en responsabilité contractuelle ne court donc qu'à compter de la date à laquelle le créancier a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance du manquement qu'il allègue et du jour où le dommage s'est réalisé ou révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.
Selon l'article 1315, alinéa 2, du code civil, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. Il en résulte que la charge de la preuve du point de départ d'un délai de prescription incombe à celui qui invoque la fin de non-recevoir.
En l'espèce, les époux [Y] soutiennent que le délai de prescription de l'action engagée par Mme [I] et la SARL le mas fleuri a commencé à courir le 21 février 2009, date du fait générateur de la créance.
Mme [I] et la SARL le Mas fleuri agissent à l'encontre de Mme [Y] sur le fondement de la responsabilité contractuelle et à l'encontre de M. [Y] sur le fondement de la répétition d'un indu.
Il convient donc de déterminer à quelle date Mme [I], à la fois à titre personnel et en qualité de représentant légal de la SARL le mas fleuri, a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant d'agir en responsabilité contractuelle à l'encontre de Mme [Y].
Les paiements critiqués ont eu lieu entre le 15 décembre 2006 au 21 février 2009.
Mme [I] a déposé plainte à la gendarmerie du chef de ces paiements le 28 février 2012.
Cependant, le procès verbal de dépôt de plainte n'est pas produit aux débats. Seuls sont produits, le procès verbal de synthèse établi le 19 avril 2013 et les procès verbaux d'audition de Mme [I] à compter du 1er mars 2012.
Il résulte de ces pièces que Mme [I] s'est présentée à la gendarmerie en se plaignant de la découverte, lors d'une vérification comptable, de l'existence, au débit du compte bancaire de la société, de dix neuf chèques qu'elle n'avait pas elle-même émis.
Dans son procès verbal d'audition par les gendarmes le 1er mars 2012, elle déclare : 'je me présente à votre unité pour vous remettre les copies des chèques falsifiés que je me suis procurée auprès de ma banque. Comme vous pouvez le constater, tous les chèques que je conteste sont là. Ils sont tous à l'ordre de [Y] télésecrétariat ou simplement [V]. Il y a au total 19 chèques'.
Plus loin, à la question 'connaissez vous [Y] télésecrétariat', elle répond : 'oui je connais la gérante, c'est Mme [Y] [S]. Cette personne vient de temps en temps au camping pour faire du secrétariat. Elle devait, soit contrôler les factures ou garder une ou deux heures le camping. Elle récupérait les documents pour les envoyer au comptable. En aucun cas elle ne signait les chèques, elle n'avait aucune signature (..) Je certifie que sur les copies de chèques, aucun ne porte ma signature, ni celle de mon mari ou de ma fille, d'ailleurs je vous remets les copies des signatures que nous effectuons. Aux dates où les chèques falsifiés ont été établis, je me trouvais sur [Localité 5]'.
À la question 'Mme [Y] a donc pu vous subtiliser les chèques', Mme [I] répond 'oui effectivement, elle a pu le faire', et à la question 'votre comptable vous a t'il demandé les factures correspondantes aux chèques falsifiés '', 'non jamais, d'ailleurs je vais voir le comptable lundi prochain pour avoir des explications'.
Lors d'une audition ultérieure, le 25 septembre 2012 Mme [I] déclare : 'vous m'informez que vos recherches ont amené la découverte de 168 chèques pour un montant total de 140 821,03 € encaissés sur les comptes de Mme [Y]'.
Il résulte de ces éléments que Mme [I] n'a pas eu connaissance, au cours de ses échanges avec son comptable entre 2006 et 2009, que les factures correspondantes aux chèques litigieux concernaient des prestations facturées à [Y] télésecrétariat. Dans ces conditions, il ne peut utilement être soutenu qu'elle aurait dû prendre conscience, lors de l'établissement de la comptabilité entre 2006 et 2009, que les lignes comptables mentionnant le nom de Mme [Y] correspondaient à des détournements.
Par ailleurs, si elle savait le 1er mars 2012 que les chèques litigieux avaient été encaissés par [Y] télésecrétariat, c'est seulement lors de son audition du 25 septembre 2012 qu'elle a su, compte tenu de la quantité de chèques que ni elle, ni son mari, ni sa fille n'avaient signés, l'ampleur des sommes encaissés en violation du contrat de mandat dont elle se prévaut au soutien de sa demande d'indemnisation.
Le dommage résultant de la violation du contrat de mandat, à supposer celui-ci établi, ne s'est donc révélé à Mme [I] et à la SARL le Mas Fleuri, dans toute son ampleur, qu'à cette date.
Il en va de même s'agissant de la perception de l'indu reproché à M. [Y].
En tout état de cause, à supposer que Mme [I] ait connu les faits lui permettant d'agir contre les époux [Y] dès le 1er mars 2012, date de son audition par les gendarmes, elle s'est constituée partie civile devant le tribunal correctionnel de Nice à l'audience du 8 novembre 2013, tant à titre personnel que pour le compte de la SARL le Mas fleuri.
Cette constitution de partie civile vaut demande en justice et, comme telle, a interrompu le délai de prescription jusqu'à l'extinction de l'instance, soit en l'espèce jusqu'au 18 novembre 2013, date à laquelle le jugement pénal, contradictoire, est devenu définitif.
Cette interruption a effacé le délai de prescription acquis et fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien.
L'assignation devant le tribunal judiciaire de Nice ayant été délivrée le 27 octobre 2016, c'est à juste titre que le premier juge a écarté la fin de non recevoir tirée de la prescription.
2/ Sur l'autorité de chose jugée
Il résulte de l'article 1251 du code civil et du principe de l'autorité absolue de la chose jugée au pénal sur le civil que ce qui a été définitivement jugé par le juge pénal s'impose au juge civil.
L'autorité de la chose jugée s'attache uniquement à ce qui a été nécessairement et certainement jugé par la juridiction criminelle, soit quant à l'existence du fait qui forme la base commune de l'action publique et de l'action civile, soit quant à la qualification légale, soit quant à la participation du prévenu à ces faits.
S'il y a faute pénale, il y a nécessairement, sur le plan civil, une faute permettant de fonder le droit à réparation de la victime. En revanche, si toute faute pénale est exclue par une décision définitive, l'action indemnitaire exercée devant le juge civil à raison des mêmes faits, est irrecevable.
Ces principes consacrent une interdiction faite au juge civil de contrarier l'autorité absolue qui s'attache aux décisions du juge pénal sur la culpabilité.
En revanche, dès lors que le juge pénal n'a pris aucune décision sur la culpabilité de celui auquel des dommages-intérêts sont demandés devant le juge civil, l'autorité de chose jugée ne peut être opposée à la victime qui entend obtenir réparation de ses préjudices.
Tel est le cas en l'espèce, puisque le tribunal correctionnel, s'agissant des faits délictueux reprochés aux époux [Y] sur la période allant du 15 décembre 2006 au 21 février 2009, après avoir déclaré l'action publique prescrite, n'a pas statué au fond sur leur culpabilité.
C'est donc à juste titre que le premier juge a écarté la fin de non recevoir tirée de l'autorité de chose jugée attachée au jugement rendu par le tribunal correctionnel de Nice le 8 novembre 2016.
Sur la responsabilité de Mme [Y]
Mme [I] et la SARL le mas fleuri agissent à l'encontre de Mme [Y] sur le fondement des articles 1991 et 1992 du code civil. Elles invoquent un manquement de celle-ci à ses obligations de mandataire, en ce qu'elle aurait, entre le 15 décembre 2006 et le 21 février 2009, falsifié cinquante-six chèques d'un montant total de 57 636, 18 € et fait usage des chèques ainsi falsifiés.
Il leur appartient donc de démontrer, non seulement l'existence entre elles et Mme [Y] d'un contrat de mandat, mais également le manquement par cette dernière aux obligations qui lui incombaient dans le cadre de ce contrat.
Le mandat est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom.
L'article 1991 du code civil impose au mandataire d'accomplir son mandat tant qu'il en demeure chargé et dispose que celui-ci répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution. Par ailleurs, selon l'article 1992 du même code, le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu'il commet dans sa gestion.
En l'espèce, il résulte de l'enquête diligentée par la gendarmerie, sur la plainte déposée par Mme [I], que celle-ci a eu recours aux services de Mme [Y] à partir de l'année 2006 afin de la remplacer ainsi que son époux malade, pour tenir le secrétariat et transmettre les factures au comptable afin qu'il établisse la comptabilité.
Mme [Y] n'était pas salariée de la SARL le mas fleuri. Elle ne le conteste pas, puisqu'elle soutient être intervenue pour le compte de la SARL le mas fleuri en qualité d'auto-entrepreneur, en charge de tâches de secrétariat.
Aucun écrit n'est produit pour établir la nature des relations ayant existé entre Mme [Y] et la SARL le mas fleuri.
Si le mandat, comme tout contrat, se forme par le seul échange des consentements et ne nécessite pas, pour être valablement formé, l'établissement d'un écrit, en l'espèce, Mme [Y] conteste avoir été la mandataire de la SARL le mas fleuri.
Le contrat de mandat implique qu'une personne charge une autre personne d'accomplir pour son compte un acte juridique, et pas seulement des actes matériels sans pouvoir de représentation.
Dans ce dernier cas, le contrat ne correspond pas à un mandat, mais à un contrat d'entreprise.
Au cours de l'enquête pénale, Mme [I] a expliqué que Mme [Y] venait de temps en temps au camping pour faire du secrétariat et qu'elle était chargée de contrôler les factures ou garder une ou deux heures le camping, qu'elle récupérait les documents pour les envoyer au comptable et qu'en aucun cas, 'elle n'avait le pouvoir de signer les chèques'.
Il en résulte que, selon les déclarations mêmes de Mme [I], Mme [Y] n'était pas chargée de réaliser des actes juridiques, incluant des paiements par chèques, à la faveur d'un pouvoir de représentation que lui aurait conféré la société.
Tout au plus est il établi que des tâches de secrétariat lui ont été confiées. Or, de telles tâches, qui ont un caractère purement matériel, n'impliquent pas de pouvoir de représentation.
L'existence d'un contrat de mandat n'est donc pas établie.
Par ailleurs, aucune pièce n'établit que Mme [Y] a commis, entre le 15 décembre 2006 et le 21 février 2009, des infractions pénales au préjudice de la SARL le mas fleuri.
Le tribunal correctionnel de Nice n'a pas statué sur les infractions reprochées à Mme [Y] au cours de cette période, les faits ayant été considérés comme prescrits.
Les pièces de la procédure pénale versés aux débats font ressortir que Mme [I] conteste avoir signé les cinquante six chèques litigieux, mais Mme [Y] a elle-même affirmé qu'ils portaient bien la signature de celle-ci.
Aucune expertise en écriture n'est produite aux débats pour, d'une part étayer l'hypothèse d'une falsification de ces chèques, d'autre part en attribuer la responsabilité à Mme [Y], qui conteste formellement les avoir elles-mêmes signés.
Certes, il est établi, et elle ne le conteste pas, qu'elle est la bénéficiaire des cinquante-six chèques litigieux et qu'elle les a encaissés. Cependant, l'encaissement de ces chèques ne démontre pas qu'elle les a préalablement falsifiés.
Par ailleurs, Mme [Y], qui soutient que ces chèques correspondent au paiement de prestations de secrétariat réalisées pour le compte de la SARL le mas fleuri, produit des factures à en tête de '[Y] télésecrétariat'.
Or, aucune investigation n'a été réalisée sur ce point, alors que Mme [I] ne conteste pas elle-même avoir sollicité Mme [Y] pour des tâches de secrétariat. Au cours de son audition du 1er mars 2012, elle explique ainsi que l'intéressée venait 'faire du secrétariat', qu'elle 'devait, soit contrôler les factures ou garder une ou deux heures le camping' et qu'elle récupérait les documents pour les envoyer au comptable'.
Mme [I], tout en se plaignant que ces paiements n'étaient pas dus, ne justifie pas des conditions dans lesquelles Mme [Y] a collaboré avec la SARL le mas fleuri.
Or, il lui appartient de démontrer que cette collaboration a eu lieu à titre bénévole, ce que Mme [Y] conteste formellement.
Par ailleurs, il lui appartient également de démontrer que les chèques ont été subtilisés, puis falsifiés par Mme [Y]. Or, s'il est acquis qu'au cours de la période postérieure à 2009, Mme [Y] a effectivement falsifié des chèques appartenant à la SARL le mas fleuri, il n'est produit aucun élément matériel étayant l'existence de telles falsifications pour la période antérieure.
Au regard de ces éléments, les réclamations indemnitaires à l'encontre de Mme [Y], à raison de l'inexécution par celle-ci de ses obligations de mandataire entre le 15 décembre 2006 et le 21 février 2009 ne peuvent prospérer.
Sur la responsabilité de M. [Y]
Mme [I] et la SARL le mas fleuri agissent à l'encontre de M. [Y] sur le fondement de l'enrichissement sans cause, à raison des sommes provenant de la falsification de chèques, dont celui-ci aurait profité entre le 15 décembre 2006 et le 21 février 2009.
Les contrats conclus avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, soit au 1er octobre 2016, demeurent soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d'ordre public.
En application de l'article 1376 du code civil dans sa version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s'oblige à le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu.
L'existence d'un enrichissement sans cause de M. [Y], par l'effet de paiements indûment encaissés par son épouse , suppose que la responsabilité contractuelle de cette dernière soit elle-même établie.
Dès lors qu'une telle responsabilité n'est pas démontrée, M. [Y] ne peut lui même être tenu de restituer ces fonds ou de payer à Mme [I], agissant à titre personnel, des dommages-intérêts.
En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné les époux [Y], in solidum, à payer à la SARL le mas fleuri une somme de 57 363,18 € avec intérêts au taux légal à compter du 7 juillet 2016 et capitalisation des intérêts dus pour au moins une année entière et à Mme [I] une somme de 10 000 € à titre de dommages-intérêts.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles sont infirmées.
Mme [I] et la SARL le mas fleuri, qui succombent, supporteront la charge des entiers dépens de première instance et d'appel et ne sont pas fondées à solliciter une indemnité en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais, non compris dans les dépens, exposés en première instance et devant la cour.
L'équité commande de dire n'y avoir lieu à condamnation en application de l'article 700 du code de procédure civile au profit des époux [Y] au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et devant la cour.
Par ces motifs
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort
Confirme le jugement rendu le 10 juin 2020 par le tribunal judiciaire de Nice en ce qu'il a rejeté les fins de non recevoir soulevés par Mme [S] [F] épouse [Y] et M. [T] [Y] et déclaré les demandes de Mme [I] et de la SARL le mas fleuri recevables ;
L'infirme pour le surplus de ses dispositions soumises à la cour ;
Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,
Déboute Mme [N] [I], agissant à titre personnel et en qualité de représentant légal de la SARL le mas fleuri, de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de Mme [S] [F] épouse [Y] et M. [T] [Y] ;
Déboute Mme [N] [I], agissant à titre personnel et en qualité de représentant légal de la SARL le mas fleuri de sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et devant la cour ;
Dit n'y avoir lieu à condamnation au profit de Mme [S] [F] épouse [Y] et M. [T] [Y]
en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais qu'ils ont exposés en première instance et devant la cour ;
Condamne Mme [N] [I], agissant à titre personnel et en qualité de représentant légal de la SARL le mas fleuri, aux entiers dépens de première instance et d'appel et accorde aux avocats, qui en ont fait la demande, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT