COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Délég.Premier Président
ORDONNANCE DE VISITES DOMICILIAIRES
du 14 Août 2024
N° 2024/14
Rôle N° RG 23/08621 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLQ6P
Rôle N° RG 23/08622 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLQ6R
Rôle N° RG 23/08626 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLQ6Y
Rôle N° RG 23/08627- N° Portalis DBVB-V-B7H-BLQ63
Rôle N° RG 23/09053 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLSYN
Société SMART EVENT MANAGEMENT LTD
C/
DIRECTION NATIONALE D ENQUETES FISCALES
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Pierre PALMER
Me [V] [L]
Prononcée à la suite d'un appel interjeté en date du 29 juin 2023 contre l'ordonnance rendue par le juge des Libertés et de la Détention du Tribunal judiciaire de MARSEILLE rendue le 13 juin 2023.
DEMANDERESSE
Société SMART EVENT MANAGEMENT LTD, demeurant Sis [Adresse 7] - [Localité 9] -
représentée par Me Laurent ROUSTOUIL de la SCP BBLM, avocat au barreau de MARSEILLE, Me Delphine RAVON de la SELEURL CABINET DELPHINE RAVON, avocat au barreau de PARIS
DEFENDEUR
DIRECTION NATIONALE D ENQUETES FISCALES, demeurant [Adresse 5] - [Localité 6] CEDEX
représenté par Me Jean DI FRANCESCO de la SCP URBINO ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, Me Pierre PALMER, avocat au barreau de PARIS
* * * *
DÉBATS ET DÉLIBÉRÉ
L'affaire a été débattue le 06 Juin 2024 en audience publique devant
Laurent SEBAG, Conseiller,
déléguée par ordonnance du premier président.
En application des articles 957 et 965 du code de procédure civile
Greffier lors des débats : Cécilia AOUADI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Août 2024.
ORDONNANCE
Contradictoire,
Prononcée par mise à disposition au greffe le 14 Août 2024.
Signée par Laurent SEBAG, Conseiller et Cécilia AOUADI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE :
La société SMART EVENT MANAGEMENT LTD a été constituée le 12 avril 2012 au Royaume-Uni et a pour objet les « activités de relations publiques et de communication ; activités de conseil en gestion autres que la gestion financière ». Sa dirigeante est Mme [Y] [L], de nationalité française, résidant au Royaume-Uni, qui détient 75% au moins des parts.
L'associée unique de la société SMART EVENT MANAGEMENT LTD est la société SEABLISS LTD, sise à [Localité 8], dont l'associée est également Mme [Y] [L].
Les informations collectées par l'administration fiscale lui ont permis de conclure, notamment, que :
-la société SMART EVENT MANAGEMENT LTD utilise un compte bancaire en Suisse pour percevoir le règlement de ses factures,
-après plusieurs transferts de siège social, elle est sise, depuis août 2020, à la même adresse que les sociétés CITY SECRETARIES et ADBELL INTERNATIONAL LTD qui proposent des services de domiciliation d'entreprise, adresse et ne dispose pas d'une ligne téléphonique,
-elle ne dispose pas de moyens matériels et humains propres suffisants, au Royaume-Uni, pour y développer son activité,
-la société SMART EVENT MANAGEMENT LTD a toujours été sise à la même adresse que ses différents secrétaires ou comptables.
Depuis le 14 septembre 2022, la SAS LVDS, qui a une activité d'«agence de voyage et spectacles, édition, publicité, tourisme et vacances » et est sise à [Localité 10], fait l'objet d'une procédure de vérification de comptabilité qui a permis à l'administration fiscale de prendre en copie un certain nombre de documents. Le dirigeant de cette société est M. [P] [Z] [I].
La société LVDS distribue, auprès d'une clientèle de particuliers, des croisières organisées par la société SMART EVENT MANAGEMENT LTD.
C'est dans ce cadre que cette dernière a identifié des conventions de prestations de services signées entre 2018 et 2021 et notamment une convention datée du 26 décembre 2016 par laquelle la Société SMART EVENT MANAGEMENT LTD a confié exclusivement à la société LVDS la commercialisation en France des croisières qu'elle organise.
Enfin, la société LVDS procède aux règlements de ses factures sur le compte bancaire suisse de la société SMART EVENT MANAGEMENT LTD.
Il appert que les initiales « LVDS » signifient « Les Voyages de [Y] », que la responsable éditoriale du site, créatrice de voyages et manager de l'équipe des membres de la société LVDS est [Y] [Z] [I] ([Y] [L]) qui exerce plusieurs fonctions au sein de la société LVDS.
L'administration fiscale en a donc déduit que la société SMART EVENT MANAGEMENT LTD est présumée s'être soustraite et/ou se soustraire à l'établissement et au paiement des impôts sur les bénéfices ou des taxes sur le chiffre d'affaires en se livrant à des achats ou des ventes sans facture en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures en passant ou en faisant sciemment passer des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le code général des impôts (articles 54 et 209-I pour l'impôt sur les sociétés, et 286 pour la TVA).
C'est dans ces circonstances qu'en date du 7 juin 2023, la DNEF a saisi le juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de Marseille afin d'être autorisée à procéder aux visites domiciliaires et saisies prévues par l'article L.16B du Livre des procédures fiscales.
Suivant ordonnance du 13 juin 2023, le juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de Marseille a autorisé visites et saisies, par les agents de la DNEF, dans les locaux suivants :
-[Adresse 2],
-[Adresse 3],
-[Adresse 4],
-[Adresse 1] à [Localité 11] occupés par les entités COMPAGNIE DU PONANT et/ou ARVAG et/ou CAROLINE 50 et/ou CAROLINE 55 et/ou COPROPRIETE NAVIRE ILES DU PONANT 1 et/ou FONDATION DE DOTATION DE PREFIGURATION DE LA FONDATION PONANT.
En date du 16 juin 2023, les agents de la DNEF se sont rendus au [Adresse 2], [Adresse 3] et [Adresse 4] et ont procédé, notamment, à l'examen de données accessibles à partir des ordinateurs et supports qui ont été copiées (fichiers et messages), à l'exclusion des correspondances et fichiers couverts par le secret entre avocat et client.
Des procès-verbaux ont été établis le même jour.
Suivant déclaration d'appel du 29 juin 2023, la société SMART EVENT MANAGEMENT LTD a interjeté appel de l'ordonnance rendue par le JLD de Marseille en date du 13 juin 2023 (RG 23/8621).
Suivant déclaration d'appel du 29 juin 2023, les sociétés SMART EVENT MANAGEMENT LTD et la S.A.S LVDS ont interjeté appel de l'ordonnance rendue par le JLD de Marseille en date du 13 juin 2023 (RG 23/8622).
Suivant déclaration d'appel du 29 juin 2023, la société SMART EVENT MANAGEMENT LTD et M. [P] [Z] [I] ont interjeté appel afin d'obtenir l'annulation du procès-verbal portant sur la visite et les saisies effectuées le 16 juin 2023 dans les locaux situés [Adresse 4] - [Localité 11] en exécution de l'ordonnance rendue par le JLD de Marseille en date du 13 juin 2023 (RG 23/8626).
Suivant déclaration d'appel du 29 juin 2023, la société SMART EVENT MANAGEMENT LTD et la SARL [I] M ont interjeté appel afin d'obtenir l'annulation du procès-verbal portant sur la visite et les saisies effectuées le 16 juin 2023 dans les locaux situés [Adresse 3]- [Localité 11] en exécution de l'ordonnance rendue par le JLD de Marseille en date du 13 juin 2023 (RG 23/8627).
Suivant déclaration d'appel du 29 juin 2023, la société SMART EVENT MANAGEMENT LTD a interjeté appel afin d'obtenir l'annulation du procès-verbal portant sur la visite et les saisies effectuées le 16 juin 2023 dans les locaux situés [Adresse 2] - [Localité 11] occupés par les sociétés COMPAGNIE DU PONANT SAS et ARVAG SAS en exécution de l'ordonnance rendue par le JLD de Marseille en date du 13 juin 2023 (RG 23/9053).
Par conclusions d'appel n°2 du 3 juin 2024 soutenues oralement à la barre par Me [V] [L], les appelants sollicitent l'infirmation de l'ordonnance du JLD du 13 juin 2023, ainsi que l'annulation des opérations de visite et saisies domiciliaires autorisées, la destruction, sous astreinte de 2000 euros par jour de retard passé un délai de 8 jours à compter de la décision à intervenir, de toute copie sous quelque forme que ce soit des documents papier et données numériques dont la saisie est annulée, à charge pour l'administration de justifier de la destruction effective des documents et données numériques, de dire que l'administration sera rétroactivement réputée ne jamais avoir détenu les pièces et données saisies, outre la condamnation du directeur général des finances publiques aux dépens et à payer aux appelants la somme de 2000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils soutiennent à l'appui de leurs prétentions que 12 des pièces produites par l'administration fiscale à l'appui de sa demande d'autorisation de procéder aux visites et saisies susvisées ont une origine illicite en ce qu'elles relatent le résultat de recherches effectuées sur internet sans mention ni du nom de leur auteur ni même du service auquel il est rattaché, ne rendant pas possible la vérification que de telles recherches ont été faites par des agents habilités dans les conditions définies par la loi de finances pour 2020, ajoutant que sans la production de ces 12 pièces, le premier juge n'aurait pas autorisé l'ordonnance querellée.
Les appelants font également valoir que la présomption de fraude alléguée ne repose sur aucun indice susceptible de l'étayer.
Ils prétendent en outre que la procédure a été détournée en ce que la seule finalité poursuivie par l'administration est en fait un contrôle de résidence de [Y] [L], un tel détournement de procédure entachant de nullité la procédure.
Ils soutiennent enfin une absence d'utilité réelle et de proportionnalité des visites domiciliaires au regard des buts poursuivis, atteignant la sécurité juridique et le droit au respect des biens, contraires ainsi à la jurisprudence du conseil constitutionnel et à l'article 8 de la CEDH.
Par dernières conclusions soutenues oralement par l'intermédiaire de Me Jean DI FRANCESCO, la DGFIP sollicite la confirmation de l'ordonnance rendue par le JLD de Marseille le 13 juin 2023 et le rejet de l'ensemble des demandes des appelants.
Elle soutient notamment que l'argumentation développée par les appelants ne remet pas en cause le bien-fondé des présomptions retenues par le premier juge et que les éléments soumis à l'appréciation de ce dernier justifiaient la mise en 'uvre d'une procédure de visite domiciliaire. Elle ajoute que les 12 pièces prétendument illicites ne le sont pas car leur traitement ne relève pas de la loi de finances pour 2020, l'administration fiscale s'étant limitée à consulter manuellement dans le cadre d'une démarche individualisée et ciblée les sites d'accès publics sans mise en 'uvre d'un quelconque traitement informatisé des données. Elle dénie au demeurant un détournement de procédure [Y] [L] n'ayant été visitée qu'en raison de son rôle central en tant que dirigeant et bénéficiaire économique de la société SMART EVENT MANAGEMENT, mais également comme fondatrice et intervenante dans l'activité de la société LVDS. Enfin, elle soutient que les visites domiciliaires sont proportionnelles aux nécessités.
La DGFIP demande également la condamnation des appelants à lui régler la somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par avis distincts du 5 juin 2024, madame l'avocate générale requiert la confirmation de l'ordonnance attaquée et s'en rapporte à justice sur l'annulation des procès-verbaux consécutifs.
Les débats clos le 6 juin 2024, la décision a été mise en délibéré au 14 août 2024.
MOTIFS DE LA DECISION :
I Sur la jonction :
Il y a lieu en application de l'article 367 du code de procédure civile d'ordonner la jonction des instances enregistrées sous les numéros RG 23/8621 à joindre avec 23/8622, 23/8626, 23/8626, 23/8627 et 23/9053 sous le numéro RG 23/8621.
II Sur les appels contre l'ordonnance du 13 juin 2023
Sur la recevabilité des appels :
La recevabilité des appels contre l'ordonnance d'autorisation du juge des libertés et de la détention n'est pas contestée et les éléments du dossier ne font pas apparaître d'irrégularité.
Les appels sont ainsi recevables.
Sur le bien-fondé des appels :
Aux termes de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, l'autorité judiciaire peut autoriser l'administration à effectuer une visite domiciliaire lorsqu'il existe des présomptions qu'un contribuable se soustrait à l'établissement ou au paiement de l'impôt sur le revenu ou les bénéfices ou de la TVA pour rechercher la preuve de ces agissements.
Sur la licéité des 12 pièces critiquées :
Dans son contrôle du respect des dispositions de l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales, le premier président saisi d'une contestation de la licéité de l'origine des pièces produites au soutien de la requête, doit vérifier la licéité de l'obtention des pièces fournies par l'administration fiscale.
Selon l'article L. 96 G I du LPF, pour les besoins de la recherche ou de la constatation des infractions mentionnées au c du 1 de l'article 1728, aux b et c de l'article 1729, au I de l'article 1729-0 A et au dernier alinéa de l'article 1758 du code général des impôts, des agents de l'administration des impôts ayant au moins le grade de contrôleur et spécialement habilités par le directeur du service auquel ils sont affectés ou son adjoint peuvent, dans les conditions prévues au II du présent article, se faire communiquer les données conservées et traitées par les opérateurs de communications électroniques dans le cadre de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques et par les prestataires mentionnés aux 1 et 2 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique dans les conditions prévues au même article 6.
L'article 154 de la loi n°2019-1479 du 28 décembre 2019 a rendu possible la collecte et l'exploitation par l'administration à titre expérimental de traitements informatisés et automatisés des contenus librement accessibles publiés sur internet par les utilisateurs de plateformes en ligne afin de détecter les comportements frauduleux.
Le 12 septembre 2019, la CNIL dans sa décision n°2019-114 portant avis sur le projet d'article 9 du projet de loi de finances pour 2020, précise d'ailleurs combien ce type d'opération ne répond pas à une logique de traitement ciblé des données lorsqu'un doute ou des suspicions de commission d'une infraction préexistent.
En l'espèce, il ressort des pièces querellées que, contrairement aux allégations des appelants, les recherches qui ont été réalisées par les agents fiscaux ne relèvent pas de la loi de finances pour 2020 en ce qu'il n'a pas été procédé à un traitement informatisé et/ou automatisé de données mais seulement une consultation manuelle individualisée de sites d'accès publics.
Ce moyen doit donc être rejeté.
Sur les présomptions de fraude :
Il convient de rappeler en préambule que l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales n'exige que de simples présomptions, le juge de l'autorisation n'ayant pas à se substituer au juge de l'impôt dans l'appréciation de la réalité de la fraude alléguée ou des droits éludés mais seulement à examiner s'il existe à la date de l'autorisation des présomptions de fraude justifiant les opérations de visite et de saisie.
-Sur la mention sur les factures de la société SMART EVENT MANAGEMENT d'un numéro de TVA intracommunautaire invalidé le 31 décembre 2020 :
Il est clair que cette date correspond à la sortie de l'Union européenne par l'Angleterre.
Les appelants prétendent à travers une attestation de l'expert-comptable anglais de la société en question que celle-ci n'a pas cessé son activité.
Or, ce motif est sans intérêt puisque le débat n'est pas de savoir, ce que ne prétend pas d'ailleurs l'administration fiscale, si la société SMART EVENT a ou non cessé son activité à cette date, mais seulement si cette facture ne serait pas sujette à caution alors qu'elle porte un numéro de TVA intracommunautaire à une date où une société de droit britannique ne peut plus s'en prévaloir étant sortie de l'Union européenne et, donc si la réalité de l'activité présentée de cette société correspondait à la présentation juridique qui en était faite.
-Sur les anomalies dans les documents contractuels liant la société SMART EVENT MANAGEMENT et la société LVDS :
Au demeurant, c'est à juste titre que l'administration fiscale a relevé des anomalies dans les contrats signés et dans l'établissement de factures éditées par la société SMART EVENT MANAGEMENT LTD à destination de la société française LVDS entre les 30 mars 2019 et 15 décembre 2021 puisque ces documents ne portent mention ni d'un numéro d'immatriculation auprès des autorités britanniques, ni d'un numéro de téléphone ou d'une adresse électronique, mentionnent une adresse postale qui n'est plus celle de la société SMART EVENT MANAGEMENT depuis le 1er février 2019 et, sur quatre factures en particulier, ne porte trace d'aucune devise.
-Sur l'insuffisance de moyens en Angleterre à la société SMART EVENT MANAGEMENT pour exercer :
Les appelants soutiennent que la société SMART EVENT MANAGEMENT dispose de locaux à Londres et d'un salarié, ce qui serait amplement suffisant à l'exercice de son activité de tour-opérateur.
Or, nonobstant même le fait de savoir si un seul salarié suffit à la société SMART EVENT pour exercer son activité sur l'ensemble du Royaume-Uni, c'est avec pertinence que le premier juge a relevé dans son ordonnance que cette dernière a toujours eu un siège social à la même adresse que ses différents secrétaires ou comptables depuis août 2020, ainsi que dans le même lieu que les sociétés CITY SECRETARIES LTD et ADBELL INTERNATIONAL LTD, notoirement connues pour proposer des services de domiciliation d'entreprises, où plus de 800 sociétés sont elles-même répertoriées.
Il n'est pas indifférent de rappeler non plus que la société officiant comme tour-opérateur ne dispose pas d'une ligne téléphonique et qu'elle utilise un compte bancaire en Suisse pour percevoir le paiement de ses factures.
Enfin, le premier juge a constaté à juste titre que la société SMART EVENT disposait sur le territoire français de certains des moyens de la société LVDS puisqu'un salarié de celle-ci semblait gérer la situation financière de la société de droit britannique auprès de son fournisseur, le fait qu'une convention de garantie unissant la société SMART EVENT et la COMPAGNIE DU PONANT donnait les coordonnées de la société LVDS pour être contactée, n'était assurément pas indifférent de surcroît.
-Sur l'existence possible d'un centre décisionnel en France pour la société SMART EVENT :
Il ressort de l'ensemble des pièces produites à la cause et non contestées par les appelants que [Y] [L] est dirigeante et bénéficiaire économique exclusive de la société SMART EVENT MANAGEMENT.
Il peut en être raisonnablement déduit qu'elle est par sa personne l'incarnation du centre décisionnel en France de sa société de droit britannique.
En effet, même si elle conteste être domiciliée en France, elle ne peut contester être régulièrement présente en France, d'où il peut être légitime de penser qu'elle y dirige la société SMART EVENT MANAGEMENT, de surcroît pour compléter la présence d'un seul salarié au sein de cette société de droit britannique. Cela ressort des faits que :
-elle est la mère des enfants communs avec [P] [Z] [I], dirigeant de la société LVDS ('Les voyages de [Y]' pour [Y] [L]), lequel est domicilié prétendument seul avec les enfants communs au [Adresse 4] dans le [Localité 11], que Madame [L] utilise pour s'y faire livrer des commandes (sans qu'il intéresse de savoir si c'est pour son usage personnel ou pour celui de la société LVDS dont le témoignage d'un subordonné employé est peu crédible en raison de son lien de subordination) et qu'elle a elle-même communiquée à l'administration dans le cadre d'une réponse adressée par la société LVDS à une proposition de rectification ;
-elle a fondé la société LVDS (à laquelle elle n'est pas étrangère à l'acronyme), elle en est la responsable éditoriale, la créatrice de voyages et manager de l'équipe des membres de cette société, et elle est présentée comme le contact et le décisionnaire des achats auprès des fournisseurs pour son compte, autant de fonctions que M. [Z] [I] ne démontre pas exercer lui-même et qu'elle ne peut a priori satisfaire pleinement du Royaume-Uni.
Au regard de l'ensemble de ces éléments et en se fondant sur la méthode du 'faisceau d'indices', c'est donc à bon droit que le premier juge a estimé que les informations collectées par l'administration fiscale, produites également devant la cour, lui avaient permis de conclure que la société de droit britannique SMART EVENT MANAGEMENT LTD pouvait être présumée exercer une activité à partir de la France, via la société LVDS dirigée par le père des enfants communs de la dirigeante de la société SMART EVENT MANAGEMENT, en la personne de [Y] [L], s'ur de Me [V] [L], portant ses intérêts devant la cour.
Dans ces conditions il a pu être présumé qu'elle exerçait une activité commerciale dans la distribution et l'organisation séjours touristiques, sans souscrire les déclarations fiscales correspondantes et en omettant ainsi de passer en France les écritures comptables y afférentes.
Sur le détournement de procédure :
Au sens de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie s'en prévalant de démontrer la réalité des faits nécessaires au succès de ses prétentions.
A cet égard, si les appelants prétendent que la réalité des opérations critiquées visait en effet [Y] [L] et non les entités morales, il n'en demeure pas moins qu'aucune preuve n'est apportée par cette dernière en ce sens. Le fait que la société incriminée n'ait pas fait encore l'objet d'une vérification de comptabilité, à laquelle l'administration fiscale n'est pas contrainte pour engager des poursuites pénales, alors que [Y] [L] aurait elle-même fait l'objet d'un avis de contrôle fiscal à son prétendu domicile londonien, n'est pas déterminant de ce prétendu détournement, voire même contribuerait à l'écarter car d'éventuelles poursuites fiscales personnelles en Angleterre de Mme [L] pourraient être tout aussi bien consécutives à d'éventuels dévoiement fiscaux commis via les personnes morales.
Ce moyen doit donc être rejeté.
Il convient en conséquence de confirmer l'ordonnance entreprise par le premier juge marseillais du 13 juin 2023.
III Sur les recours formés contre les opérations de visite et de saisie
Sur la recevabilité des recours :
La recevabilité des appels contre les procès-verbaux des opérations de visite et de saisie du 16 juin 2023 n'est pas contestée et les éléments du dossier ne font pas apparaître d'irrégularité.
Les appels sont ainsi recevables.
Sur la proportionnalité de la mesure autorisée :
Aux termes de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme : 'Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance'.
Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ».
La présomption de fraude doit être suffisante pour que l'atteinte aux droit fondamentaux que constitue une visite domiciliaire soit proportionnée aux craintes objectives de l'administration et à l'ampleur ou la complexité du processus frauduleux et l'article 8 précité impose un contrôle de proportionnalité de la mesure.
A cet égard, la cour rappelle que la recherche d'autres moyens d'investigation n'est pas exigée par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, la Cour européenne exigeant seulement que la législation et la pratique en la matière offrent des garanties suffisantes contre les abus lorsque les Etats estiment nécessaire de recourir à des mesures de visite domiciliaire pour établir la preuve matérielle des délits, notamment de fraude fiscale, et en poursuivre le cas échéant les auteurs.
Pour la France, les dispositions de l'article L 16 B du Livre des procédures fiscales, dans sa rédaction actuelle issue de la loi du 29 décembre 2023, tout comme dans sa version applicable au jour de l'ordonnance querellée, assurent les garanties suffisantes exigées par la Convention.
Aucun texte ne subordonne non plus la saisine de l'autorité judiciaire, pour l'application des dispositions de l'article L 16 B du Livre des procédures fiscales, à l'impossibilité de recourir à d'autres procédures de contrôle.
Le premier président, statuant en appel, apprécie l'existence des présomptions de fraude, sans avoir à justifier autrement la proportionnalité de la mesure qu'il confirme.
Dès lors qu'existent des présomptions d'agissements de fraude, la procédure de visite domiciliaire est justifiée en ce qu'elle permet de rechercher la preuve des agissements supposés et ainsi d'accéder à des documents de gestion quotidienne de l'entreprise ou relatifs à l'organisation interne, que le contribuable n'a pas l'obligation de remettre dans le cadre d'une procédure de contrôle classique. Ces présomptions sont suffisantes pour que l'atteinte aux droits fondamentaux qu'apporte une visite domiciliaire apparaisse proportionnée aux craintes objectives de l'administration et à l'ampleur ou la complexité du processus frauduleux, et pour que le juge des libertés et de la détention estime, au vu des documents produits et examinés, que la mesure autorisée soit elle même proportionnée au but recherché conformément à l 'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, aucun texte ne faisant obligation à l'administration de justifier de son choix de recourir à la procédure de l'article 16B du livre des procédures fiscales .
En l'espèce, la cour observe que les appelants ne prennent pas même la peine d'indiquer à la cour quel(s) acte(s) préalable(s) l'administration fiscale aurait dû réaliser avant de procéder aux opérations de visites et de saisies contestées.
Il convient en conséquence d'écarter purement et simplement ce moyen.
L'ensemble des moyens étant écarté, il y a lieu de rejeter les recours contre les opérations de visite et saisie.
IV Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
Les appelants qui succombent au litige seront déboutés de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de l'administration fiscale les frais, non compris dans les dépens, qu'elle a exposés pour la présente procédure.
Il convient de lui allouer à ce titre la somme de 2000 €.
Les appelants supporteront en outre les dépens de l'instance.
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement, contradictoirement,
Ordonnons la jonction des procédures enregistrées sous les numéros RG 23/8621 à joindre avec 23/8622, 23/8626, 23/8627, 23/9053 sous le numéro RG 23/8621 ;
Déclarons recevables les appels formés par les sociétés SMART EVENT MANAGEMENT LTD, et LVDS contre l'ordonnance d'autorisation du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Marseille en date du 13 juin 2023 ;
Déclarons recevables les appels formés par les sociétés SMART EVENT MANAGEMENT LTD, [I] M et par M. [P] [Z] [I] contre les opérations de visite et de saisie réalisées à [Localité 10] le 16 juin 2023 ;
Confirmons l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Marseille en date du 13 juin 2023 ;
Rejetons les recours formés contre les opérations de visite et de saisie réalisées à [Localité 10] le 16 juin 2023 et écartons toutes les demandes d'annulation afférentes à ces opérations ;
Déboutons les sociétés SMART EVENT MANAGEMENT LTD, LVDS, [I] M et M. [P] [Z] [I] de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamnons les sociétés SMART EVENT MANAGEMENT LTD, LVDS, [I] M et M. [P] [Z] [I] à payer au directeur général des finances publiques la somme de 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamnons les sociétés SMART EVENT MANAGEMENT LTD, LVDS, [I] M et M. [P] [Z] [I] aux dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT