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18/07/2024 | FRANCE | N°22/15511

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-8a, 18 juillet 2024, 22/15511


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8a



ARRÊT AU FOND



DU 18 JUILLET 2024



N°2024/





RG 22/15511

N° Portalis DBVB-V-B7G-BKLSU







S.A.S. [6]





C/



[U] [H]



S.A.S. [5]



CPAM DES BOUCHES DU RHONE

































Copie exécutoire délivrée

le 18 Juillet 2024 à :



-Me Alain GALISSAR

D, avocat au barreau de MARSEILLE



- Me Bénédicte PEIGNE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE



- Me Thomas HUMBERT, avocat au barreau de PARIS



- CPAM DES BOUCHES DU RHONE























Décision déférée à la Cour :



Jugement du Pole social du Tribunal Judiciaire de Marseille en date du 19 Octobre 20...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8a

ARRÊT AU FOND

DU 18 JUILLET 2024

N°2024/

RG 22/15511

N° Portalis DBVB-V-B7G-BKLSU

S.A.S. [6]

C/

[U] [H]

S.A.S. [5]

CPAM DES BOUCHES DU RHONE

Copie exécutoire délivrée

le 18 Juillet 2024 à :

-Me Alain GALISSARD, avocat au barreau de MARSEILLE

- Me Bénédicte PEIGNE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

- Me Thomas HUMBERT, avocat au barreau de PARIS

- CPAM DES BOUCHES DU RHONE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Pole social du Tribunal Judiciaire de Marseille en date du 19 Octobre 2022,enregistré au répertoire général sous le n° 18/01798.

APPELANTE

S.A.S. [6], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Alain GALISSARD de l'ASSOCIATION GALISSARD A / CHABROL B, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMES

Monsieur [U] [H], demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Bénédicte PEIGNE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

S.A.S. [5], demeurant [Adresse 7]

représentée par Me Thomas HUMBERT, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Julie DELATTRE, avocat au barreau de PARIS

CPAM DES BOUCHES DU RHONE, demeurant [Adresse 3]

dispensée en application des dispositions de l'article 946 alinéa 2 du code de procédure civile d'être représentée à l'audience

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 Mai 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente

Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller

Monsieur Benjamin FAURE, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 18 Juillet 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 18 Juillet 2024

Signé par Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente et Mme Séverine HOUSSARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * * * * * * *

M. [H] a été employé par la société par actions simplifiée (SAS) de travail temporaire [5] et mis à disposition de la société utilisatrice [6] à compter du 5 janvier 2015, en qualité de 'chef d'équipe (ouvrier)', avec la mission suivante : 'encadrement et gestion d'une équipe de coffreurs bancheurs. Aide les différents corps de métiers dans leurs tâches'.

Le 24 mars 2015, à 14h30, M. [H] a été victime d'un accident sur le chantier des docks libres à [Localité 4], la société employeur déclarant : 'après avoir nettoyé son poste de travail, l'ouvrier devait caler un mannequin contre un mur (avec l'aide d'un autre ouvrier) lorsqu'il a trébuché sur une attente et a laché son mannequin qui lui est tombé sur la tête', lui causant une entorse cervicale.

L'accident a été pris en charge au titre de la législation professionnelle par la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône. L'état de santé de M. [H] a été déclaré consolidé le 20 avril 2016 avec un taux d'incapacité permanente partielle de 5%, en fonction duquel, il lui a été attribué une indemnité en capital.

Le 17 avril 2018, M. [H] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches-du-Rhône aux fins de faire reconnaître la faute inexacusable de son employeur à l'origine de son accident du travail.

Par jugement rendu le 19 octobre 2022, le tribunal devenu pôle social du tribunal judiciaire de Marseille a:

- accueilli le recours de M. [H] et l'a déclaré recevable,

- dit que l'accident du travail dont il a été victime le 24 mars 2015 est dû à la faute inexcusable de son employeur, la société [5], substituée dans la direction par la société [6],

- dit que M. [H] n'a commis aucune faute de nature à exonérer l'employeur des conséquences de la faute inexcusable qu'il a commise,

- ordonné le doublement de l'indemnité en capital versée à M. [H], ce montant étant récupéré par la caisse auprès de l'employeur,

- avant-dire droit, ordonné une expertise médicale aux fins d'évaluer les préjudices de M. [H],

- dit que la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône fera l'avance des sommes allouées à M. [H] au titre des conséquences de la faute inexcusable de son employeur,

- condamné la société [5] à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône l'ensemble des sommes qui seront allouées à la victime en suite de la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur dont elle aura été tenue de faire l'avance,

- condamné la société [6] à relever et garantir la société [5] de toutes les conséquences financières résultant de la reconnaissance de la faute inexcusable, ainsi que les frais relatifs à l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société [5] aux entiers dépens,

- ordonné l'exécution provisoire.

Les premiers juges ont motivé leur décision en retenant, pour l'essentiel, que le poste auquel M. [H] était affecté, présentait des risques particuliers pour sa santé et sa sécurité et que la société [6] ne rapportait pas la preuve qu'elle lui avait dispensé une formation et une information spécifique au poste de coffreur bancheur, de sorte que la faute inexcusable de l'employeur était présumée. Ils ont ajouté que l'absence de rangement des voies de circulation dans la zone de chantier ayant pu avoir une incidence dans la survenance de l'accident constitue une négligence ou une imprudence, mais pas une faute volontaire d'une exceptionnelle gravité de la part du salarié, qui soit susceptible d'exonérer la société employeur de sa propre faute inexcusable.

Par déclaration enregistrée le 23 novembre 2022 sur RPVA, la société [6] a interjeté appel du jugement.

A l'audience du 23 mai 2024, la société [6] reprend les conclusions n°3 notifiées par RPVA le 22 mai 2024. Elle demande à la cour de :

- réformer le jugement,

- débouter M. [H] de sa demande en reconnaissance de faute inexcusable à son encontre,

- débouter la société [5] de l'ensemble de ses prétentions,

- à titre subsidiaire, débouter M. [H] de sa demande de nouvelle expertise et de toutes demandes de liquidation du préjudice,

- condamner M. [H] à lui payer la somme de 1.500 euros à titre de frais irrépétibles.

Au soutien de ses prétentions, la société appelante fait valoir que le salarié qui a été mis à sa disposition par la société [5] disposait de toutes les compétences nécessaires au poste pourvu puisqu'il avait 3 ans d'expérience de chef d'équipe (ouvrier) et avait déjà réalisé des missions d'intérim pour le compte de la société [5]. Elle ajoute que le salarié avait suivi une formation sécurité adaptée et destinée spécifiquement aux intérimaires en suivant la formation CESAME et en se voyant attribuer le 'passeport sécurité intérim'. Elle précise qu'il lui a été rémis les équipements de protection individuelle (gants, casque, chaussures de sécurité et baudrier).

Elle fait ensuite valoir que le salarié n'occupait pas un poste à risques particuliers au regard tant du document unique d'évaluation des risques professionnels de 2015 qui a été validé par le CHSCT le 10 mars 2015, qu'au regard des opérations répertoriées à l'article R.4624-23 du code du travail.

Elle considère que l'accident ne résulte pas d'un défaut d'organisation du chantier mais d'une maladresse du salarié dans la manipulation d'un mannequin en bois. Sur ce point, elle se prévaut de la présence d'un coordonnateur en matière de sécurité de protection de la santé et de comptes-rendus de chantier et explique que la méthode Orchestra est un outil d'organisation prévisionnelle des chantiers et non un système d'évaluation des performances des salariés de sorte que le salarié s'en prévaut en vain pour établir que les cadences imposées le contraignaient à manipuler le mannequin en dehors de la disponibilité de la grue. Elle s'appuie sur un rapport d'accident qui aurait été validé par le salarié pour démontrer que l'accident est dû à l'absence d'initiative du salarié quant au rangement des voies de circulation ou à la manutention. Elle considère que les témoignages produits par la victime en cause d'appel sont tardifs et sujets à caution. Elle ajoute que le salarié n'a jamais eu instruction de manipuler la charge à la main alors même qu'une grue est mise à disposition sur le chantier. Elle réfute l'idée que le chantier n'était pas entretenu et fait valoir que le défaut de remise des équipements de protection individuelle incombe à la société de travail temporaire et ne peut lui être reproché. Elle indique enfin que le mannequin désignant un encadrement en bois qui permet de réaliser les réservations des baies et ouvertures dans un coffrage du mur banché, pèse entre 50 et 70 kgs et non 200 kgs comme la victime l'énonce. Elle en tire la conclusion que la preuve de la faute inexcusable n'est pas rapportée.

Subsidiairement, elle s'appuie sur les conclusions du docteur [I] qu'elle qualifie de précises pour justifier le rejet de la demande de nouvelle expertise.

La société [5] reprend les conclusions déposées et visées par le greffe le jour de l'audience. Elle demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a :

-dit que l'accident du travail dont il a été victime le 24 mars 2015 est dû à la faute inexcusable de son employeur, la société [5], substituée dans la direction par la société [6],

- dit que M. [H] n'a commis aucune faute de nature à exonérer l'employeur des conséquences de la faute inexcusable qu'il a commise,

- ordonné le doublement de l'indemnité en capital versée à M. [H], ce montant étant récupéré par la caisse auprès de l'employeur,

- avant-dire droit, ordonné une expertise médicale aux fins d'évaluer les préjudices de M. [H],

- dit que les sommes dues au titre de la majoration de rente, de l'indemnisation des préjudices personnels, des frais d'expertise et de la provision seront directement versées à M. [H] par la caisse primaire d'assurance maladie qui en récupérera le montant auprès de la société [5],

- débouter M. [H] de son recours en reconnaissance de faute inexcusable de son employeur,

- subsidiairement, confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société [6] à la garantir de l'ensemble des conséquences financières de la faute inexcusable, y compris les frais irrépétibles.

Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir que les circonstances de l'accident permettent d'établir qu'elle y est totalement étrangère puisqu'elle n'est pas présente sur les lieux de la mission et n'est pas responsable des outils ou machines mis à la disposition des salariés, ni de l'organisation du travail sur ces lieux, ni même responsable de l'analyse des risques encourus par les salariés. Elle considère que seule la société utilisatrice est responsable des conditions d'exécution du travail et que c'est à elle qu'il appartient de fournir les équipements de protection individuelle. Elle ajoute que le contrat de mission ne prévoyant pas que le salarié ait à effectuer la tâche à l'origine de son accident (caler un mannequin en bois au mur), elle ne pouvait pas le former à une telle tâche. Elle en conclut qu'il ne peut lui être reprocher aucun manquement.

En outre, elle considère que le poste de travail auquel était affecté le salarié, n'était pas un poste à risques particuliers, le contrat de mission indiquant expressément qu'il n'en était pas un et l'énumération des postes à risques à l'article R.4624-23 du code du travail ne le visant pas, et rappelle qu'il ne peut lui être reproché aucun manquement car l'analyse du poste incombe à la seule société utilisatrice. Elle considère encore que le salarié était à la fois qualifié et formé, de façon adaptée, à son poste de travail. Elle en tire la conclusion que la faute inexcusable ne peut être présumée.

En outre, elle fait valoir que du fait de sa qualité d'entreprise de travail temporaire, elle n'a aucun pouvoir de direction sur les salariés pendant la mission et elle ne pouvait avoir conscience du danger auquel M. [H] était exposé, compte tenu du libellé de sa mission d'encadrement pour laquelle il avait de l'expérience et était formé, compte tenu du fait qu'elle n'avait pas été alertée que le poste pouvait être à risque particulier et qu'il n'était pas fait référence à des tâches pouvant impliquer un risque de heurt avec un mannequin en bois.

Elle ajoute qu'en mettant à disposition un salarié parfaitement adapté au poste envisagé, le salarié s'étant vu remettre les équipements de protection prévus au contrat de mission, aucune faute ne saurait lui être reprochée.

Elle en tire la conclusion que dans l'hypothèse où la faute inexcusable de l'employeur était retenue, elle devrait être garantie par la société utilisatrice.

Enfin, elle indique que M. [H] ne rapporte pas la preuve de l'existence de préjudices complémentaires qui ne seraient pas déjà couverts par le livre IV.

M. [H] reprend les conclusions récapitulatives n°2 notifiées par RPVA le 22 mai 2024. Il demande à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

y ajoutant,

- condamner in solidum les sociétés [5] et [6] à lui payer la somme de 3.500 euros à titre de frais irrépétibles,

- les condamner in solidum aux dépens

subsidiairement, la présomption de faute inexcusable n'était pas retenue,

- dire que l'accident est imputable à la faute inexcusable de la société [5], son employeur, et la société [6] qu'elle s'est substituée,

- ordonner la majoration du versement du capital, ou de la rente, à son maximum,

- dire que la caisse avancera les sommes allouées au titre de la majoration de rente et l'indemnisation des préjudices,

- ordonner une expertise aux fins d'évaluation des préjudices visés à l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale et les dommages non couverts par le livre IV du même code et ce faisant confirmer le jugement querellé,

- ordonner le versement par la caisse primaire d'assurance maladie d'une provision à valoir sur la rémunération de l'expert et ce faisant confirmer le jugement querellé,

- débouter les sociétés [6] et [5] de leurs prétentions, plus amples ou contraires,

- les condamner in solidum à lui payer la somme de 3.500 euros à titre de frais irrépétibles,

- les condamner in solidum aux dépens de première instance et d'appel.

Au soutien de ses prétentions, il fait d'abord valoir que la faute inexcusable de son employeur à l'origine de son accident du travail doit être présumée. Il argue de ce que la liste des postes à risques et le DUERP, produits par la société utilisatrice tardivement en cause d'appel, ont été établis pour les besoins de la cause, sans qu'il soit justifié qu'ils aient été communiqués aux salariés. Il fait néanmoins remarquer que la liste inclut, dans les postes à risques, la manutention manuelle de plus de 55 kgs, ce qui a été le cas en l'espèce. Il fait valoir que son poste de coffreur bancheur constitue un poste à risque, du fait du risque de travail en hauteur et du risque d'écrasement. Il ajoute qu'il n'a pas bénéficié de la formation renforcée à la sécurité, ni d'un accueil et d'une formation adaptée dans l'entreprise utilisatrice. Sur ce point, il considère que la formation suivie au titre du 'Passeport Sécurité Intérim' est générale, que la société [6] ne justifie pas lui avoir fait bénéficier d'une formation spécifique, ni lui avoir présenté le PPSP du chantier, les guides sécurité, le tableau d'affichage sécurité, les notes de sécurité internes et les affiches de sensibilisation, ni lui avoir remis les éléments de protection visés au contrat de mission. Il reproche à la société de travail temporaire de ne s'être pas fait communiquer la liste des postes à risques dans l'entreprise utilisatrice et de ne s'être pas interrogée sur les spécificités du poste.

Subsidiairement, il fait valoir que la société [6] avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé compte tenu de la pagaille récurrente et généralisée de la zone de travail du fait des impératifs de cadence et de rendement des ouvriers présents, ceux-ci se trouvant contraints par les équipes encadrantes de différer les opérations de nettoyage du chantier. Il considère que ce sont les négligences de l'entreprise utilisatrice en matière d'organisation du chantier, les cadences imposées par elle aux ouvriers, qui sont la source de l'accident. Il ajoute que son équipe n'était pas prioritaire sur l'usage de la grue de sorte qu'il s'est retrouvé contraint de manipuler manuellement le mannequin pour exécuter ses tâches en dépit des règles de sécurité en la matière. Il s'appuie ici sur deux témoignages et sur le dispositif Orchestra utilisé par la société [6] pour chronométrer chaque poste dans un souci de gestion rentabilisée. Selon lui, la manipulation manuelle d'un coffrage avec un autre membre de son équipe fait partie de ses attributions car s'il est chef d'équipe, il est avant- tout ouvrier d'exécution. Il en tire la conclusion que la société ne pouvait ignorer les risques qu'il encourait dans l'exercice de sa mission du fait de la manipulation manuelle d'un poids important, ni les risques liés au désordre régnant sur le chantier.

Il ajoute que la société utilisatrice aurait pu éviter l'accident en mettant la grue à sa disposition pour la manipulation des mannequins et en imposant à ses ouvriers de maintenir en permanence les voies de circulation libre de tout obstacle. Il rappelle qu'il n'a reçu aucun accueil à son arrivée sur le chantier, ni aucune formation ni information ou consignes sur l'organisation du chantier.Il lui reproche encore de ne pas justifier de l'évaluation annuelle des risques au sein de son entreprise et de la remise des éléments de protection. En outre, il reproche à la société de travail temporaire de ne pas justifier du suivi régulier de son intérimaire pendant sa mission.

Il considère n'avoir commis aucune faute en manipulant le mannequin avec un collègue alors même que la règle de sécurité consistant à utiliser une grue n'était pas appliquée au sein de l'entreprise. Il ajoute qu'il n'a pas non plus commis de faute concernant le nettoyage de la zone de travail qu'il était entrain d'assurer quand l'accident est survenu. Il conclut que quand bien même il aurait commis une faute, celle-ci n'exonèrerait pas l'employeur de sa faute inexcusable.

Il se fonde sur les dispositions des articles L.452-2 et L.452-3 du code de la sécurité sociale pour solliciter la confirmation du jugement en ce qu'il a ordonné la majoration de son capital et l'organisation d'une expertise aux fins d'évaluation de ses préjudices.

La caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, dispensée de comparaître, se réfère aux conclusions notifiées le 25 avril 2024. Elle s'en rapporte à droit quant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur et en cas de reconnaissance, demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

- octroyé à la caisse primaire d'assurance maladie le bénéfice de son action récursoire à l'encontre de la SAS [5],

- condamné la SAS [6] à garantir la SAS [5] de toutes conséquences financières résultant de la reconnaissance de la faute inexcusable,

- condamner la SAS [6] à lui payer la somme de 1.000 euros à titre de frais irrépétibles.

Il convient de se reporter aux écritures oralement reprises par les parties à l'audience pour un plus ample exposé du litige.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la présomption de faute inexcusable

Aux termes de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

La charge de la preuve de la faute inexcusable incombe au salarié qui l'invoque, à moins que la faute inexcusable ne soit présumée dans le cas prévu à l'article L.4154-3 du code du travail.

Ce dernier article dispose que pour les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée, les salariés temporaires et les stagiaires en entreprise, victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle alors qu'ils sont affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité,la faute inexcusable de leur employeur est présumée s'ils n'ont pas bénéficié de la formation à la sécurité renforcée prévue par l'article L.4154-2. 

En l'espèce, il ressort du contrat de mission signé le 27 février 2015 par M. [H], que celui-ci a été mis à disposition de la société [6] par la société de travail temporaire [5] pour répondre à un accroissement temporaire d'activité sur la période du 1er au 27 mars 2015. Il est ainsi établi que le jour de l'accident du travail, le 24 mars 2015, M. [H] était salarié temporaire.

Il ressort de ce même contrat de mise à disposition que M. [H] devait être affecté à un poste intitulé comme suit : 'encadrement et gestion d'une équipe de coffreurs bancheurs aide les différents corps de métiers dans leurs tâches'. Le risque qu'il revêt est indiqué comme étant 'inhérent à la profession'.

Il y est même expressément précisé que le poste de travail ne figure pas sur la liste de référence de l'article L.4154-2 du code du travail.

Cet article dispose que : 'Les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée, les salariés temporaires et les stagiaires en entreprise affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité bénéficient d'une formation renforcée à la sécurité ainsi que d'un accueil et d'une information adaptés dans l'entreprise dans laquelle ils sont employés.

La liste de ces postes de travail est établie par l'employeur, après avis du médecin du travail et du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, des délégués du personnel, s'il en existe. Elle est tenue à la disposition de l'inspecteur du travail.'

Il est ainsi établi que le poste envisagé ne présente pas, selon l'entreprise utilisatrice, de risques particuliers pour la sécurité et la santé du salarié.

En cause d'appel, la société utilisatrice produit la liste des travaux à risques particuliers et le document unique d'évaluation des risques actualisé au 4 mars 2015, qui ne font que confirmer l'idée que si le poste de coffreur bancheur présente des risques, notamment d'accident de plain pied lors des déplacements sur le chantier et de chocs lors de la manutention manuelle,il ne présente pas pour autant de risques particuliers pour la santé et la sécurité au travail au sens de l'article L.4154-2 du code du travail.

C'est à tort que les premiers juges considèrent que le poste de coffreur bancheur revêt ces caractéristiques sans vérifier l'établissement de la liste des postes concernés par l'entreprise après avis du médecin du travail et du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail conformément à la désignation de ces postes selon la disposition légale précitée.

De surcroît, il n'est pas démontré que le poste de coffreur bancheur auquel était affecté M. [H], relève des postes présentant des risques particuliers au sens de l'article R.4624-23 du code du travail qui visent les postes exposant les travailleurs à :

'1° A l'amiante ;

2° Au plomb dans les conditions prévues à l'article R. 4412-160 ;

3° Aux agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction mentionnés à l'article R. 4412-60 ;

4° Aux agents biologiques des groupes 3 et 4 mentionnés à l'article R. 4421-3 ;

5° Aux rayonnements ionisants ;

6° Au risque hyperbare ;

7° Au risque de chute de hauteur lors des opérations de montage et de démontage d'échafaudages.'

Ainsi, contrairement aux premiers juges, la cour conclut que le poste auquel était affecté M. [H] ne présentait pas de risques particuliers pour sa santé ou sa sécurité, de sorte que la faute inexcusable de son employeur ne saurait être présumée.

Il appartient à M. [H] qui se prévaut de la faute inexcusable de son employeur à l'origine de son accident du travail de rapporter la preuve que celui-ci avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Sur la preuve d'une faute inexcusable de l'employeur

Il résulte de la déclaration d'accident du travail par la société de travail temporaire à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, que le 24 mars 2015 à 14h30, 'après avoir nettoyé son poste de travail, l'ouvrier devait caler un mannequin contre un mur (avec l'aide d'un autre ouvrier) lorsqu'il a trébuché sur une attente et a lâché son mannequin qui lui est tombé sur la tête'.

Les circonstances de l'accident sont bien déterminées : c'est la perte de l'équilibre du salarié sur un élément du chantier situé au sol qui lui a fait lâcher la charge lourde qu'il portait, sur le cou.

Il résulte de l'article L.412-6 du code de la sécurité sociale que l'entreprise utilisatrice est regardée comme substituée dans la direction, au sens de l'article L.452-1, à l'entreprise de travail temporaire et l'article L.1251-21 du code du travail dispose que pendant la durée de la mission, l'entreprise utilisatrice est responsable des conditions d'exécution du travail, et notamment de ce qui a trait à la santé et à la sécurité au travail.

Il s'en suit que la conscience du danger auquel est éxposé le salarié pendant l'exécution de sa mission doit s'apprécier à l'égard de la société utilisatrice la SAS [6], et non à l'égard de la société de travail temporaire, [5].

Selon la définition du métier de coffreur-bancheur, publiée par le ministère du travail le 6 janvier 2009, celui-ci consiste à réaliser l'ossature en béton armé sur des chantiers de construction de bâtiments à usage d'habitation ou de locaux à usage commercial ou industriel.

Il résulte d'un rapport d'observation édité en 2019 sur l'étude du métier de coffreur- bancheur par l'organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics, produit par le salarié intimé, que par mi lesrisques auxquels sont exposés les coffreurs-bancheurs, figurent celui afférent à l'encombrement généré par l'activité sur le chantier et celui afférent au port de charges lourdes.

Il y est notamment précisé que 'la problématique des poids unitaires (quipeuvent aller jusqu'à 100kgs) est présente. C'est particulièrement vrai lors de la mise en place des mannequins dans la banche, pour laquelle les manutentions à la grue sont entravées par la présence des compas. De ce fait, comme les manutentions de ces différents équipements sont manuelles, la priorité de la charge de grue ne leur est pas acquise. Les opérateurs vont parfois manutentionner les éléments lourds sur une distance plus importante que nécessaire, car la grue ne leur est pas dédiée pour les 3 à 5 derniers mètres, qui devront de toute façon être parcourus sans celle-ci.'

Il résulte ainsi de la nature du métier de coffreur-bancheur, impliquant la manipulation de mannequins dans les banches, sur une zone de travail encombrée de banches, stabilisateurs vérins stockage des fers ou autres, que la société [6], société spécialisée dans le gros oeuvre, ne pouvait ignorer le risque de heurt auquel était exposé son salarié en transportant un mannequin sur le chantier.

Cependant, il n'est pas rapporté la preuve de ce que la société n'a pas pris toutes les mesures nécessaires pour préserver son salarié de la réalisation du risque.

En effet, M. [H] produit l'attestation d'un chef d'équipe et d'un coffreur ayant travaillé sur le chantier au mois de mars 2015. Le premier dénonce : 'une désorganisation et un désordre tel qu'il était devenu dangereux de travailler dans ces conditions. Il y avait énormément de pagaille car le nettoyage et le rangement étaient mis de côté jusqu'au vendredi après-midi, les responsables du chantier le faisaient sciemment, les temps pour manipuler les charges avec la grue étaient chronométrées, cela ne permettait pas un nettoyage et un rangement efficace, quant aux cadences et au rendement imposés.' Le second atteste que le jour de l'accident, M. [H], son chef d'équipe, lui a demandé de ranger leur poste de travail en attendant leur tour pour se servir de la grue, il dénonce le désordre du chantier en ces termes : 'nous devions ranger des coffrages et des ferrailles qui étaient en désordre et nous empêchaient de préparer le travail du lendemain. Il y avait beaucoup de matériel et de matériaux sur le sol'.

Ces deux attestations rédigées près d'un an après l'accident les 23 janvier 2018 et 12 février 2018, sont contredites par le procès-verbal de la 120ème réunion du comité d'hygiène, de sécurité des conditions de travail de [Localité 4] tenue le 10 mars 2015, soit seulement quinze jours avant l'accident. En effet, les commentaires des membres du comité suite à la visite du chantier sont les suivants : 'chantier propre', 'chantier bien tenu, l'effort sur le maintien de la sécurité est important et continu', ' chantier bien tenu', 'stabilisation des banches, trés bien, Plateforme SPI trés bien', 'chantier ordonné et propre', 'chantier bien organisé. Je tiens à souligner le savoir-faire des maçons', 'chantier en sécurité'.

De même, les deux attestations sont contredites par l'observation du coordonateur sécurité et protection de la santé du chantier en date du 4 mars 2015 qui note ' Pas de remarques spécifiques dans le cadre de notre mission ce jour. Chantier propre et organisé'.

En outre, M. [H] produit des clichés photographiques du chantier litigieux sans que la cour ne soit mise en mesure de distinguer ce qui relève d'un désordre anormal du point de vue de la sécurité des travailleurs, de l'encombrement naturel d'un chantier de gros oeuvre. Les clichés sont donc inopérants.

Par ailleurs, il ressort des deux attestations de collègues produites par le salarié intimé, que celui-ci a été contraint de porter une charge lourde à défaut d'avoir à sa disposition un dispositif de levage. Ainsi, le chef d'équipe atteste que c'est 'en transportant un coffrage lourd qui normalement se manipule à la grue au vu de son poids, et qui aurait dû être rangé par l'équipe précédente, M. [H] a chuté à cause des aciers qui traînaient au sol'. De même, le coffreur atteste en ces termes : 'les embauchés avaient la priorité pour la grue afin qu'ils ne fassent pas d'heures supplémentaires, on devait donc porter les charges lourdes à la main. Lors de ce nettoyage [U] (M. [H]) a trébuché à cause des attentes qui étaient par terre pendant qu'il portait un coffrage lourd avec l'aide d'un autre ouvrier'.

Cependant, il n'est pas discuté que la société [6] avait mis à disposition de ses salariés une grue permettant le levage des charges trop lourdes.

Or, alors que M. [H] invoque le fait qu'il ait dû porter un mannequin de 200 kgs dans ses conclusions, il résulte de ses propres pièces justificatives, notamment un échange de mails entre le directeur d'exploitation de la société [6] avec la société de coffrage la fournissant en mannequins, que le poids approximatif d'un mannequin 2420 x2180 d'épaisseur 16 cm, est situé entre 60 et 70 kgs. Le salarié ne démontre pas avoir dû porter un mannequin d'une autre autre taille ou d'un autre poids qui aurait rendu nécessaire le port de la charge par le biais de la grue plutôt que manuellement avec l'aide d'un autre ouvrier, comme en l'espèce.

Il ne démontre pas non plus qu'il ait dû le transporter sur plus de 3 ou 5 mètres comme il est habituel de le voir sur les chantiers de gros oeuvre selon l'étude du métier susvisée, réalisée en 2019 par l'OPPBTP.

Il s'en suit qu'il n'est pas établi par le salarié que l'indisponibilité de la grue mise à disposition par son employeur est à l'origine de son accident.

En outre, il est produit une attestation de formation datée du 2 septembre 2024 dont il ressort que M. [H] a bénéficié,au mois de juillet 2014, de la formation 'Passeport Sécurité Intérim' dont les objectifs sont : 'progresser dans le métier sur les différents aspects organisationnels et techniques en sécurité', et 'intégrer au mieux les missions individuelles et collectives liées à chaque poste de travail sur chantier'.

Compte tenu de l'expérience de M. [H] en qualité de chef d'équipe coffreur bancheur au regard des certificats de travail établis par la société [5] dont il ressort qu'il a multiplié les missions d'intérim en cette qualité, sans discontinuer, de 2010 à 2015, il n'est pas démontré que la formation dont il a bénéficié quelques mois avant l'accident n'était pas adaptée à ses besoins.

Enfin, M. [H] invoque, sans en justifier à un quelconque moment, qu'il ne lui a pas été fourni l'équipement de protection individuelle, pourtant prévu dans le contrat de mise à disposition visant les gants, le casque, les chaussures de sécurité et le baudrier. Au contraire, il ressort de la fiche de renseignement A.T renseignée par le conducteur de travaux, sur la base des faits décrits par la victime le 25 mars 2015, que la nature de l'accident est un 'heurt du mannequin sur le casque', de sorte qu'au moins un des éléments de protection individuelle était porté lors de l'accident, et donc fourni par l'employeur.

En conséquence, M. [H] échoue à démontrer que, bien que la société [6], substituée dans la direction, à la société de travail temporaire [5], avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé, elle n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

La cour ne retient donc pas la faute inexcusable de l'employeur à l'origine de l'accident du travail dont il a été victime le 24 mars 2015.

Le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions et M. [H] sera débouté de l'ensemble de ses prétentions.

Sur les frais et dépens

M. [H], succombant à l'instance, sera condamné au dépens de la première instance et de l'appel.

En application de l'article 700 du même code, il sera condamné à payer à la SAS [6] la somme de 1.500 euros à titre de frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement par décision contradictoire,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Déboute M. [H] de l'ensemble de ses prétentions,

Condamne M. [H] à payer à la SAS [6] la somme de 1.500 euros à titre de frais irrépétibles,

Condamne M. [H] au paiement des dépens de la première instance et de l'appel.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-8a
Numéro d'arrêt : 22/15511
Date de la décision : 18/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 24/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-18;22.15511 ?
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