COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-3
ARRÊT AU FOND
DU 18 JUILLET 2024
N° 2024/90
N° RG 19/16987 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BFDVS
[C] [M] [W]
[X] [B] [G] épouse [W]
C/
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL ALPES P ROVENCE
SA CA INDOSUEZ WEALTH (FRANCE) devenue SA CA INDOSUEZ
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Philippe KLEIN
Me [H] [Y]
Me Juliette HUA
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce d'AIX EN PROVENCE en date du 07 Octobre 2019 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 2018 00191.
APPELANTS
Monsieur [C] [M] [W]
né le [Date naissance 1] 1946 à [Localité 7] (ALGÉRIE), de nationalité française, demeurant [Adresse 5]
représenté et assisté de Me Philippe KLEIN de la SCP RIBON KLEIN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant
Madame [X] [B] [G] épouse [W]
née le [Date naissance 4] 1950 à [Localité 8] (MADAGASCAR), de nationalité française,
demeurant [Adresse 5]
représentée et assistée de Me Philippe KLEIN de la SCP RIBON KLEIN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant
INTIMEES
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL ALPES PROVENCE,
Société Coopérative à capital et personnel variables régie par le Code Monétaire et Financier immatriculée au RCS de Aix-en-Provence sous le n° 381 976 448 dont le siège social est [Adresse 3] à [Localité 6] prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit
représentée et assistée de Me Gilles MATHIEU de la SELARL MATHIEU DABOT & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant
SA CA INDOSUEZ WEALTH (FRANCE), devenue SA CA INDOSUEZ
société anonyme au capital de 82 949 490 €, immatriculée au RCS de PARIS sous le n°572 171 635, dont siège social est [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualité audit siège
représentée par Me Juliette HUA de l'AARPI OLLIER JEAN MICHEL & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE,
assistée de Me François-Genêt KIENER, avocat au barreau de PARIS, plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Philippe DELMOTTE, Président, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Philippe DELMOTTE, Président
Madame Françoise PETEL, Conseillère
Madame Françoise FILLIOUX, Conseillère
Greffier lors des débats : Madame Laure METGE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe, après prorogation, le 18 Juillet 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 18 Juillet 2024
Signé par Monsieur Philippe DELMOTTE, Président et Madame Chantal DESSI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Exposé du litige
M. et Mme [W](les époux [W]), qui ont vécu pendant plus de trente ans en Indonésie, ont résolu au cours du printemps 2014 de revenir s'installer en France.
Le 18 juin 2014, ils ont eu un entretien avec des représentants de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alpes Provence (la CRCAM) et de la banque Indosuez Private Banking devenue CA Indosuez Wealth concernant la gestion future de leur patrimoine et de leurs avoirs détenus à l'étranger.
A la suite de cet entretien et de plusieurs échanges avec les banques , les époux [W] ont
- ouvert le 16 décembre 2014 un compte titres et un compte support en euros dans les livres de la CRCAM sur lequel ont été rapatriés leurs avoirs situés en Indonésie
- ouvert une compte devises libellé en dollars sur lequel a été rapatriée la somme de 2 210 130,75USD.
Le 9 janvier 2015, M. [W] a souscrit par l'intermédiaire de la banque Indosuez un contrat d'assurance-vie dénommé 'Aster Excellence II auprès de la société Mondial Partenaire sur lequel il a procédé à un versement de 1 800 000€; il a opté pour que 72% des avoirs soient investis en unités de compte dont la valeur est corrélée à l'évolution des marchés financiers tandis que 28% des avoirs étaient afféctés à un support en euros.
A cette même date, il a signé auprès de la banque Indosuez une convention de conseil financier relative au contrat d'assurance-vie.
Le 12 janvier 2015, M. [W] a procédé a une opération de change de dollars en euros, son compte étant crédité de la somme de 1 800 000€, cette somme étant destinée à alimenter le compte assurance-vie.
Le 27 janvier 2015, M. [W] a procédé à l'ouverture de deux comptes titres, l'un en dollars, l'autre en euros, dans les livres de la banque Indosuez, au moyen desquels il a réalisé divers investissements en valeurs mobilières.
Le 18 mai 2015, la CRCAM a proposé aux époux [W] d'investir dans des PME afin de réduire le montant de leur impôt de solidarité sur la fortune.
Estimant que les deux banques avaient manqué à leurs obligations d'information, de conseil et de mise en garde, au regard, notamment, de leur situation d'impatriés, les époux [W] les ont assignées, par acte d'huissier des 2 et 8 février 2018, devant le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence en paiement de dommages et intérêts.
Par jugement du 7 octobre 2019, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal a
- débouté la CRCAM et la banque Indosuez Private Banking devenue CA Indosuez Wealth de leur demande de rejet du rapport d'expertise(établi par M. [R])
- dit que la CRCAM et la banque Indosuez ont manqué à leur devoir d'information, de conseil et de mise en garde
- condamné solidairement la CRCAM et la banque Indosuez à payer aux époux [W]
+ la somme de 12 000€ à titre de dommages et intérêts(correspondant aux seuls frais facturés par les deux banques pendant quatre ans)
+ celle de 5000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de l'instance
Par déclaration du 5 novembre 2019, les époux [W] ont relevé appel de ce jugement en ce que celui-ci a seulement condamné solidairement la CRCAM et la banque Indosuez au paiement de la somme de 12 000€ à titre de dommages et intérêts.
Vu les conclusions du 5 janvier 2023 des époux [W] demandant à la cour
- d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné solidairement la CRCAM et la société Indosuez à leur payer la somme de 12 000€ à titre de dommages et intérêts
- de débouter la CRCAM et la société Indosuez de leurs demandes
- de dire que la CRCAM et la société Indosuez ont manqué, à leur égard à leur devoir d'information, de conseil et de mise en garde, en leurs qualités de prestataires de services d'investissement et de conseiller en investissement financier
- de condamner in solidum la CRCAM et la société Indosuez à leur payer , à titre de dommages et intérêts, les sommes suivantes
+ celle de 206 697,53€ avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 28 septembre 2016, au titre du préjudice résultant de la conversion inadéquate des avoirs en dolllars à l'Euro, à un moment inopportun
- celle de 3 722,40€ avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 28 septembre 2016, au titre du préjudice résultant de la conversion inadéquate des avoirs en francs suisses à l'Euro à un moment inopportun
- celle de 16 937,43€ au titre de l'imposition des plus values de cession de placements
- celle de 14 112€ avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 28 septembre 2016 au titre de l'alourdissement de la fiscalité sur le patrimoine(ISF)
- celle de 46 781,58€ avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 28 septembre 2016 au titre des pertes financières générées au titre des placements PME aux fins de défiscalisation
- celle de 9188€ avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 28 septembre 2016 au titre des frais de gestion sur les placements réalisés(ISF PME)
- celle de 27 931,80€ avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 28 septembre 2016 au titre des frais de transaction et de placement pour la période de janvier à mars 2015
- celle de 65 103, 49€ avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 28 septembre 2016 au titre des frais de gestion générés par AG2R La Mondiale
- de condamner in solidum la CRCAM et la société Indosuez à leur payer la somme de 10 000€ à titre d'indemnité de procédure outre les dépens comprenant les frais d'expertise.
Vu les conclusions du 29 novembre 2022 de la CRCAM demandant à la cour
- d'infirmer le jugement
- d'écarter des débats le rapport amiable établi par M. [R] compte tenu de la partialité de ce dernier en faveur de M. [W] et du non-respect du principe du contradictoire et du principe de loyauté des débats
- de débouter les époux [W] de leurs demandes
A titre principal,
- de dire qu'elle n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité
- de dire que les époux [W] n'apportent pas la preuve d'un quelconque préjudice en lien avec les manquements allégués à son encontre
- de débouter les époux [W] de leurs demandes
A titre subsidiaire
- de dire que le prétendu préjudice subi par les époux [W] ne peut être égal à la totalité des pertes prétendument subies,mais à une perte de chance d'investir leurs capitaux dans un autre placement financier
- de débouter les époux [W] deleurs demandes compte tenu de l'absence de démonstration d'une perte de chance
A titre plus subsidiaire
- de dire que le préjudice éventuel ne pourrait être supérieur à la somme totale de 3750€ correspondant à la totalité des frais prélevés par les deux banques
- de condamner en tout état de cause les époux [W] à lui payer la somme de 3000€ au titre de l'article 700 du code de proécdure civile outre les dépens
Vu les conclusions du 1er décembre 2022 de la société CA Indosuez(anciennement dénommée CA Indosuez Wealth - la société Indosuez) demandant à la cour
- de déclarer son appel incident recevable et bien fondé
- de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les époux [W] de leurs demandes d'indemnisation au titre des prétendus manquements qu'elle aurait commis au titre de ses obligations d'information, de conseil et de mise en garde
- de l'infirmer pour le surplus
- d'écarter des débats le rapport établi par M. [R], à défaut d'ordonner la communication des pièces numérotées 45 à 85 par ce technicien dans son rapport
- de juger qu'aucune faute ne saurait être retenue à son encontre
- de juger que les époux [W] ne rapportent pas la preuve d'un quelconque préjudice qui serait en lien avec les manquments allégués à son encontre
- de juger qu'en allouant une somme de 12 000€ aux époux [W], le tribunal a statué ultra petita
- de juger qu'il n'y a pas lieu à un quelconque remboursement de frais financiers
- de débouter les époux [W] de leurs demandes
- de condamner les époux [W] à lui payer la somme de 4500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens
La clôture de l'instruction du dossier est intervenue le 17 janvier 2023.
Motifs
1. Sur le rapport amiable établi par M. [R]
Les époux [W] ont sollicité M. [N] [R], expert judiciaire en évaluation d'entreprises et droits sociaux auprès de la cour de céans, pour chiffrer les conséquences financières et fiscales du rapatriement de leurs actifs mobiliers en France et le préjudice subi par suite des choix financiers opérés sur la base des conseils donnés par les deux banques.
M. [R] a clos son rapport amiable, établi au seul vu des doléances des époux [W], le 19 août 2016, en précisant que son rapport était établi sur la base des 85 pièces communiquées par les époux [W].
Les 44 premières pièces sont annexées au rapport qui est communiqué aux débats ; les appelants ont en outre produit les pièces 77 à 83 visées par l'expert correspondant à leurs avis d'imposition mais n'ont pas communiqué les autres pièces aux motifs que les banques étaient en possession de ces pièces qui émanent de leurs services.
Si un rapport d'expertise non contradictoire peut être produit aux débats et est recevable dès lors qu'il est soumis à la libre discussion entre les parties, encore faut-il que la partie qui s'en prévaut produise l'intégralité de cette pièce accompagnée, si besoin et de ses annexes.
En ne communiquant pas l'intégralité des pièces sur lesquelles l'expert [R] a émis un avis, les appelants empêchent les parties adverses d'apprécier la teneur de l'avis de l'expert et de formuler des commentaires et critiques en pleine connaissance de cause, peu important que certaines pièces manquantes aient émané des banques ; ce procédé, contraire au principe de la contradiction, empêche pareillement la cour, d'apprécier la rigueur de l'avis de l'expert et de vérifier sur quelles pièces il a fondé son avis.
En outre, les sociétés intimées peuvent légitimement douter de la neutralité et de l'impartialité de l'expert dès lors que celui-ci est devenu l'associé et le directeur général de la société Wonderfull Activities With US, immatriculée le 7 mai 2018 dont M. [W] est le dirigeant; même si cette société a été créée postérieurement à l'établissement du rapport amiable, cette circonstance révèle que l'expert et M. [W] ont des liens personnels étroits.
Au regard de la violation du principe de la contradiction et de l'atteinte au principe de l'impartialité objective, le rapport de M. [R] sera écarté des débats. Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.
2. Sur la violation du devoir de mise en garde
Il ressort des pièces produites aux débats et des échanges entre les parties que M. [W] était le principal interlocuteur des banques.
Il n'est pas contesté que M. [W] contrôlait seul un compte titres ouvert dans les livres de la banque Pictet, à Singapour, dont le portefeuille valorisé au 30 avril 2014 à la somme de 1 531 505€, était investi à 92% en actions et composé de nombre de valeurs américaines, révélant ainsi que M. [W] avait la qualité d'opérateur averti, connaissant les mécanismes du marché boursier et des investissements en actions.
Cette circonstance est confirmée par le fait que lorsqu'il a rempli le 9 janvier 2015 le questionnaire Ceso (pièce n° 1, de la CRCAM) M. [W], retraité, qui avait dirigé la société Scrib La Maison de l'Indonésie, spécialisée dans la promotion, le négoce , l'assistance, le conseil dans tous les domaines ainsi que la prise de participation par achat, souscription apport, fusion dans toutes les sociétés immobilières, commerciales et industrielles ainsi que la gestion des ces participations, a indiqué détenir des actions, des OPCVM actions, des fonds communs de placement à risque, des produits relevant de la gestion alternative ou ou d'autres produits offrant une perspective de plus value associée à un risque moyen à fort de perte sur le capital; il a coché la case 'connaissance et expérience sur des produits avec un risque moyen à fort de perte de capital' ; Il a déclaré vouloir valoriser son patrimoine sur une période de placement de huit ans et plus et rechercher un potentiel de rendement élevé et accepter de ce fait de prendre un risque de perte significatif sur le capital investi. Son profil est défini dans ce questionnaire comme étant dynamique avec un minimum de 60% d'actions.
Sa compétence en matière d'investissements est encore confirmée par le fait qu'il a créé en septembre 2020 une société dénommée 'Franco Asiatique de Coopération Industrielle, dont l'activité est le conseil pour les affaires et autres conseils de gestion.
Ces éléments démontrent ainsi que M. [W], qui gérait seul les portefeuilles d'actions du couple [W] et souhaitait en conserver seul la maîtrise, avait la qualité d'opérateur averti de sorte que les banques, agissant en l'espèce en qualité de prestataires de services d'investissements, n'étaient pas tenus d'un devoir de mise en garde.
3. Sur les obligations d'information et de conseil
Ce que reprochent les époux [W] aux deux banques tient à l'inadéquation des conseils des prestataires de services d'investissements à leur situation d'impatriés et à la conversion de leurs fonds dans des placements aux fins de défiscalisations inopportuns, risqués et effectués à des dates inopportunes.
Mais comme le soulignent les banques intimées, qui s'appuient sur les lettres circulaires du Commissariat aux assurances, applicables à la date des faits litigieux, la faculté qu'auraient eu les époux [W] de conserver, selon eux, leurs avoirs en devises étrangères en souscrivant un contrat d'assurance vie en dollars ou en multidevises au duché du Luxembourg est combatttue par le fait que les assureurs imposaient alors la délégation de la gestion de ces valeurs mobilières à un gestionnaire, refusant que les clients assument directement la gestion de leur portefeuille;
Informés de ces modes de gestion par la proposition d'investissement de la banque Indosuez du 10 décembre 2014, les époux [W] ont refusé cette option car M. [W] préférait conserver la mainmise sur ses placements et investissements en titres vifs.
La proposition faite par les banques aux époux [W] de diversifier leurs investissements et de placer partie de leurs fonds sur un compte assurance-vie ouvert en France n'était donc pas en discordance avec la volonté de M. [W] de conserver la maîtrise de son portefeuille d'actions.
D'ailleurs, au 30 septembre 2016, le contrat d'assurance-vie était valorisé à 1 625 977€, M. [W], pleinement aguerri en matière de placements financiers, ayant entre le 26 janvier 2015 et le 23 août 2018 réalisé 19 arbitrages(pièce n° 8 de la société Indosuez) lui permettant d'obtenir des plus values significatives, 5000 actions Apple, acquises en mars 2015 au prix unitaire de 117€ ayant été revendues au prix de 184€ l'action.
Les époux [W] ne peuvent invoquer le défaut d'information et de conseil des banques en raison du risque de dévalorisation des fonds au regard des variations du taux de change dollar/euro et de la décision que devait prendre la Banque Centrale Européenne relative au 'quantitative easing' laquelle devait aboutit à une dévalorisation de l'euro.
D'une part, les conclusions mêmes des époux [W](en page 21, 1er et 2e §) révèlent qu'ils avaient connaissance de l'imminence d'une décision de la BCE et du risque de retentissement sur le taux de change; l'aléa lié aux variations du taux de change dollar/euro était donc connu des appelants, au début de l'année 2015 et ce, quelle que soit le choix qu'ils allaient opérer pour l'investissement de leurs fonds ; d'autre part, les appelants, ne démontrent pas qu'ils étaient contraints d'agir dans la précipitation et de souscrire le placement en assurance vie litigieux.
En revanche, si l'étude patrimoniale réalisée par la CRCAM évoque la situation fiscale des époux [W] , elle est muette sur le fait que les époux [W] étaient éligibles aux dispositions de l'article 885 A 1°, alinéas 2 et 3 du code général des Impôts leur permettant, en vertu de leur statut d'impatriés, de bénéficier d'une exonération temporaire de l'ISF pendant cinq ans à compter de la date où ils avaient de nouveau fixé leur domicile en France. La proposition d'investissement transmise le 10 décembre 2014 par la société Indosuez est également muette sur ce point.
Si en préambule de cette proposition, figure la mention suivant laquelle les éléments transmis - 'constituent des éléments de réflexion et non une consultation. Il est recommandé au lecteur de ne les mettre en oeuvre qu'après avoir recueilli l'opinion de ses propres conseils spécialisés en matière comptable, juridique et fiscale' -, cette clause ne saurait exonérer la société Indosuez des ses obligations d'information et de conseil.
En effet, en présence de la situation particulière des époux [W], situation d'impatriés dont ils avaient connaissance, les deux banques, qui intervenaient l'une et l'autre en qualité de prestataires de services d'investissements, devaient rechercher si ceux-ci ne relevaient pas d'un statut particulier au regard des règles fiscales ou se renseigner sur l'existence de règles dérogatoires en la matière.
En omettant de le faire, les deux banques ont manqué à leurs obligations d'information et de conseil.
Cependant, en ce qui concerne l'évaluation du préjudice, celui-ci ne consiste que dans la perte de la chance de pouvoir mieux investir les capitaux et en l'occurrence, la perte du choix d'opérer d'autres placements au regard du paramètre tiré du statut fiscal d'impatrié.
Les époux [W] ont fait établir le 11 mai 2021 un autre rapport amiable, relatif à l'évaluation de leurs dommages, par M. [P], commissaire aux comptes et conseil fiscal. Ce rapport a été produit aux débats et soumis à la libre discussion des parties.
Ce technicien retient au regard de l'imposition à l'ISF non dû en raison du statut d'impatrié la somme de 41 560€. Toutefois, il déduit de cette somme celle de 27 448€ , constatant que les investissements en PME proposés par la CRCAM ont allégé la charge fiscale des époux [W] à raison de 27 448€.
Au regard de la seule faute retenue à l'encontre des banques au titre de leur manquement aux devoirs d'information et de conseil et de l'absence de lien de causalité entre les autres dommages allégués par les époux [W] et la faute retenue contre les banques, il y a lieu de limiter le préjudice subi par les appelants au titre de la perte de chance à la somme de 14 100€.
Le jugement déféré sera donc infirmé de ce chef ; les banques seront condamnées in solidum à payer aux époux [W] la somme de 14 100€ à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Les frais de gestion dont les époux [W] réclament le remboursement sont inhérents aux frais de tenue des comptes et dénués de tout lien de causalité avec le préjudice né de la perte de chance ; le jugement ayant condamné les banques à payer au titre de ces frais la somme de 12 000€ sera infirmé de ce chef.
En ce qui concerne les dépens, il convient de préciser que ceux-ci ne peuvent intégrer le coût des expertises amiables réalisées à la demande des époux [W].
PAR CES MOTIFS
Confirme, par motifs substitués, le jugement déféré, mais seulement en ce qu'il a dit que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alpes Provence et la banque CA Indosuez Wealth, devenue la société CA Indosuez, ont manqué à leur devoir d'information et de conseil et a condamné celles-ci au paiement de la somme de 5000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Infirme le jugement déféré pour le surplus ;
Statuant à nouveau ;
Ecarte des débats le rapport d'expertise amiable établi par M. [R];
Déboute les époux [W] de leurs demandes formées au titre de la violation par les banques d'un devoir de mise en garde ;
Condamne in solidum la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alpes Provence et la société CA Indosuez, au titre de leur manquement aux devoirs d'information et de conseil, à payer aux époux [W] la somme de 14 100 € à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Déboute les époux [W] de leurs demandes en paiement des sommes de 206 697,53€ , 3 722,40€ , 16 937,43€ , 46 781,58€ , 9 188€, 27 931,80€ et 65 103, 49€ à titre de dommages et intérêts ;
Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alpes Provence et la la société CA Indosuez aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alpes Provence et de la société CA Indosuez, les condamne in solidum à payer aux époux [W] la somme de 2000€.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT