COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-8a
ARRÊT AU FOND
DU 09 JUILLET 2024
N°2024/
Rôle N° RG 22/16051 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BKNSI
[W] [D] [K]
C/
LA CAISSE INTERPROFESSIONNELLE DE PREVOYANCE ET D' ASSURANCE VIEILLESSE (C.I.P.A.V)
Copie exécutoire délivrée
le : 9/07/2024
à :
- Me Dimitri PINCENT, avocat au barreau de PARIS
- Me Malaury RIPERT, avocat au barreau de PARIS
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Pole social du Tribunal judiciaire de MARSEILLE en date du 14 Novembre 2022,enregistré au répertoire général sous le n° 22/04280.
APPELANTE
Madame [W] [D] [K], demeurant [Adresse 1]
ayant pour avocat Me Dimitri PINCENT, avocat au barreau de PARIS, dispensé en application des dispositions de l'article 946 alinéa 2 du code de procédure civile d'être représenté à l'audience
INTIMEE
LA CAISSE INTERPROFESSIONNELLE DE PREVOYANCE ET D' ASSURANCE VIEILLESSE (C.I.P.A.V), demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Malaury RIPERT de la SCP LECAT ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Bastien BOUILLON, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 Mai 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Emmanuelle TRIOL, Présidente
Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller
Monsieur Benjamin FAURE, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Aurore COMBERTON.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Juillet 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 09 Juillet 2024
Signé par Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente et Mme Aurore COMBERTON, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Mme [W] [D]-[K], affiliée à la CIPAV au titre de son activité de conseil en gestion sous le statut d'auto-entrepreneur depuis 2012, s'est procurée un relevé de situation individuelle via le site internet GIP Info Retraite, le 12 mars 2020.
Contestant le nombre de points de la retraite de base et de la retraite complémentaire retenu par la caisse, Mme [D]-[K] a saisi la commission de recours amiable de la CIPAV puis, le 13 juillet 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille.
Par jugement contradictoire du 14 novembre 2022, le pôle social a :
- déclaré irrecevable le recours formé par Mme [D]-[K] à l'encontre du relevé de situation individuel édité depuis le site Info Retraite, faute de décision préalable de l'organisme de sécurité sociale,
- débouté Mme [D]-[K] de sa demande de dommages-intérêts,
- l'a condamnée aux dépens et à verser à la CIPAV la somme de 500 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration électronique du 2 décembre 2022, Mme [D]-[K] a relevé appel du jugement.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dispensée de comparaître en vertu de l'article 946 du code de procédure civile, par conclusions déposées au greffe le 29 avril 2024 auxquelles elle s'est expressément référée, l'appelante demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :
- déclarer son recours recevable,
- condamner la CIPAV à rectifier les points de retraite complémentaire acquis sur la période 2012-2019 comme suit: 40 points en 2012, 36 en 2013, 72 de 2014 à 2019,
- condamner la CIPAV à rectifier les points de retraite de base acquis sur la période 2012-2019 comme suit: 135,4 points en 2012, 374,4 en 2013, 450,6 en 2014, 431,9 en 2015, 425,5 en 2016, 441,8 en 2017, 426,9 en 2018 et 431,6 en 2019,
- condamner la CIPAV à lui transmettre et à rendre accessible, y compris en ligne, un relevé de situation conforme dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision et, passé ce délai, sous astreinte de 250 euros par jour de retard,
- en cas de décision d'irrecevabilité, condamner la CIPAV à lui verser une indemnité supplémentaire de 3 000 euros par année non renseignée en réparation du préjudice causé par le manquement à l'obligation légale d'information, soit la somme de 18 000 euros, pour les années 2012, 2013 et 2016 à 2019,
- condamner la CIPAV à lui verser la somme de 3 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi,
- condamner la CIPAV à lui verser la somme de 3 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, l'appelante fait valoir que :
- la recevabilité de la contestation du contenu du relevé de situation individuelle a été reconnue par la Cour de cassation puisque ce document recèle une comptabilisation de droits à la retraite susceptible de faire grief ;
- la Cour de cassation a posé pour principe que l'article 2 du décret n° 79-262 du 21 mars 1979 est seul applicable à la fixation du nombre de points de retraite complémentaire attribués annuellement à l'auto-entrepreneur inscrit à la CIPAV, ce nombre de points procédant directement de la classe de cotisation de l'affilié déterminée en fonction de son revenu d'activité ;
- l'assiette à retenir pour déterminer la classe de revenu applicable de l'auto-entrepreneur est celle du chiffre d'affaire qui constitue l'assiette spécifique des cotisations ;
- la minoration par la CIPAV des points de retraite de base du fait de l'application d'un abattement de 34 % sur le chiffre d'affaire doit être rectifiée ;
- elle souffre d'un stress lié à un sentiment d'impossibilité d'obtenir la rectification de ses droits.
- si la cour déclare son recours irrecevable, elle a néanmoins subi un préjudice moral du fait de l'absence de renseignement du relevé de situation individuelle sur les années 2012, 2013 puis 2016 à 2019.
Par conclusions transmises par voie électronique le 24 mai 2024, dûment notifiées à la partie adverse et auxquelles elle s'est expressément référée, l'intimée demande à la cour de :
- à titre principal, confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré le recours formé par Mme [D]-[K] irrecevable,
- à titre subsidiaire, juger du bon calcul des points de retraite de base et de retraite complémentaire de Mme [D]-[K], lui attribuer les points de retraite de base comme suit: 89,3 points en 2012, 247,2 en 2013, 306,2 en 2014, 285,1 en 2015, 295,8 en 2016, 301,6 en 2017, 284,9 en 2018 et 288,2 en 2019, et lui attribuer les points de retraite complémentaire comme suit: 10 points en 2012, 9 en 2013, 27 en 2014, 27 en 2015, 42 en 2016, 41 en 2017, 39 en 2018 et 39 en 2019,
- débouter Mme [D]-[K] de l'ensemble de ses demandes,
- la condamner à lui verser la somme de 600 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'intimée réplique que :
- le relevé de situation individuelle, document indicatif et provisoire, n'est pas une décision de la caisse, élément nécessaire à la saisine de la commission de recours amiable ;
- le statut de l'auto-entrepreneur est un statut dérogatoire, qui permet aux prefessionnels libéraux, en fonction du chiffre d'affaire déclaré, de valider des trimestres de retraite et d'acquérir des points de retraite de base et de retraite complémentaire ;
- son rôle consiste uniquement à enregistrer des périodes d'affiliation sur la base des informations communiquées par l'ACOSS et à calculer les droits acquis au titre des cotisations qui lui sont reversées par l'ACOSS ;
- pour les professionnels libéraux affirliés à la CIPAV, le taux du forfait social est fixé à 22% depuis le 1er janvier 2018 ;
- elle ne perçoit que 52,5 % du forfait social acquitté par l'auto-entrepreneur ;
- le système de retraite français repose sur un système contributif dans lequel il y a une stricte proportionnalité entre les droits acquis et les cotisations payées ;
- pour la période antérieure à 2016, le Bénéfice Non Commercial (BNC) est l'assiette de calcul des points et non le chiffre d'affaire; dans le régime de droit commun, les cotisations dues au titre du régime de retraite de base et complémentaire sont assises sur le revenu professionnel déclaré ou son bénéfice non commercial; l'auto-entrepreneur ne déclare qu'un chiffre d'affaire brut mensuel ou trimestriel, soit les recettes brutes (ou factures encaissées), sans déduire les charges; pour obtenir une assiette de cotisations équivalente au régime de droit commun, les cotisations de ce dernier sont calculées sur le chiffre d'affaire après un abattement de 34 % reconstituant ainsi un revenu correspondant au BNC; Mme [D]-[K] commet une erreur en se fondant sur son chiffre d'affaire dans le calcul de ses points de retraite de base et complémentaire pour la période antérieure à 2016 ;
- s'agissant de la retraite complémentaire, le régime obligatoire s'applique à tous les assurés quel que soit leur régime et les statuts de la CIPAV définissent les conditions dans lesquelles la cotisation due pour chaque assujetti est déterminé en fonction de son revenu d'activité; il faut distinguer entre la période antérieure au 1er janvier 2016, pendant laquelle l'Etat versait une compensation à la caisse pour couvrir la perte de cotisation induite par le régime, de celle postérieure, pour laquelle il convient d'appliquer les dispositions statutaires de la CIPAV qui prévoient que le nombre de points attribué au titre de la retraite complémentaire est proportionnel aux cotisations effectivement réglées; elle invoque le principe d'égalité vis à vis des autres adhérents de la CIPAV; sa position a été validée par la position commune du ministère de l'économie et des finances, du ministère des affaires sociales et de la santé et du secrétariant d'état chargé du budget ;
- l'octroi de dommages-intérêts suppose une faute, un préjudice et un lien de causalité entre la faute et le préjudice; elle se défend d'avoir commis une faute.
MOTIVATION
1- Sur la recevabilité du recours :
Aux termes de l'article R. 142-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018, applicable au litige, les réclamations relevant de l'article L. 142-4 formées contre les décisions prises par les organismes de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole de salariés ou de non-salariés sont soumises à une commission de recours amiable composée et constituée au sein du conseil, du conseil d'administration ou de l'instance régionale de chaque organisme.
Le relevé de situation individuelle que les organismes et services en charge des régimes de retraite adressent, périodiquement ou à leur demande, aux assurés comporte notamment, pour chaque année pour laquelle des droits ont été constitués, selon les régimes, les durées exprimées en années, trimestres, mois ou jours, les montants de cotisations ou le nombre de points pris en compte ou susceptibles d'être pris en compte pour la détermination des droits à pension.
Il en résulte que l'assuré est recevable, s'il l'estime erroné ou incomplet, à contester devant la commission de recours amiable puis la juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale le report des durées d'affiliation, le montant des cotisations ou le nombre de points figurant sur le relevé de situation individuelle qui lui a été adressé ou qu'il s'est procuré sur le site internet GIP info retraite.
Il n'en est autrement que si le relevé de situation individuelle ne matérialise aucune décision prise par l'organisme considéré, soit que celui-ci n'y soit pas mentionné, soit qu'il y figure avec la mention «'données non disponibles'» ou «'pas de données carrière'».
Au cas présent, le relevé de situation individuelle produit par Mme [D]-[K] et édité le 12 mars 2020 comprend les informations relatives à la carrière de l'assurée, tant pour la retraite de base que pour la retraite complémentaire. Mme [D]-[K] estime ce relevé erroné en ce que la CIPAV tronquerait ses points de retraite pour les années 2014 et 2015 et omettrait de renseigner les droits à la retraite pour les années 2012 et 2013 puis à compter de 2016. Il est constant qu'elle a saisi la commission de recours amiable de la CIPAV de sa contestation puis, au regard de la décision implicite de rejet de cette dernière, le tribunal.
Son recours est donc parfaitement recevable.
Le jugement du pôle social est donc infirmé.
2- Sur le fond :
La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie a créé le régime de l'auto-entrepreneur, consistant en un régime simplifié, sous condition de revenus, de création, gestion et cessation d'entreprise individuelle. Plus précisément, le régime prévoit un dispositif de déclaration et paiement fiscal et social simplifié et libératoire au bénéfice des travailleurs indépendants relevant du régime de la micro-entreprise, comprenant des allégements et des exonérations.
L'article L. 133-6-8 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n 2009-431 du 20 avril 2009, énonce que 'par dérogation aux cinquième et dernier alinéas de l'article L. 131-6, les travailleurs indépendants bénéficiant des régimes définis aux articles 50-0 et 102 ter du code général des impôts peuvent opter, sur simple demande, pour que l'ensemble des cotisations et contributions de sécurité sociale dont ils sont redevables soient calculées mensuellement ou trimestriellement en appliquant au montant de leur chiffre d'affaires ou de leurs revenus non commerciaux effectivement réalisés le mois ou le trimestre précédent un taux fixé par décret pour chaque catégorie d'activité mentionnée auxdits articles du code général des impôts. Des taux différents peuvent être fixés par décret pour les périodes au cours desquelles le travailleur indépendant est éligible à une exonération de cotisations et de contributions de sécurité sociale. Ce taux ne peut être, compte tenu des taux d'abattement mentionnés aux articles 50-0 ou 102 ter du même code, inférieur à la somme des taux des contributions mentionnés à l'article L. 136-3 du présent code et à l'article 14 de l'ordonnance n 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale.'
Ce régime micro-social a été étendu aux professions libérales affiliées à la CIPAV par l'article 34 de la loi n 2009-179 du 17 février 2009.
Les cotisations et contributions sociales des auto-entrepreneurs affiliés à la CIPAV, calculées et recouvrées par l'ACOSS pour être reversées à la CIPAV, sont déterminées à partir d'un taux de cotisation spécifique et global pour l'ensemble des garanties, y compris la retraite complémentaire, à l'exception de la contribution à la formation professionnelle, ce taux étant appliqué directement sur le chiffre d'affaires encaissé.
Ces taux, initialement incitatifs, ont été progressivement relevés 'afin de garantir une stricte proportionnalité du prélèvement social entre auto-entrepreneurs et travailleurs indépendants et faire obstacle aux distorsions de concurrence'. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 a ainsi modifié l'article L. 133-6-8 en précisant que le taux du forfait social, qui doit être fixé par décret, doit 'garantir un niveau équivalent entre le taux effectif des cotisations et contributions sociales versées et celui applicable auxmêmes titres aux revenus des travailleurs indépendants.'
L'affectation des cotisations forfaitaires ainsi perçues, entre les différents régimes, est régie par les articles L. 133-6-8-3 et D. 131-6-5 du code de la sécurité sociale, qui déterminent un ordre de priorité.
Le financement de ce système incitatif pour la période 2009-2015 est complété par l'Etat, en application de l'article L. 131-7 du code de la sécurité sociale, qui dispose: 'Toute mesure de réduction ou d'exonération de cotisations de sécurité sociale, instituée à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi n 94-637 du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, donne lieu à compensation intégrale aux régimes concernés par le budget de l'Etat pendant toute la durée de son application.'
L'article R. 133-30-10 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2009-379 du 2 avril 2009, définit les modalités de cette compensation et dispose que la compensation due par l'Etat correspond à la différence entre :
'a) D'une part, le montant des cotisations et contributions sociales dont les travailleurs indépendants auraient été redevables au cours de l'année civile en application des articles L. 131-6, L. 136-3, L. 635-1, L. 635-5, L. 642-1, L. 644-1 et L.644-2 du code de la sécurité sociale et de l'article 14 de l'ordonnance n 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale, et,
b) D'autre part, le montant des cotisations et contributions sociales calculées en application de l'article L. 133-6-8. '
Il précise en son dernier alinéa que pour l'application de ces dispositions aux travailleurs indépendants affiliés à la CIPAV, cette compensation doit garantir au régime une cotisation 'au moins égale à la plus faible cotisation non nulle dont ils pourraient être redevables en fonction de leur activité en application des dispositions mentionnées au a du présent article'.
S'agissant de Mme [D]-[K], ses droits à la retraite d'autoentrepreneur sont calculés sur le chiffre d'affaires annuel, après abattement forfaitaire de 34'% et le taux de cotisation appliqué sur le chiffre d'affaires est de 21,2'%.
Pour sa retraite, l'autoentrepreneur doit valider 4 trimestres par an . Pour y parvenir, il doit faire un chiffre d'affaires annuel minimum. Des seuils de chiffre d'affaires minimums ont été fixés selon la nature de l'activité autoentrepreneur.
La pension de retraite complémentaire servie par la CIPAV est une pension en points versée à l'assuré qui est à jour de ses cotisations obligatoires auprès de sa section. Le montant de la pension est égal au nombre de points portés au compte du cotisant, multiplié par la valeur du point, fixée chaque année par le conseil d'administration de chaque section.
Le régime de retraite complémentaire géré par la CIPAV est régi par le décret n ° 79-262 du 21 mars 1979. Il prévoit huit classes de cotisations forfaitaires (six jusqu'au décret n 2012-1522 du 28 décembre 2012), portant attribution annuelle de points.
* Sur la demande au titre des points de retraite complémentaire :
Aux termes de l'article 2 de ce décret, le nombre de points de retraite complémentaire attribué annuellement à l'auto-entrepreneur procède directement de la classe de cotisation de l'affilié déterminée en fonction de son revenu d'activité.
Par arrêt du 23 janvier 2020, la Cour de cassation a jugé que les dispositions de l'article 2 du décret précité étaient seules applicables à la fixation du nombre de points de retraite complémentaire attribué chaque année à l'autoentrepreneur. (Civ 2ème 23 janvier 2020 pourvoi n° 18-15.542).
Comme rappelé précédemment, l'assiette des cotisations de l'autoentrepreneur est son chiffre d'affaire. Si ce dernier est autorisé à régler un impôt sur le revenu calculé sur la base de son chiffre d'affaire grâce au prélèvement libératoire, l'abattement fiscal de 34 % qui s'applique hors prélèvement libératoire ne peut être appliqué pour la détermination de la classe de revenu, alors qu'aucun texte ne le prévoit.
La CIPAV s'applique à faire une distinction entre la période pendant laquelle elle bénéficiait de la compensation de l'Etat et celle postérieure où cette compensation n'était plus prévue mais en réalité elle se fonde sur les mêmes arguments pour faire un calcul des points de retraite non conforme aux dispositions du décret et à la jurisprudence.
En application de ces dernières, La CIPAV ne peut, à bon droit soutenir que, pour la période antérieure à 2016, le BNC est l'assiette de calcul des points de retraite afin d'obtenir une assiette de cotisations équivalente au régime de droit commun.
En effet, si le régime de la retraite complémentaire est obligatoire et que ses statuts s'appliquent à tous ses assurés, celui de l'auto-entreprise est dérogatoire.
Ensuite, les dispositions relatives à la compensation par l'Etat (applicables jusqu'au 1er janvier 2016) sont étrangères aux relations entre l'organisme et ses affiliés, et sont donc sans incidence sur la détermination des droits à pension des assurés.
Il s'ensuit que pour l'attribution des points de retraite complémentaire afférents aux années 2012 à 2015, la CIPAV n'est pas fondée à s'appuyer, comme elle le fait, sur le mécanisme de la compensation financière de l'Etat pour calculer les droits de l'assurée : l'article 2 du décret susvisé ne prévoit pas que le calcul des points de retraite puisse s'opérer sur la base de « la cotisation la plus faible non nulle dont l'adhérent aurait pu être redevable ».
La CIPAV ne peut davantage se référer au bénéfice non commercial déclaré par l'auto-entrepreneur au lieu du chiffre d'affaires pour déterminer, à la baisse, le revenu d'activité, et par conséquent, la classe de cotisation de l'affiliée.
Le grief tiré d'une rupture d'égalité entre les auto-entrepreneurs et les autres adhérents est sans portée, dès lors que le régime applicable aux premiers se veut incitatif et répond à la volonté du législateur de favoriser la création d'entreprises par la mise en place, notamment, d'un régime de déclaration et de paiement fiscal et social simplifié, sans porter atteinte aux droits de ceux qui ont choisi d'opter pour le régime micro-social.
De même, l'argument de l'organisme selon lequel le nombre de points revendiqué par l'assurée conduit à lui attribuer des points pour une valeur d'achat largement inférieure à celle fixée par le conseil d'administration de la CIPAV est dénué de toute pertinence, puisqu'il se heurte au principe même du forfait social institué, au surplus, par des dispositions législatives.
S'agissant de la période postérieure, la CIPAV, dont les statuts se situent dans la hiérarchie des normes à un niveau inférieur aux dispositions légales et réglementaires, ne peut utilement opposer à l'appelante son article 3.12 bis qui énonce que 'le nombre de points attribués au bénéficiaire du régime prévu à l'article L.133-6-8 du code de la sécurité sociale qui est exclu de la compensation de l'Etat prévue à l'article R.133-30-10 du code de la sécurité sociale est proportionnel aux cotisations effectivement réglées'.
La suppression du dispositif de compensation de l'Etat à compter du 1er janvier 2016 est sans incidence sur les modalités de calcul et le principe selon lequel le nombre de points procède directement de la classe de cotisation de l'affiliée, déterminée en fonction de son revenu d'activité, en application des dispositions de l'article 2 du décret n° 79-262 du 21 mars 1979 modifié. L'option en faveur du statut de l'auto-entrepreneur conduit toujours, en effet, à l'application d'un forfait déterminé par l'application au montant du chiffre d'affaire ou des recettes effectivement réalisés par l'intéressée d'un taux global fixé par décret selon les catégories d'activité, en vertu des dispositions de l'article L. 133-6-8, I, du code de la sécurité sociale (devenu l'article L. 613-7), dans leurs rédactions successivement applicables aux années concernées.
Par ailleurs, il a été précédemment rappelé l'absence de toute interférence des relations financières entre l'Etat et la CIPAV avec la détermination des droits à pension des affiliés.
Le principe de proportionnalité dont la CIPAV se prévaut pour le calcul des points de retraite complémentaire attribués à l'assurée pour les années 2016 à 2019 ne peut conduire à écarter les dispositions de l'article 2 du décret n° 79-262 du 21 mars 1979 modifié, seules applicables au litige.
Les moyens tirés d'une rupture d'égalité et du non-respect de la valeur d'achat des points telle que fixée par le conseil d'administration de la CIPAV sont sans portée, pour les raisons déjà exposées.
Enfin, la position commune arrêtée par le Ministère de l'économie et des finances, le ministère des affaires sociales et de la santé et le secrétaire d'état chargé du budget, qui n'est qu'une interprétation des textes en litige, n'a aucune valeur normative et est contraire à la jurisprudence susmentionnée de la Cour de cassation.
Sont donc seules applicables à la fixation du nombre de points de retraite complémentaire attribués annuellement aux auto-entrepreneurs affiliés à la CIPAV les dispositions de l'article 2 du décret n° 79-262 du 21 mars 1979 modifié. Il en découle que ce nombre de points procède directement de la classe de cotisation de l'affilié, déterminée en fonction de son revenu d'activité (2e Civ., 23 janvier 2020, n° 18-15.542), étant précisé que la cotisation s'exprime sous la forme d'un montant fixe (et non d'un pourcentage) dû par l'assuré dont le revenu, déterminé selon les règles d'assiette appropriées, est compris entre les bornes de la classe de cotisation dont celui-ci le fait relever.
Dès lors, le calcul des points de retraite complémentaire doit être le suivant, fondé sur le chiffre d'affaires déclaré, selon les relevés trimestriels fournis par Mme [D]-[K] à la CIPAV en fonction de l'euro affecté à la tranche de revenus pour chaque année et par tranche de revenus :
- 2012: 40 points,
- 2013: 36 points,
- 2014: 72 points,
- 2015: 72 points,
- 2016: 72 points,
- 2017: 72 points,
- 2018: 72 points,
- 2019: 72 points
* Sur la demande de rectification des points de la retraite de base :
Vu l'article L 133-6-8 du code de la sécurité sociale rappelé ci-dessus ;
Il résulte de ce texte, nonobstant le renvoi aux articles 50-0 et 102-ter du code général des impôts, qui ne régit que le régime fiscal des auto-entrepreneurs, que les cotisations appelées selon un taux spécifique, sont calculées sur l'ensemble du chiffre d'affaires ou du revenu, à l'exception de la notion de bénéfice et sans référence à une déduction pour charges, dès lors que le cotisant a opté pour le régime micro-social.
Les modifications apportées par la loi n° 2015-1702 n'ont pas eu pour effet de modifier la notion mais d'éviter toute interprétation fondée par la notion de bénéfice, dès lors qu'à compter de cette date, le régime micro-social est devenu obligatoire pour les auto-entrepreneurs.
En l'espèce, Mme [D]-[K] a, dès le début de son activité, opté pour le régime micro-social comme l'attestent ses déclarations fiscales. En conséquence, l'abattement pratiqué par la CIPAV n'est pas fondé.
Le revenu d'activité de Mme [D]-[K] sur l'ensemble de la période litigieuse, à savoir les années 2012 à 2019, n'est pas contesté par l'intimée.
Dès lors, le calcul doit être le suivant, fondé sur le chiffre d'affaires déclaré, selon les relevés trimestriels fournis par l'appelante à la CIPAV en fonction de l'euro affecté à la tranche de revenus pour chaque année et par tranche de revenus :
- 2012: 135,4 points,
- 2013 : 374,4 points,
- 2014 :450,6 points
- 2015 :431,9 points,
- 2016 : 425,5 points,
- 2017: 441,8 points,
- 2018: 426,9 points,
- 2019: 431,6 points
Il est donc enjoint à la CIPAV de transmettre à Mme [D]-[K] un relevé de situation individuelle conforme dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. L'astreinte n'est pas nécessaire pour assurer l'exécution de cette condamnation.
3- Sur la demande en dommages-intérêts au titre du préjudice moral généré par la minoration des droits à la retraite :
Selon l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
En l'espèce, la Cour de cassation a clairement arrêté une position de principe par son arrêt du 23 janvier 2020 et a été suivie par de nombreuses cours d'appel. Malgré tout, en conservant une interprétation erronée des textes applicables, la caisse impose à l'adhérente de contester le calcul de sa retraite devant la commission de recours amiable, puis devant la juridiction du contentieux de la sécurité sociale, et encore en appel, pour obtenir gain de cause, sans pourtant opposer aucun fondement juridique nouveau qui n'aurait pas été tranché par la Cour de cassation.
Ce manquement est constitutif d'une faute qui cause à l'adhérente un préjudice moral compte tenu du stress résultant des démarches juridiques à accomplir.
Le jugement sera infirmé et le préjudice de l'appelante réparé par l'allocation de la somme de 2.000 euros.
4- Sur les dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :
La CIPAV est condamnée aux dépens et à verser à Mme [D]-[K] la somme de 1 500 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La demande de la CIPAV sur le même fondement est nécessairement rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,
Statuant à nouveau,
Déclare le recours de Mme [W] [D]-[K] recevable,
Fait droit aux demandes de Mme [W] [D]-[K] quant à l'attribution des points de retraite de base et de retraite complémentaire,
En conséquence,
Attribue à Mme [D]-[K] les points de retraite de base suivants :
- 2012: 135,4 points,
- 2013 : 374,4 points,
- 2014 :450,6 points
- 2015 :431,9 points,
- 2016 : 425,5 points,
- 2017: 441,8 points,
- 2018: 426,9 points,
- 2019: 431,6 points
Attribue à Mme [W] [D]-[K] les points de retraite complémentaire suivants :
- 2012: 40 points,
- 2013: 36 points,
- 2014: 72 points,
- 2015: 72 points,
- 2016: 72 points,
- 2017: 72 points,
- 2018: 72 points,
- 2019: 72 points
Enjoint à la CIPAV de transmettre à Mme [D]-[K] un relevé de situation individuelle conforme aux dispositions du présent arrêt dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt,
Déboute Mme [W] [D]-[K] de sa demande d'astreinte,
Condamne la CIPAV à verser à Mme [W] [D]-[K] la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts,
Y ajoutant,
Condamne la CIPAV aux entiers dépens,
Condamne la CIPAV à payer à Mme [W] [D]-[K] la somme de 1 500 euros, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la CIPAV de sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière La présidente