COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-1
ARRÊT AU FOND
DU 05 JUILLET 2024
N° 2024/194
Rôle N° RG 21/08639 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BHTO4
[O] [I] [V]
C/
[D] [Y]
S.C.P. [R] & LAGEAT
Association AGS CGEA DE [Localité 6]
S.A.S.U. ALINE IMMO
Copie exécutoire délivrée le :
05 JUILLET 2024
à :
Me Karen NABITZ, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Marie-Dominique POINSO-POURTAL, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Stéphanie BESSET-LE CESNE de la SELARL BLCA AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 10 Mai 2021 enregistré au répertoire général sous le n° F18/01938.
APPELANT
Monsieur [O] [I] [V], demeurant [Adresse 5]
représenté par Me Karen NABITZ, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMES
Monsieur [D] [Y] ès-qualités de mandataire liquidateur de la SAS ALINEA, RCS MARSEILLE 832 901 219, demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Marie-dominique POINSO-POURTAL, avocat au barreau de MARSEILLE
S.A.S.U. ALINE IMMO, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Marie-dominique POINSO-POURTAL, avocat au barreau de MARSEILLE
S.C.P. [R] & LAGEAT ès-qualités de mandataire liquidateur de la SAS ALINEA, RCS MARSEILLE 832 901 219, assignée à personne habilitée le 30 juillet 2021 à la demande de l'appelant, assignée à personne habilitée le 29 juillet 2021 à la demande de l'appelant, demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Marie-Dominique POINSO-POURTAL, avocat au barreau de MARSEILLE
Association AGS CGEA DE [Localité 6], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Stéphanie BESSET-LE CESNE de la SELARL BLCA AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseillère, chargée du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Véronique SOULIER, Présidente de chambre
Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseillère
Mme Emmanuelle CASINI, Conseillère
Greffier lors des débats : M. Kamel BENKHIRA
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 Juillet 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 05 Juillet 2024
Signé par Mme Véronique SOULIER, Présidente de chambre et M. Kamel BENKHIRA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
M. [O] [I] [V] a été engagé selon contrat à durée indéterminée par la société Alinéa (RCS 345 197 552) en qualité de magasinier cariste à compter du 8 novembre 2007.
Le 26 février 2015, M. [V] a été victime d'un accident du travail et a été en arrêt de travail jusqu'au 31 août 2015. Au terme de la visite médicale de reprise du 1er septembre 2015, le médecin du travail a déclaré M. [V] apte à son poste de travail mais 'devait éviter tout ports de poids $gt; 25 kgs seul temporairement'.
Le 1er septembre 2015, M. [V] a été victime d'un accident de trajet et, à l'issue de la seconde visite médicale de reprise du 3 février 2016, le médecin du travail a déclaré M. [V] ' inapte à reprendre son poste avec manutention lourde. Serait apte cariste, ou à un autre poste n'imposant pas le part de poids de plus de 15 kg seul (type conseiller de vente meubles, caisse, etc...)'.
M. [V] a contesté l'avis rendu par le médecin du travail et a saisi l'inspecteur du travail par courrier du 3 mars 2016. En l'état d'une décision implicite de rejet de l'inspecteur du travail du 5 mai 2016, M. [V] a saisi le tribunal administratif de Marseille aux fins de voir annuler la décision implicite de rejet de l'inspecteur du travail et d'enjoindre l'administration à rendre une décision concernant son aptitude au poste de magasinier ainsi que des conclusions permettant un reclassement conforme à ses capacités physiques et professionnelles.
Par courrier du 24 janvier 2017, M. [V] a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Par jugement du 12 mars 2019, le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision implicite du 5 mai 2016 et a enjoint l'inspection du travail de procéder au réexamen de la situation de M. [V].
Par décision du 16 mai 2019, l'inspectrice du travail a dit que M. [V] était apte à un poste de cariste uniquement ne nécessitant pas de port de poids de plus de 15 kg ainsi qu'à un poste de type administratif.
La société Alinéa ayant exercé un recours contre cette décision, par décision du 2 septembre 2019, le Ministre du travail a dit que : ' M. [V] était inapte à un poste de magasinier cariste. Il serait apte à un poste au sein de la société Alinéa qui ne nécessite pas de charges supérieures à 15kg'.
Précédemment, par requête du 29 juillet 2016, M. [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille à l'encontre de la société Alinéa (RCS 345 197 552) aux fins de solliciter, à titre principal la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur au motif que ce dernier aurait manqué a son obligation de sécurité . L'affaire a été radiée par décision du 24 avril 2017. Le 21 septembre 2018, M. [V] a sollicité le réenrôlement de l'affaire à l'encontre de la société Aline Immo (anciennement Alinéa) pour solliciter la résiliation judiciaire du contrat de travail et à titre subsidiaire, la requalification de son licenciement pour inaptitude en un licenciement nul.
Suivant traité du 17 novembre 2017, à effet du 31 décembre 2017, la société Aline Immo a transféré à la société Alinéa (RCS 832 901 219 anciennement Alinext) sa branche d'activité de commerce de détail d'articles d'ameublement et de décoration.
La société Alinéa (RCS 832 901 219 anciennement Alinext) a fait l'objet d'un redressement judiciaire suivant jugement du tribunal de commerce du 13 mai 2020, d'un plan de cession selon jugement du 14 septembre 2020 puis d'une liquidation judiciaire suivant jugement du 8 octobre 2020.
La société Alinéa (RCS 832 901 219 anciennement Alinext) et l'Unédic ont été mis dans la cause.
Par jugement du 10 mai 2021, le conseil de prud'hommes de Marseille a :
- ordonné la jonction du rg n°18/01941 au rg n°18/01938.
- ordonné la mise hors de cause de l'AGS-CGEA.
- débouté M. [V] de sa demande de résiliation judiciaire et de l'ensemble de ses demandes formulées à ce titre.
- dit et jugé que le licenciement pour inaptitude de M. [V] repose sur une cause réelle et sérieuse
- débouté M. [V] de l'intégralité de ses demandes visant à voir requalifier son licenciement en licenciement nul et de toutes ses autres demandes.
- condamné M. [V] aux entiers dépens.
Par jugement du 10 juin 2021, le conseil de prud'hommes a fait droit à la requête en rectification d'erreur matérielle de Me Nabitz portant sur les mentions du chapeau du jugement du 10 mai 2021 en ce sens qu'il convient de rajouter en partie défenderesse la société Aline Immo et de dire que Me [K] [R] et Me [D] [Y] sont mandataire liquidateur de la société Alinéa (et non de la société Aline Immo comme mentionné par erreur).
Suivant déclaration du 10 juin 2021, Monsieur [V] a interjeté appel du jugement du 10 mai 2021.
Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 23 février 2022, il demande à la cour de :
- recevoir l'appel de M. [V] et le dire bien fondé.
- infirmer et réformer le jugement rg 18/01938 rendu par le conseil de prud'hommes de Marseille le 10 mai 2021 rectifié par jugement rg F 21/00888 du 10 juin 2021 en ce qu'il a :
Débouté M. [V] de sa demande de résiliation judiciaire et de l'ensemble de ses demandes formulées à ce titre.
Dit et jugé que le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement repose sur une cause réelle et sérieuse.
Débouté M. [V] de l'intégralité de ses demandes visant à voir requalifier son licenciement en un licenciement nul et de toutes ses autres demandes.
Condamné M. [V] aux entiers dépens.
Statuant à nouveau :
A titre principal :
- constater le défaut de communication par l'employeur du rapport de Mme [F] de la Carsat.
- constater le défaut de communication par l'employeur des procès-verbaux du CHSCT relatifs à la présentation des rapports de Mme [F].
- constater les manquements graves de l'employeur dans ses obligations contractuelles.
- constater que l'employeur a gravement manqué à son obligation de sécurité.
- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [V] aux torts exclusifs de son employeur à la date du 24 janvier 2017.
A titre subsidiaire :
- dire et juger le licenciement pour inaptitude notifié le 24 janvier 2017 nul.
- constater que l'employeur a gravement manqué à son obligation de reclassement du salarié déclaré inapte.
En tout état de cause :
A titre principal :
- déclarer irrecevable la société Aline Immo en sa demande de mise hors de cause.
- dire et juger que la moyenne des salaires de M. [V] est de 1.657,35 euros bruts.
- condamner la société Aline Immo au paiement des sommes suivantes :
* indemnité de préavis : 3.314,70 euros.
* congés payés sur préavis : 326,76 euros.
* dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 20.000 euros.
* dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail : 10.000 euros.
- ordonner la rectification des documents sociaux sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir.
- dire et juger qu'il sera fait application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil et que les intérêts échus et dus sur les sommes allouées porteront également intérêt.
- dire et juger que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter de la demande en justice.
- débouter les intimés de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions et de leurs appels incidents.
- condamner les intimés au paiement de la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner les intimés aux entiers dépens toutes taxes comprises.
- dire que l'arrêt à intervenir sera opposable au CGEA de [Localité 6].
A titre subsidiaire :
- déclarer irrecevable la société Aline Immo en sa demande de mise hors de cause.
- dire et juger que la moyenne des salaires de M. [V] est de 1.657,35 euros bruts.
- fixer la créance de M. [V] au passif de la liquidation judiciaire de la société Alinéa à hauteur des sommes suivantes :
* indemnité de préavis : 3.314,70 euros.
* congés payés sur préavis : 326,76 euros.
* dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 20.000 euros.
* dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail : 10.000 euros.
- ordonner la rectification des documents sociaux sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir.
- dire et juger qu'il sera fait application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil et que les intérêts échus et dus sur les sommes allouées porteront également intérêt.
- dire et juger que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter de la demande en justice.
- débouter les intimés de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions et de leurs appels incidents.
- condamner la Société Aline Immo, in solidum, à l'intégralité des sommes dues.
- condamner les intimés au paiement de la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner les intimés aux entiers dépens toutes taxes comprises.
- dire que l'arrêt à intervenir sera opposable au CGEA de [Localité 6].
Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 26 novembre 2021, la société Aline Immo demande à la cour de :
- prononcer la mise hors de cause de la société Aline Immo.
- en conséquence, débouter M. [V] de l'intégralité de ses demandes formulées à l'encontre de la société Aline Immo.
A défaut :
- confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a débouté M. [V] de l'intégralité de ses demandes, formulées tant à titre principal qu'à titre subsidiaire.
- condamner M. [V] à la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 26 novembre 2021, la société Alinéa, prise en la personne de Maître [K] [R] et Maître [D] [Y], ès-qualités de co-mandataires liquidateurs de la société Alinéa, demande à la cour de :
- confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a :
Débouté M. [V] de sa demande de résiliation judiciaire et de l'ensemble de ses demandes formulées à ce titre.
Dit et jugé que le licenciement pour inaptitude repose sur une cause réelle et sérieuse.
Débouté M. [V] de l'intégralité de ses demandes visant à voir requalifier son licenciement en licenciement nul et de toutes ses autres demandes.
Condamné M. [V] aux entiers dépens.
- condamner M. [V] à la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Suivant conclusions n°3 notifiées par voie électronique le 28 mars 2024, l'Unédic (délégation AGS-CGEA de [Localité 6]) demande à la cour de :
- vu les articles L. 3253-6 à L. 3253-21 du code du travail régissant le régime de garantie des salaires, vu l'article L.625-4 du code de commerce, vu les articles 6 et 9 du code de procédure civile, vu la mise en cause de l'AGS-CGEA sur le fondement de l'article L. 625-3 du code de commerce :
- déclarer irrecevable la demande nouvelle de la société Aline Immo de mise hors de cause.
- débouter la société Aline Immo de sa demande de mise hors de cause.
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a ordonné la mise hors de cause de l'AGS-CGEA.
En conséquence :
- déclarer la mise hors de cause l'AGS-CGEA appelée en garantie de la société Alinéa.
- débouter M. [V] de ses demandes subsidiaires formulées à l'encontre de la société Alinéa et de l'AGS-CGEA, appelée en garantie de la société Alinéa.
- en tout état rejeter les demandes infondées et injustifiées et ramener à de plus justes proportions les indemnités susceptibles d'être allouées.
- débouter M. [V] de toute demande de condamnation sous astreinte ou au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, aux dépens et en tout état déclarer le montant des sommes allouées inopposables à l'AGS-CGEA.
- en tout état constater et fixer en deniers ou quittances les créances de M. [V] selon les dispositions des articles L.3253 -6 à L.3253-21 et D 3253 -1 à D.3253-6 du code du travail.
- dire et juger que l'AGS ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L.3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L.3253-19 et L.3253-17 du code du travail, limitées au plafond de garantie applicable, en vertu des articles L.3253-17 et D.3253-5 du code du travail, plafonds qui inclus les cotisations et contributions sociales et salariales d'origine légale, ou d'origine conventionnelle imposée par la loi, ainsi que la retenue à la source prévue à l'article 204 A du code général des impôts.
- dire et juger que les créances fixées, seront payables sur présentation d'un relevé de créances par le mandataire judiciaire en vertu de l'article L.3253-20 du code du travail.
- dire et juger que le jugement d'ouverture de la procédure collective a entraîné l'arrêt des intérêts légaux et conventionnels en vertu de l'article L.622-28 du code de commerce.
L'ordonnance de clôture de l'instruction a été rendue le 23 mai 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les demandes de mises hors de cause de la société Aline Immo et de l'Unédic - délégation AGS-CGEA
La société Aline Immo, qui demande sa mise hors de cause sur le fondement du traité d'apport partiel du 17 novembre 2017, fait valoir que par un apport partiel d'actifs, la société Aline Immo (RCS 345 197 552 - anciennement Alinéa) a transféré à la société Aliéna (RCS 832 901 219 - anciennement Alinext et désormais en liquidation judiciaire ), sa branche complète et autonome d'activité de commerce de détail d'articles d'ameublement et de décoration avec un effet différé au 31décembre 2017. La conséquence d'une telle opération est la transmission au bénéficiaire, à savoir la société Alinéa (RCS 832 901 219) de l'ensemble des droits et obligations liés a la branche d'activité apportée. Ainsi, il a été prévu dans le traité que la société Alinext est substituée à la société apporteuse dans les litiges et dans les actions judiciaires, tant en qualité de demandeur qu'en qualité de défendeur, devant toute juridiction dans la mesure où ils concernent les biens et droits apportés, même dans les droits et obligations qui auraient été omis dans l'acte. Il est également prévu que la société Aliéna et la société Alinext ont convenu expressément d'écarter toute solidarité entre elles concernant les dettes transférées au titre de la branche d'activité apportée, conformément à l'article L. 236-21 du code de commerce.
M. [V] soulève l'irrecevabilité de cette demande nouvelle présentée en cause d'appel par la société Aliéna Immo. Il fait valoir par ailleurs que cet apport partiel d'actif est postérieur à son licenciement du 24 janvier 2017; qu'il n'a jamais été le salarié de la société Alinéa (RCS 832 901 219) et que son contrat de travail ne fait pas partie de la liste des contrats, droits et obligations attachés au fonds de commerce se rapportant à la branche d'activité apportée à la date du 31 décembre 2017 ; que bien après le 31 décembre 2017, la société Aline Immo a continué à se comporter procéduralement comme son employeur et débiteur des éventuelles condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre, en ce qu'elle a géré le contentieux administratif lié à son contrat de travail, s'est présentée devant le juge administratif en février 2019 et n'a pas sollicité sa mise hors de cause, a exercé le recours hiérarchique le 11 juillet 2019 en sollicitant l'annulation de la décision de l'inspectrice du travail du 16 mai 2019, s'est comportée comme son employeur devant le conseil de prud'hommes en première instance. M. [V] considère donc que la société Aline Immo a continué à assumer ses obligations d'employeur à son égard et également à l'égard d' anciens salariés de la société Alinéa, et doit être considérée comme étant son employeur ou, à tout le moins, solidairement responsable des condamnations qui seront prononcées.
L'Unédic, délégation AGS-CGEA demande également sa mise hors de cause en ce que l'ensemble des demandes et prétentions de M. [V] sont formulées à l'encontre de la société Aline Immo, anciennement Alinéa, inscrite au RCS de Lille sous le numéro 345 197 552, société in bonis, et il ne sollicite d'ailleurs pas l'opposabilité de la décision à l'AGS-CGEA.
L'Unédic, délégation AGS-CGEA soulève également l'irrecevabilité de la demande nouvelle de mise hors de cause présentée par la société Aline Immo et sur le fond demande le rejet de cette demande au motif que M. [V] n'a jamais été le salarié de la société Alinéa, que le contrat de travail de M. [V] et les contentieux en cours le concernant ne font pas partie de la liste des contrats, droits et obligations attachés au fonds de commerce se rapportant à la branche d'activité apportée à la date du 31 décembre 2017 ; que la société Aline Immo s'est comportée comme l'employeur de M. [V] au cours des différents contentieux, administratifs et judiciaires, de sorte qu'elle a volontairement exclu le contrat de travail de M. [V] de l'apport partiel.
* * *
Si en application de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, l'article 566 du même code les autorise à ajouter aux prétentions soumises au premier juge les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
En l'espèce, en l'état d'un traité d'apport partiel entre la société Aline Immo et la société Alinéa, intervenu le 17 novembre 2017 et prenant effet le 31 décembre 2017, soit au cours de la présente instance introduite par requête du 29 juillet 2016, la demande de mise hors de cause de la société Aline Immo en exécution de ce traité, constitue le complément nécessaire des prétentions dont a été saisi le premier juge à l'égard de la société Aline Immo.
La demande nouvelle de mise hors de cause présentée par la société Aline Immo est donc recevable.
L'opération de cession partielle d'actif n'ayant pas fait disparaître la personne morale qui avait été l'employeur, il en résulte que le salarié peut agir contre son employeur cédant pour solliciter l'indemnisation de son licenciement qu'il considère comme étant sans cause réelle et sérieuse ou nul, sans qu'il puisse se voir opposer par l'employeur cédant l'effet translatif de la cession postérieure à son départ de l'entreprise.
En l'espèce, M. [V] a été engagé suivant contrat de travail du 8 novembre 2007 par la société Alinéa (RCS 345 197 552) et a été licencié le 4 janvier 2017. Dans le cadre d'un d'apport partiel d'actifs du 17 novembre 2017, à effet du 31 décembre 2017, soit postérieurement au départ du salarié, la société Alinéa (RCS 345 197 552), devenue Aline Immo, a transféré à la société Alinéa (RCS 832 901 219), anciennement Alinext, et qui fait actuellement l'objet d'une liquidation judiciaire, une partie de ses actifs.
Il en résulte du principe ci-dessus énoncé que, nonobstant le traité d'apport partiel d'actifs intervenu postérieurement à son licenciement, M. [V] est fondé à agir, à titre principal, contre son employeur, à savoir la société Alinéa (RCS 345 197 552) devenue Aline Immo.
Il convient donc de rejeter la demande de la société Alinéa (RCS 345 197 552) devenue Aline Immo aux termes de laquelle elle sollicite sa mise hors de cause.
De même, M. [V] présentant des demandes subsidiaires à l'encontre de la société Alinéa (RCS 832 901 219), anciennement Alinext, la demande de mise hors de cause présentée par l'Unédic, délégation AGS-CGEA sera également rejetée. Le jugement sera donc infirmé sur ce point.
Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail
Il est de principe qu'en cas d'action en résiliation judiciaire suivie, avant qu'il ait été définitivement statué, d'un licenciement, il appartient au juge d'abord de rechercher si la demande de résiliation judiciaire était justifiée et seulement ensuite le cas échéant de se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.
Par application des articles 1224 et 1227 du code civil, le salarié est admis à demander la résiliation judiciaire du contrat de travail en cas d'inexécution par l'employeur des obligations découlant du contrat. Les manquements de l'employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être établis par le salarié et d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
En l'espèce, M. [V] invoque le manquement par l'employeur à son obligation de sécurité. Il fait valoir que l'employeur n'a pas mis à sa disposition les équipements nécessaires et appropriés à l'exécution de ses missions de magasinier cariste qui comportent de réaliser des opérations de manipulation et de déplacement des produits. Il a été contraint d'exécuter ses fonctions dans des conditions de travail intolérables puisque périlleuses.
M. [V] invoque également un abus de la procédure de licenciement pour inaptitude qui a donné lieu à une décision implicite de rejet de l'inspecteur du travail l'inspection du travail faute d'avis régulier et faute pour le médecin inspecteur d'avoir pu rendre un avis sur la contestation d'inaptitude.
* * *
Aux termes des articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail, l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ne méconnaît pas son obligation légale de sécurité, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail.
M. [V] produit :
- l'attestation de M. [H] , salarié et membre du comité d'entreprise de la société Alinéa, qui indique :(sic) ' Notre quotidien en qualité de magasinier consiste à manipuler des charges lourdes sans outils de travail adaptés. Ex camion rempli de canapé à même le sol, sans palette europe, matelas en vrac, port de charge sur des colis (escalades, courte échelle '.), nous avons donc été contraints pendant des années d'adopter des postures inappropriées et dangereuses pour notre santé, pratique observée par Madame [F], membre de la CARSAT à plusieurs reprises.'.
- l'attestation de M. [N] qui indique : (sic) ' Depuis déjà plusieurs années nous déchargeons les camions sans aucun outil de travail adaptés. En effet, nous avons été amenés à décharger plusieurs camions comportant de la manutention lourde (canapés et matelas) à la main en escaladant les colis du bas atteindre ceux du haut. Ceux-ci nous étaient livrés tel quel, sans palette avec des hauteurs de chargement non conformes. Nous avons donc été contraints d'adopter des postures inappropriées avec un risque d'accident permanent. Moi-même j'ai été victime d'un accident de travail reconnu comme tel par l'assurance maladie suite à quoi j'ai été déclaré inapte à mon poste avec impossibilité de porter des charges lourdes. Ces événements ont été constatés par Mme [L] , membre de la CARSAT.'.
- l'attestation de M. [B] qui indique : (sic) ' Notre quotidien était de décharger et de ranger la marchandise qui était stockées dans les camions. Les conditions de travail n'ont jamais été à notre avantage et du fait de ces conditions déplorables je me suis fait plusieurs fois mal au dos jusqu'à partir en AT durant 7 mois. Actuellement, j'ai été licencié pour inaptitude car j'ai eu de gros problème aux lombaires et je suis certain que ces 4 ans passés à la réception y sont pour beaucoup.'.
La société Aline Immo conclut que M. [V], embauché depuis 2007, n'a jamais eu à se plaindre de ses conditions de travail, qu'il produit des attestations de salariés en litige avec leur employeur et qu'il conviendra de rejeter comme étant non conformes aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile ; que ni la médecine du travail, ni l'inspection du travail, ni les représentants du personnel n'ont été saisis ou n'ont soulevé la moindre difficulté ; qu'il était mis à la disposition des magasiniers des diables et autres outils destinés à faciliter la manutention de charges ; que le dernier arrêt de travail de M. [V] est consécutif à un accident de trajet dont il aurait été victime en se rendant à sa visite médicale de reprise du 1er septembre 2015 et a donc un motif sans rapport avec ses conditions de travail ; que M. [V], sur qui pèse exclusivement la charge de la preuve, ne démontre pas le grief qu'il reproche abusivement a son employeur et qui justifierait sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.
En cas de résiliation judiciaire du contrat de travail fondé sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, il appartient à celui-ci de démontrer qu'il avait pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé du salarié.
Alors que par application des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail l'employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, ces mesures comprenant des actions de prévention des risques professionnels, des actions de formation et d'information et la mise en place d'une organisation et de moyens qu'il doit adapter pour tenir compte du changement des circonstances et améliorer les situations existantes et qu'il doit en assurer l'effectivité, force est de constater, en l'espèce, que la société Aline Immo ne produit strictement aucune pièce démontrant qu'elle a satisfait à son obligation d'autant que, même si les attestations produites par M. [V] ne respectent pas les dispositions de l'article 202, celles-ci constituent néanmoins des courriers dont les contenus relativement aux accidents du travail subis par ces travailleurs, ne sont pas contestés par l'employeur, il est constant que M. [V], travaillant selon les mêmes conditions que ces salariés, a été victime d'un accident du travail le 26 février 2015 'suite à un effort de soulèvement' comme cela ressort du rapport du docteur [A] du 1er février 2016, qui a diagnostiqué une discopathie L5S1, et de la notification de prise en charge de l'accident du travail par l'assurance maladie le 5 mars 2015. Le docteur [A] a constaté le 1er février 2016, 'une discrète sensibilité L5S1 sans limitation de mobilité', ce qui atteste de la persistance en 2016 des lésions issues du premier accident du travail, et a préconisé une restriction de port de charges de 15 kilogrammes maximum.
Si à l'issue de l'arrêt de travail du 26 février 2015, le médecin du travail a déclaré M. [V] apte à son poste de travail, c'est à la condition que le salarié évite ' tout ports de poids $gt; 25 kgs seul temporairement', restriction qui a été confirmée à l'issue du second accident du travail puisque le médecin du travail a déclaré, dans le cadre de l'avis d'inaptitude du 3 février 2016, que M. [V] ' serait apte cariste, ou à un autre poste n'imposant pas le part de poids de plus de 15 kg seul (type conseiller de vente meubles, caisse, etc...)'. L'inaptitude de M. [V] a été la cause de son licenciement survenu le 24 janvier 2017.
Dans ces conditions, le manquement établi de l'employeur à son obligation de sécurité et les conséquences qu'il a engendrées sur la santé du salarié, présente une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail et justifie sa résiliation judiciaire du contrat de travail à effet du 4 janvier 2017. Le jugement sera infirmé.
Alors que la société Aline Immo conclut que le salarié a été rempli de ses droits au titre de l'indemnité de préavis, elle n'en rapporte pas la preuve, laquelle ne ressort pas du bulletin de salaire du mois de janvier 2017. Il convient donc d'accorder à M. [V] la somme de 3.314,70 euros à ce titre, outre la somme de 331,47 euros au titre des congés payés afférents.
En application des dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa version applicable antérieurement à l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, et compte tenu de son âge au moment de la rupture du contrat de travail (40 ans), de son ancienneté (10 ans), de sa qualification, de sa rémunération (1.657,35 euros ), des circonstances de la rupture, de la période de chômage qui s'en est suivie et d'un nouvel emploi à compter du 19 août 2019, il convient d'accorder à M. [V] une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant de 14.000 euros.
La remise d'une attestation France travail, d'un certificat de travail et d'un bulletin de salaire rectificatif conformes à la teneur du présent arrêt s'impose sans qu'il y ait lieu de prévoir une astreinte, aucun élément laissant craindre une résistance de la société Aline Immo n'étant versé au débat.
Sur la demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail
Alors que M. [V] présente cette demande dans le dispositif de ses conclusions, il ne l'explicite ni ne la fonde ni en droit et en fait dans le corps de ses écritures. Dans ces conditions, par confirmation du jugement, la demande sera rejetée.
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M. [V] ayant eu gain de cause en ses demandes principales dirigées contre la société Aline Immo, il n'y a pas lieu de statuer sur ses demandes subsidiaires dirigées contre la société Alinéa et l'Unédic.
Sur les intérêts
Les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la lettre de convocation devant le bureau de conciliation soit à compter du 5 août 2016. Les créances indemnitaires produiront des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Il convient d'ordonner la capitalisation des intérêts qui est de droit lorsqu'elle est demandée.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens
Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront infirmées. Il est équitable de condamner la société Aline Immo à payer à M. [V] la somme de 2.500 € au titre des frais non compris dans les dépens qu'il a engagés en première instance et en cause d'appel.
Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la liquidation judiciaire de la société Alinéa les frais irrépétibles engagés dans l'instance.
Les dépens de première instance et d'appel seront à la charge de la société Aline Immo, partie succombante par application de l'article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile et en matière prud'homale,
Déclare la demande nouvelle en cause d'appel au titre de la mise hors de cause de la société Aline Immo recevable mais, au fond, la rejette,
Infirme le jugement sauf en ses dispositions ayant ordonné la jonction des procédures et ayant rejeté les demandes de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et d'astreinte,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Rejette la demande de mise hors de cause de l'Unédic, délégation AGS-CGEA de [Localité 6],
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la société Aline Immo à effet du 24 janvier 2017,
Condamne la société Aline Immo à payer à M. [O] [I] [V] les sommes de :
- 3.314,70 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 331,47 euros au titre des congés payés afférents,
- 14.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en cause d'appel,
Ordonne la remise par la société Aline Immo à M. [O] [I] [V] d'une attestation France travail, d'un certificat de travail et d'un bulletin de salaire rectificatif conformes à la teneur du présent arrêt,
Dit que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter du 5 août 2016 et les créances indemnitaires produiront des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par la loi,
Condamne la société Aline Immo aux dépens de première instance et d'appel,
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE