La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/07/2024 | FRANCE | N°23/10946

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-2, 04 juillet 2024, 23/10946


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-2



ARRÊT

DU 04 JUILLET 2024



N° 2024/452







Rôle N° RG 23/10946 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLZL3







[T] [M]





C/



[K] [W]





















Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Benjamin DELBOURG



Me Serge DREVET









Décision déférée à la Cour :



Or

donnance de référé rendue par le Président du TJ de DRAGUIGNAN en date du 12 juillet 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 23/00216.





APPELANTE



Madame [T] [M]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2023-005555 du 31/08/2023 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROV...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-2

ARRÊT

DU 04 JUILLET 2024

N° 2024/452

Rôle N° RG 23/10946 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLZL3

[T] [M]

C/

[K] [W]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Benjamin DELBOURG

Me Serge DREVET

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance de référé rendue par le Président du TJ de DRAGUIGNAN en date du 12 juillet 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 23/00216.

APPELANTE

Madame [T] [M]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2023-005555 du 31/08/2023 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)

née le 12 janvier 1958 à [Localité 10],

demeurant [Adresse 11] - [Adresse 12] - [Localité 13]

représentée par Me Benjamin DELBOURG, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIME

Monsieur [K] [W]

né le 08 juin 1955 à [Localité 9] (MAROC), demeurant [Adresse 5] - [Adresse 12] - [Localité 13]

représenté par Me Serge DREVET de la SELAS CABINET DREVET, avocat au barreau de DRAGUIGNAN

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 28 Mai 2024 en audience publique devant la cour composée de :

M. Gilles PACAUD, Président

Mme Sophie LEYDIER, Conseillère rapporteur

Mme Florence PERRAUT, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Caroline VAN-HULST.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Juillet 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Juillet 2024,

Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Caroline VAN-HULST, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Exposé du litige :

Suivant acte authentique du 29 mars 1985, monsieur [K] [W] et madame [I] [U] épouse [W] ont acquis une vaste propriété cadastrée section F [Adresse 12] n°[Cadastre 6], n°[Cadastre 1] et [Cadastre 4], située [Adresse 5] à [Localité 13].

La parcelle cadastrée section F n°[Cadastre 4] est entièrement grevée d'une servitude de passage et de tréfonds au profit des parcelles cadastrées section F n°[Cadastre 2] et [Cadastre 3] et section F n°[Cadastre 7] et [Cadastre 8], propriétés de madame [T] [M], agricultrice-éleveuse, suivant acte authentique en date du 28 novembre 2008.

Par lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR) du 26 mai 2019, M. [K] [W] a mis en demeure sa voisine, Mme [M], de mettre fin à diverses nuisances sur le chemin cadastré section F n°[Cadastre 4] grevé d'une servitude de passage à son profit, se plaignant notamment d'entraves à cette servitude, de promenades à cheval et de la divagation d'animaux sur ce chemin, et il lui a demandé de retirer tous les objets entreposés contre la clôture de son héritage sans aucune autorisation et de procéder à l'élagage de l'ensemble des arbres empiétant selon lui sur sa propriété.

Un procès-verbal de constat d'huissier a été dressé le 13 novembre 2019. Des courriers ont été échangés entre les parties et un constat de carence a été établi le 27 mai 2020 par le conciliateur de justice, saisi par Mme [M].

Se plaignant de la persistance des nuisances et de l'installation par Mme [M] d'un appareil photographique à déclenchement automatique lors des passages de véhicules sur le chemin grevé d'une servitude et d'une caméra de chasse 'en mode piège photo' au niveau de son portail d'entrée, située sur la parcelle cadastrée section F [Cadastre 2], M. [W] l'a fait assigner devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Draguignan, par acte du 25 janvier 2023, aux fins principalement d'obtenir une expertise, ainsi que l'enlèvement de la caméra et de l'appareil filmant et photographiant les passages sur le chemin grevé d'une servitude, sous astreinte.

Par ordonnance contradictoire en date du 12 juillet 2023, ce magistrat a :

- ordonné une expertise confiée à M. [R],

- condamné Mme [T] [M] à ôter la caméra/appareil photo dirigée vers la servitude de passage, sous astreinte de 10 euros par jour de retard passé un délai de deux semaines à compter la signification de l'ordonnance et dans un délai de six mois, passé lequel il pourrait être procédé à la liquidation de l'astreinte provisoire et au prononcé éventuel d'une nouvelle astreinte,

- rejeté les demandes formées au titre de la procédure abusive et du remboursement du constat d'huissier,

- rejeté les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [K] [W] aux dépens.

Le premier juge a notamment considéré :

- que le demandeur à l'expertise disposait d'un intérêt légitime, compte tenu des nuisances invoquées et de l'historique des relations entre les parties,

- qu'aux termes de l'article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection, dans les limites de sa compétence, pouvait toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposaient, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite,

- qu'en l'espèce, il était constant que Mme [M] avait installé une caméra sur sa propriété, filmant le chemin/ servitude ou photographiant ce qui s'y passait ; que quand bien même il s'agirait d'une protection pour ses chevaux, cela ne saurait justifier l'installation d'un appareil photo/ caméra donnant sur une parcelle qui n'était pas la sienne, mais celle appartenant à M. [W] ; que la protection de ses chevaux pouvait être assurée par une installation dans leur enclos et non donnant sur le chemin litigieux.

Par déclaration reçue au greffe le 17 août 2023, Mme [T] [M] a interjeté appel de cette décision, limité au chef par lequel elle a été condamnée à retirer la caméra et l'appareil photographique dirigés vers la servitude de passage, sous astreinte.

Par dernières conclusions transmises le 11 octobre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, elle demande à la cour de réformer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle l'a condamnée à ôter la caméra/appareil photo dirigée vers la servitude de passage sous astreinte de 10 euros par jour de retard passé un délai de deux semaines à compter la signification de l'ordonnance, et dans un délai de six mois, passé lequel il pourra être procédé à la liquidation de l'astreinte provisoire et au prononcé éventuel d'une nouvelle astreinte,

Et statuant à nouveau, de :

- débouter M. [K] [W] de l'ensemble de ses demandes,

- de le condamner à lui payer la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens de l'instance.

Par dernières conclusions transmises le 10 janvier 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [K] [W] demande à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise du chef frappé d'appel et, y ajoutant, de :

- débouter Mme [M] de l'intégralité de ses demandes,

- condamner Mme [M] à lui payer une indemnité de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [M] aux entiers dépens de la présente instance.

L'instruction a été déclarée close par ordonnance en date du 14 mai 2024.

MOTIFS :

Sur le trouble manifestement illicite

Aux termes de l'article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas ou l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Le trouble manifestement illicite visé par ce texte désigne toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit. Pour en apprécier la réalité, la cour d'appel, statuant en référé, doit se placer au jour où le premier juge a rendu sa décision et non au jour où elle statue. Enfin, le juge des référés apprécie souverainement le choix de la mesure propre à faire cesser le trouble qu'il constate.

Une difficulté est sérieuse lorsque la question peut donner lieu à plusieurs réponses d'égale pertinence ou lorsqu'elle implique un examen approfondi des dispositions applicables ; à l'inverse, ne pose pas de difficulté sérieuse une question dont la réponse s'impose avec évidence ou n'exige qu'un examen sommaire ou rapide des textes en cause.

En toute hypothèse, il appartient à celui qui se prévaut d'un trouble manifestement illicite d'en rapporter la preuve.

L'article 9 alinéa 1 du code civil dispose que chacun a droit au respect de sa vie privée. Par ailleurs, si l'article 544 du même code confère le droit de jouir, de la manière la plus absolue, des choses dont on est propriétaire.

Néanmoins, leur usage ne peut s'exercer en contrariété des lois et règlements ni être source, pour la propriété d'autrui, bénéficiant des mêmes prérogatives, d'un dommage excédant les inconvénients normaux de voisinage.

Dès lors, par conjugaison de ces textes, constitue un trouble manifestement illicite le fait de filmer l'intérieur ou l'accès à la propriété d'autrui et donc l'intimité de son ou ses voisins.

En l'espèce, il résulte des pièces régulièrement versées aux débats que si une caméra et un appareil photographique ont été installés sur la propriété de Mme [M], ils ont été positionnés de telle manière qu'ils peuvent filmer et photographier des allers et venues sur le chemin situé sur la parcelle cadastrée section F n°[Cadastre 4], propriété de M. [W], ce qui constitue un trouble manifestement illicite, comme l'a exactement estimé le premier juge, même s'il n'a pas expressément repris ces termes.

Contrairement à ce que soutient l'appelante, l'éventualité que ce chemin soit qualifié de chemin d'exploitation, n'entraîne pas pour autant que sa propriété serait partagée entre les différents riverains, l'article L 162-1 du code rural invoqué par elle n'ayant vocation à s'appliquer qu'en l'absence de titre, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, M. [W] étant propriétaire de la parcelle cadastrée F [Cadastre 4] sur laquelle passe ce chemin, suivant acte notarié du 29 mars 1985.

Le seul fait que la caméra soit située sur sa parcelle et qu'elle ne prenne pas de vidéos mais capte seulement des images, constituent des éléments qui ne permettent pas davantage de considérer que son installation est légitime et ne contrevient à aucune règle de droit, comme s'en prévaut à tort l'appelante, dès lors qu'elle reconnait elle-même que cette caméra lui permet de prouver que le mauvais état du chemin est dû à l'action inconsidérée de M. [W] et que des véhicules y circulant peuvent être photographiés par cette caméra, ces dernières en permettant leur identification (page 6 de ses écritures).

Au surplus, Mme [M] ne conteste pas les constatations effectuées le 7 novembre 2023 par le commissaire de justice requis par M. [W], dont il résulte très clairement que tant l'appareil photo (positionné sur un petit guéridon à l'intérieur de sa propriété), que la caméra (installée en hauteur, sanglée sur un pin dans sa propriété) sont orientés vers le chemin situé sur la parcelle cadastrée F [Cadastre 4], et qu'ils ne peuvent en aucun cas permettre la surveillance de ses animaux comme elle le prétend.

En conséquence, l'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a condamné Mme [T] [M] à ôter la caméra/appareil photo dirigée vers la servitude de passage, sous astreinte de 10 euros par jour de retard passé un délai de deux semaines à compter la signification de l'ordonnance et dans un délai de six mois, passé lequel il pourra être procédé à la liquidation de l'astreinte provisoire et au prononcé éventuel d'une nouvelle astreinte, sauf à préciser que cette condamnation concerne le retrait de la caméra et de l'appareil photo tous deux dirigés vers la servitude de passage.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Succombant, l'appelante sera condamnée aux dépens et devra régler à M. [W] une indemnité de 3 000 euros pour les frais qu'il a été contraint d'exposer pour se défendre, en application de l'article 700 du code de procédure civile.

En tant que partie perdante, elle sera déboutée de sa demande formulée sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant dans les limites de l'appel,

Confirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a condamné Mme [T] [M] à ôter la caméra/appareil photo dirigée vers la servitude de passage, sous astreinte de 10 euros par jour de retard passé un délai de deux semaines à compter de sa signification et dans un délai de six mois, passé lequel il pourra être procédé à la liquidation de l'astreinte provisoire et au prononcé éventuel d'une nouvelle astreinte, étant précisé que Mme [T] [M] devra enlever la caméra et l'appareil photo tous deux dirigés vers la servitude de passage, sous la même astreinte ;

Y ajoutant :

Condamne Mme [T] [M] à payer à M. [K] [W] une indemnité de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

La déboute de sa demande d'indemnité formulée sur le même fondement,

Condamne Mme [T] [M] aux dépens d'appel.

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-2
Numéro d'arrêt : 23/10946
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;23.10946 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award