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04/07/2024 | FRANCE | N°22/09347

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 3-2, 04 juillet 2024, 22/09347


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-2



ARRÊT DE JONCTION ET AU FOND

DU 04 JUILLET 2024



N° 2024/187









Rôle N° RG 22/09347 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJUZ4



Jonction avec le RG 24/00625



Société ALTER EGO - TRANSPORTES MARITIMOS UNIPESSOAL LDA





C/



[T] [F]

PROCUREUR GENERAL

S.E.L.A.R.L. [N] & ASSOCIES

S.A.R.L. NAUTECH













Copie exécutoire délivrée

le :
>à :



Me Laure ATIAS



Me Agnès ERMENEUX



Me Paul GUEDJ



PG





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Commerce de Marseille en date du 27 Avril 2022 enregistré au répertoire général sous le n° 2022L00416.

Et Jugement du...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-2

ARRÊT DE JONCTION ET AU FOND

DU 04 JUILLET 2024

N° 2024/187

Rôle N° RG 22/09347 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJUZ4

Jonction avec le RG 24/00625

Société ALTER EGO - TRANSPORTES MARITIMOS UNIPESSOAL LDA

C/

[T] [F]

PROCUREUR GENERAL

S.E.L.A.R.L. [N] & ASSOCIES

S.A.R.L. NAUTECH

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Laure ATIAS

Me Agnès ERMENEUX

Me Paul GUEDJ

PG

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce de Marseille en date du 27 Avril 2022 enregistré au répertoire général sous le n° 2022L00416.

Et Jugement du Tribunal de Commerce de Marseille en date du 5 janvier 2022 enregistré au répertoire général sous le n° 2021P00963 ,

APPELANTE

Société ALTER EGO - TRANSPORTES MARITIMOS UNIPESSOAL LDA dont le siège social est sis [Adresse 11] ILE DE MADERE (PORTUGAL), prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualité audit siège

représentée par Me Laure ATIAS de la SELARL LAMBERT ATIAS & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assistée de Me Lucien SIMON de la SELARL SIMON AVOCAT, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Alma SIGNORILE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant

INTIMES

S.A.R.L. NAUTECH (NAUTICAL TECHNOLOGIES)

dont le siège social est sis [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualité audit siège

représentée par, Me Paul GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ - MONTERO - DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assistée de Me Marc BERNIE de la SELARL BERNIE-MONTAGNIER, AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant

S.E.L.A.R.L. [N] & ASSOCIES

prise en la personne de Maître [X] [N], Es qualité d'Administrateur judiciaire de la Société ALTER EGO, désigné en cette qualité par jugement du Tribunal de commerce de MARSEILLE du 5 janvier 2022 demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Agnès ERMENEUX de la SCP SCP ERMENEUX - CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIME

+ INTERVENANT FORCE (dans le RG 22/00256)

Maître [T] [F]

Mandataire Judiciaire, agissant en sa qualité de Liquidateur Judiciaire de la société ALTER EGO, désigné à ces fonctions par jugement du tribunal de commerce de Marseille, demeurant [Adresse 10]

représenté par Me Agnès ERMENEUX de la SCP SCP ERMENEUX - CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

Monsieur LE PROCUREUR GENERAL

demeurant Cour d'appel - [Adresse 12]

défaillant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 15 Mai 2024 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Gwenael KEROMES, présidente a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Gwenael KEROMES, Président de chambre

Madame Muriel VASSAIL, Conseiller

Madame Agnès VADROT, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Chantal DESSI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Juillet 2024.

MINISTERE PUBLIC :

Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Juillet 2024,

Signé par Madame Gwenael KEROMES, Président de chambre et Madame Chantal DESSI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

La société Nautech est créancière de la société Alter-Ego Transportes Maritimes Unipessoal LDA (ci-après la société Alter Ego) société immatriculée à Madère en vertu d'un jugement rendu le 19 octobre 2021 par le tribunal de commerce de Marseille qui a condamné cette dernière au paiement :

- de la somme de 138 442 euros en principal,

- de celle de 12 150 euros HT par mois de retard à compter du 9 juin 2021 jusqu'à la fin de stationnement du navire l'Alter Ego appartenant à la société Alter-Ego,

- de celle de 5 000 euros au titre des frais visés à l'article 700 du code de procédure civile.

Un autre créancier, la société T.M.P.S détenant une créance privilégiée en vertu d'un jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille du 19 octobre 2021 pour un montant de 48 399,40 euros a procédé à une saisie conservatoire du navire.

Ne parvenant pas obtenir le versement de ces sommes par la société Alter Ego, la société Nautech a fait délivrer le 13 août 2021 à la société Alter Ego, une assignation aux fins d'ouverture d'une procédure collective devant le tribunal de commerce de Marseille. Estimant que le siège social de la société Alter-Ego n'est qu'une boîte aux lettres à Madère, l'huissier délivrer l'acte aux dirigeants de droit et de fait de la société, domiciliés en France, M. [J] [M] domicilié à [Adresse 7], et M. [K] [L], [Adresse 3] à [Localité 13]

M. [K] [L] ancien co-gérant et associé au sein de la société Alter-Ego est intervenu volontairement à l'audience du 20 octobre 2021 devant le tribunal de commerce de Marseille par voie de conclusions.

Le tribunal de commerce par un jugement avant dire droit du 4 novembre 2021, a ordonné la comparution des parties le 1er décembre 2021, afin d'entendre la partie défenderesse sur les demandes dirigées contre elle et pour que soient produits les documents comptables de la société Alter-Ego, afin d'apprécier la situation active/passive de la société. Le tribunal a, ainsi, invité la défenderesse à produire le bilan du dernier exercice, la liste des éventuelles dettes, la justification des éventuelles réserves de crédit ou des moratoires dont elle bénéficie.

Entre temps, le conseil de M. [L] a déposé une requête en omission de statuer sur les exceptions d'incompétence qu'il avait soulevées par voie de conclusions et sur lesquelles de tribunal aurait omis de statuer.

L'examen de cette requête a été fixé à la même date que la procédure au fond et, après un renvoi, les deux affaires ont été appelées à l'audience du 15 décembre 2021, à l'issue de laquelle le tribunal de commerce a rendu, le 5 janvier 2022, le jugement dont appel. Le tribunal, constatant l'état de cessation des paiements de la société Alter Ego dont l'activité depuis 2014, consiste en l'exploitation d'un yatch de 34 mètres, armé au commerce sous pavillon Madère, a ouvert une procédure de redressement judiciaire et désigné Me [N] en qualité d'administrateur judiciaire ainsi que Me [T] [F], en qualité de mandataire judiciaire.

La société Alter Ego a interjeté appel le 7 janvier 2022 du jugement du 5 janvier 2022, appel enregistré sous le numéro RG 22/00256.

La société Alter Ego a par ailleurs sollicité auprès du premier président l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement de redressement judiciaire, qui à donné lieu à une ordonnance de radiation.

Dans le cadre de cette procédure d'appel :

- une jonction avec la procédure enregistrée sous le n° RG 22/01108 a été prononcée le 15 février 2022,

- le magistrat délégué par le premier président a rendu le 6 avril 2023, une ordonnance prononçant la caducité de la déclaration d'appel,

- saisie sur déféré du 21 décembre 2023, la cour d'appel, infirmant en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 6 avril 2023, et statuant à nouveau, a :

* déclaré recevables les conclusions de la société Alter Ego déposées le 13 mai 2022,

* débouté la Sarl Nautech de sa demande tendant à voir déclarer caduque la déclaration d'appel ;

* déclaré irrecevables les conclusions de la Sarl Nautech notifiées et déposées le 9 septembre 2022 ;

* condamné la Sarl Nautech aux dépens ;

* condamné la Sarl Nautech à payer à la société Alter Ego, la somme de 2 000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile.

Suite à l'arrêt sur déféré, l'affaire a été ré-enrôlée le 22 janvier 2024 sous le numéro RG 24/00625.

Entre temps, Maître [N] en sa qualité d'administrateur judiciaire, a demandé la conversion de la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire et par jugement du 27 avril 2022, le tribunal de commerce de Marseille constatant que la société Alter Ego était dans l'impossibilité de présenter un plan d'apurement de son passif s'élevant à plus de 2.500.000 euros, et en l'absence de solution de redressement possible, a prononcé sa liquidation judiciaire et désigné Maître [T] [F] en qualité de liquidateur judiciaire.

La société Alter-Ego a interjeté appel de ce jugement suivant déclaration du 20 juin 2022 (enregistrée sous le numéro RG 22-08847) complétée par celle 29 juin 2023 (enregistrée sous le numéro 22/09347). Ces deux procédures ont fait l'objet d'une ordonnance de jonction rendue par la magistrate déléguée de la chambre 3-2 le 17/11/2022 ayant joint le RG 22-08847 et le RG 22/09347 suivi sous le seul n° 22/09347.

- I - Moyens et prétentions des parties concernant le redressement judiciaire

Par conclusions déposées et notifiées par RPVA le 2 février 2023, la société Alter Ego-Transportes Maritimos demande à la cour d'infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

- in limine litis, déclarer territorialement incompétent le tribunal de commerce de Marseille pour ouvrir une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Alter Ego, seule la juridiction portugaise étant compétente,

- juger que le tribunal de commerce de Marseille a statué ultra petita en non contradictoirement, et annuler ou réformer en conséquence le jugement,

- juger en toute état de cause que l'état de cessation des paiements n'était pas démontré,

En conséquence,

- rejeter la demande de la société Nautech aux fins d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire et la débouter de toutes ses prétentions ;

- condamner la société Nautech à payer à la société Alter Ego-Transportes Maritimos, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel avec distraction au profit d Me Atias conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions d'intervention déposées et notifiées le 13 février 2023, Me [T] [F] pris en sa qualité de liquidateur judiciaire et la Selarl [N] & Associés, mandataire judiciaire agissant en qualité d'administrateur judiciaire de la société Alter Ego demandent à la cour:

- de constater que la mission de Me [N] ès qualités a pris fin ;

- de confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille le 5 janvier 2022,

- de condamner la société Alter Ego au paiement d'une somme de 10 000 euros pour procédure abusive et à celle de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Ministère public sollicite la confirmation du jugement dont appel, le redressement de la société étant manifestement impossible.

Il sera renvoyé, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens respectifs.

- II - Moyens et prétentions des parties concernant la liquidation judiciaire

Par jugement du 27 avril 2022, le tribunal de commerce de Marseille a prononcé la conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire en application des dispositions des articles L 640-1 à L 644-6 du code de commerce à l'égard de la société Alter Ego et désigné Me [F] en qualité de liquidateur judiciaire.

La société Alter Ego a fait appel de ce jugement le 28 juin 2022, enregistré sous le numéro 22/09347

Aux termes de ses conclusions d'appelante déposées et notifiées par RPVA le 28 septembre 2022, la société Alter Ego demande :

- l'infirmation du jugement dont appel en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,

- de juger que le tribunal de commerce de Marseille était incompétent pour convertir en liquidation judiciaire le redressement judiciaire de la société Alter Ego,

- de juger que le tribunal de commerce de Marseille a statué ultra petita et non contradictoirement, annuler ou réformer en conséquence le jugement,

- de juger que l'état de cessation des paiements et l'absence de solution de redressement n'étaient pas démontrés,

En conséquence,

- débouter Me [N] de sa demande de conversion du redressement judiciaire en une procédure de liquidation judiciaire de la société Alter Ego,

- condamner tout succombant à payer à la société Alter Ego la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me Atias, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées et notifiées par RPVA le 28 octobre 2022, Me [T] [F] agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Alter Ego, demande à la cour, à titre principal,

- de déclarer irrecevable l'appel interjeté par la société Alter Ego

A titre subsidiaire,

- de déclarer irrecevables l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la société Alter Ego et de dire la cour non saisie de la demande d'annulation du jugement en raison d'un ultra petita,

En toute hypothèse,

- de débouter la société Alter Ego de ses demandes,

- de confirmer le jugement du tribunal de commerce de Marseille en date du 27 avril 2022,

- de condamner la société Alter Ego au paiement de la somme de 10 000 euros pour procédure abusive et à la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par un avis déposé le 11 avril 2024, le procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence a déclaré s'en rapporter à son précédent avis déposé le 30 mai 2023 aux termes duquel il considère que :

- sur la compétence ratione loci, pour les personnes morales, c'est le siège social qui détermine en principe le tribunal compétent.

Toutefois, la compétence naturelle peut être contrebattue par la démonstration du lieu ou se situe

le centre des intérêts principaux du débiteur (Cass com 5 janvier 1999 n°96-18574 ; cass com 8 mars 1988 n°86-19668). Cela revient à démontrer l'existence d'un établissement stable en France compte tenu du fait que le siège statutaire correspond à une simple domiciliation postale, que le gérant statutaire demeure dans les alpes maritimes et le responsable de fait dans les bouches du Rhône. A noter que les navires immatriculés au MAR (registre maritime international de Madère) portant pavillon portugais peuvent être enregistré au centre d'Affaires international de Madère (MIBC) et profiter d'avantages fiscaux privilégiés sans être considéré comme pavillon de complaisance.

De plus, le navire est exploité en France, de sorte que la compétence ratione loci du tribunal de

commerce devant connaître de la procédure se situe bien en France.

A noter que la loi du 6 août 2015 a ajouté une distinction, en instaurant le principe de tribunaux

de commerce spécialisés, compétents pour certaines procédures collectives dépassant certains seuils, en l'espèce le TCS est situé à [Localité 9].

L'affaire a été fixée à l'audience du 15 mai 2024 et l'ordonnance de clôture est intervenue le 18 avril 2024.

Il sera renvoyé, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens respectifs.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Liminairement, s'agissant du même jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille le 5 janvier 2022, il y a lieu d'ordonner la jonction de la procédure RG22/09347 avec celle portant le numéro RG 24/00625.

Il y a lieu enfin, comme sollicité par les parties , d'ordonner la jonction de la procédure RG 22/09347 avec celle RG 24/00625, sous le seul numéro RG 22/09347. Il sera par conséquent statué sur les prétentions des parties par un seul et même arrêt.

1/ Sur l'exception d'incompétence du tribunal de commerce de Marseille au profit des juridictions portugaises (Madère) invoquée in limine litis par la société Alter Ego :

L'appelante fait valoir que le principe est la compétence du tribunal du siège social et que l'exception prévue par l'ordonnance n° 2017-1519 du 2 novembre 2017 et le règlement européen 2015/848 dont elle est issue, est celle du tribunal du « centre des intérêts principaux du débiteur » qui, comme toutes les exceptions, est d'interprétation stricte. Elle invoque l'arrêt Interedil du 20 octobre 2011, aff. C-396/09 rendu par la CJUE qui précise dans quelles circonstances il peut être dérogé à la présomption du siège statutaire pour déterminer le « centre des intérêts principaux du débiteur » :

- d'une part, il est nécessaire que « les organes de direction et de contrôle » de la société ne se trouvent pas au même lieu que son siège statutaire ' sans quoi la présomption du siège statutaire est irréfragable ;

- d'autre part, dans l'hypothèse où ces organes de direction et de contrôle sont dissociés géographiquement du siège social, la présomption peut être renversée « si des éléments objectifs et vérifiables par les tiers permettent d'établir l'existence d'une situation réelle différente de celle que la localisation audit siège statutaire est censée refléter ». Or, selon elle, les organes de direction et de contrôle d'ALTER EGO se situent à Madère, lieu du siège social de la société. Si cette société a notamment pour objet la gestion et l'exploitation du navire Alter Ego, celles-ci ne sauraient pour autant constituer le centre de ses intérêts principaux.

Elle dénie la compétence du tribunal de commerce de Marseille, car le navire a pour port d'hivernage lorsqu'il se trouve en France, Sète et stationne le plus souvent au port de [Localité 5], et relève par conséquent de la compétence du tribunal de commerce spécialisé de Nice ou de Montpellier, en application de l'article 721-8 du code de commerce.

Me [F] ès qualités, la Selarl [N] & Associés ès qualités et la société Nautech, lui opposent les dispositions du règlement 2015/848 et du conseil du 20 mai 2015 relatives aux procédures d'insolvabilité, la jurisprudence de la CJCE (arrêt Eurofood) et les éléments du dossier qui établissent que la gérance statutaire et de fait de la société est située en France, que le navire est exploité principalement en France et qu'il est depuis le 14 août 2020 immobilisé au chantier naval Nautech à [Localité 8] et soutiennent la compétence des juridictions françaises, et plus particulièrement du tribunal de commerce de Marseille.

Sur ce,

Il résulte de l'article 3 du règlement 2015/848 du Parlement européen et du conseil du 20 mai 2015 relatif aux procédures d'insolvabilité que les juridictions de l'Etat membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d'insolvabilité principale. Le centre des intérêts principaux correspond au lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est vérifiable par les tiers. Pour les sociétés, le centre d'intérêts est présumé jusqu'à preuve du contraire, être le lieu du siège statutaire.

Il résulte des éléments du débats que le siège social de la société Alter Ego à [Localité 6] (Madère) est une adresse de domiciliation où la société ne dispose d'aucun local, ni salarié et que ses dirigeants de droit et de fait résident tous deux en France, M. [J] [M] à [Adresse 7] et M [K] [L], [Adresse 3] à [Localité 13], ce dernier étant intervenu volontairement à la procédure de redressement judiciaire et dont il résulte des courriels versés aux débats, qu'il en assure la gestion de fait. M. [L] est par ailleurs le gérant de la société Yaka International Trading ltd enregistrée à Madère qui détient 33,33 % du capital de la société Alter Ego. Dès lors, les organes de direction et de contrôle de la société sont dissociés du siège statutaire de la société qui n'a pour seul objet social et activité, l'exploitation de ce navire (yatch). Celle-ci est assurée principalement en France, comme c'était le cas en 2019 et 2020, ainsi qu'il ressort des relevés du système d'identification automatique AIS produit par les intimés (pièce n°10). En activité, ce navire était amarré au port d'[Localité 4] et en hivernage au port de [Localité 14] comme l'indique l'appelante dans ses conclusions, jusqu'à son immobilisation au port de [Localité 8] en avril 2020, où il était réparé dans le chantier naval Nautech, à la suite saisies conservatoires pratiquées.

Sa vente a été autorisée par le juge commissaire dans le cadre des opérations de liquidation judiciaire.

La loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance l'activité et l'égalité des chances économiques et le décret n° 2016-217 du 26 février 2016 ont organisé la spécialisation de certains tribunaux de commerce pour les procédures ouvertes à compter du 1er mars 2016 des juridictions spécialisées pour connaître de certaines procédures collectives répondant aux conditions posées par les articles L721-8 et suivants de code de commerce.

A cet égard, ce navire constitue un établissement stable dès lors qu'il est immobilisé en France, du fait de saisies conservatoires effectuées antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective, au port de [Localité 8], situé dans le département des Bouches-du-Rhône. Il relève par conséquent de la juridiction du tribunal de commerce de Marseille, compétent en application des dispositions de l'article 3 du règlement 2015/848 relatif aux procédures d'insolvabilité et R 600-1 du code de commerce, et de l'article L 721-8 3° du code de commerce, pour connaître de la procédure collective ouverte à l'égard de la société Alter Ego.

C'est donc à juste titre que le tribunal de commerce de Marseille a retenu sa compétence territoriale en application des dispositions précitées.

2 / Sur la nullité du jugement invoquée par la société Alter Ego :

Il ressort du rappel des faits et de la procédure que le tribunal de commerce de Marseille a rendu un premier jugement avant dire droit le 4 novembre 2021, afin d'ordonner la comparution des parties à l'audience de renvoi fixée le 1er décembre, sans se prononcer sur l'exception d'incompétence ratione loci soulevée par M. [L], aux termes de conclusions d'intervention volontaire ; que ce dernier a déposé une requête en omission de statuer le 19 novembre 2021, estimant que le tribunal a omis de se prononcer sur ses demandes relatives à la nullité de l'assignation et l'exception d'incompétence et que le greffe a convoqué les parties à l'audience du 15 décembre 2021.

L'affaire sur le fond, initialement renvoyée au 1er décembre 2021 a fait l'objet d'un nouveau renvoi contradictoire à l'audience du 15 décembre 2021, date à laquelle devait être examinée en même temps la requête en omission de statuer.

A cette audience, ainsi qu'il ressort du jugement querellé, les parties ont été en mesure de présenter leurs observations et débattre contradictoirement des exceptions soulevées. Sur le fond, le conseil de la société Alter Ego a été autorisé par le tribunal, sans opposition du conseil de la partie adverse, à produire par note en délibéré ses observations écrites et des pièces complémentaires numérotées 6 à 12, ce qu'il a fait. Le tribunal, en joignant à la même audience, les incidents soulevés par la requête en omission de statuer et le fond du litige, les deux procédures étant jointes, les parties entendues en leurs observations et autorisées à transmettre en délibéré des observations écrites et pièces complémentaires, a statué sur l'ensemble des demandes dont il était saisi, sans encourir le grief d'avoir statué ultra petita, et dans le respect du principe de la contradiction. Dès lors, le jugement ne saurait encourir l'annulation.

Les exceptions de nullité et d'incompétence soulevées par la société Alter Ego seront par conséquent rejetées.

3 / Sur le redressement judiciaire

En application de l'article L 631-8 al. 1er du code de commerce, l'état de cessation des paiements se définit par l'impossibilité pour le débiteur de faire face au passif exigible avec l'actif disponible

La notion d'actif disponible est une notion qui repose sur des éléments essentiellement de nature financière (et non comptable), c'est l'actif limité aux avoirs immédiatement disponibles, constaté au jour où le juge statue, notion par conséquent distincte de la notion comptable de résultat.

Le passif exigible est constitué des dettes certaines, liquides et exigibles, ou échues.

En outre, il appartient à la partie qui l'invoque de le démontrer, le juge ne pouvant se contenter de simples présomptions tirées d'éléments extrinsèques qui, si elles permettent de fonder la saisine du tribunal aux fins d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, ne peuvent se substituer à une analyse, même succincte, de la situation financière du débiteur, pour caractériser l'état de cessation des paiements au sens de l'article L 631-8 précité, et prononcer l'ouverture d'une procédure collective.

En demandant à la société Alter Ego de produire en cours de délibéré des pièces comptables, en l'occurrence les bilans certifiés des années 2018 à 2019 comme tous justificatifs sur sa situation financière, qu'il a ensuite rejetés au motif qu'une partie de ces documents n'était pas traduite en langue française, le tribunal de commerce a inversé la charge de la preuve qui incombait au créancier, la société Nautech, à qui il revenait de démontrer l'état de cessation des paiements de la société Alter Ego.

Le jugement sera par conséquent infirmé sur ce chef.

En raison de l'effet dévolutif de l'appel, la cour, appelée à statuer sur la demande d'ouverture de la procédure collective à l'égard de la société Alter Ego relève à la date où elle statue, que:

- la société Nautech justifiait au moment de l'assignation délivrée le 13 août 2021, d'une créance certaine liquide et exigible, en vertu d'un jugement définitif rendu le 19 octobre 2021 s'élevant à la somme de 138 442 euros TTC,

- si la société Alter Ego justifie avoir demandé à être autorisée à consigner la somme due à la société Nautech, un autre créancier, la société TEMPS disposait également à la date de l'assignation, d'une créance exigible de 48 399,40 euros, constatée par un jugement du tribunal de commerce de Marseille du 19 octobre 2021.

La cour relève à cet égard que la société Alter Ego n'a pas poursuivi ou régularisé la procédure aux fins d'arrêt de l'exécution provisoire du jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire du 5 janvier 2022, introduite devant le premier président de la cour de céans, qui a dès lors prononcé la radiation de l'affaire.

- à ce jour, l'état des créances établi par le liquidateur judiciaire (pièce n°15) fait apparaître un passif exigible définitif s'élevant à 2'152'407,58 (2 459 717,50 - 307 309,42 (instances en cours)), dont un passif privilégié s'élevant à 468 601,19 euros.

- l'actif disponible de la société Alter Ego, étant au vu des écritures de l'appelante, constitué de sa trésorerie, abondée par les apports en compte courant des associés, finançant les frais d'entretien et de fonctionnement du bateau, est insuffisant pour couvrir le passif exigible qui s'élève à ce jour à plus de 2 152 000 euros.

L'état de cessation des paiements de la société Alter Ego étant suffisamment caractérisé au vu des éléments qui précèdent, il y a lieu d'ouvrir une procédure de redressement judiciaire en application des articles L. 631-1 et suivants du code de commerce, de fixer la date de cessation des paiements au 5 janvier 2022 et de désigner les mêmes organes de la procédure, que ceux mentionnés dans le jugement querellé.

Sur la liquidation judiciaire

Le jugement rendu le 27 avril 2022 ayant ordonné la conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire a mis fin à la mission de la Selarl [N] & Associés, qui sera par conséquent, mise hors de cause.

Bien que la société Alter Ego n'ait pas contesté devant les premiers juges, comme cela ressort du jugement entrepris, ne pas être en mesure de proposer un plan de redressement, elle conserve toutefois un intérêt à agir en faisant appel, dans la mesure où la cour, étant saisie depuis le 7 janvier 2022 de l'appel du jugement d'ouverture du redressement judiciaire rendu le 5 janvier 2022 par le tribunal de commerce de Marseille, n'avait pas encore statué à la date de sa déclaration d'appel (29 juin 2022).

Par ailleurs, la société Alter Ego dispose d'un droit propre à faire appel du jugement prononçant la conversion de la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire.

L'appel interjeté par la société Alter Ego est donc recevable.

La cour s'étant prononcée par ses développements antérieurs sur les questions portant sur la compétence territoriale du tribunal de commerce de Marseille et la nullité du jugement rendu le 5 janvier 2022, renvoie les parties à s'y référer.

Il se déduit des dispositions combinées des articles L. 631-1 et L. 631-15 du code de commerce que la conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire n'est possible que si la poursuite de l'activité et le redressement sont manifestement impossibles.

L'impossibilité manifeste du débiteur à se redresser s'apprécie in concreto, au regard de sa situation matérielle et financière globale et de son activité.

Par ailleurs, pour mener à bien cette appréciation, la cour doit examiner la situation matérielle réelle de l'appelante au jour où elle statue.

La société Alter-Ego a convenu devant les premiers juges ne pas être en mesure de proposer un plan de redressement, étant rappelé que son seul actif est le navire immobilisé dans les locaux de la société Nautech, le passif déclaré s'élevant à plus de 2 500 000 euros, est composé à hauteur de 2 000 000 de créances en compte courant d'associés, lesquels n'ont pas déclaré vouloir en faire l'abandon.

Par ailleurs, par ordonnance en date du 2 septembre 2022, rendue à la requête de Me [F] ès qualités, le juge commissaire a autorisé la cession du navire dénommé 'Alter Ego'actuellement stationné dans le porte de [Localité 8], qui compose l'unique actif de la société, au bénéfice de la société CAC Mediterranean Charter SL 'Smart Charter Ibiza', société de droit espagnol, moyennant le prix de 405.000 euros net vendeur. Cette ordonnance n'a pas donné lieu à un recours.

La société appelante ne verse pas aux débats d'élément en faveur d'une poursuite de l'activité ni d'un redressement.

Il ressort par conséquent de l'ensemble de ces éléments que la poursuite de l'activité et le redressement de la société Alter Ego sont manifestement impossibles.

Le jugement rendu par le 27 avril 2022 par le tribunal de commerce de Marseille sera confirmé en toutes ses dispositions.

Sur la demande de dommages et intérêts formée par Me [F] ès qualités

L'article 32-1 du code de procédure civile dispose que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

En l'espèce, l'erreur commise dans l'appréciation de ses droits comme l'exercice de voies de recours contre un jugement n'est pas en soi seul constitutif d'un abus, sauf à démontrer l'intention malveillante ou dilatoire de la partie qui l'exerce.

En l'espèce, une telle intention n'est pas rapportée par Me [F], de sorte que la demande de condamnation de la société Alter Ego sera rejetée.

Sur les demandes accessoires

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

La société Alter Ego succombant en son appel n'est pas fondée en sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Au vu des circonstances de l'espèce et de l'équité il n'y a pas lieu de prononcer de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de la société Alter Ego - Transportes Maritimos et il ne sera donc pas fait droit aux demandes de Me [F] et de la société Nautech sur ce chef.

Les dépens d'appel seront employés en frais de la procédure collective.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt rendu contradictoirement par mise à disposition au greffe,

Ordonne la jonction des procédures portant les numéros RG 22/09347 et RG 24/00625 sous le seul numéro RG 22/09347 et dit qu'il sera statué sur les prétentions des parties par un seul et même arrêt ;

Déclare l'appel interjeté par la société Alter-Ego Transportes Maritimos contre le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille le 27 avril 2022, recevable ;

Rejette les exceptions d'incompétence et de nullité invoquées par la société la société Alter-Ego Transportes Maritimos à l'encontre du jugement rendu le 5 janvier 2022 et reprises à l'encontre du jugement rendu le 27 avril 2022 par cette même juridiction ;

Met hors de cause la Selarl [N] et Associés prise en la personne de Me [N] ;

Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille le 5 janvier 2022 en ce qu'il s'est déclaré compétent territorialement et en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

L'infirme en ce qu'il a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Alter Ego Transportes Maritimos ;

Et statuant à nouveau de ce chef d'infirmation,

Ouvre une procédure de redressement judiciaire en application des dispositions des articles L 631-1 et suivants de code de commerce à l'égard de la société Alter Ego - Transportes Maritimos Unipessoal LDA sise [Adresse 11] à Madère (Portugal), fixe la date de cessation des paiements au 5 janvier 2022 et maintient la désignation des organes de la procédure tels que mentionnés dans le jugement du 5 juillet 2022 ;

Confirme en toutes ses dispositions, le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille le 27 avril 2022 en ce qu'il a prononcé la conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire en application des articles L.640-1 à L.644-6 du code de commerce, à l'égard de la société Alter Ego - Transportes Maritimos ;

Déboute Me [T] [F] de sa demande de dommages et intérêts dirigée contre l'appelante ;

Dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de la société Alter Ego - Transportes Maritimos et rejette les demandes sur ce chef ;

Dit que les dépens d'appel seront employés en frais privilégiés de la procédure collective de la société Alter Ego - Transportes Maritimos.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 3-2
Numéro d'arrêt : 22/09347
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 11/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;22.09347 ?
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