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04/07/2024 | FRANCE | N°21/15529

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-5, 04 juillet 2024, 21/15529


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-5



ARRÊT AU FOND

DU 04 JUILLET 2024



N° 2024/





MAB/KV







Rôle N°21/15529

N° Portalis DBVB-V-B7F-BIKUV







[E] [V]





C/



S.A. SOCIETE DU PORT DE PLAISANCE DE [Localité 2]

























Copie exécutoire délivrée

le : 04/07/2024

à :



- Me David-André DARMON, avocat au

barreau de NICE



- Me David HAZZAN de la SAS HAZZAN & BOUCHAREU, avocat au barreau de MARSEILLE

























Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NICE en date du 12 Octobre 2021 enregistré au répertoire général sous le n° F19/00...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-5

ARRÊT AU FOND

DU 04 JUILLET 2024

N° 2024/

MAB/KV

Rôle N°21/15529

N° Portalis DBVB-V-B7F-BIKUV

[E] [V]

C/

S.A. SOCIETE DU PORT DE PLAISANCE DE [Localité 2]

Copie exécutoire délivrée

le : 04/07/2024

à :

- Me David-André DARMON, avocat au barreau de NICE

- Me David HAZZAN de la SAS HAZZAN & BOUCHAREU, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NICE en date du 12 Octobre 2021 enregistré au répertoire général sous le n° F19/00907.

APPELANT

Monsieur [E] [V], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me David-André DARMON, avocat au barreau de NICE

INTIMEE

S.A. SOCIETE DU PORT DE PLAISANCE DE [Localité 2] (S.P.P.C.), demeurant [Adresse 8]

représentée par Me David HAZZAN de la SAS HAZZAN & BOUCHAREU, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Avril 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Anne BLOCH, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre

Madame Stéphanie BOUZIGE, Conseiller

Madame Marie-Anne BLOCH, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Pascale ROCK.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Juillet 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Juillet 2024

Signé par Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre et Madame Karen VANNUCCI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE

M. [E] [V] a été engagé par la société Port de plaisance de [Localité 2], en qualité d'agent portuaire, par contrat à durée déterminée du 28 janvier 2010 puis par contrat à durée indéterminée à compter du 20 mai 2020.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des ports de plaisance.

Après entretien du 14 juin 2019, M. [V] s'est vu notifier une mise à pied disciplinaire de dix jours, à compter du 17 juin 2019, avec retenue sur salaire au motif d'un 'manquement grave à l'engagement de loyauté'

Le 1er octobre 2019, M. [V] s'est vu notifier un avertissement.

Après avoir été convoqué à un entretien préalable fixé le 5 mars 2020, M. [V], par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 16 mars 2020 a été licencié pour faute grave.

Le 8 octobre 2019, M. [V], contestant le bien-fondé de la mise à pied et de son licenciement et estimant avoir subi un harcèlement moral, a saisi la juridiction prud'homale, afin d'obtenir diverses sommes tant en exécution qu'au titre de la rupture du contrat de travail.

Par jugement rendu le 12 octobre 2021, le conseil de prud'hommes de Nice a :

- jugé que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Port de plaisance de [Localité 2] à verser à M. [V] la somme de 6 349,89 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- débouté M. [V] de sa demande d'annulation de licenciement,

- débouté M. [V] de ses demandes au titre du harcèlement moral,

- débouté M. [V] de sa demande tirée d'un vice de procédure lors de la notification du licenciement,

- débouté M. [V] de sa demande d'annulation de la mise à pied disciplinaire et des demandes subséquentes,

- débouté M. [V] de sa demande de remboursement des frais médicaux,

- condamné la société Port de plaisance de [Localité 2] au paiement de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- mis les dépens à la charge de la société Port de plaisance de [Localité 2].

M. [V] a interjeté appel de cette décision dans des formes et délais qui ne sont pas critiqués.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 21 mars 2024.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par conclusions notifiées par voie électronique le 11 janvier 2022, l'appelant demande à la cour de réformer le jugement et statuant à nouveau de :

- constater l'existence d'un harcèlement moral,

- juger que le licenciement du salarié, victime de harcèlement moral, est nul,

- condamner en vertu des dispositions pénales l'employeur à payer une amende de 30 000 euros et à titre de peine complémentaire, l'affichage du jugement aux frais de l'employeur,

- prononcer à titre d'indemnité pour licenciement nul la somme de 50 000 euros,

- indemniser M. [V] des frais médicaux engagés d'un montant total de 350 euros,

- indemniser M. [V] sur le fondement du préjudice moral subi qui découle nécessairement d'un harcèlement moral par des dommages-intérêts d'une somme de 30 000 euros,

- prononcer une indemnité légale de licenciement au profit de M. [V] d'un montant de 19 473,30 euros,

- débouter la société Port de plaisance de [Localité 2] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

- constater un vice de procédure concernant le non-respect du délai de deux jours ouvrés à partir de la tenue de l'entretien préalable pour l'envoi de la notification de licenciement,

- juger irrecevable l'ensemble des moyens de preuve illicite,

- juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner l'employeur à verser une indemnité au titre du vice de procédure constaté équivalente à un mois de salaire soit la somme de 1947,33 euros,

- condamner l'employeur à payer une indemnité d'un montant de 5 000 euros au titre de la violation de la vie privée du salarié,

- condamner l'employeur à des dommages-intérêts concernant le préjudice moral à hauteur de 30 000 euros,

- condamner l'employeur à verser l'indemnité légale de licenciement égale à 19 473,30 euros, - condamner l'employeur au paiement de la somme de 2'500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

L'appelant fait valoir qu'il a subi un harcèlement moral, par une surveillance injustifiée et disproportionnée par le biais de caméras de surveillance et de vérification de ses arrêts de travail. Il sollicite l'indemnisation de son préjudice moral, ainsi que la nullité du licenciement. A défaut, le salarié soutient que les griefs reprochés ne sont pas caractérisés.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 30 mars 2022, l'intimée demande à la cour de :

* confirmer le jugement en ce qu'il a :

- débouté M. [V] de sa demande d'annulation du licenciement,

- débouté M. [V] de ses demandes au titre du harcèlement moral,

- débouté de ses demandes concernant un vice de procédure dans la notification du licenciement,

- condamné la société Port de plaisance de [Localité 2] à lui verser la somme de 800 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

* infirmer le jugement en ce qu'il a :

- requalifié son licenciement pour faute grave en un licenciement pour cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Port de plaisance de [Localité 2] à verser à M. [V] la somme de 6 349,89 euros nets à titre d'indemnité légale de licenciement,

* statuant à nouveau,

- juger que le licenciement de M. [V] repose sur une faute grave,

- débouter M. [V] de ses diverses fins et conclusions,

* en tout état de cause,

- condamner M. [V] à payer à la société Port de plaisance de [Localité 2] la somme de 5000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [V] au paiement des entiers dépens.

L'intimé réplique que le salarié n'établit aucun fait caractérisant une situation d'harcèlement moral. La surveillance dont il se prévaut n'est pas établie, les informations ayant été recueillies par l'employeur sur le profil public Facebook de l'intéressé. Le licenciement n'est donc pas nul et est par ailleurs bien-fondé pour faute grave, dans la mesure où il a multiplié les arrêts maladie injustifiés, a ainsi manqué à son obligation de loyauté en mentant à l'employeur sur ses absences et a adopté des comportements inadaptés. L'ensemble des demandes du salarié doit donc être rejetée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail

1- Sur le bien-fondé de la sanction disciplinaire du 14 juin 2019

Si M. [V] sollicite l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions, y compris en ce qu'il l'a débouté de sa demande d'annulation de la sanction disciplinaire du 10 juin 2019, la cour constate que l'appelant ne formule aucune prétention à ce titre au dispositif de ses conclusions. En application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour n'en est donc pas saisie.

2- Sur le harcèlement moral

Selon l'article L. 1152-1 du code du travail, 'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel'.

En application du même texte et de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, le salarié invoque un certain nombre d'agissements de son employeur, soutenant avoir subi une surveillance accrue par l'intermédiaire de caméras de surveillance et d'autres employés et une contestation systématique de ses arrêts de travail, ayant pour objectif d'entraîner une altération des conditions de travail, qui est à l'origine d'une dégradation de son état de santé.

Il présente les éléments de faits suivants :

- l'employeur a détourné l'usage des caméras de surveillance pour le surveiller,

- les autres employés ont participé à sa surveillance,

- ses arrêts de travail ont été systématiquement contestés,

- il a subi des sanctions disciplinaires,

- il a été amené à consulter pour des séances de psychothérapie.

Au soutien de son allégation d'harcèlement moral, il produit les pièces suivantes :

- la lettre d'avertissement du 1er octobre 2019,

- son courrier du 29 octobre 2019, de contestation de la lettre d'avertissement du 1er octobre 2019,

- la lettre de notification de son licenciement pour faute grave du 16 mars 2020,

- les notes d'honoraires de Mme [N] [R] [Y], psychologue, des 14 mars 2019, 6 mai 2019, 10 juin 2019, 25 juin 2019 et 9 juillet 2019.

La matérialité de certains faits présentés par le salarié n'est pas établie. Pour démontrer l'utilisation frauduleuse des caméras de surveillance par l'employeur et une surveillance par les autres employés de la société, M. [V] se fonde sur son propre courrier du 29 octobre 2019, dans lequel il écrit : 'je suis pisté à longueur de journée par les caméras de la société du port que vous braquez sur moi ou par un collègue de travail (M. [U] par exemple) qui a reçu les ordres de me suivre et vous faire du reporting sur tous mes faits et gestes'. Or, en l'absence de tout élément objectif, le salarié ne pouvant se constituer ses propres preuves, ces faits ne sont pas caractérisés.

Les seuls faits établis concernent la contestation de ses arrêts de travail, qui ressort en effet de la lettre de licenciement notifiée le 16 mars 2020, dans laquelle la société Port de plaisance de [Localité 2] reproche à M. [V] d'avoir menti sur le motif de ses absences et les sanctions disciplinaires prononcées par l'employeur, dans le cadre de son pouvoir de sanction.

Toutefois, la cour observe que les notes d'honoraires versées, relative à la psychothérapie suivie par M. [V], sont antérieures à la première sanction disciplinaire qui date du 14 juin 2019 et donc aux faits présentés par le salarié comme étant constitutifs d'un harcèlement moral.

Ainsi, l'ensemble des éléments ainsi produits, appréhendés dans leur ensemble, ne laisse pas supposer l'existence d'un harcèlement moral, auquel il appartiendrait à l'employeur de répondre.

En conséquence, M. [V] sera débouté de ses demandes relatives à l'indemnisation à hauteur de 30 000 euros de son préjudice moral, du remboursement de ses frais médicaux à hauteur de 350 euros, par confirmation du jugement entrepris. La cour précise également ne pas être compétente pour prononcer une amende pénale et l'affichage du jugement aux frais de l'employeur.

Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail

La lettre de licenciement du 16 mars 2020 est ainsi motivée :

'Vous avez été régulièrement convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui

s'est tenu le 5 mars 2020. Vous vous êtes présenté à cet entretien, assisté d'un conseiller.

Les explications que vous nous avez fournies sur les griefs qui vous sont reprochés au cours de cet entretien n'ont pas permis de modifier notre appréciation.

Nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier en raison de votre comportement au travail préjudiciable aux intérêts de la société.

Depuis de nombreux mois, nous avons à déplorer votre attitude au travail et votre incapacité à

prendre en considération nos remarques pour vous améliorer.

Pire encore, alors que vous avez déjà été sanctionné pour certains faits, nous avons eu le regret de constater que vous les avez réitérés.

Ainsi, vous avez trompé votre employeur en ayant recours à des arrêts de travail pour maladie

injustifiés :

- le vendredi 31 Mai 2019, vous nous avez adressé un arrêt de travail pour maladie ; le même jour, vous avez été aperçu en train de faire du jet ski dans l'anse de La Mala. Nous avons été

contraints de vous notifier une mise à pied disciplinaire.

- le 9 août 2019, vous nous avez informés que vous serez en arrêt maladie à compter du 10 août 2019 au 12 août 2019. De surcroît, nous avons dû procéder à une réorganisation du planning

de travail des autres salariés en raison de votre absence. Pour permettre au salarié qui vous a

remplacé au pied levé de prendre ses jours de repos, nous vous avons indiqué que vous deviez

travailler les 14 et 15 août 2019. Vous avez refusé prétextant un rendez-vous médical fixé depuis

longtemps à la date du 15 août 2019. Le Directeur de la Société vous a alors très justement fait

part de son étonnement, le 15 août étant un jour férié. Vous lui avez répondu que vous alliez lui

transmettre un certificat médical attestant de la tenue de ce rendez-vous médical à [Localité 5]. Le 12 septembre 2019, nous avons été contraints de vous adresser une lettre recommandée avec demande d'avis de réception étant toujours dans l'attente de ce certificat médical. Vous nous avez finalement remis le 18 septembre 2019 une copie d'un certificat médical émanant du Docteur [C] [A], du service de médecine d'urgence du centre hospitalier [3] à [Localité 4].

- vous avez été en arrêt maladie du 22 août 2019 au 1er septembre 2019. Nous avons relevé des incohérences sur votre avis d'arrêt de travail : celui-ci a été posté le 20 août 2019 et il a été transmis par la poste le 21 août 2019 alors qu'il a été signé par le médecin qui l'a établi le 22

août 2019. De surcroît, vous avez été aperçu le 22 août 2019 au [Localité 6] avec les équipes de la Croix Rouge où vous êtes bénévole.

- alors que vous étiez normalement de permanence du samedi 23 novembre 2019 au lundi 25 novembre 2019, vous avez informé le Maître de Port par SMS du 23 novembre à 11 heures 24 de votre absence pour cause de maladie les 23 et 24 novembre 2019 tout en indiquant être aux

urgences de l'Hôpital de [Localité 4]. Or, vous nous avez transmis un avis d'arrêt de travail émanant d'un médecin exerçant à [Localité 7] et nous nous sommes aperçus qu'en réalité, vous vous étiez rendu aux côtés de la Croix Rouge pour venir en aide aux personnes sinistrées en raison des intempéries qui ont touché notre département quelques jours plus tôt.

- le 7 février 2020, vous nous avez informés par SMS de votre absence pour maladie à compter du 8 février 2020 jusqu'au 9 février 2020. Vous nous avez transmis votre avis d'arrêt de travail le 11 février 2020, soit au-delà du délai de 48 heures qui vous est normalement imparti. Nous nous sommes aperçus à la suite d'une publication sur les pages Facebook qu'en réalité, vous aviez prévu dès le 4 février 2020 de ne pas venir travailler afin d'assister à l'inauguration de

la permanence électorale de M. [H] du 8 février 2020 à 12 heures.

Vous avez ainsi volontairement menti à votre employeur.

Ces derniers faits et leur caractère répété nous ont poussé à vous convoquer à un entretien préalable en vue de votre licenciement.

Vos arrêts de travail ont désorganisé le fonctionnement du Port et certains salariés ont dû pallier votre absence sans délai de prévenance.

Vous avez gravement manqué à votre obligation de loyauté auprès de votre employeur.

En effet, vos agissements ont eu pour effet d'engendrer une perte totale de confiance de votre employeur.

Au-delà de ces faits, nous déplorons de votre part un non-respect constant des consignes qui vous sont données par votre hiérarchie ainsi qu'une attitude de défiance vis-à-vis de votre employeur : défaut de port de la tenue de travail, utilisation répétée de votre téléphone portable sur votre lieu de travail et pendant vos heures de travail, y compris en conduisant le véhicule de la société.

En outre, vous refusez de travailler sous les instructions de votre nouveau supérieur hiérarchique, M. [X] [S], Maître de Port. Ainsi, vous ne répondez pas à ses appels sur talkie-walkie et contestez chacune de ses consignes.

Nous vous avons alerté à de nombreuses reprises sur votre comportement. Pourtant, vous n'avez

pas pris en considération nos remarques.

Enfin, votre comportement décrit ci-dessus fait écho à des faits antérieurs à la suite desquels nous avons eu le regret de constater que vous ne craigniez pas de procéder par voie d'affirmations mensongères pour tenter de porter le discrédit sur la société : accusations de non-transmission de vos bulletins de paie, accusations de mise en danger des salariés pour non-respect des règles liées à la sécurité sur le port, accusations d'harcèlement moral à l'encontre des salariés de la Société...

Lors de votre entretien préalable, vous avez réfuté l'ensemble de ces faits.

Pour ces raisons, nous avons décidé de vous licencier pour faute grave'.

1- Sur la nullité du licenciement en raison du harcèlement moral

L'article L 1152-3 du code du travail dispose que 'toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L 1152-1 et L 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul'.

La cour n'ayant pas reconnu le harcèlement moral, il en découle que la demande présentée par M. [V] au titre de l'indemnisation des conséquences d'un licenciement nul en raison du harcèlement moral subi doit être rejetée par confirmation du jugement déféré.

2- Sur le bien-fondé du licenciement pour faute grave

En application de l'article L.1235-1 du code du travail, le juge a pour mission d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur.

La cause du licenciement doit être objective et reposer sur des faits matériellement vérifiables. Les faits doivent être établis et constituer la véritable cause de licenciement. Ils doivent par ailleurs être suffisamment pertinents pour justifier le licenciement. Il appartient au juge du fond, qui n'est pas lié par la qualification donnée au licenciement, de vérifier la réalité des faits invoqués et reprochés au salarié et de les qualifier puis de décider s'ils constituent une cause réelle et sérieuse au sens de l'article L.1232-1 du code du travail à la date du licenciement.

La faute grave se définit comme un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.

La charge de la preuve de la faute grave incombe à l'employeur.

La gravité de la faute s'apprécie notamment en tenant compte du contexte des faits, de l'ancienneté du salarié, des conséquences que peuvent avoir les agissements du salarié ou encore de l'existence ou de l'absence de précédents disciplinaires.

D'après la lettre de licenciement, la société Port de plaisance de [Localité 2] reproche à M. [V] :

- d'avoir menti sur le motif de son arrêt des 8 et 9 février 2020,

- d'adopter un comportement inapproprié, en ne respectant pas les consignes données : défaut de port de la tenue de travail, utilisation répétée de votre téléphone portable sur votre lieu de travail et pendant vos heures de travail, y compris en conduisant le véhicule de la société, en adoptant une attitude de défiance vis-à-vis de ses supérieurs, et en refusant de travailler sous les instructions de son nouveau supérieur hiérarchique, M. [X] [S], Maître de Port.

* Sur le grief de mensonge quant au motif de son absence les 8 et 9 février 2020

Pour démontrer la matérialité de ce grief et la gravité des faits reprochés, la société Port de plaisance de [Localité 2] produit :

- l'avis d'arrêt de travail de M. [V] daté du 9 mai 2019, jusqu'au 30 mai 2019,

- le courrier de notification d'une mise à pied disciplinaire du 14 juin 2019, au motif que : 'le jeudi 30 mai 2019 alors que vous deviez assurer la permanence comme agent portuaire de 14h à 22h, vous avez informé le maître de port principal, la veille à 18h37 par SMS, de votre incapacité à vous rendre sur votre lieu de travail pour cause de maladie. Ce même jour, jeudi 30 mai, en fin d'après-midi, vous étiez en train de faire du jet-ski dans l'anse de La Mala. Votre arrêt de travail pour maladie a été reçu le vendredi 31 mai à 14h45',

- un mail de M. [V] du 9 août 2019 adressant un arrêt maladie courant du 10 août au 12 août 2019, ainsi que l'arrêt en question,

- un courrier de M. [V] daté du 13 août 2019 : 'Suite à notre entrevue de ce matin, je vous confirme avoir un rendez-vous d'ordre médical ce jeudi 15 août (même s'il s'agit d'un jour férié). Comme vous me l'avez demandé, un courrier du médecin le certifiera',

- un courrier de la société Port de plaisance de [Localité 2] adressé à M. [V] le 12 septembre 2019 : 'Vous nous avez adressé une lettre recommandée, datée du 13 août 2019, dans laquelle vous justifiez de votre indisponibilité pour travailler le jeudi 15 août en raison d'un rendez-vous médical. A ce jour, nous restons toujours dans l'attente du courrier du médecin certifiant vous avoir reçu en rendez-vous le jeudi 15 août',

- un certificat médical rédigé par le Dr [C] [A], médecin urgentiste au centre hospitalier [3] de [Localité 4], daté du 15 août 2019 et remis en mains propres le 18 septembre 2019, certifiant que M. [V] a subi un examen médical le 15 août 2019,

- un courrier adressé par la société Port de plaisance de [Localité 2] à la CPAM le 21 août 2019, alertant sur les incohérences sur l'arrêt maladie présenté par M. [V] pour un arrêt du 22 août 2019 au 1er septembre 2019 : 'avis d'arrêt déposé à la poste le 20/08, avis transmis par la poste le 21/08, avis d'arrêt de travail signé par le médecin en date du 22/08',

- des SMS envoyés par M. [V] le samedi 23 novembre 2019 entre 11h24 et 12h55, informant l'employeur qu'il se trouve aux urgences à [Localité 4] puis de son arrêt jusqu'au 24 novembre inclus,

- une publication Facebook de la Croix rouge française du 29 novembre 2019 mentionnant la présence de [E] [V] pour des opérations durant le week-end en raison des intempéries,

- une copie d'un SMS envoyé par M. [V] à M. [X] [S], maître du port, le 7 février 2020 à 18h52 : 'Bonsoir, je vous informe de mon arrêt maladie pour le samedi 8 février reprise dimanche si tout va bien. Je fais partir l'arrêt de travail demain par la poste après avoir vu le médecin',

- une publication Facebook sur la page de M. [V] datée du 4 février 2020 informant de l'inauguration de la permanence de campagne de M. [J] [H] le 8 février 2020 à 12h,

- des photographies issues des journaux [Localité 7] Matin et [Localité 5] Matin et de la page Facebook de M. [H] sur lesquelles se trouve M. [V] lors de cette inauguration,

- un mail adressé par M. [V] le 31 janvier 2020 à l'employeur pour l'informer de son investissement dans la campagne d'un candidat aux élections municipales et demandant un jour de congé pour le 3 février 2020, demande acceptée par l'employeur.

En réplique, M. [V] conteste sa venue à la réunion politique du 8 février 2020 et fait valoir que l'employeur a violé sa vie privée, en vérifiant son profil Facebook. Il sollicite également à ce titre d'écarter ces moyens de preuve et de condamner l'employeur à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice lié à la violation de sa vie privée.

Or, les pièces produites par l'employeur, liées à sa présence le 8 février 2020 à la réunion politique organisée par un candidat aux élections municipales, sont issues de journaux de la presse écrite, [Localité 7] Matin et [Localité 5] Matin, ainsi que de la page Facebook dudit candidat, accessible au public. S'agissant de la publication du salarié du 4 février 2020, sur sa page Facebook, la cour constate que celle-ci mentionnait sa véritable identité et était également accessible au public.

Il s'ensuit que ces pièces qui n'ont pas été recueillies de manière illicite, ne portent pas atteinte à la vie privée du salarié, qui sera débouté de sa demande d'indemnisation.

Il ressort des pièces versées par l'employeur que malgré un arrêt de travail concernant la journée du 8 février 2020, M. [V] s'est rendu à l'inauguration du local de campagne du candidat auprès duquel il s'est investi. Or, il ressort de la propre publication publique Facebook de M. [V] du 4 février 2020 qu'il avait déjà prévu de s'y rendre. Dans ce contexte et au regard des précédentes incohérences sur les arrêts maladie dont a bénéficié M. [V] l'année écoulée et qui avaient donné lieu à des sanctions disciplinaires, le grief est caractérisé.

* sur le grief lié au comportement inapproprié de M. [V]

L'employeur, dans sa lettre de licenciement, reproche à M. [V] de ne pas respecter les consignes données, en ne portant pas la tenue de travail, en utilisant de manière répétée son téléphone portable sur le lieu de travail et pendant les heures de travail, de se montrer défiant vis-à-vis de ses supérieurs et de refuser de travailler sous les instructions de son nouveau supérieur hiérarchique, M. [X] [S], Maître de Port.

La société Port de plaisance de [Localité 2] verse, pour la démonstration de ce grief :

- un échange de mails entre M. [V] et M. [K], directeur général, des 4 juillet 2019 et 8 juillet 2019, sur le refus du salarié d'utiliser une disqueuse,

- des mails de M. [S], adressés à M. [K], des 5 août 2019, 6 août 2019 et 5 novembre 2019, sur l'utilisation par M. [V] de son téléphone portable sur le lieu de travail et aux heures de travail,

- un mail de M. [K] adressé à M. [V] le 14 août 2019, lui demandant de s'expliquer sur l'utilisation du matériel de la société sans permission, et alors même qu'il n'était pas censé travailler ce jour,

- des rapports circonstanciés rédigés par M. [S] des 24 juillet 2019, 31 juillet 2019, sur le comportement inapproprié et non professionnel de M. [V] ainsi que sur son opposition aux consignes données,

- un mail de M. [S] adressé à M. [K] le 9 septembre 2019, sur le fait que M. [V] vaque à des occupations personnelles, en lien avec son engagement auprès de la Croix rouge, durant son temps de travail.

En réplique, M. [V] se contente de faire valoir qu'il n'a pas été sanctionné au préalable pour ces faits.

Il s'ensuit, qu'au vu des pièces versées, le grief est caractérisé.

* Sur la gravité de la faute

La cour observe que les faits reprochés à M. [V], au titre de son comportement inapproprié au sein de l'entreprise et de son attitude de défiance, sont anciens et ne peuvent en soi rendre impossible le maintien du salarié pendant la durée du préavis, alors que la relation contractuelle s'était entre-temps poursuivie.

S'agissant du grief lié aux incohérences du dernier arrêt maladie pour la journée du 8 février 2020, force est de constater que l'employeur a initié la procédure de licenciement dès le 12 février 2020, en adressant une lettre de convocation en vue d'un entretien préalable fixé au 5 mars 2020. Aucune mise à pied conservatoire n'a dans l'intervalle été envisagée par l'employeur.

Si la société Port de plaisance de [Localité 2] avait notifié deux sanctions disciplinaires auparavant à M. [V], la découverte de nouvelles incohérences sur l'arrêt de travail a fini d'entamer durablement la confiance accordée par la société Port de plaisance de [Localité 2] à son salarié, justifiant une rupture du contrat de travail. Toutefois, ces faits datant du 8 février 2020, et alors que M. [V] avait continué à travailler jusqu'à la notification du licenciement, l'employeur ne justifie pas que son maintien dans l'entreprise le temps du préavis ait été impossible.

Le jugement entrepris qui a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse sera donc confirmé.

3- Sur les conséquences indemnitaires de la rupture

Le licenciement étant fondé sur une cause réelle et sérieuse, la demande de M. [V] relative à l'indemnisation du 'licenciement abusif' sera rejetée, par confirmation du jugement entrepris.

M. [V] sollicite par ailleurs la condamnation de la société Port de plaisance de [Localité 2] au versement de la somme de 19 473,30 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement.

En application de l'article L1234-9 du code du travail, dans sa version en vigueur depuis le 24 septembre 2017, le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte 8 mois d'ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminés par voie réglementaire.

Selon l'article R.1234-2 du code du travail dans sa version en vigueur depuis le 27 septembre 2017, l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un quart de mois de salaire par année d'ancienneté jusqu'à dix ans, et, à un tiers de mois de salaire pour les années à partir de dix ans d'ancienneté.

Compte tenu de l'ancienneté du salarié, il y a lieu de fixer l'indemnité de licenciement à laquelle il a droit à 6 349,89 euros, par confirmation du jugement querellé.

4- Sur la demande au titre de l'irrégularité de la procédure de licenciement

En application de l'article L 1235-2 du code du travail, 'lorsqu'une irrégularité a été commise au cours de la procédure, notamment si le licenciement d'un salarié intervient sans que la procédure requise aux articles L 1232-2, L 1232-3, L 1232-4, L 1233-1, L 1232-12 et L 1232-13 ait été observée ou sans que la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement ait été respectée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire'.

Il s'ensuit que le juge ne peut sanctionner les irrégularités de procédure que s'il considère le licenciement comme motivé par une cause réelle et sérieuse.

La cour a en l'espèce retenu que le licenciement était motivé par une cause réelle et sérieuse.

M. [V] fait valoir que n'étant pas datée, la lettre de licenciement a pu être envoyée moins de deux jours ouvrables après l'entretien préalable au licenciement, qui s'est déroulé le 5 mars 2020, en violation de l'article L 1232-6 alinéa 3 du code du travail.

Or, il s'avère que la lettre de licenciement est datée du 16 mars 2020 et a été présentée à M. [V], selon l'avis de réception, le 18 mars 2020.

Les délais légaux ont donc été respectés par la société Port de plaisance de [Localité 2], de telle sorte que la procédure n'est pas irrégulière. M. [V] sera par conséquent débouté en sa demande d'indemnisation, par confirmation du jugement querellé.

Sur les frais du procès

En application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile, M. [V] sera condamné aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 1 800 euros.

Par conséquent, M. [V] sera débouté de sa demande d'indemnité de procédure.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré, statuant en dernier ressort, par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud'homale,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

Condamne M. [V] aux dépens de la procédure d'appel,

Condamne M. [V] à payer à la société Port de plaisance de [Localité 2] une somme de 1 800 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute M. [V] de sa demande d'indemnité de procédure en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-5
Numéro d'arrêt : 21/15529
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;21.15529 ?
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