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04/07/2024 | FRANCE | N°21/11676

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-6, 04 juillet 2024, 21/11676


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-6



ARRÊT AU FOND

DU 04 JUILLET 2024



N° 2024/210









Rôle N° RG 21/11676 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BH46T







ONIAM





C/



[O] [N]

[I] [Y]

[D] [Y]

[V] [G]

[F] [A]

Société MUTUELLE DES ETUDIANTS (LMDE)





















Copie exécutoire délivrée

le :

à :

- Me Jean-françois JOURDAN r>
- Me Marie VALLIER

- Me Michel GOUGOT

- Me Bruno ZANDOTTI









Décision déférée à la Cour :



Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de MARSEILLE en date du 08 Juillet 2021 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 19/11180.





APPELANTE



ONIAM Office National des...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-6

ARRÊT AU FOND

DU 04 JUILLET 2024

N° 2024/210

Rôle N° RG 21/11676 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BH46T

ONIAM

C/

[O] [N]

[I] [Y]

[D] [Y]

[V] [G]

[F] [A]

Société MUTUELLE DES ETUDIANTS (LMDE)

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

- Me Jean-françois JOURDAN

- Me Marie VALLIER

- Me Michel GOUGOT

- Me Bruno ZANDOTTI

Décision déférée à la Cour :

Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de MARSEILLE en date du 08 Juillet 2021 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 19/11180.

APPELANTE

ONIAM Office National des Indemnisations des Accidents Médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, demeurant [Adresse 14]

représentée par Me Jean-françois JOURDAN de la SCP JF JOURDAN - PG WATTECAMPS ET ASSOCIÉS, avocat postulant, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Charlotte TREBAOL, avocat au barreau de MARSEILLE, Me Patrick DE LA GRANGE de la SELARL DE LA GRANGE ET FITOUSSI AVOCATS, avocat plaidant, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMES

Madame [O] [N] Agissant tant en son nom qu'à titre personnel qu'es qualite d'ayants droit de sa fille de défunte, Mademoiselle [Z] [Y]

née le [Date naissance 1] 1961 à [Localité 11] (Arménie), demeurant [Adresse 6]

comparante et représentée par Me Marie VALLIER, avocat postulant, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et par Me de la SELARL COUBRIS, COURTOIS et Associés, avocat plaidant, avocat au barreau de BORDEAUX.

Monsieur [I] [Y] Agissant tant en son nom qu'à titre personnel qu'es qualite d'ayants droit de sa défunte fille, Mademoiselle [Z] [Y]

né le [Date naissance 2] 1962 à [Localité 12], demeurant [Adresse 10]

représenté par Me Marie VALLIER, avocat postulant, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, par Me de la SELARL COUBRIS, COURTOIS et Associés, avocat plaidant, avocat au barreau de BORDEAUX.

Monsieur [D] [Y] Agissant tant en son nom qu'à titre personnel qu'es qualite d'ayants droit de sa défunte s'ur, Mademoiselle [Z] [Y]

né le [Date naissance 3] 1992 à [Localité 12], demeurant [Adresse 6]

représenté par Me Marie VALLIER, avocat postulant, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

Monsieur [V] [G]

né le [Date naissance 8] 1953 à [Localité 12], demeurant [Adresse 7]

représenté par Me Michel GOUGOT de la SCP TROEGELER - GOUGOT - BREDEAU- TROEGELER - MONCHAUZOU, avocat plaidant, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Marie LESSI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et par Me Philippe CHOULET de l'AARPI CABINET CHOULET AVOCATS, avocat plaidant, avocat au barreau de LYON

Monsieur [F] [A], demeurant [Adresse 5]

représenté par Me Bruno ZANDOTTI de la SELARL ABEILLE & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Liza SAINT-OYANT, avocat au barreau de MARSEILLE

MUTUELLE DES ETUDIANTS (LMDE),

Signification en date du 06/10/2021 à personne habilitée.

Assignation et signification de conclusions en date du 23/12/2021 à personne habilitée., demeurant [Adresse 9]

défaillante

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 mai 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, et Madame Elisabeth TOULOUSE,Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président

Madame Elisabeth TOULOUSE, Présidente de chambre

Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, Président

Greffier lors des débats : Madame Sancie ROUX..

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 juillet 2024.

ARRÊT

réputé contradictoire

Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 juillet 2024.

Signé par M. Jean-Wilfrid NOEL, Président et Mme Sancie ROUX, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

.

***

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Le 12 mai 2009, Mme [Z] [Y] (étudiante) a consulté le docteur [C] gynécologue, en raison de leucorrhées et en vue d'une contraception, lequel lui a prescrit une pilule dénommée 'Jasminelle Continu' pour une durée de 12 mois.

Au mois de juillet 2009, Mme [Z] [Y] s'est plainte d'une douleur au mollet gauche et a consulté son médecin traitant le docteur [G] le 31 juillet 2009, qui lui a prescrit du Daflon et du Niflugel et l'a orientée vers un cardiologue.

Le 4 août 2009, elle a bénéficié d'un écho-doppler pratiqué par le docteur [A] cardiologue qui a révélé une périphlébite saphène interne gauche jusqu'à mi-cuisse sans atteinte de la crosse.

Il lui a été prescrit un traitement anticoagulant par Arixtra 7,5 pendant 6 jours ainsi qu'une pommade anti-inflammatoire et le port de bas de contention.

Le 9 septembre 2009, Mme [Z] [Y] a évoqué à sa mère qu'elle était fatiguée et essoufflée.

Le 15 septembre au matin, elle a présenté une perte de connaissance brutale et un arrêt cardio-circulatoire.

Elle a été transportée à l'Hôpital de la [13] où un scanner thoracique a mis en évidence une embolie pulmonaire massive.

Une thrombo-aspiration sera mise en place. Son état évoluera vers un oedème cérébral massif et une mort encéphalique.

Son décès sera prononcé le [Date décès 4] 2009.

Les proches de Mme [Z] [Y] ont saisi la Commission de Conciliation et d'Indemnisation des accidents médicaux (CCI) d'Île-de-France d'une demande d'indemnisation.

Une expertise a été confiée au docteur [W] et aux Professeurs [E] et [B], lesquels ont déposé leur rapport d'expertise le 8 avril 2016.

Le 26 janvier 2017, la CCI Île-de-France a retenu la responsabilité du médecin traitant et du cardiologue le docteur [A] en ce qu'ils n'ont pas fait interrompre la contraception alors même qu'une phlébite avait été diagnostiquée et a ainsi estimé que la réparation des préjudices leur incombait dans la proportion de 50% chacun.

Les médecins ont transmis une offre d'indemnisation aux consorts [N] -[Y] une offre d'indemnisation qu'ils ont jugée insuffisante.

Ils ont alors saisi le tribunal judiciaire de Marseille aux fins de voir condamner, à titre principal, les docteurs [G] et [A] à la réparation des préjudices subis par Mme [Z] [Y] en qualité d'ayants-droit ainsi que de leurs préjudices personnels, et à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où le tribunal considérerait que le décès de la victime ne serait pas exclusivement imputable aux fautes commises par ces praticiens, ils ont sollicité la condamnation de l'ONIAM pour la seule part imputable à la survenue d'un accident médical non fautif.

Par un jugement du 8 juillet 2021, le tribunal judiciaire de Marseille a :

- jugé que les docteurs [G] et [A] avaient commis une faute dans la prise en charge médicale de Mme [Z] [Y] ;

- jugé que la survenue de l'embolie pulmonaire massive ayant emportée Mme [Z] [Y] était un accident médical non fautif ;

- considéré que les préjudices résultant du décès de Mme [Z] [Y] devaient être pris en charge à hauteur de 80% par les docteurs [G] et [A] (à hauteur de 50% chacun), les 20% restant étant à la charge de l'ONIAM, au titre de la solidarité nationale ;

- alloué, au titre des préjudices subis par Mme [Z] [Y] de son vivant :

o 329,40 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

o 30.000 euros au titre des souffrances endurées.

- alloué, à Mme [N], les sommes de :

o 3 816,99 euros au titre des frais d'obsèques ;

o 30 000 euros au titre de votre préjudice d'affection ;

o 10 000 euros au titre de votre préjudice d'accompagnement.

- alloué les sommes respectives de 30 000 euros et 12 000 euros à MM. [I] et [D] [Y] au titre de leur préjudice d'affection ;

- dit que les condamnations seront assorties des intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

- condamné in solidum l'ONIAM, le docteur [G] et le docteur [A] aux entiers dépens de l'instance,

- condamné in solidum les docteurs [G] et [A] à verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire.

Le tribunal a indiqué que le fait de ne pas procéder à l'arrêt du traitement alors que la patiente présentait des effets secondaires évidents, constituait une négligence ayant conduit à la survenue de la complication thrombo-embolique majeure.

Le tribunal a estimé que cette négligence imputable aux docteurs [A] et [G] avait entraîné une perte de chance de survie de 80%, laissant l'indemnisation des 20% restants à la charge de L'ONIAM.

S'agissant du préjudice d'angoisse de mort imminente, le tribunal a jugé que ce préjudice d'angoisse de mort imminente était indemnisé uniquement lorsque la victime a eu conscience de la gravité de son état et du caractère inéluctable de son décès et qu'en l'espèce, il n'était pas établi qu'[Z] [Y] ait eu la conscience inéluctable de l'imminence de son décès.

Par acte du 30 juillet 2021, l'ONIAM a interjeté appel de cette décision.

Les docteurs [G] et [A] ont formé un appel incident.

Les consorts [N]-[Y] ont également formé appel incident en sollicitant la prise en compte du préjudice d'angoisse de mort imminente et une meilleure évaluation du préjudice d'affection de [D] [Y].

La clôture de l'instruction est en date du 07 mai 2024.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 17 mars 2022, l'ONIAM demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a relevé l'existence de fautes commises par les docteurs [G] et [A], dans la prise en charge de Mme [Y] ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a estimé que les fautes commises n'engageaient la responsabilité des praticiens que dans la limite de 80% du dommage ;

Statuant de nouveau,

- dire et juger que les praticiens engagent leurs responsabilités au titre de leurs fautes, lesquelles sont directement et exclusivement à l'origine de l'entier dommage dont a été victime [Y] ;

- dire et juger que les fautes commises ont entraîné une perte de chance totale de survie ;

- constater que les conditions d'intervention de l'ONIAM, au titre de la solidarité nationale, ne sont pas réunies ;

- mettre l'indemnisation des préjudices subis par les consorts [N]-[Y] à la charge exclusive des docteurs [G] et [A] ;

En conséquence,

- le mettre hors de cause ,

- condamner tout succombant à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens dont distraction au profit de Maître Jean-François Jourdan, avocat au Barreau d'Aix-en-Provence, en application de l'article 699 du même code.

Il fait valoir en substance que :

-l'existence d'une faute, à l'origine de l'entier dommage, exclut toute prise en charge de l'ONIAM au titre de la solidarité nationale et c'est le principe de la subsidiarité qui s'applique à l'ensemble des fonds d'indemnisation ;

- ainsi, si un ou plusieurs tiers responsables sont identifiés, la solidarité nationale n'a pas à intervenir ;

- le lien de causalité entre la poursuite du traitement et le décès de la victime est démontré par l'expertise car la prise de cette contraception (Jasmisnelle continu) conduit au décès ;

- la cause du décès de Mme [Z] [Y] est l'embolie pulmonaire dont l'origine, selon les experts de la CCI, se trouve dans une phlébite superficielle mise en évidence par un doppler pratiqué le 4 août 2009 mais ils retiennent également que le point de départ de l'embolie pulmonaire était « la thrombose veineuse superficielle qui s'est étendue probablement » ;

- il considère ainsi que si le traitement contraceptif avait été stoppé dès le 31 juillet 2009, ou même le 4 août 2009, rien ne permet d'affirmer comme le font les praticiens que cette extension, cette récidive ou cette nouvelle thrombose se serait tout de même produite ;

- la mention contenue dans le RCP de Jasminelle Continu qui impose d'arrêter cette contraception en cas de suspicion ou de survenue d'une thrombose, a pour but d'éviter que ce traitement ne provoque une extension de la thrombose, une récidive, ou la survenue d'une nouvelle thrombose, sur un terrain désormais reconnu comme à risque thrombotique en cas de contraception oestro-progestative ; il n'y a donc aucun élément objectif qui permettrait de relier directement l'embolie pulmonaire du 15 septembre 2009 à la thrombose veineuse superficielle telle que visualisée le 4 août 2009, soit 45 jours plus tôt ;

- en revanche, si un lien direct et certain devait être retenu entre l'embolie pulmonaire du 15 septembre et la prise de Jasminelle continu, cette relation de causalité ne saurait être médiée que par l'extension, la récidive de la thrombose initiale, ou la survenue d'une thrombose veineuse profonde, alors que le traitement contraceptif a été maintenu pendant 45 jours en dépit des recommandations contenues dans le RCP ; il n'est donc pas contestable que ce soit bien la poursuite du traitement qui soit à l'origine du décès ;

-en toute hypothèse, la survenue d'une thrombose dans une jambe, et ce, qu'elle soit superficielle ou non, constitue un effet secondaire de la prise de Jasminelle continu et nécessite l'arrêt du traitement ou à tout le moins une appréciation de la balance bénéfice/ risque sur l'opportunité de la poursuite de ce traitement par un médecin ;

- le fait de ne pas procéder à l'arrêt du traitement est donc fautif ;

- ce n'est pas la réalisation du risque qui est reproché dans le cas d'espèce mais bien l'absence de vigilance face à ce risque, par les professionnels de santé aguerris ;

- le docteur [A] aurait dû, compte tenu des conclusions de l'examen doppler mettant en évidence une périphlébite saphène interne gauche jusqu'à mi-cuisse, interrompre le traitement car tant dans le RCP, que la notice d'information du contraceptif dans leur version applicable au moment de la prescription, il était fait clairement état de risques chez les utilisatrices de contraceptifs d'accidents thromboemboliques veineux ; la rubrique des mises en garde spéciales soulignant même que le risque de survenue est plus élevé pendant la première année d'utilisation;

-ces recommandations à adopter en cas de survenue de signes évocateurs de thrombose auraient dû conduire également le docteur [A] à interrompre le traitement dont la poursuite est à l'origine du décès ;

- enfin, la durée du traitement anticoagulant prescrit le 4 août 2009 par le docteur [A] est discutable et relève aussi d'une attitude fautive.

Par dernières conclusions notifiées le 9 mai 2022, les consorts [Y] -[N] demandent à la cour de :

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

* jugé que les docteurs [G] et [A] avaient commis une faute dans la prise en charge médicale d'[Z] [Y], à l'origine de son décès ;

* jugé que la survenue de l'embolie pulmonaire massive ayant emporté Mme [Z] [Y] était un accident médical non fautif ;

*considéré que les préjudices résultant du décès de Mme [Z] [Y] devaient être pris en charge à hauteur de 80% par les docteurs [G] et [A] (à hauteur de 50% chacun), les 20% restant étant à la charge de l'ONIAM, au titre de la solidarité nationale ;

* indemnisé intégralement les préjudices résultant du décès de Mme [Z] [Y];

* alloué au titre des préjudices subis par Mme [Z] [Y] de son vivant :

- 329,40 euros au titre de son déficit fonctionnel temporaire ;

- 30 000 euros au titre de ses souffrances endurées ;

* alloué à Mme [O] [N], les sommes de :

- 3 816,99 euros au titre des frais d'obsèques ;

- 30 000 euros au titre de son préjudice d'affection ;

- 10 000 euros au titre de son préjudice d'accompagnement ;

* alloué à M. [I] [Y], la somme de 30 000 euros au titre de son préjudice d'affection ;

* dit que les condamnations seront assorties des intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

* condamner in solidum le docteur [G] et le docteur [A] à leur payer la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civils ;

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

* rejeté l'indemnisation du préjudice d'angoisse de mort imminente subi de son vivant

par Mme [Z] [Y] ;

* alloué à M. [D] [Y] la somme de 12 000 euros au titre de son préjudice d'affection;

Statuant de nouveau, il est demandé à la cour de :

- allouer la somme de 80 000 euros au titre du préjudice d'angoisse imminente de Mme [Z] [Y] ;

- allouer à M.[D] [Y] la somme de 25 000 euros au titre de son préjudice d'affection ;

- condamner les parties succombantes à leur verser la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

- débouter les parties adverses de toutes demandes contraires.

Ils soutiennent que :

- les demandes incidentes de réductions de l'indemnisation des préjudices allouées sont sans fondement ;

- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, il est parfaitement établi que Mme [Z] [Y] est demeurée consciente jusqu'à son arrêt cardio- circulatoire, le matin du 15 septembre 2009 ; qu'au cours de cette matinée, elle a fait un malaise brutal, ce qui a conduit son ami à appeler les pompiers et que les jours précédents, elle qui avait souffert de nombreux épisodes de dyspnées et de céphalées répétées, avait déjà perçu la dégradation de son état de santé et senti ses forces l'abandonner peu à peu ;

- enfin, s'agissant de l'indemnisation du préjudice d'affection de M.[D] [Y], âgé de 17 ans au moment du décès de sa soeur ainée, le tribunal a fait une mauvaise appréciation car il vivait au sein du foyer familial et à l'été 2009 sa soeur était rentrée au domicile maternel pour travailler à Marseille ; en outre , il est démontré qu'elle rentrait régulièrement chez sa mère pour les vacances et retrouvait ainsi à chaque fois son jeune frère.

Par conclusions notifiées par la voie électronique le 2 juin 2022, le docteur [V] [G] demande à la cour de :

* à titre principal,

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a consacré sa responsabilité professionnelle et statuer, de nouveau, en rejetant la demande de condamnation formulée à son encontre, ainsi que l'intégralité des demandes indemnitaires qui devront être prises en charge par l'ONIAM au titre d'un accident médical non fautif, en lien avec un effet indésirable de la pilule contraceptive Jasminelle continu ;

- réformer le jugement entrepris en ce que les consorts [Y] et l'ONIAM ne rapportent pas la preuve d'une faute médicale causale dans la prise en charge qui lui soit imputable ;

- rejeter, en conséquence, la demande de condamnation formulée à son encontre ainsi que l'intégralité des demandes indemnitaires, qui devront être prises en charge par l'ONIAM, au titre d'un accident médical non fautif, en lien avec un effet indésirable de la pilule contraceptive Jasminelle continu ;

- rejeter, en conséquence, l'ensemble des demandes dirigées à son encontre, notamment au titre de l'appel incident formé par les consorts [Y] -[N] et du docteur [A] comme étant irrecevables, injustifiées et infondées et infirmer le jugement entrepris sur ce point ;

* à titre subsidiaire,

- infirmer le jugement entrepris sur les points suivants :

* dire que les consorts [Y] ne rapportent pas la preuve d'un préjudice autonome de perte de chance en lien avec un éventuel retard dans sa prise en charge imputable qui, dans tous les cas, ne pourra correspondre qu'à une partie infime du préjudice, évaluée à 10 % ;

* rejeter ou réduire à de plus justes proportions les demandes indemnitaires après y avoir appliqué le taux de perte de chance et faire droit, en tant que de besoin, aux demandes adverses, dans les limites suivantes :

. une somme de 3 000 euros au titre des souffrances endurées ;

. une somme, à titre subsidiaire, de 3 000 euros au titre du préjudice de mort imminente ;

. une somme de 20 000 euros à chacun des deux parents au titre du préjudice d'affection et celle de 6 000 euros à leur fils [D] ;

- condamner, en tant que de besoin, le docteur [A], cardiologue, qui est intervenu dans sa spécialité, avant sa seconde consultation du 7 août 2009, à le relever et garantir de tout ou partie des sommes qui pourraient être mises à sa charge et rejeter l'appel-incident du cardiologue dirigé à son encontre ;

En tout cas,

- condamner les consorts [Y] à lui verser la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance, qui seront distraits au profit de maître Michel Gougot, sur son affirmation de droit.

Il soutient essentiellement que :

- il n'a commis aucune faute au regard des données acquises de la sciences en 2009 ;

- les offres d'indemnisation deviennent caduques dans leur intégralité dès lors qu'elles n'ont pas été acceptées, que ces offres émanent de l'ONIAM ou des assureurs des acteurs de santé, lui permettant de contester tout droit à indemnisation et à rediscuter le quantum de l'indemnisation ;

- elles ne s'analysaient aucunement comme une reconnaissance de responsabilité, mais seulement, du côté des compagnies d'assurances, dans un souci d'apaisement et pour en finir au plus tôt, de mettre en oeuvre le mécanisme de l'indemnisation amiable des accidents médicaux ;

- il n'a commis aucune faute et conteste que lors de la première consultation du 31 Juillet 2009 il soupçonnait une thrombose veineuse puisque, tout au contraire, lui-même et la patiente interprétaient les douleurs du mollet contre une contraction musculaire en lien avec un travail de caissière en station debout dans un magasin, pendant les vacances d'été ;

-c'est justement pour confirmer ou infirmer cette contracture musculaire qu'il a demandé un doppler veineux auprès d'un cardiologue, et en présence d'une patiente qui n'avait aucun antécédent personnel ou même familial d'accident thromboembolique veineux ;

- il conteste qu'en sa qualité de médecin de famille, il ne pouvait avoir que connaissance des antécédents familiaux d'accident thromboembolique veineux et notamment du décès de la grand-mère maternelle qui aurait souffert de phlébites ;

- il s'oppose à l'appréciation du tribunal qui retient que le RCP et la notice d'information d'un médicament seraient des composantes des données actuelles de la science et qu'à partir du moment où les recommandations des notices des médicaments ne sont pas intégralement respectées par les praticiens, ces derniers engagent leur responsabilité professionnelle ;

-le Tribunal a commis une erreur manifeste de droit, car le contenu des données acquises de la science relève, d'une part, du recours à l'expertise et d'autre part, du recours aux recommandations de bonnes pratiques:

- l'indemnisation des consorts [Y] relève de l'ONIAM et à défaut du fabricant du médicament ;

- aucune faute causale n'a été commise, en lien avec le malheureux décès de la patiente, et les faits s'analyse en un accident iatrogène devant entraîner une indemnisation par l'ONIAM ;

- enfin, à titre très subsidiaire, les préjudices ont été sur-évalués par le tribunal et doivent être réduits.

Par conclusions notifiées par la voie électronique le 31 décembre 2021, le docteur [A] demande à la cour de :

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu sa responsabilité professionnelle et statuer à nouveau, rejeter la demande de condamnation formulée à son encontre et condamner l'ONIAM au titre d'un accident médical non fautif ;

- réformer le jugement entrepris en ce que les consorts [N] -[Y] et l'ONIAM ne rapportent pas la preuve que le dommage dont la réparation est demandée, est en relation de causalité directe et certaine avec la faute qu'ils lui reprochent ;

En conséquence,

- rejeter l'ensemble des demandes de condamnation formulée à son encontre par les Consorts [N] -[Y] et l'ONIAM ;

- rejeter la demande de garantie formulée à titre subsidiaire par le docteur [G] ;

- mettre l'indemnisation des préjudices subis par les consorts [N]-[Y] à la charge exclusive de l'ONIAM.

Subsidiairement,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu une perte de chance d'éviter la survenue du décès ;

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a évalué le taux de perte de chance à 80% et FIXER cette perte de chance à 10% ;

- infirmer le jugement entrepris eu égard aux sommes allouée aux consorts [N]-[Y] et réduire dans les limites suivantes (avant application du coefficient de perte de chance de 10%) :

o déficit fonctionnel temporaire : 280 euros,

o souffrances endurées : 5 000 euros,

o préjudice d'affection de chaque parent : 20 000 euros,

o préjudice d'affection du frère : 6 000 euros,

o préjudice d'accompagnement : 5 000 euros ;

- condamner en tant que de besoin M. le docteur [G], médecin généraliste, qui est intervenu avant et après son intervention sans lui faire part des antécédents exacts familiaux à le relever et garantir dans une proportion de 50% des sommes qui pourraient être mises à sa charge ;

En tous les cas,

- condamner tout succombant à lui verser la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de maître Bruno Zandotti avocat au Barreau de Marseille, en application de l'article 699 du même code.

Il soutient en résumé que lui non plus n'a commis aucune faute contrairement à ce qu'a retenu le tribunal et antérieurement, la CCI.

Il rappelle que les experts sont excessivement clairs dés lors qu'un comportement médical ne peut s'apprécier qu'à l'époque de sa commission et non à la lumière d'évènements postérieurs.

Il considère qu'il n'y a nul manquement à ne pas avoir interrompu en l'état et à cette époque, la contraception de la jeune femme.

Quant au traitement de cette thrombose superficielle , il fait valoir que les experts expliquent très clairement en quoi sa prise en charge était conforme aux données acquises de la science de l'époque puisque les thromboses veineuses superficielles (TVS) étaient traitées de façon hétérogène du fait de l'absence de recommandation médicale fondée sur des preuves solides.

Le pronostic des TVS isolées, sans thrombose veineuse ou embolie pulmonaire associée, montre un taux de décès à 3 mois compris entre 0,1 et 1% (STENOX STUDY GROUP, ARCH INTERN MED 2003).

Il rappelle ainsi que les données de la science faisaient ainsi état de travaux de faible puissance, sur des critères intermédiaires, et on était en attente des résultats d'un essai randomisé de plus grande ampleur (essai CALISTO). Il ajoute qu'en décembre 2009, l'AFSAPS recommandait un traitement par HBPM à doses prophylactiques pour prévenir le risque de complication embolique (grade C) et par extrapolation, le FONDAPARINUX (Arixtra) était proposé à doses prophylactiques (Accords professionnels). La durée du traitement d'au moins sept jours était recommandée, si un traitement anticoagulant est instauré (accords professionnels).

Ainsi l'utilisation d'un traitement à doses « curatives » n'était pas suggérée et même déconseillée du fait de complications hémorragiques potentielles, ce qui n'était pas le cas chez la patiente.

Il en déduit que son option de traitement avec un produit qui était l'objet d'une grande étude alors en cours et qui surtout ne nécessitait aucune surveillance biologique, était en bonne conformité avec les recommandations qui étaient basées sur peu de données à l'époque.

Aucun reproche ne peut être retenu à son égard et il précise que le RCP fait état de thrombose artérielle, ou thrombose veineuse profonde, mais nullement comme les experts l'ont à juste titre soulevé, de thrombose veineuse superficielle.

Eu égard aux recommandations de l'époque, ce type de thrombose ne constituait pas une contre-indication à poursuivre le traitement Jasminelle Continu.

Selon lui le tribunal a fait une erreur manifeste d'interprétation du RCP, erreur que les experts eux professionnels de santé n'ont pas commise.

Subsidiairement, il demande la réduction du montant de l'indemnisation allouée.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux dernières écritures déposées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

La subsidiarité de la prise en charge par l'ONIAM d'un accident médical, conduit la cour même si ce dernier est appelant principal, à examiner en premier lieu la responsabilité des praticiens (1) et en second lieu la prise en charge par l'ONIAM (2).

1-Sur la responsabilité des praticiens

Conformément à l'article L. 1142-1 I du code de la santé publique, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.

Les docteurs [G] et [A] font grief aux premiers juges d'avoir retenu à leur encontre une faute alors même que les experts missionnés par la CCI ont expressément mentionné que d'une part, le docteur [G] a fait le bon diagnostic et a demandé un doppler en urgence en appelant lui- même le docteur [A] et d'autre part, que ce dernier a établi le diagnostic de thrombose veineuse superficielle qu'il a choisi de traiter par traitement médicamenteux à doses prophylactiques en l'absence de recommandations en 2009 et alors qu'il n'était pas suggéré de traitement à doses curatives à l'époque de l'accident médical, et qu'enfin il n'était pas recommandé d'interrompre la contraception orale devant une thrombose veineuse superficielle (TVS).

L'ONIAM considère en revanche, qu'ils sont tous deux fautifs et que l'absence d'arrêt de la contraception en fin juillet et août 2009 est la cause du décès.

Il résulte du rapport d'expertise des docteurs [W], [E] et [B] que la prescription licite de la contraception Jasminelle continu a généré la thrombose veineuse superficielle puis l'embolie pulmonaire qui a conduit au décès de Mme [Z] [Y] âgée de 20 ans.

De l'avis des experts, « la précocité des complications dans un délai de 3 mois en fait une certitude de même que l'absence de facteur de risque chez la patiente  » et ces derniers retiennent « l'accident médical non fautif vis -à -vis de cette molécule ». Ils ne retiennnet ainsi aucun antécédents de la patiente ni antécédents familiaux.

Le tribunal a reproché aux deux médecins de ne pas avoir arrêté la prescription du contraceptif en présence d'effets secondaires connus.

Si l'on considère que Mme [Z] [Y] a été victime d'une maladie iatrogène liée au médicament contraceptif, la question qui est posée à la cour est de savoir si l'on était en 2009 pour les deux consultations des médecins du 31 juillet et 4 août 2009, en présence d'un effet secondaire répertorié et si les données actuelles de science préconisaient l'arrêt de la contraception immédiatement.

Le résumé des caractéristiques du produit (RCP) de 2009 mentionne dans son paragraphe 4.4 « mises en garde spéciales et précautions d'emploi » que : « chez une femme donnée, la présence de l'un des symptômes ou facteurs de risques mentionnées ci-dessous doit faire discuter avec la patiente le rapport bénéfice/ risque avant toute prescription orale.

En cas d'aggravation, d'exacerbation ou de survenue pour la première fois de ces symptômes ou de ces facteurs de risque, il sera recommandé aux femmes de contacter leur médecin qui décidera si la contraception doit être interrompue. » « Les symptômes d'évènements thromboemboliques veineux ou artériels ou d'accident vasculaire cérébral peuvent être les suivants :

Douleur et /ou 'dème inhabituel dans la jambe (').

Enfin, « en cas de survenue ou de suspicion de thrombose, la contraception doit être interrompue » (page 5 de la RCP 2009).

Le résumé précise s'agissant des « troubles circulatoires » que l'incidence d'un accident thromboembolique veineux est d'environ 20 à 40 cas pour 100 000 femmes années alors qu'il n'est que de 5 à 10 pour les femmes non utilisatrices.

Il ne distingue pas entre accident thromboembolique veineux superficiel ou profond.

Enfin, il ajoute au titre des effets indésirables graves que sont également décrits à la rubrique 4. 4 : les accidents thrombo-emboliques veineux (').

S'agissant par ailleurs de la notice du produit à destination de l'utilisatrice, elle consacre un paragraphe à la thrombose veineuse en rappelant que le risque est plus élevé pour les femmes utilisatrices. Elle fait également mention de ce qu'en cas de présentation de symptômes évoquant une thrombose notamment douleur sévère ou /et 'dème dans l'une des jambes, il faut arrêter de prendre Jasminelle continu.

Les experts n'évoquent pas de manquement des médecins en indiquant que « des recommandations de l'époque n'étaient pas d'arrêter la contraception orale en cas de thrombose veineuse superficielle » et ils précisent que « à l'époque les thromboses veineuses superficielles étaient traitées de façon hétérogènes du fait de recommandations médicales fondées sur des preuves solides ». Ils ajoutent qu'en 2009 l'ASFAPS recommandait un traitement par HBPM à doses prophylactiques pour prévenir le risque de complication embolique et par extrapolation le Fondaparinux (Arisxtra) était proposé.

Le docteur [G] ajoute encore que les bonnes pratiques constituent les données acquises de la science qui permettent d'apprécier si le comportement du praticien a été fautif. Or en l'espèce, il a suivi les recommandations en vigueur, les études sur le sur risques n'étant pas terminées et la notice du produit était trop récente pour éclipser ces bonnes pratiques.

Toutefois, la cour rappellera qu'elle doit prendre en compte les données actuelles de la sciences et non plus désormais les données acquises, ce qui induit que le praticien soit suffisamment vigilant dans sa formation continue pour suivre les évolutions scientifiques et les données nouvelles quand bien mêmes elles n'auraient pas encore été retranscrites par les sociétés savantes en recommandations de bonnes pratiques. La cour suivra ainsi dans le cas d' espèce le tribunal en ce qu'il a considéré que tant le docteur [G] médecin généraliste qui a vu la patiente et a prescrit un examen doppler pour confirmer son diagnostic de thrombose veineuse puis l'a revue après l'examen mettant en évidence une thrombose eût-elle été superficielle, que le docteur [A] qui a diagnostiqué cette thrombose veineuse superficielle et l'a traité par médicament ce qui en 2009 apparaissait licite, avaient pour autant commis une faute en n'interrompant pas la prise du contraceptif puisqu'un évènement indésirable dûment connu et mentionnée dans les documents rappelés ci-dessus, s'était manifesté en l'absence de tout antécédent thromboembolique chez cette patiente. En effet, par cette abstention, alors que le risque grave connu et mentionné s'était réalisé, ils ont commis une faute, la RCP et la notice parlant de manière générales des thromboses veineuses sans distinguer celles qui étaient superficielles de celles qui étaient profondes. Leur faute réside donc non dans une erreur de diagnostic puisque l'un et l'autre avait fait le bon diagnostic, mais dans la non- interruption d'une prescription en présence d'un effet secondaire grave.

Cependant, contrairement à ce que soutient l'ONIAM, le préjudice subi ne peut s'analyser comme l'a fait le tribunal, qu'en une simple perte de chance d'échapper aux conséquences de l'accident médical non fautif car il n'est pas démontré que l'arrêt du traitement ait pu suffire à éliminer toute cause de décès.

Au regard de l'absence de tout antécédent de la patiente et de son jeune âge, cette perte de chance doit être fixée à 80%.

Par ailleurs, dans leur rapport entre eux les médecins supporteront comme retenu par la Cci et le tribunal au regard leur faute respective commise, la charge de l'indemnisation des préjudices subis par la victime mais également par ses proches victimes indirectes, à hauteur de 50% chacun dans la limite de 80% des préjudices subis.

Le jugement déféré mérite ainsi confirmation à ce double titre.

2-Sur la demande de pris en charge par l'ONIAM

En vertu de l'article L. 1142-1 II du code de la santé publique, lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants-droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire.

Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret.

Si ces dispositions font obstacle à ce que l'ONIAM supporte au titre de la solidarité nationale la charge de réparations incombant aux personnes responsables d'un dommage en vertu du I du même article, elles n'excluent toute indemnisation par l'office que si le dommage est entièrement la conséquence directe d'un fait engageant leur responsabilité. Dans l'hypothèse où un accident médical non fautif est à l'origine de conséquences dommageables mais où une faute commise par une ou personne mentionnée au I de l'article L. 1142-1 a fait perdre à la victime une chance d'échapper à l'accident ou de se soustraire à ses conséquences, le préjudice en lien direct avec cette faute est la perte de chance d'éviter le dommage corporel advenu et non le dommage corporel lui-même, lequel demeure tout entier en lien direct avec l'accident non fautif.

Il en résulte qu'un tel accident ouvre droit à réparation au titre de la solidarité nationale si ses conséquences remplissent les conditions posées au II de l'article L. 1142-1 et présentent notamment le caractère de gravité requis, l'indemnité due par l'office étant seulement réduite du montant de l'indemnité mise, le cas échéant, à la charge du responsable de la perte de chance, égale à une fraction du dommage corporel correspondant à l'ampleur de la chance perdue.

Il a été retenu supra que les fautes des docteurs [G] et [A] avaient fait perdre à Mme [Z] [Y] une chance de survie.

Ce préjudice ne se confond pas avec celui issu de la survenance du dommage corporel proprement dit et personne ne conteste par ailleurs que l'accident médical constitué par la prise du médicament contraceptif qui a conduit à l'embolie pulmonaire et au décès, a eu pour Mme [Y] des conséquences anormales au regard de son état de santé et qu'il présente le caractère de gravité prévu à l'article L 1141-2 II du code de la santé publique.

Il en résulte que l'ONIAM se trouve tenu d'en supporter les conséquences au titre de la solidarité nationale, déduction faite de l'indemnité mise à la charge des praticiens à hauteur de 80%.

3-Sur la liquidation des préjudices

Les praticiens contestent les postes de préjudices suivants :

- pour la victime directe : déficit fonctionnel temporaire, souffrances endurées, le préjudice d'angoisse de mort imminente,

- pour les victimes indirectes : le préjudice d'affection, d'accompagnement.

Les consorts [Y]-[K] concluent pour leur part à l'infirmation du rejet de la demande d'indemnisation du préjudice d'angoisse de mort imminente et la sous évaluation du poste de préjudice d'affection pour [D] [Y].

I-Sur les préjudices subis par Mme [Y]

Le Déficit fonctionnel temporaire

Il inclut pour la période antérieure à la consolidation, la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, le préjudice temporaire d'agrément, éventuellement le préjudice sexuel temporaire.

L'évaluation des troubles dans les conditions d'existence tient compte de la durée de l'incapacité temporaire, du taux de cette incapacité (totale ou partielle), des conditions plus ou moins pénibles de cette incapacité.

L'expert a retenu un déficit fonctionnel temporaire :

* total du 15 septembre au [Date décès 4] 2009 soit 3 jours,

* partiel de :

- 25% du 31 juillet 2009 au 1er septembre 2009 soit 32 jours

- 10% du 2 septembre 2009 au 14 septembre 2009 soit 12 jours.

La cour retiendra une indemnisation à hauteur de 27 euros au regard des difficultés évoquées par Mme [Z] [Y] les semaines qui ont précédées sont décès et la décision de première instance doit être confirmée en ce qu'elle a fixé ce poste de préjudice à la somme de 329,40 euros.

Souffrances endurées

Il s'agit d'indemniser les souffrances tant physiques que morales endurées par la victime du fait des atteintes à son intégrité, à sa dignité et à son intimité et des traitements, interventions, hospitalisations qu'elle a subis depuis l'accident jusqu'à la consolidation.

L'expert a fixé à 5/7 ce poste de préjudice et peu importe que cette souffrance n'ait durée que 3 jours dans sa plus grande intensité, la cour fixera ce poste de préjudice à la somme de 30 000 euros et la décision de première instance sera également confirmée de ce chef.

Préjudice moral de mort imminente

Ce préjudice correspond à la souffrance extrême subie par la victime entre l'accident et son décès du fait de la conscience de sa mort imminente.

Dans un arrêt rendu le 25 mars 2022, la chambre mixte de la Cour de cassation a jugé que c'est « sans indemniser deux fois le même préjudice que la cour d'appel, tenue d'assurer la réparation intégrale du dommage sans perte ni profit pour la victime, a réparé, d'une part, les souffrances endurées du fait des blessures, d'autre part, de façon autonome, l'angoisse d'une mort imminente ».

Contrairement à ce qu'il a été jugé par le tribunal, Mme [Z] [Y] a eu conscience de sa mort imminente puisqu'elle a :

-exprimé à plusieurs reprises ses forces vitales l'abandonnaient et que cette sensation était liée aux dyspnées et céphalées répétées qu'elle ressentait depuis la fin du mois de juillet ;

-elle a fait un malaise avec perte de conscience après un nouvel épisode de dyspnée sévère mais a repris conscience même si c'était une conscience altérée avant de présenter un arrêt cardio respiratoire.

L'expert précise également qu'à son arrivée aux urgences son scanner cérébral était encore normal et que ses pupilles étaient réactives.

Cet état est compatible avec une grande angoisse du péril auquel elle se trouvait confrontée.

Par voie de conséquence, c'est à tort que le tribunal a rejeté la demande de ce chef et la cour fixera l'indemnisation de ce préjudice à hauteur de 30 000 euros.

L'ONIAM en supportera la charge à hauteur de 20% et les docteurs [G] et [A] à hauteur de 80% comme retenu ci-dessus.

II-Sur les préjudices des victimes indirectes

- préjudices patrimoniaux

Ce poste de préjudice n'est pas contesté et sera confirmé à hauteur de 3 816,99 euros.

- préjudices extrapatrimoniaux

Préjudice d'affection

Il s'agit du préjudice moral dû à la souffrance causée par le décès d'un proche.

Une indemnisation est accordée sans justificatif particulier aux parents, grands parents, enfants et conjoints ou concubins. En revanche, pour les autres personnes et notamment pour les personnes proches mais ne cohabitant plus comme les frère et s'ur, il doit être justifié qu'ils entretenaient avec la victime décédée des liens affectifs réguliers. Une personne non apparentée à la victime peut également être indemnisée si elle établit la réalité de son préjudice.

Est contesté le montant de l'indemnisation alloué à [D] frère de la victime directe Mme [Y].

Il résulte des éléments versées aux débats que [D] frère de la victime directe entretenait avec sa soeur des liens d'affection forts et réguliers lors de ses retours fréquents au domicile de leur mère. Au regad de leur proximité d'âges et des liens qu'ils avaient noués il sera alloué en réparation de ce poste de préjduice la somme de 18 000 euros.

Il convient ainsi de condamner in solidum le docteur [V] [G] et le docteur [F] [A] à payer à Mme M.[X] [Y] la somme de 14 400 euros en réparation de son préjjudice d'affection et condamne l'ONIAM à lui payer la somme de 3 600 euros au titre de son préjudice d'affection .

La décision de première instance sera infirmée de ce chef.

Préjudice d'accompagnement

Il s'agit d'un préjudice moral dû aux bouleversements dans ses conditions d'existence subi par la victime indirecte en raison de l'état de la victime directe jusqu'à son décès.

L'indemnisation implique que soit rapportée la preuve d'une communauté de vie affective et effective entre le défunt et la victime indirecte ainsi que celle de la perturbation invoquée dans ses conditions de vie habituelles

Mme [N] démontre avec la suffisance nécessaire qu'elle était en relation permanente avec sa fille pendant tout l'été, qu'elle l'a accompagnée lors des consultations médicales et qu'elle a suivi la dégradation de son état de santé sans pouvoir l'aider. Ce poste de préjudice évalué par le tribunal a 10 000 euros au regard de l'ensemble de ces éléments qui démontrent l' implication de Mme [N] dans les difficultés rencontrées par sa fille et les perturbations qu'elles ont entraînées dans son quotidien. Ce poste de préjudice qui ne constitue pas une double indemnisation, sera également confirmé.

4-Sur les autres demandes

Chacun des praticiens demande à la cour d'être relevé et garanti par l'autre des condamnations prononcées à son encontre. Il a été jugé supra que dans leurs rapports entre eux chacun des praticiens supportera la charge de 50% des condamnations. Chacun dispose d'un recours contre l'autre à hauteur de 50% des condamnations prononcées et dont ils sont à l'égard des victimes, solidaires.

Parties perdantes, l'ONIAM et les docteurs [V] [G] et [F] [A] supporteront la charge des dépens d'appel et seront déboutés de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande en revanche d'allouer aux consorts [N]-[Y] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel et les docteurs [G] et [A] seront condamnés in solidum à leur payer cette somme.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Infirme le jugement déféré mais seulement en ce qu'il a débouté les ayants-droit de Mme [Z] [Y] de leur demande au titre du préjudice d'angoisse de mort imminente , en ce qu'il a fixé le préjudice d'affection de [D] [Y] à la somme de 12 000 euros et par voie de conséquence, en ce qu'il a :

- condamné in solidum le docteur [V] [G] et le docteur [F] [A] à payer à Mme [O] [N], M.[I] [Y] et M.[X] [Y] en leur qualité d'ayants-droit la somme de 24 263,52 euros au titre du préjudice de cette dernière ;

- condamné l'ONIAM à payer à Mme [O] [N], M.[I] [Y] et M.[X] [Y] en leur qualité d'ayants-droit la somme de 6 065,88 euros au titre du préjudice de cette dernière ;

-condamné in solidum le docteur [V] [G] et le docteur [F] [A] à payer à Mme M.[X] [Y] la somme de 9 600 euros en réparation de son préjjudice d'affection et condamné l'ONIAM à lui payer la somme de 2 400 euros au titre de son préjduice d'affection;

Le Confirme pour le reste ;

Statuant à nouveau des seuls chefs infirmés et y ajoutant ;

Fixe le préjudice d'angoisse de mort imminente à la somme de 30 000 euros ;

Fixe le préjudice d'affection de M.[D] [Y] à la somme de 18 000 euros ;

Condamne in solidum le docteur [V] [G] et le docteur [F] [A] à payer à Mme [O] [N], M.[I] [Y] et M.[X] [Y] en leur qualité d'ayants-droit la somme de 48 263,52 euros au titre du préjudice de cette dernière ;

Condamne l'ONIAM à payer à Mme [O] [N], M.[I] [Y] et M.[X] [Y] en leur qualité d'ayants-droit la somme de 12 065,88 euros au titre du préjudice de cette dernière ;

Condamne in solidum le docteur [V] [G] et le docteur [F] [A] à payer à Mme M.[X] [Y] la somme de 14 400 euros en réparation de son préjjudice d'affection ;

Condamne l'ONIAM à payer à M.[X] [Y] la somme de 3 600 euros au titre de son préjduice d'affection ;

Condamne in solidum l'ONIAM, le docteur [V] [G] et le docteur [F] [A] à supporter la charge des dépens d'appel ;

Condamne in solidum le docteur [V] [G] et le docteur [F] [A] à payer à Mme [O] [N], M.[I] [Y] et M.[X] [Y] en leur qualité d'ayants-droit la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-6
Numéro d'arrêt : 21/11676
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 12/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;21.11676 ?
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