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04/07/2024 | FRANCE | N°20/07175

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 3-3, 04 juillet 2024, 20/07175


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-3



ARRÊT AU FOND

DU 04 JUILLET 2024



N° 2024/79









Rôle N° RG 20/07175 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BGDBW







[I] [W]





C/



Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL PROVENC E COTE D'AZUR



























Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Roselyne SIMON-THIBAUD

>
Me Layla TEBIEL























Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal Judiciaire hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Draguignan en date du 03 Juillet 2020 enregistrée au répertoire général sous le n° 19/03718.





APPELANT



Monsieur [I] [W],

demeurant [Adresse 3] ...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-3

ARRÊT AU FOND

DU 04 JUILLET 2024

N° 2024/79

Rôle N° RG 20/07175 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BGDBW

[I] [W]

C/

Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL PROVENC E COTE D'AZUR

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Roselyne SIMON-THIBAUD

Me Layla TEBIEL

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal Judiciaire hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Draguignan en date du 03 Juillet 2020 enregistrée au répertoire général sous le n° 19/03718.

APPELANT

Monsieur [I] [W],

demeurant [Adresse 3] - [Localité 2]

représenté par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

assisté de Me Anne BERNARD-DUSSAULX de l'AARPI RICHEMONT DELVISO, avocat au barreau de PARIS, plaidant

INTIMÉE

CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL PROVENCE COTE D'AZUR, prise en la personne de son représentant légal,

dont le siège social est sis [Adresse 4] - [Localité 1]

représentée par Me Layla TEBIEL de la SCP CABINET BUVAT-TEBIEL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

assistée de Me David LAIR, avocat au barreau de TOULON, plaidant, substituant Me Philippe BARBIER, avocat au barreau de TOULON

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Françoise PETEL, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Philippe DELMOTTE, Président

Madame Françoise PETEL, Conseillère

Madame Gaëlle MARTIN, Conseillère

Greffier lors des débats : Madame Laure METGE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Juillet 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Juillet 2024

Signé par Monsieur Philippe DELMOTTE, Président et Madame Chantal DESSI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

M. [I] [W] est titulaire dans les livres de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Provence Côte d'Azur d'un compte chèque et d'un compte sur livret.

Au cours de l'année 2018, ayant décidé d'investir ses économies, M. [I] [W] a donné à sa banque trois ordres de virements, le 2 mai 2018 pour un montant de 90.000 euros, le 26 juin 2018 pour un montant de 134.400 euros et le 21 août 2018 pour un montant de 51.000 euros, à destination de la HSBC UK Bank PLC.

Indiquant ne plus pouvoir récupérer les fonds investis et avoir été victime d'une escroquerie facilitée par l'exécution des virements par la banque à laquelle il reproche d'avoir manqué à ses obligations de conseil, de mise en garde et de vigilance, M. [I] [W] a, par exploit du 20 mai 2019, fait assigner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Provence Côte d'Azur en responsabilité devant le tribunal de grande instance de Draguignan.

Par jugement du 3 juillet 2020, ce tribunal a :

' débouté M. [I] [W] de l'intégralité de ses demandes,

' condamné M. [I] [W] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Provence Côte d'Azur la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

' condamné M. [I] [W] aux dépens,

' dit n'y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire.

Suivant déclaration du 30 juillet 2020, M. [I] [W] a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées et déposées le 29 mars 2022, auxquelles il est expressément référé en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, l'appelant demande à la cour de :

' infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Draguignan du 3 juillet 2020 en toutes ses dispositions,

et, statuant à nouveau,

' condamner, à titre principal, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Provence Côte d'Azur à lui payer la somme de 275.400 euros, outre les intérêts légaux à compter de la mise en demeure qui lui a été adressée, en réparation de son préjudice financier,

' condamner, à titre subsidiaire, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Provence Côte d'Azur à l'indemniser de la perte de chance de ne pas contracter avec la société de courtage frauduleuse, et en conséquence, de ne pas perdre les fonds investis, à hauteur de 220.320 euros,

' condamner, en tout état de cause, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Provence Côte d'Azur à lui payer la somme de 5.000 euros en réparation de son préjudice moral,

' condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Provence Côte d'Azur à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Provence Côte d'Azur aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Anne Bernard-Dussaulx, avocat au barreau de Paris.

Par ses dernières conclusions notifiées et déposées le 11 avril 2022, auxquelles il est expressément référé en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Provence Côte d'Azur demande à la cour de :

' débouter M. [I] [W] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions et confirmer la décision attaquée en toutes ses dispositions, sauf à limiter les condamnations à intervenir à 5 % du montant total des sommes investies pour le cas où la cour entrerait en voie de réformation,

' condamner M. [W] à lui payer la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive outre celle de 5.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en appel et entiers dépens distraits au profit de Me Layla Tebiel, avocat, sur son affirmation de droit.

MOTIFS

Exposant qu'il a été victime d'une escroquerie et a perdu l'intégralité des fonds par lui virés à partir du compte dont il est titulaire dans les livres de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Provence Côte d'Azur, l'appelant explique qu'il a été visé, sur le réseau social Facebook, par une publicité proposant des investissements sur le marché des crypto-actifs au moyen d'une plateforme Aespen BV, que cette société se présentait comme une plateforme de placements financiers simplifiée permettant l'achat de crypto-monnaies, qu'après inscription sur le formulaire de demande de renseignements Facebook, il a été contacté par plusieurs conseillers qui lui ont promis des gains importants ainsi qu'une rentabilité rapide et certaine de son investissement.

Il précise qu'il correspondait en priorité avec une dénommée [Y] [G] par courriel et par téléphone, que, sur les indications de cette dernière, il a passé ses ordres de virement à destination d'un compte tenu par la HSBC UK Bank PLC, que, ne sachant comment procéder, il s'est, dès le premier virement, rendu à l'accueil de son agence bancaire pour qu'un membre du personnel de l'intimée saisisse les coordonnées du bénéficiaire du virement.

Il ajoute qu'après avoir été mis en confiance, il a investi ses économies sur cette plateforme de trading en ligne, qu'il a ainsi subitement opéré trois virements pour des montants inhabituels, représentant une somme totale de 275.400 euros sur une période de trois mois, sans que ce comportement semble attirer l'attention de sa banque.

Au soutien de son appel, M. [I] [W] fait grief au tribunal d'avoir considéré que les virements litigieux ne présentaient pas d'anomalie apparente, sans analyser les indices pourtant flagrants permettant de caractériser une anomalie, à savoir les montants anormalement élevés des virements, les banques bénéficiaires localisées à l'étranger, les destinataires des virements, l'ensemble de ces circonstances étant particulièrement peu conforme à ses habitudes bancaires.

Il fait valoir que les mouvements de fonds opérés sur son compte étaient indiscutablement anormaux, que, cependant, l'intimée ne l'a jamais mis en garde quant aux risques de fraude relatifs à ces virements, alors qu'elle ne pouvait ignorer l'existence d'escroqueries sur ce marché.

La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Provence Côte d'Azur réplique que l'escroquerie qu'elle aurait prétendument facilitée n'est pas même caractérisée.

Elle soutient qu'en tout état de cause, elle n'a manqué à aucune de ses obligations en exécutant les ordres de virement dont la régularité formelle n'est pas mise en cause, pas plus que ne l'est le consentement de M. [I] [W], lequel ne l'a d'ailleurs pas informée de l'objet exact de ces virements et ne peut dès lors sérieusement lui reprocher de ne pas l'avoir mis en garde contre les risques d'un investissement sur le marché des crypto-actifs.

Sur ce, il est préalablement observé que, si l'appelant verse aux débats son dépôt de plainte, contre X, pour escroquerie effectué le 6 septembre 2018, il ne produit notamment pas le contrat de souscription dont il faisait alors état, que, par ailleurs, il n'est formulé aucune explication sur le fait que, alors que tous les éléments dont M. [I] [W] se prévaut concernent une société Aespen BV, prétendument courtier en crypto-monnaies, les virements litigieux qu'il a émis l'ont été, comme le relevait l'intimée dans un courrier du 7 mai 2019 en réponse à la demande de remboursement présentée par son conseil, au bénéfice d'une entité dénommée « RP Touch Ltd ».

En matière de paiement, et plus précisément en l'espèce s'agissant de virements, le banquier, dont il est constant qu'il est tenu d'un devoir de non-ingérence dans les affaires de son client, est cependant également débiteur d'une obligation générale de vigilance qui lui impose de procéder à certaines vérifications.

Mais, pour que sa responsabilité puisse être engagée de ce chef, l'opération litigieuse doit receler une anomalie apparente, matérielle ou intellectuelle, laquelle peut ressortir, soit des documents fournis, soit de la nature même de l'opération ou du fonctionnement du compte.

Ainsi, avant d'exécuter un ordre de virement, la banque doit à tout le moins s'assurer que celui-ci émane bien du titulaire du compte à débiter, que le bénéficiaire est régulièrement identifié, par son nom, son adresse, son IBAN, et, par ailleurs, que le solde du compte à débiter est suffisant.

A cet égard, il n'est pas contesté que l'intimée, en la personne de la directrice d'agence les deux premières fois puis de son adjoint, a, lorsque M. [I] [W] s'est présenté à son guichet pour signer les ordres de virement en cause, vérifié son identité et ses coordonnées, que l'identification du bénéficiaire, assurée par le RIB que l'appelant détenait pour l'avoir précédemment reçu de son cocontractant ainsi que cela résulte d'un courriel du 30 avril 2018 qu'il verse aux débats, n'a révélé aucune difficulté, et que le compte chèque de l'émetteur était provisionné des fonds nécessaires, ce dernier ayant, pour chacune des opérations, préalablement effectué au crédit dudit compte des virements en provenance, les 25 avril et 20 juin, d'un groupement d'intérêt économique et, le 20 août 2018, de BNP Paribas, comme en attestent ses relevés.

Par ailleurs, s'agissant du caractère inhabituel quant au fonctionnement du compte des mouvements ordonnés, susceptible de constituer une anomalie apparente, il ressort des éléments du dossier que M. [I] [W], qui disposait déjà, ainsi que cela vient d'être évoqué et résulte en outre de son avis d'imposition, d'une épargne conséquente, souhaitait procéder à de nouveaux investissements, qu'il voulait particulièrement rentables, qu'à cet égard, il ne conteste pas les termes du courrier du 7 mai 2019 de l'intimée selon lesquels, interrogé par la directrice d'agence sur la finalité des virements litigieux, il avait simplement indiqué vouloir réaliser une opération d'investissement à l'étranger sans préciser qu'il s'agissait de crypto-monnaie, que, d'ailleurs, cette attitude est confirmée par ses déclarations lors de sa plainte où il fait état des démarches et vérifications qu'il a lui-même effectuées, la banque n'étant dans ce procès-verbal pas même citée dans le déroulement des opérations.

Dans ces conditions, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Provence Côte d'Azur, à qui il incombe de maintenir un équilibre entre les obligations auxquelles elle est soumise, ne peut ici se voir reprocher un défaut de vigilance, et apparaît en revanche fondée à se prévaloir de son devoir de non-immixtion quant aux trois virements opérés par l'appelant, qui pas même ne prétend l'avoir alors informée de leur objet relatif à des crypto-actifs.

Étant surabondamment rappelé que M. [I] [W] ne peut invoquer à son profit la réglementation relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux, et d'ailleurs constaté que le seul élément par lui produit pour justifier de l'escroquerie dont il se dit victime est constitué de son dépôt de plainte du 6 septembre 2018, dont l'intimée fait à juste titre remarquer que l'on ne sait quelle suite lui a été donnée, la responsabilité de la banque ne saurait, en l'absence de faute démontrée qui lui serait imputable, être engagée.

En conséquence, l'appelant est débouté de toutes ses demandes à l'encontre de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Provence Côte d'Azur, et le jugement confirmé en toutes ses dispositions.

Ceci étant, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de l'intimée en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive.

En effet, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Provence Côte d'Azur, qui en outre n'établit pas le préjudice qu'elle invoque, ne démontre pas que M. [I] [W] ait agi dans l'intention de lui nuire, ou laissé dégénérer en abus son droit d'agir en justice ou d'exercer une voie de recours qui lui était ouverte.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris,

Y ajoutant,

Déboute la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Provence Côte d'Azur de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive,

Condamne M. [I] [W] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Provence Côte d'Azur la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Le condamne aux dépens d'appel, dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 3-3
Numéro d'arrêt : 20/07175
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;20.07175 ?
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