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04/07/2024 | FRANCE | N°20/00344

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 04 juillet 2024, 20/00344


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3



ARRÊT AU FOND



DU 04 JUILLET 2024



N° 2024/ 125



RG 20/00344

N° Portalis DBVB-V-B7E-BFM63







SCS CARRIER





C/



[E] [O]

















Copie exécutoire délivrée le 04 Juillet 2024 à :



-Me Aurelie BOUCKAERT, avocat au barreau de MARSEILLE



- Me Hanna REZAIGUIA, avocat au barreau de MARSEILLE








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Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 19 Décembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° F 18/02150.





APPELANTE



SCS CARRIER, demeurant [Adresse 2]/ FRANCE



représ...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

DU 04 JUILLET 2024

N° 2024/ 125

RG 20/00344

N° Portalis DBVB-V-B7E-BFM63

SCS CARRIER

C/

[E] [O]

Copie exécutoire délivrée le 04 Juillet 2024 à :

-Me Aurelie BOUCKAERT, avocat au barreau de MARSEILLE

- Me Hanna REZAIGUIA, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 19 Décembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° F 18/02150.

APPELANTE

SCS CARRIER, demeurant [Adresse 2]/ FRANCE

représentée par Me Aurelie BOUCKAERT de la SELARL LEX PHOCEA, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Axel FALLOT, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIME

Monsieur [E] [O], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Hanna REZAIGUIA de la SELARL EOS AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre

Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant

Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Juin 2024, délibéré prorogé en raison de la survenance d'une difficulté dans la mise en oeuvre de la décision au 4 Juillet 2024.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE

Prononcé par mise à disposition au greffe le 4 Juillet 2024

Signé par Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE

M. [E] [O] était initialement engagé par la société Manpower en qualité de testeur électricité selon contrat de travail temporaire du 3 avril 2017 au 6 août 2017 pour être mis à disposition de la société Profroid.

Il était embauché selon contrat à durée indéterminée à temps complet du 3 août 2017 à effet au 7 août 2017, par l'établissement Carrier SCS, exerçant sous l'enseigne Profroid Industries, en qualité de testeur électricité, statut ouvrier, niveau III, coefficient 215, avec une rémunération mensuelle brute de 2 140 €.

La convention collective nationale applicable était celle de la convention de la métallurgie des Bouches-du-Rhône.

M. [O] était convoqué le 11 juin 2018 à un entretien préalable à une mesure de licenciement fixé au 21 juin 2018. Il était licencié par lettre recommandée du 19 juillet 2018 pour cause réelle et sérieuse.

Le salarié saisissait le 17 octobre 2018 le conseil de prud'hommes de Marseille en contestation du licenciement et en paiement d'indemnités.

Par jugement du 19 décembre 2019 le conseil de prud'hommes a statué comme suit :

« Dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Condamne la Sté Carrier exerçant sous l'enseigne Profroid à verser à Monsieur [E] [O] les sommes suivantes :

- 4 400 € au titre des dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- 2 000 € au titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi pendant l'exécution de son contrat de travail (défaut de loyauté et défaut de formation contractuelle) article L 1222-1 du Code du Travail ;

- 1 250 € au titre de 1'article 700 du Code de Procédure Civile.

Dit que la moyenne des trois derniers mois de salaire s'élève à la somme de 2 200 €

Dit que le présent jugement bénéficiera de l'exécution provisoire de droit sur les créances et dans la limite des plafonds définis par l'article R 1454-28 du Code du travail.

Déboute Monsieur [O] [E] du surplus de ses demandes.

Déboute la Sté Carrier de sa demande reconventionnelle.

Condamne la Sté Carrier aux entiers dépens».

Par acte du 9 janvier 2020, le conseil de la société a interjeté appel de cette décision.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 7 juillet 2022, la société demande à la cour de :

« Infirmer et réformer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Marseille le 19 décembre 2019 en ce qu'il a :

Dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Condamné la Société Carrier exerçant sous l'enseigne Profroid à verser à M. [E] [O] les sommes suivantes :

' 4400 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

' 2000 euros au titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi pendant l'exécution de son contrat de travail (défaut de loyauté et défaut de formation contractuelle) article L1222-1 du Code du travail

' 1250 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Le confirmer en ce qu'il a débouté M. [O] du surplus de ses demandes.

Statuant à nouveau :

A titre principal :

Dire et juger que le licenciement de M. [O] est fondé sur une cause réelle et sérieuse;

Débouter M. [O] de l'intégralité de ses demandes ;

A titre subsidiaire,

Ramener le montant des dommages et intérêts à de plus justes proportions

Débouter M. [O] de toutes ses autres demandes.

En tout état de cause :

Condamner M. [O] à payer à la Société Carrier la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Condamner Monsieur M. [O] aux entiers dépens de l'instance».

Dans ses dernières écritures communiquées au greffe par voie électronique le 15 septembre 2020, M. [O] demande à la cour de :

« Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a condamné la Société Carrier à indemniser M. [E] [O] du préjudice subi pendant l'exécution du contrat de travail du fait de l'exécution fautive par l'employeur dudit contrat.

Réformer le jugement de première instance en ce qu'il a fixé le montant de cette indemnisation à la somme de 2.000 euros.

Statuant à nouveau,

Condamner la Société Carrier à payer à M. [E] [O] la somme de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi pendant l'exécution du contrat de travail.

Réformer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté M. [E] [O] de sa demande tendant, à titre principal, à voir dire et juger que le licenciement dont il a fait l'objet et, en conséquence,

Condamner l'employeur à régler à M. [E] [O] la somme de 13.200 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

A titre subsidiaire, confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a dit que le licenciement de M. [E] [O] n'était pas fondé sur une cause réelle et sérieuse et a condamné la Société Carrier à payer à M. [E] [O] la somme de 4.400 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation du préjudice subi de ce fait.

Sur le fondement des articles 1231-6, 1231-7 et 1343-2 du Code Civil, dire et juger que le montant des condamnations portera intérêts au taux légal à compter de la demande en justice du 17/10/2018, avec capitalisation des intérêts.

Débouter la Société Carrier de ses demandes

Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a condamné la Société Carrier à verser à M. [E] [O] la somme de 1 250 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile au titre de la première instance

Y ajoutant, Condamner la Société Carrier à verser à M. [E] [O] la somme de 3 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure Civile au titre de l'instance d'appel.

Rejeter toute demande plus ample ou contraire et, pour le surplus, confirmer le jugement de première instance

Condamner la Société Carrier en tous dépens ».

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs écritures susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'exécution du contrat de travail

1-Sur l'obligation de formation et d'adaptation au poste et la mise à l'écart

La société reproche au conseil des prud'hommes d'avoir prononcer des condamnations sans assortir sa décision d'une motivation et fait valoir que le salarié a bien été formé pendant qu'il était en intérim mais également postérieurement à son embauche avec une formation, sur le terrain par les collaborateurs et ses responsables.

Elle explique que l'autonomie s'acquiert principalement grâce à l'expérience professionnelle et qu'en raison du comportement du salarié, ses collègues de travail n'ont plus souhaité échanger avec lui au-delà de ce qui était nécessaire pour l'accomplissement de leurs fonctions.

Le salarié soutient que la société a manqué à ses obligations, qu'il avait les compétences de base requises pour occuper le poste mais qu'une formation complémentaire était nécessaire et devait être assurée par des salariés ayant une expérience plus importante, que ces derniers ne l'ont pas fait et que la formation ne pouvait être assurée par les salariés mis en cause pour discrimination et en conflit avec lui.

Il reproche à la société d'avoir accepté sa mise à l'écart par ses collègues de travail.

En vertu de l'article 6321-1 du code du travail, l'employeur a l'obligation de former les salariés afin d'assurer leur adaptation à leur poste de travail.

Il s'avère au vu des témoignages produits et en particulier de celui de M. [N], contrôleur électricien, que le salarié a été formé durant une semaine et demie dans le cadre de sa formation sur la ligne HFC.FI, ce qui est confirmé par M. [J], testeur électrique, et M. [P], électricien, outre M. [W], mais également en l'état des notes, des schémas électriques et des process figurant sur son cahier personnel (pièces appelante 13-1 à 13-4).

La société a par ailleurs financé en mai 2017, une formation « habilitation électrique » au sein d'un organisme certifié et le salarié a obtenu un titre d'habilitation (pièce appelante 7).

Si le salarié indique qu'il ne s'agit pas d'une formation à son poste de testeur mais d'une formation aux risques électriques, il n'en demeure pas moins que cette formation est un préalable nécessaire pour exercer les fonctions de testeur électrique.

M. [T], responsable de production, précise également que dès son intégration à l'équipe de testeurs « le salarié a été mis en double sur des tests électriques avec des membres confirmés de l'équipe et avec des câbleurs expérimentés afin qu'il apprenne et comprenne le processus de tests électriques chez Profroid », M. [X], cadre, confirme qu'il était accompagné par ses responsables à son poste de travail.

M. [Z], responsable d'atelier souligne qu' « il a dû passer par une phase de formation comme tous les nouveaux arrivants à ce poste, pour ce faire, il a été pris en charge par des collaborateurs qui lui ont transmis les connaissances nécessaires pour ce poste, les testeurs électriques commencent leur apprentissage en effectuant le test des machines peu complexes afin de se familiariser avec les appareillages électriques utilisés au sein de Profroid, puis selon leur progression, ils continuent leur apprentissage sur des appareils plus compliqués » (pièces appelante 13 et 17).

M. [S], directeur des opérations, indique également « j'ai expliqué à M. [O] que la formation allait se faire en plusieurs étapes en commençant par la machine la plus simple pour aller vers la machine la plus complexe, qu'il allait devoir faire preuve de patience car il faut plusieurs mois pour acquérir des connaissances dans ce domaine compte tenu de la diversité des machines » (pièce appelante 18).

M. [T] explique dans son témoignage que le salarié s'est plaint dès la signature de son contrat à durée indéterminée, de ne tester en autonomie que de petites machines souhaitant tester des machines plus complexes, « alors qu'à chaque fois que nous lui avons confié les tests qu'il réclamait, il s'est montré incapable de les effectuer convenablement » (pièce appelante 6).

Il est ainsi démontré que le salarié, venant d'intégrer la société, a demandé à intervenir d'emblée en autonomie sur des machines complexes, sans avoir acquis l'expérience requise, et en a fait le reproche à ses collègues de travail lorsque ces derniers lui ont fait remarquer que la formation sur ces machines prenait du temps.

M. [J] indique en effet « je lui ai dit que, contrairement à ce qu'il pensait, cette formation était longue et ne pouvait être menée en une demi-journée » (pièce appelante 19).

M. [P] souligne que le salarié s'en est pris à M. [J] et à lui-même, lui reprochant une mise à l'écart ainsi qu'un refus de sa part de le former, précisant : «M. [J] lui a alors expliqué qu'il s'était mis à l'écart tout seul et qu'il faisait preuve de paranoïa pensant que tout le monde lui en voulait et que personne ne le respectait » (pièces appelante 6, 13, 18 et 20).

M. [X] témoigne ainsi : « j'ai expliqué à M. [O] le terme 'discriminé'en mentionnant que les personnes précitées (M. [W], M. [J] et M. [P]) n'avaient pas de compétences de formateurs au sein de Profroid. M. [O] a reconnu que le terme n'était pas approprié mais qu'il ressentait une forme de pression » (pièce appelante 17).

La cour constate que la société a procédé à plusieurs entretiens auprès des collègues de travail visés par le salarié ainsi qu'à une enquête interne qui a déterminé qu'il n'y avait eu aucune discrimination ou de propos à caractère raciste comme en témoigne M. [X] et la directrice des ressources humaines, Mme [G] « M. [O] a été reçu à maintes reprises par l'ensemble de sa hiérarchie, notre responsable éthique et moi-même, nous avons réuni l'ensemble de l'équipe des testeurs afin d'apaiser d'éventuelles tensions et repartir sur de bonnes bases (...) Il est rapidement apparu que M. [O] se positionnait en tant victime(...) C'est dans ce contexte que M. [O] m'a annoncé qu'il ne voulait faire aucun effort pour la société car il n'avait pas été formé comme il le souhaitait et en voulait particulièrement à M. [P] et [J] prétextant même qu'ils avaient eu à son égard des comportements racistes, ce qu'ils ont formellement démenti devant moi-même toute l'équipe (...) M. [O] ayant finalement reconnu que personne n'avait à son égard de propos racistes (...)» (pièce appelante 12).

Le salarié ne produit aucun élément probant au soutien de son manque de formation et de sa mise à l'écart, les pièces versées s'avérant être ses propres courriers adressés à la directrice des ressources humaines.

En conséquence, la cour considère que la société n'a pas manqué à son obligation de formation et d'adaptation à son poste de travail et que la mise à l'écart n'est pas caractérisée.

2-Sur l'absence de moyens nécessaires à l'accomplissement des tâches

La société conteste l'absence de moyens expliquant que le salarié n'a jamais été affecté plus qu'un autre testeur à des tâches de câblage, que cette activité pouvait être demandée de manière occasionnelle au vu de la fiche de fonction 'contrôleur électricité' et que le salarié bénéficiait du même matériel que les autres testeurs pour l'accomplissement de ses fonctions.

Le salarié fait valoir que la société ne lui a pas donné les moyens nécessaires à l'accomplissement de ses tâches et qu'il était le seul testeur dépourvu d'ordinateur portable, de téléphone et qu'il lui a été demandé d'accomplir des tâches de câblage.

La société justifie que les ordinateurs et téléphones portables étaient à la disposition de l'ensemble du personnel.

Ainsi, il résulte de l'attestation de M. [R], directeur informatique « Aucun DECT (portable interne) n'est attribué systématiquement ou par défaut. L'attribution est faite par moi même à réception de la demande par le supérieur, et en fonction des disponibilités, accès et téléphone DECT » .

M. [X] indique : « les ordinateurs portables sont à disposition des testeurs électriques sans attribution particulière et les téléphones portables sont attribués avec le temps, si le besoin s'en fait sentir pour les testeurs électriques, comme pour d'autres postes tels que les chefs d'équipe » et Mme [G] atteste que « je lui ai expliqué à de nombreuses reprises que les téléphones et ordinateurs étaient affecté à l'ensemble de l'équipe et en aucune façon de manière individuelle » (pièces appelante 38-1, 12 et 13).

S'agissant des tâches de câblage, la fiche de poste de contrôleur électrique mentionne que le salarié peut être amené à effectuer des activités complémentaires ne modifiant pas la nature de l'emploi et les témoignages des salariés attestent qu'ils ont également participé au câblage électrique des centrales frigorifiques (pièce appelante 9, 13-2).

3-Sur le harcèlement moral et la discrimination

Selon l'article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L1154-1 du même code, en sa rédaction applicable aux faits de la cause, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 (...) le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, le juge formant sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

De même, aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L.3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'action, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son sexe.

L'article L.1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie ci-dessus, au vu desquels, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute

discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Le salarié soutient que la société a manqué à son obligation de sécurité de résultat en se rendant coupable de harcèlement moral et de discrimination, ce qui a conduit à une dégradation de son état de santé.

Il reprend les mêmes moyens, à savoir le refus de formation, sa mise à l'écart et l'absence de moyens nécessaires à l'accomplissement de ses tâches et les pressions.

Il produit notamment les éléments suivants :

- son courrier du 26 octobre 2017 adressé à la société Profroid faisant état d'agissements discriminatoires et de refus à la formation et précisant que ses collègues de travail l'avaient mis au placard, et du fait qu'il avait fait part à M. [C] et M. [K] de son mal-être de son rejet de la part de ses collègues qui avaient eu un dénigrement racial par rapport à ses origines (pièce5)

- la réponse de la directrice des ressources humaines du 6 novembre 2017 qui s'en étonne et qui reprend la chronologie des événements, le fait que le salarié avait lors de l'entretien avec M. [X] du 4 septembre 2017 admis ne pas avoir été victime de discrimination raciale, soulignant que son attitude avait contribué à entretenir un climat de défiance au sein de l'équipe des testeurs électriques et lui indiquant avoir diligenté une enquête afin de pouvoir mesurer la véracité des propos rapportés, précisant : « Force est de constater que non seulement nous n'avons pu trouver de témoin pour corroborer vos dires, mais M. [N] a de nouveau été interrogé suite à la réception de votre courrier (...) nous n'avons trouvé aucun élément qui puisse corroborer vos dires ( ...) » (pièce 6)

- son courrier du 13 juin 2018 informant la direction du harcèlement quotidien et d'une mise au placard dont il est victime au sein de l'entreprise et demandant de faire cesser cette situation afin de rétablir l'équilibre de traitement auquel toute personne a droit (pièce 8)

- la réponse du 20 juin 2018 de la directrice des ressources humaines qui lui rappelle qu'ils se sont vus dernièrement dans son bureau au sujet de son refus de se conformer aux instructions de sa hiérarchie et de réaliser les tâches pour lesquelles il a été embauché, en présence de M. [D] [B], délégué du personnel, et qu'à aucun moment il n'a fait référence à des problématiques de harcèlement (pièce 9)

- son courrier du 26 juin 2018 indiquant qu'il a signalé tous ces faits dans un précédent courrier du 26 octobre 2017 et s'expliquant sur le refus de réaliser des tâches, rappelant qu'il n'avait pas les outils nécessaires (pièce10)

- son courrier du 12 juillet 2018 sollicitant du matériel de travail (pièce11)

- le certificat médical de Dr [L] du 28 septembre 2017 qui adresse le salarié à un médecin psychiatre pour « troubles anxiodépressifs mineurs dans le cadre du travail avec des conflits avec ses collègues » (pièce 12)

- le certificat du Dr [I] du 18 mai 2018 qui fait état d'un syndrome anxiodépressif réactionnel « selon M. [O] à une situation professionnelle avec harcèlement et souffrance importante au travail » (pièce 13)

- le certificat du médecin du travail du 22 juin 2018 qui mentionne « ce monsieur est en grand état dépressif et victime de harcèlement au travail (mise au placard)» (pièce 14)

- des traitements médicaux (pièce 15).

La cour constate que le salarié ne produit aucun élément autre que ses propres courriers, dont trois sont postérieurs à l'entretien préalable à la mesure de licenciement et que les manquements reprochés à la société n'ont pas été retenus par la cour.

Les réponses de la société attestent par ailleurs que cette dernière a pris les mesures nécessaires en organisant des entretiens et des réunions et en réalisant une enquête interne qui a révélé certes une mésentente entre les salariés mais qui n'a toutefois pas démontré la réalité d'agissements de harcèlement et de discrimination raciale à l'encontre du salarié.

Par ailleurs, les documents médicaux produits, également postérieurs à l'entretien préalable, ne font que reprendre les dires du salarié et ne peuvent présumer à eux seuls de l'existence d'un harcèlement moral ou d'une discrimination raciale, d'autant que le lien entre l'état de santé du salarié et ses allégations n'est pas établi.

En l'état des explications et des pièces fournies, la matérialité d'éléments de faits précis et concordants laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral et d'une discrimination directe ou indirecte au sens des articles précités n'est pas démontrée et le salarié échoue à justifier d'un manquement de la société à son obligation de sécurité.

En conséquence, la cour infirme le jugement entrepris et déboute le salarié de sa demande indemnitaire au titre de l'exécution du contrat de travail.

Sur le licenciement

Selon l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

En vertu des dispositions de l'article L.1232-6 du Code du travail, la lettre de licenciement comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur ; la motivation de cette lettre fixe les limites du litige.
 

En l'espèce, la lettre de licenciement était libellée dans les termes suivants :

«Nous vous avons convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement par courrier recommandé avec accusé de réception le 11 juin 2018. Lors de cet entretien, qui s'est tenu le 21 juin 2018, étaient présents à l'entretien, Madame [V] [G], DRH et Monsieur [K] [Z], Responsable de production et votre responsable hiérarchique.

Nous avons recueilli vos observations, qui ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation de la situation.

Nous vous informons en conséquence de notre décision de vous licencier pour cause réelle et sérieuse pour les motifs suivants :

Vous avez été engagé par notre société le 7 août 2017 en qualité de testeur électricité, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée. Préalablement à votre embauche, vous travailliez au même poste, dans le cadre d'une mission intérim, depuis le 10 avril 2017.

Le 06 juin 2018 à la reprise de la pause déjeuner, Monsieur [H] [U], un des chefs de l'atelier CO2, vous a expliqué le changement de planning de tests électriques.

Vous ne deviez plus tester la centrale 205388 comme vous l'aviez suggéré le matin au chef d'équipe Electricité, Monsieur [Y] [M] [F], mais passer sur 2 autres centrales 206087 en départ.

Vous ne souhaitiez pas modifier votre planning et avez même répondu à Monsieur [U], que vous ne répondiez qu'aux « ordres de [C] ou de [K] ».

Monsieur [U] vous a expliqué que ces ordres venaient de son supérieur et qu'il devait donc, s'y tenir.

Vous avez commence à parler fort dans l'atelier et tenir un discours incohérent. Monsieur [U] vous a suggéré de vous ressaisir.

Vous avez répondu qu'à vos yeux, il n'était qu'une merde et que toute façon vous aviez fait 10 fois plus d'études que lui d'un ton menaçant. Monsieur [F] est intervenu afin de vous calmer.

En dépit de nos demandes réitérées de faire votre travail, vous n'avez accepté de vous conformer à nos instructions que deux heures plus tard, ce qui implique que vous n'avez rien fait pendant ces deux heures.

Ce refus de vous conformer aux instructions de votre hiérarchie n'est en aucune façon le premier.

Vous avez été reçu à maintes reprises par l'ensemble des membres de la Direction des Opérations, en charge du management de l'usine, notamment les 5, 25 et 27 septembre 2017.

Je vous ai aussi reçu pour les mêmes faits, en présence d'un des Délégués du Personnel, Monsieur [D] [B], le jeudi 26 avril 2018.

Comme cela vous a été rappelé de nombreuses fois, vous devez vous conformer aux instructions de votre hiérarchie et ce n'est pas à vous, de choisir les machines sur lesquelles vous devez intervenir. La planification ne fait pas partie de votre périmètre de responsabilités.

De la même façon, votre comportement vis-à-vis de vos responsables et de vos collègues n'est tout simplement, plus admissible.

Nous ne pouvons tolérer et ce, de la part d'aucun de nos collaborateurs, des comportements désobligeants et menaçants.

Dans ces conditions, nous sommes dans l'obligation de prendre une mesure de licenciement à votre encontre ».

1-Sur la lettre de licenciement

Le salarié fait valoir qu'il n'a reçu par courrier recommandé avec avis de réception qu'une lettre comportant deux pages et soutient qu'une page a été intercalée entre la première et la troisième page, puisque la page rajoutée qui est produite par l'employeur ne comporte aucun paragraphe, ni l'en-tête, ni le pied de page de l'entreprise et que la cour ne saurait examiner la page qu'il n'a pas réceptionnée, la lettre de licenciement étant produite à son dossier en original.

La société répond que la lettre de licenciement a été imprimée et envoyée en recto-verso, ce qui explique qu'il n'y a eu ni l'en-tête, ni le paragraphe, car le recto l'avait déjà.

Elle soutient que quand bien même le salarié n'aurait reçu qu'un courrier de deux pages, cette situation n'aurait pas pour effet de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse en application des dispositions de l'article L. 1235-2 du code du travail et que l'insuffisance de motivation constitue une irrégularité de procédure.

Les dispositions de l'article L.1235-2 du code du travail prévoient que « la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs de licenciement, et qu'à défaut pour le salarié d'avoir formé auprès de l'employeur une demande en application de l'alinéa premier, l'irrégularité que constitue une insuffisance de motivation de la lettre de licenciement ne prive pas à elle seule, le licenciement de cause réelle et sérieuse et ouvre droit à une indemnité qui ne peut excéder un mois de salaire».

La cour relève que l'irrégularité alléguée ne prive pas la cour d'examiner les motifs du licenciement pour cause réelle et sérieuse et que seule une indemnité pourrait être allouée au salarié qui n'a pas demandé à la société des précisions sur les motifs du licenciement à la réception du courrier.

En outre, l'absence de la deuxième page du courrier n'est pas démontrée, la lettre de licenciement produite en pièce 2 par l'intimé n'est qu'une copie recto-verso qui ne permet pas de déterminer s'il manquait une page et est contredite par le témoignage de Mme [G] qui atteste ne pas avoir complété la lettre de licenciement, l'avoir imprimé en recto verso et n'avoir paraphé que la première page (pièces 39 et 39-1).

Le salarié doit être débouté de sa demande de ce chef.

2- Sur la nullité du licenciement

Le salarié soutient qu'il a relaté et refusé de subir des agissements de harcèlement moral et que la société ne justifie pas que sa décision de licencier soit étrangère aux agissements de harcèlement moral et que le licenciement est nul.

La société réplique que le salarié ne démontre pas avoir été victime de harcèlement moral et ni d'avoir été licencié pour avoir subi, refusé de subir dénoncer des faits de harcèlement moral.

Il s'avère qu'aucun harcèlement moral n'a été retenu par la cour de sorte qu'aucun lien ne peut être fait entre le licenciement et le harcèlement moral allégué.

Le salarié doit être débouté de sa demande de nullité du licenciement.

3- Sur le bien fondé du licenciement

La société reproche au salarié le refus de se conformer aux ordres de sa hiérarchie, des propos injurieux à l'encontre de M. [U], chef d'équipe et un comportement inadmissible vis-à-vis de ses collègues de travail.

Le salarié estime qu'il n'a pas fait preuve d'insubordination en refusant d'effectuer le travail demandé mais qu'il s'est trouvé confronter à des instructions contradictoires avec celles de son chef d'équipe.

La cause du licenciement doit être objective et reposer sur des faits matériellement vérifiables.

La charge de la preuve de la cause réelle et sérieuse du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties.

S'agissant du premier grief :

L'insubordination est caractérisée au vu des pièces produites par la société, et notamment en l'état du témoignage de M.[U], chef d'équipe , le salarié n'ayant pas à contester les directives de ses supérieurs, même si ces dernières étaient différentes de celles reçues initialement.

Mme [G] vient préciser également : «M. [O] refusait de faire le travail qui lui incombait, à savoir : tester et éventuellement câbler sur les différents ateliers de l'entreprise, nos entretiens avaient donc pour but de lui notifier qu'il devait se conformer avec les directives de sa hiérarchie et qu'il ne lui appartenait pas de choisir des machines attestées et où les ateliers sur lesquels intervenir ».

M. [T] témoigne ainsi : « De plus il a refusé les consignes de ses supérieurs hiérarchiques et préférait rester inactif plutôt que de se former avec du câblage électrique selon les directives de ses chefs. Il disparaissait souvent de l'atelier une demi-heure avant la fin de poste alors que ses responsables lui avaient confié une opération de test bien précise (...) » (pièces appelante 6 et 12).

S'agissant des autres griefs :

Le comportement injurieux à l'égard du responsable hiérarchique et à l'égard des collègues de travail est établi par le témoignage de M. [U], corroboré par celui de M. [Y] qui déclare « j'ai été témoin le 6 juin 2018 d'une altercation entre M. [H] [U] et M. [O] pendant laquelle M. [O] a tenu des propos irrespectueux envers M. [H] [U] (...) J'ai entendu M. [O] insulter et menacer M. [J] [A] dans l'atelier CO2 le 25 septembre 2017 (...) » ainsi que par l'attestation de M. [J] (pièce appelante 21)

Le salarié n'apporte pour sa part aucun élément venant contredire l'ensemble des témoignages.

En conséquence, le licenciement de M. [O] est justifié par une cause réelle et sérieuse et ce dernier doit être débouté de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris doit être infirmé de ce chef.

Sur les frais et dépens

M. [O] qui succombe au principal doit s'acquitter des dépens d ela procédure, être débouté de sa demande faite en application de l'article 700 du code de procédure civile, et à ce titre, condamné à payer à la société la somme de 1 000 €.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute M. [E] [O] de l'ensemble de ses demandes,

Condamne M. [E] [O] à payer à la société Carrier, sous l'enseigne Pro froid Industries, la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [E] [O] aux dépens de 1ère instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-3
Numéro d'arrêt : 20/00344
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 11/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;20.00344 ?
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