COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-1
ARRÊT EN MATIÈRE RÉGLEMENTAIRE
DU 03 JUILLET 2024
N° 2024/ 275
Rôle N° RG 24/01758 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BMR6S
[K] [M]
C/
CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE NICE
LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
MONSIEUR LE BATONNIER DE L'ORDRE DES AVOCATS DE NICE
Notification par LRAR
le :
à :
- Monsieur [K] [M]
- CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE NICE,
- MONSIEUR LE BATONNIER DE L'ORDRE DES AVOCATS DE NICE
- Monsieur LE PROCUREUR GÉNÉRAL
Notification par LS
le :
à :
- Me Romain CHERFILS
- Me Thierry TROIN
- Monsieur le Bâtonnier Emmanuel BRANCALEONI
Copie exécutoire délivrée le :
à :
- CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE NICE
- MONSIEUR LE BÂTONNIER DE L'ORDRE DES AVOCATS DU BARREAU DE NICE
- Monsieur LE PROCUREUR GÉNÉRAL
Décision déférée à la Cour :
Décision en date du 09 Janvier 2024, rendue par le Conseil de l'ordre des avocats au barreau de NICE.
APPELANT
Monsieur [K] [M]
né le [Date naissance 1] 1985 à [Localité 4] (BULGARIE), demeurant [Adresse 3]
comparant en personne, assisté de Me Romain CHERFILS de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Marine CHARPENTIER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMES
CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE NICE, demeurant [Adresse 2]
MONSIEUR LE BATONNIER DE L'ORDRE DES AVOCATS DE NICE, demeurant [Adresse 6]
Tous deux représentés par Monsieur le Bâtonnier Emmanuel BRANCALEONI de L'Ordre des avocats du barreau de NICE, substitué par Me Thierry TROIN, avocat au barreau de NICE
Monsieur LE PROCUREUR GÉNÉRAL
demeurant [Adresse 7]
représenté par M. Thierry VILLARDO, Avocat général
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue en audience publique le 30 Mai 2024 en formation solennelle tenue dans les conditions prévues par l'article R 312-9 du code de l'organisation judiciaire devant la Cour composée de :
Monsieur Olivier BRUE, Président
Madame Anne SEGOND, Présidente de Chambre
Mme Véronique NOCLAIN, Président de Chambre
Madame Catherine OUVREL, Conseillère
Madame Fabienne ALLARD, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Céline LITTERI
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Juillet 2024..
Ministère Public : Monsieur Thierry VILLARDO, avocat général, présent uniquement lors des débats
DEROULEMENT DES DEBATS :
Toutes les parties ont déclarées avoir eu connaissance de toutes les conclusions et pièces déposées devant la Cour et ont indiqué s'en rapporter à celles-ci
Mme ALLARD, conseillère a été entendue en son rapport.
Me CHARPENTIER, conseil de M.[M], a été entendu en sa plaidoirie.
Me TROIN, en qualité de représentant du Conseil de l'ordre du Barreau de Nice , a été entendu en sa plaidoirie
Me TROIN, en qualité de représentant du Bâtonnier du Barreau de Nice, a été entendu en sa plaidoirie.
Le Ministère Public, a été entendu en ses réquisitions.
M. [M], appelant, a eu la parole en dernier.
Monsieur BRUE, président, a indiqué que le dossier était mis en délibéré.
ARRÊT
Contradictoire
Prononcé par mise à disposition au greffe le 03 Juillet 2024.
Signé par Monsieur Olivier BRUE, Président et Madame Céline LITTERI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Exposé des faits et de la procédure
M. [K] [M] est employé de la SARL Ballini & Cie, société monégasque dont l'objet social est de fournir aux sociétés traitant des affaires maritimes, ainsi qu'aux armateurs, toutes missions d'assistance et d'études juridiques et toutes opérations pouvant se rattacher directement à l'objet social ou susceptibles d'en faciliter l'extension ou le développement.
Par requête du 20 novembre 2023, il a saisi le conseil de l'ordre des avocats au Barreau de Nice d'une demande d'admission au tableau sous le bénéfice de la dispense de formation et de certificat d'aptitude prévue au bénéfice des juristes d'entreprises par l'article 98-3° du décret du 27 novembre 1991.
Par délibération du 9 janvier 2024, le conseil de l'ordre a rejeté sa demande au motif qu'il ne démontre pas avoir exercé, pendant huit années au moins, une activité juridique répondant aux conditions exigées par l'article 98-3° du décret du 27 novembre 1991, en ce que, d'une part ses fiches de paie font état d'un activité d'assistant juridique, d'autre part il exerce au sein d'une entreprise monégasque, soit en dehors du territoire français.
Par acte remis à la cour contre récépissé le 13 février 2024, M. [M] a relevé appel de cette décision.
Lors de l'audience du 30 mai 2024, à laquelle les parties ont été régulièrement convoquées, M. [M] a comparu, assisté de Me Charpentier, substituant Me Cherfils, avocat au barreau d'Aix en Provence.
Le bâtonnier de l'ordre des avocats de Nice et le conseil de l'ordre des avocats étaient représentés par Me Troin, avocat au barreau de Nice, substituant Me Brancaléoni, avocat au barreau de Nice.
L'appelant a demandé que les débats soient tenus en audience publique.
Les parties et le Ministère public, qui ont été entendus en leurs explications, ont déclaré avoir eu communication, dans des conditions leur permettant d'y répondre utilement, des conclusions et pièces des autres parties et se référer expressément à leurs écritures, ainsi qu'aux pièces produites et régulièrement communiquées.
L'appelant a eu la parole en dernier.
A l'issue des débats, la décision a été mise en délibéré au 3 juillet 2024, date à laquelle le présent arrêt a été rendu.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par conclusions de son conseil du 14 mai 2024, reprises oralement à l'audience, M. [M] demande à la cour, sur le fondement de l'article 98-3° du décret du 27 novembre 1991, de :
' annuler et/ou réformer la décision en ce qu'elle a rejeté sa demande ;
' déclarer bien fondée sa demande d'admission au barreau en application de l'article 98-3° du décret du 27 novembre 1991 ;
' ordonner son admission en l'autorisant à prêter serment, sous réserve de réussite à l'examen de contrôle des connaissances en déontologie et réglementaire près d'un centre régional de formation professionnelle d'avocat, conformément à l'article 98-1 du décret ;
' dire qu'il a subi un préjudice moral et en conséquence condamner le conseil de l'ordre des avocats du Barreau de Nice à lui payer la somme de 1 € à ce titre, ainsi que la somme de 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Il fait valoir que :
- en première instance n'ont été respectées, ni les dispositions de l'article 16 du code de procédure civile, ni celles de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, ni celles de l'article 103 du décret du 27 novembre 1991, en ce que, lors de l'audience devant le conseil de l'ordre, le rapporteur a lu son rapport in extenso alors qu'il a lui-même été coupé à plusieurs reprises dans ses explications et sommé de conclure, de sorte qu'il n'a pas été dûment 'entendu', ainsi que le démontre la retranscription, sommaire et dénaturée, de ses explications ;
- la délibération du conseil de l'ordre ne répond pas aux moyens qu'il a articulés au soutien de sa demande, alors que l'obligation faite au juge de motiver sa décision, constitue, pour le justiciable, une garantie fondamentale, prévue par l'article 455 du code de procédure civile qui impose une motivation et une réponse aux moyens soulevés par les parties ;
- l'article 98-3° du décret du 27 novembre 1991 permet aux juristes d'entreprise, disposant d'une connaissance suffisante du droit national, qui doit être appréciée in concreto, d'être dispensés de formation théorique et pratique ; en l'espèce, le rapporteur a estimé que le concernant cette connaissance était indiscutable, mais le conseil de l'ordre, sans analyser l'ensemble des pièces soumises à son appréciation, s'est dispensé de toute analyse sur ce point.
Sur le fond, il soutient que, pour bénéficier de la dispense prévue par l'article 98-3° du décret, il doit, tout au plus, démontrer qu'il a exercé, pendant au moins huit ans, des fonctions de juriste d'entreprise, et qu'en l'espèce :
* son employeur a reconnu dans une attestation que l'intitulé de son poste dans sa fiche de paie était erroné et les travaux juridiques qu'il justifie avoir réalisés dans le cadre de ses fonctions démontrent qu'il n'était pas un simple assistant juridique ;
* l'objet social de la SARL Ballini & cie implique, certes, des services juridiques aux clients, mais n'exclut pas qu'il effectue, comme tout juriste d'entreprise, des tâches juridiques pour le compte de la société elle-même, de sorte que ce n'est pas parce qu'une société a pour objet social de fournir des services juridiques qu'elle ne peut pas employer de juriste d'entreprise ;
* le poste de juriste d'entreprise visé par l'article 98-3° du décret n'implique pas nécessairement des pouvoirs d'encadrement et de direction au sein d'un service juridique, pour lequel aucun effectif n'est prévu par la réglementation et on ne peut exiger de l'impétrant qu'il connaisse tous les secteurs du droit au-delà de sa spécialité ;
*il dispose d'un bureau séparé, de moyens de communication, du matériel informatique mis à sa disposition, se rend régulièrement en formation et organise lui même son emploi du temps et il importe peu qu'il soit l'unique juriste de l'entreprise, dès lors que sa mission implique bien des services juridiques au profit de l'entreprise qui l'emploie et non exclusivement de ses clients ;
* aucune condition de territorialité n'est exigée, dès lors que le juriste exerce une activité en droit français, ce qui est son cas, bien qu'il exerce à [Localité 5], étant observé que le droit monégasque est très proche du droit français.
Il fait observer que, le priver à la faveur de considérations générales, de la possibilité d'accéder à la profession d'avocat, constituerait non seulement une discrimination, mais également une entrave de l'accès à l'emploi et une restriction de la liberté de mouvement des travailleurs et à la liberté d'établissement.
Par conclusions du 22 avril 2024, reprises oralement à l'audience, le ministère public conclut à la confirmation de la délibération du conseil de l'ordre.
Il fait valoir que :
- le juriste d'entreprise est celui qui exerce des fonctions dans un département, chargé au sein de l'entreprise, considérée comme la réunion de moyens matériels et humains coordonnés et organisés en vue de réaliser un objectif économique déterminé, de connaitre les questions juridiques et fiscales se posant à celle-ci, d'y assurer une fonction de responsabilité dans l'organisation et le fonctionnement de la vie publique de l'entreprise, qui ne peut être confondu avec le simple exercice professionnel du droit assimilable à une activité d'administration pure et simple couramment pratiquée dans l'entreprise ;
- l'activité de juriste doit avoir été exercée en toute autonomie ;
- M. [M] est employé en qualité d'assistant juridique ;
- le candidat doit justifier d'une maîtrise suffisante du droit français, l'accès dérogatoire étant réservé aux personnes qui ont exercé une activité de juriste sur le territoire français, ce qui n'est pas le cas de M. [M] qui exercé à [Localité 5] ;
- le rejet de la demande ne consacrerait aucune discrimination, dès lors que les candidats qui ne remplissent pas cette condition ne sont pas privés de tout accès à la profession d'avocat.
Il rappelle que, si la notion de juriste d'entreprise doit être appréciée concrètement, au vu des missions exercées par le candidat, une interprétation stricte doit prévaloir, dès lors qu'elle offre une opportunité d'accès à la profession qui est dérogatoire.
Dans ses conclusions, déposées au greffe de la cour le 23 mai 2024 et reprises oralement à l'audience, l'ordre des avocats du barreau de Nice, représenté par son bâtonnier en exercice, demande à la cour de rejeter le recours, de débouter M. [M] de ses demandes et de le condamner à lui payer une indemnité de 1 200 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Il fait valoir, en substance, que :
- la délibération n'encourt aucune nullité en ce que :
' lors de la séance du conseil de l'ordre à l'issue de laquelle la délibération a été prise, M. [M] a pu, après que le rapporteur ait exposé les éléments du dossier, répondre à celui-ci, exposer ses demandes et les motifs de celle-ci et il a remis au conseil de l'ordre une note complémentaire du 9 janvier 2024, de sorte qu'il a bien été entendu ;
' la délibération est motivée ;
- alors que l'article 98-3° est d'interprétation stricte, M. [M] ne justifie pas avoir exercé une activité sur le territoire français et ne démontre pas que l'activité qu'il exerce au sein de la SARL Ballini & Cie, qui l'emploie en qualité d'assistant juridique, correspond à une activité de juriste d'entreprise, puisque la société n'emploie que trois personnes et ne comporte pas de service juridique au sein duquel il aurait été, exclusivement et en toute autonomie, chargé des problèmes juridiques posés par son activité.
Le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Nice se réfère, en les reprenant, aux conclusions de l'ordre des avocats de Nice.
Motifs de la décision
La cour renvoie aux écritures précitées pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties.
La recevabilité du recours de M. [M], exercé dans le mois suivant la notification de la décision et dans les formes légales, n'est pas contestée.
****
Sur la demande d'annulation de la décision du conseil de l'ordre
La régularité de la décision de justice est soumise à des exigences substantielles et formelles destinées à assurer un bon fonctionnement de la justice et à permettre la sauvegarde des intérêts des parties et de leur droit à un juge impartial et équitable.
En l'espèce, M. [M] soutient que la procédure devant le conseil de l'ordre, juridiction de première instance en matière réglementaire, a violé les dispositions de l'article 16 du code de procédure civile, de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, et de l'article 103 du décret du 27 novembre 1991, en ce qu'il n'a pas été dûment entendu, que la décision ne répond pas aux moyens qu'il a soulevés, et n'est pas motivée par les éléments de l'espèce.
Selon l'article 16 du code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.
Enfin, l'article 103 du décret du 27 novembre 1991 interdit au conseil de l'ordre de refuser l'inscription ou la réinscription sans que la personne intéressée par la décision ait été entendu ou appelé dans un délai d'au moins huit jours par tout moyen conférant date certaine à sa réception.
En l'espèce, M. [M] ne conteste pas avoir a été régulièrement convoqué devant le conseil de l'ordre des avocats au moins huit jours avant la date de l'audience où il a été entendu.
Ses griefs sont relatifs aux conditions dans lesquelles il a été entendu.
La décision rendue par le conseil de l'ordre mentionne qu'après audition du rapporteur, M. [M] a lui même pu présenter ses demandes et les moyens articulés au soutien de celles-ci.
Ce seul constat suffit pour considérer qu'ayant été régulièrement convoqué puis entendu en ses observations avant que la juridiction de première instance rende sa décision, aucun manquement au principe de la contradiction n'est objectivé.
Quant au droit d'accès à un tribunal indépendant et impartial, le moyen n'est pas étayé. Le conseil de l'ordre, statuant en matière réglementaire, comme tel chargé de statuer sur les demandes d'inscription au tableau, constitue une juridiction indépendante et impartiale, sauf à en apporter la preuve contraire, ce qui n'est pas le cas de M. [M] ; elle statue dans le respect des principes directeurs du procès et des droits fondamentaux.
En l'espèce, M. [M], après avoir été régulièrement convoqué dans le délai fixé par l'article 103 du décret du 27 novembre 1991, a été entendu en ses explications, a remis ses pièces et une note écrite étayant ses explications orales. Il ne peut donc utilement soutenir, quand bien même il aurait eu le sentiment de s'exprimer moins longuement que le rapporteur, ne par avoir été entendu.
S'agissant de l'exigence de motivation, posée par l'article 455 du code de procédure civile, la lecture de la décision soumise à la cour révèle qu'elle est bien motivée, dès nlors que le conseil de l'ordre indique qu'après appréciation des éléments de preuve présentés par M. [M], celui-ci ne justifie pas des conditions requises par l'article 98-3 du décret du 27 novembre 2001.
Quant à la qualité de la motivation articulée au soutien de la décision au fond, elle est indifférente pour apprécier la régularité de la décision.
Au regard de l'ensemble de ses considérations, sans qu'il soit nécessaire d'entrer dans le détail de l'argumentation de l'appelant sur ce point, il n'y a pas lieu à annulation de la décision rendue par le conseil de l'ordre.
L'effet dévolutif de l'appel investit la cour de l'entier litige, de sorte que, l'appel remettant en question la chose jugée, la cour doit statuer à nouveau en fait et en droit sur les moyens articulés par l'appelant au soutien de sa demande.
Sur la demande d'admission au tableau
En application de l'article 98-3° du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat, modifié par le décret n° 2013-319 du 15 avril 2013, sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat les juristes d'entreprise justifiant de huit ans au moins de pratique professionnelle au sein du service juridique d'une ou plusieurs entreprises.
Conformément à l'article 9 du code de procédure civile, selon lequel il appartient à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa demande, il incombe à M. [M] de démontrer qu'il remplit toutes les conditions nécessaires pour bénéficier de la dérogation dont il se prévaut.
La pratique professionnelle exigée par l'article 98 3° du décret précité doit être juridique par son objet et ne peut être confondue avec l'exécution de tâches à caractère purement administratif.
Elle exige une aptitude tenant à une expérience pratique réelle et effective pendant la durée requise.
En ce sens, elle doit avoir été exercée au sein du service juridique d'une ou plusieurs entreprises, ce qui implique de démontrer l'existence, au sein de la ou des dites entreprises, d'un service spécialisé chargé exclusivement des problèmes juridiques de celle-ci, par opposition aux problèmes juridiques de sa clientèle.
Les attributions auxquelles il est fait référence doivent avoir été exercées de manière autonome et organisée, et avoir placé celui-ci qui s'en prévaut, à titre exclusif, au coeur de la vie juridique de l'entreprise, même s'il n'est pas exige de diversification de son activité dans plusieurs branches du droit.
Le juriste d'entreprise est donc celui qui exerce ses fonctions dans un département, chargé, au sein d'une entreprise publique ou privée, considérée comme étant la réunion de moyens matériels et humains coordonnés et organisés en vue de réaliser un objectif économique déterminé, de connaitre les questions juridiques ou fiscales se posant à celle-ci, d'y assurer une fonction de responsabilité dans l'organisation et le fonctionnement de la vie publique de l'entreprise, qui ne peut être confondu avec le simple exercice professionnel du droit, assimilable à une activité d'administration pure et simple couramment pratiquée dans l'entreprise.
L'article 98-3° du décret du 27 novembre 1991 aménage une voie d'accès dérogatoire à la profession d'avocat. Or, les dérogations ne doivent avoir pour effet, ni de concurrencer la voie d'accès principale à la profession, ni de s'y substituer. En conséquence, la dispense, en ce qu'elle consacre une dérogation aux principes régissant l'accès à la profession d'avocat, doit être interprétée strictement.
Il en résulte que l'activité doit avoir été exclusive et exercée au sein d'un service spécialisé, de sorte qu'un employé, même bénéficiant du pouvoir de décision quant à la vie juridique de l'entreprise qui l'emploie, dont les tâches consistent à envisager les conséquences juridiques des opérations dans lesquelles la société est engagée, ne répond pas à la définition du juriste d'entreprise au sens de l'article 98 3° du décret, s'il ne démontre pas qu'il exerce au sein d'un service spécialisé de la société.
Ceci exposé, M. [M] est salarié depuis plus de huit ans la SARL Ballini & Cie, société monégasque dont l'objet social est de fournir aux sociétés traitant des affaires maritimes, ainsi qu'aux armateurs, toutes missions d'assistance et d'études juridiques et toutes opérations pouvant se rattacher directement à l'objet social ou susceptibles d'en faciliter l'extension ou le développement.
Il n'est pas contesté qu'il satisfait aux conditions de diplôme pour accéder à la profession d'avocat.
L'article 98 3° du décret implique une expérience professionnelle en droit français, puisqu'il doit démontrer que son expérience lui a permis d'acquérir des connaissances suffisantes en droit français pour exercer la profession d'avocat en France.
En l'espèce, bien qu'employé d'une société étrangère, en l'occurrence de droit monégasque, les matières dans lesquelles M. [M] exerce le conduisent à appliquer le droit français, le droit européen et le droit monégasque, qui est très proche du droit français, ainsi qu'en témoigne le détachement de magistrats français dans la principauté.
Par conséquent, l'extranéité de son employeur n'est pas suffisante, à elle seule, pour considérer qu'il ne justifie pas d'une expérience réelle et suffisante en droit français.
En revanche, il lui appartient de démontrer que les tâches qui lui sont confiées répondent à la définition du juriste d'entreprise au sens de l'article 98-3 du décret, c'est à dire qu'il exerce une activité juridique, ne relevant pas de tâches à caractère purement administratif, au sein du service juridique de l'entreprise chargé de traiter les problèmes juridiques de la société elle-même.
En l'espèce, la société qui l'emploie a pour objet de régler les problèmes juridiques de sa clientèle. Cette seule circonstance est insuffisante pour considérer qu'il ne remplit pas les conditions du décret, puisqu'il n'est pas exclu que le service juridique d'une société, dont l'objet social est de donner des conseils juridiques, ait elle-même à affronter et régler des problèmes juridiques.
Cependant, en l'espèce, la société n'est composée que de trois salariés dont M. [M]. Si le décret n'impose pas un effectif minimum du service juridique dans lequel exerce le juriste d'entreprise postulant, lequel peut à lui seul constituer ce service, encore faut il qu'il démontre l'existence d'un tel service, identifiable, au sein de l'entreprise.
Or, en l'espèce, M. [M] ne démontre par aucune pièce que la SARL Ballini & cie comporte un service juridique identifié et autonome par rapport aux autres services.
Il produit aux débats de nombreuses pièces afférentes aux obligations légales en matière de lutte contre le blanchiment.
Si ces pièces démontrent une expertise en cette matière, elles sont afférentes à des problèmes juridiques rencontrées par les clients de l'entreprise.
Les nombreuses notes juridiques produites, outre qu'elles ne comportent aucune empreinte personnelle, sont indifférentes, en ce que la capacité à articuler une réflexion à partir de connaissances théoriques n'est pas, à elle seule, suffisante pour donner à leur auteur la qualité de juriste au sens de l'article 98 3° du décret.
S'agissant des autres pièces produites, M. [M] justifie avoir rédigé le contrat conclu par son employeur avec une société de nettoyage, des courriers électroniques afférents à un changement de forme juridique de la société, un projet de statuts, un projet de cession de parts sociale, des procès verbaux d'assemblée générale, des formulaires d'inscription au registre du commerce et des sociétés, un courrier relatif à une demande d'agrément de cession de parts sociales, des courriers électroniques afférents aux contrats d'assurances souscrits par la société Ballini, et des courriers électroniques d'échange avec la présidente de la société sur le droit douanier français.
Or, de telles pièces, quant bien même elles impliquent des conséquences juridiques, sont afférentes à l'administration de la société. Elles sont, à elles seules, insuffisantes pour considérer que M. [M] est exclusivement chargé au sein d'un service juridique de l'entreprise des problèmes juridiques qui se posent à elle
Les autres pièces juridiques produites sont relatives aux problèmes de droit rencontrés par les clients de l'entreprise.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que M. [M], s'il justifie des conditions de diplôme imposées par le décret et de l'exercice d'une activité juridique au sein de la SARL Ballini & Cie, ne démontre pas que celle-ci, qui emploie tout au plus trois personnes, comporte un service juridique autonome connaissant des questions juridiques ou fiscales qui se posent à elle et au sein duquel il exercerait une fonction de responsabilité.
Son activité, même si elle comporte un exercice professionnel du droit, ne peut donc être assimilée à celle d'un juriste d'entreprise.
Par conséquent, sans qu'il soit utile d'entrer plus avant dans le détail de son argumentation, M. [M], qui ne remplit pas les conditions, dérogatoires, exigées par l'article 98 3° du décret du 27 novembre 1992, n'est pas fondé à revendiquer le bénéfice de la dispense de formation et de certificat d'aptitude prévue au profit des juristes d'entreprises.
Les différences de traitement prévues par le législateur ne constituent pas nécessairement des discriminations prohibées par la Convention européenne des droits de l'homme. Il en va ainsi dès lors qu'elles reposent sur des critères objectifs et pertinents, en lien avec l'objectif poursuivi.
En l'espèce, le refus du bénéfice de la dérogation ne consacre aucune discrimination, dès lors que les règles d'accès à la profession d'avocat reposent sur l'obtention d'un certificat d'aptitude, censé garantir des compétences et l'aptitude de l'impétrant, et que la voie dérogatoire doit être interprétée strictement.
Elles ne consacrent pas davantage une atteinte à la liberté d'entreprendre, dès lors que M. [M] n'est pas privé de tout accès à la profession, qu'il peut rejoindre en empruntant la voie principale d'accès.
C'est donc à juste titre que le conseil de l'ordre a rejeté sa demande.
La demande de dommages-intérêts sera rejetée. Fondée sur une prétendue résistance abusive du conseil de l'ordre, elle suppose de démontrer que celui-ci a abusé de son droit de défendre à l'action en en faisant, à dessein de nuire à M. [M], un usage préjudiciable.
Or, en l'espèce, il n'est pas fait droit aux prétentions de M. [M], de sorte que le conseil de l'ordre n'a commis aucun abus.
L'intéressé n'articulant aucun autre moyen au soutien de sa demande de dommages-intérêts, sera donc débouté de sa demande à ce titre.
Sur les dépens et frais irrépétibles
M. [M], qui succombe, sera condamné aux entiers dépens d'appel.
L'équité commande de dire n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties.
Par ces motifs
La cour, statuant en audience publique, contradictoirement et en formation solennelle,
Dit n'y avoir lieu à annulation de la décision rendue le 9 janvier 2024 par le conseil de l'ordre des avocats du barreau de Nice ;
Confirme en toutes ses dispositions la décision rendue le 9 janvier 2024 par le conseil de l'ordre des avocats du barreau de Nice ;
Y ajoutant,
Déboute M. [K] [M] de sa demande de dommages-intérêts ;
Dit n'y avoir lieu à condamnation en application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties ;
Condamne M. [K] [M] aux entiers dépens d'appel
LE GREFFIER LE PRESIDENT