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03/07/2024 | FRANCE | N°24/00106

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-1, 03 juillet 2024, 24/00106


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-1



ARRÊT EN MATIÈRE RÉGLEMENTAIRE

DU 03 JUILLET 2024



N° 2024/ 274





Rôle N° RG 24/00106 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BMLTF



[P] [P] [W]



C/

CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE NICE

BATONNIER DE L'ORDRE DES AVOCATS DU BARREAU DE NICE

PROCUREUR GENERAL



Notification par LRAR

le :



à :



-Monsieur [P] [P] [W]

- CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE NICE

- Monsieur

BATONNIER DE L'ORDRE DES AVOCATS DU BARREAU DE NICE

- Le PROCUREUR GENERAL



Notification par LS :

le :



à

- Me Yassine MAHARSI

- Me Thierry TROIN



Copie exécutoire délivrée le :

à :

- CONSEIL...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-1

ARRÊT EN MATIÈRE RÉGLEMENTAIRE

DU 03 JUILLET 2024

N° 2024/ 274

Rôle N° RG 24/00106 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BMLTF

[P] [P] [W]

C/

CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE NICE

BATONNIER DE L'ORDRE DES AVOCATS DU BARREAU DE NICE

PROCUREUR GENERAL

Notification par LRAR

le :

à :

-Monsieur [P] [P] [W]

- CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE NICE

- Monsieur BATONNIER DE L'ORDRE DES AVOCATS DU BARREAU DE NICE

- Le PROCUREUR GENERAL

Notification par LS :

le :

à

- Me Yassine MAHARSI

- Me Thierry TROIN

Copie exécutoire délivrée le :

à :

- CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE NICE

- Monsieur BATONNIER DE L'ORDRE DES AVOCATS DU BARREAU DE NICE

- PROCUREUR GENERAL

Décision déférée à la Cour :

Décision en date du 05 Décembre 2023, rendue par le Conseil de l'ordre des avocats au barreau de NICE.

APPELANT

Monsieur [P] [P] [W]

demeurant [Adresse 2]

Comparant en personne, assisté de Me Yassine MAHARSI, avocat au barreau de PARIS

INTIMES

CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE NICE

demeurant [Adresse 1]

Monsieur BATONNIER DE L'ORDRE DES AVOCATS DU BARREAU DE NICE, demeurant [Adresse 5]

Tous deux représentés par Monsieur le Bâtonnier Emmanuel BRANCALEONI de L'Ordre des avocats du barreau de NICE, substitué par Me Thierry TROIN, avocat au barreau de NICE

PROCUREUR GENERAL,

demeurant Cour d'Appel - [Adresse 7]

représenté par M. Thierry VILLARDO, Avocat général

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue en audience publique le 30 Mai 2024 en formation solennelle tenue dans les conditions prévues par l'article R 312-9 du code de l'organisation judiciaire devant la Cour composée de :

Monsieur Olivier BRUE, Président

Madame Anne SEGOND, Présidente de Chambre

Mme Véronique NOCLAIN, Président

Madame Catherine OUVREL, Conseillère

Madame Fabienne ALLARD, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Céline LITTERI

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Juillet 2024.

Ministère Public : Monsieur Thierry VILLARDO, avocat général, présent uniquement lors des débats

DEROULEMENT DES DEBATS :

Toutes les parties ont eu connaissances de toutes les pièces et conclusions déposées devant la Cour et ont indiqué s'en rapporter à leurs écritures

Mme OUVREL, conseillère a été entendue en son rapport.

Me MAHARSY, conseil de M.[W], a été entendu en sa plaidoirie.

Me TROIN, en qualité de représentant de Conseil de l'ordre du Barreau de Nice, a été entendu en sa plaidoirie.

Me TROIN, en qualité de représentant de Monsieur le Bâtonnier du Barreau de Nice, a été entendu en sa plaidoirie.

Le Ministère Public, a été entendu ses réquisitions.

M.[W] a eu la parole en dernier

Monsieur BRUE, Président, a déclaré que le dossier était mis en délibéré.

ARRÊT

Contradictoire

Prononcé par mise à disposition au greffe le 03 Juillet 2024.

Signé par Monsieur Olivier BRUE, Président et Madame Céline LITTERI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

****

EXPOSE DU LITIGE

M. [P] [W], ancien commissaire général de police, a sollicité du conseil de l'ordre des avocats au Barreau de Nice, qu'il a saisi par requête du 10 octobre 2023, son admission à la prestation de serment sur le fondement de l'article 98-4° du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991, soit son admission au tableau sous le bénéfice de la dispense de formation et de certificat d'aptitude prévue au bénéfice des fonctionnaires de catégorie A ayant exercé en cette qualité des activités juridiques pendant huit ans au moins.

Par délibération en date du 5 décembre 2023, notifiée à l'intéressé le 11 décembre 2023, le conseil de l'ordre des avocats de Nice a rejeté la demande d'inscription de M. [P] [W] présentée sur le fondement de l'article 98-4° du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991.

Pour motiver ce rejet, le conseil de l'ordre retient que M. [P] [W], qui présente une nouvelle demande à ce titre après un premier refus du conseil de l'ordre le 7 juin 2022, ne remplit pas les conditions de la dispense de l'article 98-4°du décret du 27 novembre 1991, ne remplissant pas les conditions requises pour accéder à la profession d'avocat, notamment au titre des aliénas 4 et 5 de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971. Le conseil se réfère à la sanction disciplinaire de mise à la retraite d'office prononcée en juin 2021 à l'encontre de M. [P] [W], précédemment commissaire général de police à [Localité 4], après réunion d'un conseil de discipline le 7 octobre 2020, caractérisant un manquement à son devoir de probité, cette sanction de 4ème catégorie s'apparentant à un manquement au sens de l'alinéa 5 de l'article 11 de la loi de 1971. Le conseil se fonde également sur la condamnation définitive prononcée par le tribunal correctionnel d'Epinal le 5 septembre 2023 contre M. [P] [W] à une peine de 3 000 € d'amende avec sursis pour des faits de déclaration fausse ou incomplète en vue d'obtenir un avantage indû et pour détournement ou destruction de biens publics par le dépositaire, ces éléments établissant l'existence d'un casier judiciaire, contraire à l'article 11 alinéa 4 de la loi de 1971. Le conseil a estimé que M. [P] [W] avait ainsi manqué à l'honneur et à la probité alors qu'il était déjà soumis à un devoir d'exemplarité.

Par lettre recommandée dont il été accusé réception le 2 janvier 2024, M. [P] [W] a déféré à la cour cette délibération, sans motiver ce recours.

Lors de l'audience du 30 mai 2024, à laquelle les parties ont été régulièrement convoquées, M. [P] [W] a comparu, assisté de Me Maharsy, avocat au barreau de Paris.

Le bâtonnier de l'ordre des avocats de Nice et le conseil de l'ordre des avocats étaient représentés par Me Troin, avocat au barreau de Nice, substituant Me Brancaléoni, avocat au barreau de Nice.

L'appelant a demandé que les débats soient tenus en audience publique.

Les parties et le ministère public, qui ont été entendus en leurs explications, ont déclaré avoir eu communication, dans des conditions leur permettant d'y répondre utilement, des conclusions et pièces des autres parties et se référer expressément à leurs écritures, ainsi qu'aux pièces produites et régulièrement communiquées.

L'appelant a eu la parole en dernier.

A l'issue des débats, la décision a été mise en délibéré au 3 juillet 2024, date à laquelle le présent arrêt a été rendu.

PRETENTIONS DES PARTIES

Par conclusions transmises le 27 mai 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, et reprises expressément à l'audience de plaidoiries du 30 mai 2024, M. [P] [W] a sollicité l'infirmation de la décision du conseil de l'ordre des avocats du barreau de Nice du 5 décembre 2023, le constat de ce qu'il répond aux critères d'inscription à l'ordre du barreau de Nice et son inscription à l'ordre du barreau de Nice.

M. [P] [W] fait valoir qu'il est devenu commissaire de police après des études de droit, à compter du 27 juin 1991, et qu'il a poursuivi une carrière exemplaire dans la police nationale jusqu'au 3 juin 2021, ayant reçu de nombreuses distinctions. Il estime qu'en conséquence il répond aux critères d'exemplarité, de probité et d'honneur. L'appelant explique avoir été mis à la retraite d'office le 3 juin 2021 après une campagne de dénigrement très agressive, cette sanction n'étant fondée que sur une enquête partielle, partiale et spécieuse de l'IGPN et sur une enquête préliminaire durant plus de trois ans, qui ont donné lieu à des poursuites et à une condamnation du tribunal correctionnel d'Epinal du 5 septembre 2023 particulièrement relative et mesurée, à savoir 3 000 € d'amende avec sursis. M. [P] [W] indique que le Conseil d'Etat a rejeté son recours en excès de pouvoir contre sa mise à la retraite d'office le 31 mai 2022 et qu'un recours est actuellement pendant, sur le même fondement, contre la décision du directeur général de la police nationale qui a refusé sa demande de réintégration. Il ajoute que le conseil de l'ordre du barreau de Nice a refusé une première fois le 7 juin 2022 sa demande d'inscription à l'ordre eu égard à sa mise à la retraite d'office.

Pour justifier sa nouvelle demande d'inscription à l'ordre du barreau de Nice, M. [P] [W] avance plusieurs éléments nouveaux. Il soutient que la condamnation pénale prononcée contre lui est purement symbolique et n'a fait l'objet d'aucun appel, ni de sa part, ni de celle du ministère public. Il ajoute que l'un des témoignages devant le tribunal correctionnel s'est avéré avoir été obtenu à la suite d'intimidations et menaces exercées sur le témoin, ce qui explique les plaintes pénales qu'il a depuis déposées. Il dénonce ainsi une chasse aux sorcières contre lui, non prise en compte par le conseil de l'ordre dans la prise sa décision.

Par ailleurs, M. [P] [W] reproche au conseil de l'ordre de n'avoir pas pris en compte ses gages sérieux de réinsertion, ne retenant qu'une absence de probité et l'existence d'une sanction disciplinaire. Il estime que les critères d'appréciation des refus de l'article 11 4° de la loi de 1971 doivent se fonder sur l'appréciation de la qualification des faits objets de la condamnation pénale comme étant contraire à la probité et à l'honneur, et, sur l'appréciation de la preuve de l'amendement de l'intéressé. Or, il estime que sa mise à la retraite d'office n'est pas une sanction portant atteinte à l'honneur et à la probité d'un avocat, alors que de nombreuses attestations sont très élogieuses à son endroit. Il met en avant le poste obtenu au sein de la mairie de [Localité 4] en 2023 pour justifier de ses gages de réinsertion et de son implication dans la sécurité de ses concitoyens, son inscription à la faculté et ses démarches auprès de l'administration fiscale pour régulariser sa situation au titre des avantages en nature indûment perçus.

*

Par conclusions communiquées aux autres parties par RPVA le 2 mai 2024, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, le ministère public en la personne du procureur général, a sollicité la réformation de la décision entreprise.

Le ministère public a fait valoir, au visa des articles 98-4° du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, et 11 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971, que si une personne qui a bénéficié d'une dispense de CAPA doit répondre à des conditions d'honorabilité pour être inscrite au tableau d'un conseil de l'ordre, le bénéfice de cette dispense ne dépend pas de ces mêmes conditions. Il en déduit que, si M. [P] [W] ne remplit pas les conditions d'honorabilité pour être inscrit à un barreau, il répond aux conditions pour être dispensé du CAPA, ayant exercé des fonctions de cadre A dans une administration pendant au moins 8 ans. Il conclut à l'infirmation de la décision entreprise estimant que le conseil de l'ordre n'est saisi que d'une demande de dispense prévue à l'article 98 du décret. Il précise, néanmoins, que M. [P] [W] ne pourra en tout état de cause être inscrit au tableau d'un conseil de l'ordre, faute de remplir les conditions d'honorabilité exigées par l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971.

*

Par conclusions transmises par mail le 24 mai 2024, et reprises oralement à l'audience, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, le conseil de l'ordre des avocats du barreau de Nice a demandé à la cour de :

- rejeter le recours formé par M. [P] [W] à l'encontre de sa délibération du 5 décembre 2023,

- rejeter la demande d'inscription dérogatoire de M. [P] [W] constituée par une demande de dispense de l'examen d'accès à la profession d'avocat,

- dire que les dépens seront à la charge de M. [P] [W].

Le conseil développe trois moyens en vue du rejet de la demande de M. [P] [W] au visa des articles 98-4° du décret du 27 novembre 1991 et de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971.

Tout d'abord, il invoque un défaut de condition d'honorabilité à raison de la sanction disciplinaire et de la condamnation pénale prononcées contre M. [P] [W], estimant que la dispense de CAPA et la possibilité de passer l'examen de contrôle des connaissances déontologiques est, en soi, une condition d'accès à la profession d'avocat.

Le conseil retient, ensuite, que l'appréciation de l'honorabilité de l'impétrant peut avoir lieu dès la demande de dispense, quand bien même deux décisions sont formellement requises, la demande de dispense, puis la demande d'inscription, qui elle-même suppose la réussite de l'examen déontologique par l'impétrant. Il estime en effet que la dispense de CAPA est une condition d'accès à la profession parmi les autres, que sont l'honorabilité et la probité, de sorte que les deux textes doivent être appréciés ensemble.

Enfin, le conseil relève que M. [P] [W] a formé une demande d'inscription au Barreau en demandant d'être admis à la prestation de serment, à tout le moins via sa demande dérogatoire au titre des conditions particulières d'accès à la profession d'avocat. Le conseil ajoute que la cohérence du parcours de la demande implique d'apprécier d'emblée la question de l'honorabilité.

Le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Nice se réfère, en les reprenant, aux conclusions de l'ordre des avocats de Nice.

MOTIFS

La cour renvoie aux écritures précitées pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties.

La recevabilité du recours de M. [P] [W], exercé dans le mois suivant la notification de la décision et dans les formes légales, n'est pas contestée.

Sur la demande d'inscription sous le bénéfice de la dispense de formation

L'article 98-4° du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, et définissant plus précisément les conditions d'inscription particulières en fonction des activités précédemment exercées, dispose que sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat les fonctionnaires et anciens fonctionnaires de catégorie A, ou les personnes assimilées aux fonctionnaires de cette catégorie, ayant exercé en cette qualité des activités juridiques pendant huit ans au moins, dans une administration ou un service public ou une organisation internationale.

Selon l'article 11 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971, nul ne peut accéder à la profession d'avocat s'il ne remplit les conditions suivantes (...):

4° N'avoir pas été l'auteur de faits ayant donne lieu à condamnation pénale pour agissements contraires à 1'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs ;

5° N'avoir pas été l'auteur de faits de même nature ayant donné lieu à une sanction disciplinaire ou administrative de destitution, radiation, révocation, de retrait d'agrément ou d'autorisation.

Il appert que l'article 98 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 se situe au titre II dudit décret et est donc relatif aux conditions particulières d'inscription au tableau, cette inscription étant en soi une condition d'accès à la profession d'avocat. Certes, la procédure d'inscription au tableau de l'ordre des avocats suppose, tout d'abord, une décision du conseil de l'ordre relativement à la dispense ou non de l'obtention du certificat d'aptitude à la profession d'avocat, puis, en cas de dispense octroyée, et une fois l'examen de déontologie réussi par l'impétrant, une décision du conseil de l'ordre sur l'inscription au barreau à proprement parler. Concrètement, le candidat sollicite concomitamment l'autorisation de prêter serment devant la cour d'appel et son inscription au tableau.

L'accès à la profession d'avocat requiert une condition de formation professionnelle, ainsi qu'une inscription au tableau qui implique une condition de moralité, et notamment de probité, qui est l'un des cinq principes essentiels du serment de la profession d'avocat.

En l'occurrence, il résulte du libellé de la requête présentée par M. [P] [W] le 10 octobre 2023 au conseil de l'ordre des avocats du barreau de Nice, des termes de la délibération de ce conseil du 5 décembre 2023, mais également encore des conclusions prises aux intérêts de l'appelant devant la cour d'appel que ce dernier sollicite non seulement à être dispensé de la formation et de l'examen du certificat d'aptitude à la profession d'avocat en application de l'article 98 4° sus-visé, mais, demande expressément à pouvoir prêter serment et à être inscrit au tableau du barreau de Nice. Si cette prétention correspond à plusieurs décisions de la part du conseil de l'ordre, il apparaît clairement que M. [P] [W] a entendu soumettre au conseil, puis désormais à la cour, l'examen de sa situation, tant au regard des conditions de compétence que des conditions de moralité, dans le but de prétendre à la profession d'avocat.

Dès lors, la cour se trouve saisie de l'appréciation de la situation de M. [P] [W] tant au regard de la dispense ou non du certificat d'aptitude à la profession d'avocat, qu'au regard des autres conditions de moralité qu'exige l'inscription au tableau ; les conditions de probité et d'honorabilité ici en cause doivent donc être examinées dès à présent, celles-ci étant requises dans l'appréciation des conditions d'inscription au tableau d'un conseil de l'ordre, étant observé que différer cet examen conduirait à un manque de cohérence et de pertinence au regard de la prétention telle que formulée par l'appelant.

Certes, au regard de l'article 98 4° du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991, et eu égard à la carrière professionnelle rappelée et justifiée par M. [P] [W] en tant que commissaire de police de 1991 à 2021, il est acquis que ce dernier remplit les conditions de dispense de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat, ayant exercé pendant 30 ans des activités juridiques en tant que fonctionnaire de catégorie A. La première condition d'accès à la profession d'avocat, relative à la compétence, est donc acquise.

Toutefois, l'inscription au tableau suppose également que soient remplies des conditions de probité et d'honorabilité.

Or, à ces titres, l'article 11 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 exige, d'une part, que l'impétrant n'ait pas été l'auteur de faits ayant donné lieu à une condamnation pénale pour agissements contraires à l'honneur, à la probité et aux bonnes moeurs, et, d'autre part, qu'il n'ait pas été l'auteur de faits de même nature ayant donné lieu à une sanction administrative de radiation, révocation, retrait d'agrément ou d'autorisation.

Les pièces produites et déclarations des parties attestent de ce que M. [P] [W] a fait l'objet d'une enquête administrative de la part de l'IGPN, ainsi que d'une enquête préliminaire qui a duré près de trois ans, pour des faits de déclaration fausse ou incomplète pour obtenir d'une personne publique ou d'un organisme chargé d'une mission de service public une allocation, ainsi que pour des faits de soustraction, détournement ou destruction de biens d'un dépôt public par le dépositaire ou un de ses subordonnés. Plusieurs reproches ont été formulés à l'endroit de M. [P] [W], sur la période de 2013 à 2019, notamment d'avoir menti sur sa situation familiale pour obtenir des avantages sociaux, principalement un appartement d'une superficie nettement supérieure à celle à laquelle il pouvait prétendre compte tenu de sa composition familiale réelle, ainsi que divers achats pour ses besoins personnels et l'utilisation de son véhicule de service, avantage auquel il avait pourtant renoncé dans un but de défiscalisation.

Par décision du 3 juin 2021, tout en soulignant l'excellente manière de servir du commissaire de police, le ministre de l'Intérieur a infligé à M. [P] [W] une sanction administrative de 4ème catégorie tenant en la mise à la retraite d'office, considérant qu'il avait gravement manqué, et de manière répétée, aux obligations statutaires et déontologiques qui s'imposent aux fonctionnaires de police nationale, notamment l'obligation de probité, d'exemplarité, de loyauté ainsi qu'au devoir d'obéissance et au devoir de protection dû par l'autorité hiérarchique. M. [P] [W] a formé un recours pour excès de pouvoir contre cette décision qui a été rejeté par le Conseil d'Etat le 31 mai 2022. Le Conseil a considéré que 'compte tenu, d'une part, de la gravité et du caractère systématique et répété, au cours de plusieurs années, des manquements commis, et, d'autre part, des importantes responsabilités exercées par l'intéressé, membre d'un corps de direction de la police nationale, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire n'a pas, alors même que la manière opérationnelle de servir de M. [P] [W] aurait, au cours des mêmes années, donné pleine satisfaction, prononcé une sanction disproportionnée en lui infligeant la sanction de mise à la retraite d'office'.

M. [P] [W] a sollicité depuis sa réintégration dans la police nationale, ce qui lui a été refusé le 26 décembre 2023, un recours devant le Conseil d'Etat pour excès de pouvoir étant actuellement pendant.

Ce refus vise notamment la condamnation pénale prononcée contre M. [P] [W] par le tribunal correctionnel d'Epinal le 5 septembre 2023, à la suite de l'enquête préliminaire diligentée. M. [P] [W] a été condamné à la peine de 3 000 € d'amende avec sursis après avoir été reconnu coupable de déclaration fausse ou incomplète pour obtenir d'une personne publique ou d'un organise chargé d'une mission de service public une allocation, une prestation, un paiement ou un avantage indu, faits commis entre le 30 avril 2013 et le 11 février 2019 à [Localité 8] et à [Localité 4], ainsi que de soustraction, détournement ou destruction de biens d'un dépôt public par le dépositaire ou un de ses subordonnés, faits commis entre le 9 avril 2014 et le 9 janvier 2020 à [Localité 8], [Localité 4] et [Localité 6]. Le tribunal a notamment pris en compte, dans l'appréciation de la peine, la longue période de prévention, l'arrêt des faits à raison de la seule enquête ouverte, la particulière gravité de ceux-ci eu égard au devoir d'exemplarité auquel était tenu M. [P] [W], un positionnement ambigu de ce dernier relativement aux infractions caractérisées, mais également l'ancienneté des faits, les sanctions disciplinaires déjà prononcées et la longue carrière de ce dernier marquée par un profond investissement, dans l'intérêt public. M. [P] [W] n'a pas interjeté appel de cette décision qui est définitive. Les plaintes déposées par lui contre X pour faux en écriture publique, escroquerie au jugement et dénonciation calomnieuse ne peuvent en l'état remettre en cause l'autorité de chose jugée attachée à cette décision.

Si la peine prononcée est mesurée, il n'en demeure pas moins que cette condamnation est un élément nouveau depuis le précédent refus d'inscription du conseil de l'ordre du barreau de Nice. Elle correspond à la reconnaissance d'infractions tenant au détournement des moyens de l'administration à des fins extérieures à l'intérêt du service, mais au contraire pour son usage personnel (cartes de paiement, utilisation du véhicule de service tout en ayant à trois reprises renoncé à cet avantage en nature, ce dans un but d'économie fiscale, etc), et, tenant à l'obtention d'avantage indu par de fausses déclarations, en l'occurrence l'obtention de logements de fonction à [Localité 8] et [Localité 4] d'une superficie nettement supérieure à celle à laquelle il pouvait prétendre, par la déclaration d'un nombre de personnes à charge supérieur à sa situation réelle.

Il ressort de ces éléments que M. [P] [W] a fait l'objet d'une sanction disciplinaire de mise à la retraite d'office et a été condamné pénalement pour des faits portant incontestablement atteinte à l'honneur et à la probité, particulièrement au regard du devoir d'exemplarité auquel il était déjà soumis, ces deux sanctions étant définitives.

Or, ces sanctions, et principalement la décision du tribunal correctionnel d'Epinal, sont très récentes, le délibéré ayant été prononcé à peine un mois avant que M. [P] [W] ne forme sa nouvelle demande d'inscription au tableau.

Depuis sa mise à la retraite d'office, M. [P] [W] justifie avoir été employé par la ville de [Localité 4] du 2 janvier au 1er décembre 2023 à raison de 40 heures par mois, en qualité d'expert conseil vacataire, afin qu'il intervienne lors des manifestations et événements organisés par la ville, qu'il évalue les zones à sécuriser, qu'il définisse les besoins en matière de sécurisation de l'événement, qu'il forme et contrôle les agents de sécurité en charge de l'événement. L'appelant justifie également être inscrit depuis l'année 2021/2022 à la faculté d'[Localité 3] en doctorat de droit public. Ces éléments témoignent de la volonté de M. [P] [W] de poursuivre une activité professionnelle dans le domaine juridique, conformément aux compétences qui sont les siennes. Néanmoins, il s'agit d'éléments partiels et récents qui ne justifient pas d'un amendement de M. [P] [W] depuis les sanctions prononcées.

De même, les attestations produites à son dossier, concernant toutes ses états de service pendant sa carrière de commissaire de police, sont ici inopérantes pour justifier d'une réinsertion postérieure à la reconnaissance de la réalité des infractions commises.

Certes, il résulte de l'attestation du directeur départemental des finances publiques des Alpes-Maritimes que dès janvier 2020, M. [P] [W] a pris contact avec cette administration en vue de régulariser sa situation fiscale. Cependant, ces faits, survenus pendant l'enquête diligentée, sont antérieurs aux sanctions prononcées et ne caractérisent pas une volonté d'amendement ultérieur.

Par ailleurs, l'appelant conserve une attitude ambigue relativement aux sanctions prononcées, reconnaissant partiellement les faits qui en sont à l'origine, mais dénonçant toujours un complot qu'il tente de faire admettre par les plaintes qu'il diligente.

En définitive, il appert que M. [P] [W] a été sanctionné administrativement et pénalement pour des faits contraires à l'honneur et à la probité, et qu'il ne présente pas à ce jour de gages sérieux et suffisants de réinsertion sociale, permettant de retenir à son profit le bénéfice d'un certain amendement. Il s'en déduit qu'il ne remplit pas les conditions d'honorabilité et de probité requises pour être inscrit au tableau sous le bénéfice de la dispense de formation et de certificat d'aptitude à la profession d'avocat.

La décision du conseil de l'ordre des avocats du barreau de Nice du 5 décembre 2023, qui a rejeté sa demande, sera donc confirmée.

Sur les demandes annexes

M. [P] [W], qui succombe, sera condamné aux entiers dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort et en audience solennelle,

Confirme en toutes ses dispositions la décision rendue le 5 décembre 2023 par le conseil de l'ordre des avocats du barreau de Nice,

Y ajoutant,

Condamne M. [P] [W] aux entiers dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-1
Numéro d'arrêt : 24/00106
Date de la décision : 03/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-03;24.00106 ?
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